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Date : 20040811

Dossier : IMM-6176-03

Référence : 2004 CF 1118

Toronto (Ontario), le 11 août 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                                BARIS ERTURK

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Erturk est un Turc alévi âgé de 26 ans qui prétend être un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger en raison de sa religion, son profil politique, et du fait qu'il est un objecteur de conscience au service militaire obligatoire.


[2]                La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le fait d'être un Alévi ne suffisait pas, en soi, pour justifier la protection. La Commission a conclu que M. Erturk n'était pas crédible en ce qui concerne plusieurs questions relatives à ses expériences à l'université et à d'autres activités en Turquie et a décidé qu'il n'avait pas réussi à démontrer qu'il pourrait présenter un intérêt pour les autorités. En ce qui concerne l'objection de conscience, la Commission a conclu que M. Erturk n'avait pas fui la Turquie par peur de la conscription, mais parce qu'il voulait étudier à l'étranger. En ce qui concerne son insoumission, c'est d'être traduit en justice dont il avait peur et non d'être persécuté.

[3]                M. Erturk conteste deux des conclusions de la Commission sur la crédibilité au motif qu'elles sont manifestement déraisonnables. Il s'en prend également à la décision sur « l'objection de conscience » sur deux plans. D'abord, il prétend que la SPR n'a pas bien analysé le bien-fondé de sa demande. Ensuite, et indépendamment de la première prétention, il dit que la Commission n'a pas tenu compte du traitement qu'il subirait en tant qu'insoumis s'il rentrait en Turquie. En ce qui concerne le dernier argument, il renvoie à la décision Bakir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 33 Imm. L.R. (3d) 171 (C.F.) (Bakir), et allègue que la décision de la Commission doit être annulée sur le fondement de cette décision.

[4]                Dans Bakir, le juge Blanchard, au paragraphe 32, a dit ceci :

Toutefois, je conviens avec le demandeur que la Commission a commis une erreur en concluant que la peine dont le demandeur serait passible pour s'être soustrait au service militaire en Turquie n'en fait pas une personne à protéger. Pour évaluer la gravité de la peine appliquée dans un tel cas, la Commission s'est appuyées sur des éléments de preuve documentaire émanant du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas mais, comme le signale le demandeur, elle n'a pas tenu compte d'autres rapports déposés devant elle, qui faisaient état de traitements judiciaires et extra-judiciaires beaucoup plus rigoureux.

[5]                M. Erturk mentionne que la SPR, en établissant qu'il ne ferait pas l'objet de traitements ou peines cruels ou inusités en Turquie, s'est fondée sur le rapport préparé par le ministère des Affaires extérieures de la Hollande et a omis d'expressément tenir compte d'autres rapports dont elle diposait. Selon lui, Bakir est donc déterminante.

[6]                Je suis d'accord avec M. Erturk que, si Bakir s'applique, la décision de la Commission est erronée. Le défendeur, cependant, soutient que Bakir se distingue de la présente affaire.

[7]                Le juge Blanchard, aux paragraphes 33 à 35 de Bakir, a de plus dit ceci :

Le demandeur a déposé plusieurs éléments de preuve documentaire émanant d'Amnistie Internationale indiquant que ceux qui persistaient à refuser de servir dans les forces armées s'exposaient à une chaîne de peines d'emprisonnement et que les objecteurs de conscience qui retournaient en Turquie risquaient des châtiments extrajudiciaires comme la torture et la détention. Aux pages 198 à 212 du dossier du Tribunal, des pièces provenant d'Amnistie Internationale font état d'un accroissement de cas de persécution extrajudiciaire et de longues et brutales détentions de citoyens kurdes qui sont renvoyés en Turquie après avoir tenté de se soustraire au service militaire en quittant le pays et en demandant l'asile politique ailleurs. Les documents signalent également des décès mystérieux de citoyens kurdes qui avaient consenti à servir dans l'armée après s'être opposés au service militaire. Un autre rapport d'Amnistie Internationale, cité à la p. 200 du dossier du Tribunal, mentionne la possibilité de l'application à ceux qui persistent à refuser de servir dans l'armée turque d'une chaîne de peines d'emprisonnement équivalant à l'emprisonnement à vie. Ces rapports constituent des éléments de preuve dignes de foi que les personnes qui se dérobent au service militaire sont exposées à des actes de persécution judiciaire et extrajudiciaire grave. La Commission n'a pas mentionné ces éléments de preuve dans ses motifs.

Dans l'arrêt Cepada-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, la Cour d'appel fédérale a déclaré, au paragraphe 17, que plus les éléments de preuve qu'un tribunal administratif omettait de mentionner expressément et d'analyser étaient importants, plus un tribunal judiciaire sera disposé à inférer que celui-ci a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve. Étant donné l'importance des rapports, qui renfermaient des renseignements substantiels et appuyaient une conclusion contraire à celle qu'avait tirée la Commission, il aurait fallu que celle-ci en traite explicitement dans ses motifs. Comme elle ne l'a pas fait, j'estime qu'elle a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve.


Non seulement cette preuve est-elle pertinente et indique-t-elle une conclusion contraire à celle que la Commission a tirée, mais elle émane d'une source indépendante fiable. La Commission a commis une erreur en n'en tenant pas compte.

Il a conclu que la décision avait été rendue sans égard à la preuve. Par conséquent, la Commission avait commis une erreur de droit.

[8]                Le défendeur prétend qu'à première vue Bakir ne s'applique pas. Il en est ainsi parce que dans cette affaire-là, le demandeur était kurde, et non alévi. Le défendeur prétend qu'une étude du paragraphe 33 des motifs de Bakir révèle que c'est le demandeur qui a fourni les rapports d'Amnistie internationale et qu'il est clair que les rapports parlaient de citoyens kurdes. De plus, le défendeur dit que l'avocat qui a représenté M. Erturk devant la SPR (et non son avocat pour le contrôle judiciaire) n'a pas renvoyé aux rapports d'Amnistie internationale; il a renvoyé au rapport préparé par le ministère de l'Intérieur du Royaume-Uni.

[9]                Je suis d'accord avec le défendeur pour dire qu'au moins certaines parties de la preuve documentaire dans Bakir renvoient au traitement réservé aux Kurdes. Toutefois, le paragraphe 33 des motifs parle aussi de punitions pour « ceux qui persistent à refuser de servir dans l'armée turque » . Le juge Blanchard a dit que les rapports « constituent des éléments de preuve dignes de foi que les personnes qui se dérobent au service militaire sont exposées à des actes de persécution judiciaire et extrajudiciaire grave » .

[10]            La SPR disposait du rapport préparé par Amnistie internationale pour 2002. Rien n'indique qu'on en a tenu compte. Cependant, ce qui est plus convaincant relativement à la position du défendeur est le renvoi au paragraphe 4.32 du rapport préparé par le ministère de l'Intérieur du Royaume-Uni qui dit :

[traduction] L'origine ethnique ne joue aucun rôle dans la détermination des peines pour l'insoumission au service militaire.

[11]            Je suis incapable de distinguer Bakir de la présente affaire et j'accueillerai la demande. Les avocats n'ont pas soulevé de question pour certification et aucune question n'est certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE:

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire. Aucune question n'est certifiée.

                                                             « Carolyn Layden-Stevenson »          

                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6176-03

INTITULÉ :                                                    BARIS ERTURK

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 11 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 11 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Alex Billingsley                                                  POUR LE DEMANDEUR

Kareena Wilding                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cintosun & Associate                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)                                                                     

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                   


COUR FÉDÉRALE

                             

Date : 20040811

Dossier : IMM-6176-03

ENTRE :

BARIS ERTURK

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                 


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