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Date : 19990818


Dossier : IMM-5288-98


ENTRE



LOREDANA SILION,



demanderesse,



et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,



défendeur.



MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE MacKAY

[1]      La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas, à l"ambassade du Canada, à Bucarest, en Roumanie, a refusé de lui accorder un permis de travail temporaire, ainsi qu"une ordonnance infirmant cette décision.

[2]      La demanderesse est citoyenne roumaine; elle habite avec sa famille. Elle est née au mois de septembre 1976; elle travaille comme danseuse exotique dans une boîte de nuit, à Brasov. Par l"entremise d"une agence locale, elle a conclu un contrat avec une agence de placement dans l"industrie du spectacle et elle a signé une entente avec une boîte de nuit à Toronto pour travailler pendant environ six mois comme [TRADUCTION] " effeuilleuse (nue) " et d"" effeuilleuse (nue) aux tables ". La boîte de nuit où la demanderesse travaillait en Roumanie lui a fourni des références, la recommandant pour travailler à l"étranger comme [TRADUCTION] " effeuilleuse ". La propriétaire de cette boîte de nuit a également fait savoir qu"il avait l"intention de réembaucher la demanderesse lorsqu"elle retournerait en Roumanie à l"expiration de son contrat.

[3]      La demanderesse a eu une entrevue, à l"ambassade du Canada, avec une agente du programme d"immigration (l"API) embauchée localement par l"ambassade pour aider à traiter les demandes d"immigration. Cette personne, comme l"atteste l"affidavit qu"elle a signé, a inscrit dans le CAIPS le résultat de son entrevue et a notamment noté ce qui suit :

[TRADUCTION]
Elle dansait les seins nus; elle n"a aucune expérience en tant qu"effeuilleuse ou de danseuse nue. Elle n"est pas qualifiée; elle a reçu sa formation en cours d"emploi.
[...]
Elle a obtenu un visa des EAU pour une période de trois ans. Pourquoi? L"an dernier, elle a également obtenu un contrat de danseuse aux EAU; elle y est restée six semaines, mais elle n"était pas satisfaite de son salaire, qui était moins élevé que ce qui lui avait été promis, de sorte qu"elle est retournée en Roumanie. Cela n"a aucun sens. Pourquoi est-elle revenue ici où elle touche un faible salaire et pourquoi le visa a-t-il été annulé? Son employeur ne voulait pas qu"elle retourne aux EAU et qu"elle travaille pour quelqu"un d"autre.
[...]
Ici, sa situation financière est précaire, ses déplacements sont difficiles, elle n"a pas de liens, les explications qu"elle a données au sujet de son voyage aux EAU et de l"annulation de son visa, aux EAU, ne sont pas crédibles; je doute qu"elle soit de bonne foi.

[4]      Ce compte rendu de l"API a ensuite été examiné à l"ambassade par l"agent des visas qui a décidé de refuser la demande visant à l"obtention d"un permis de travail temporaire. Après avoir pris cette décision, l"agent inscrit ce qui suit dans les notes du CAIPS :

[TRADUCTION]
La demanderesse n"a pas réellement d"expérience pour effectuer le genre de travail envisagé. Il est fort douteux qu"elle ait réellement l"intention de revenir au pays. Permis refusé.

[5]      Dans son affidavit, l"agent des visas déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]
J"ai examiné les renseignements recueillis par Mme Centea (l"API) et, sur la base de ces renseignements, j"ai conclu que la demanderesse n"était pas réellement qualifiée pour effectuer le genre de travail envisagé; j"ai également conclu qu"il était peu probable que la demanderesse ait l"intention d"aller temporairement au Canada. Même si sa famille est en Roumanie, je ne crois pas que la demanderesse reviendrait de son plein gré dans ce pays à l"expiration de son permis de travail. J"ai donc décidé de refuser la demande de permis de travail.

[6]      La demanderesse soulève les questions suivantes. Premièrement, l"agent des visas ne lui a pas posé de questions, mais il s"est uniquement fondé sur le compte rendu de l"API. Il est soutenu que c"est l"agent des visas qui doit se prononcer sur la demande conformément à la Loi et au Règlement et que le décideur doit entendre le demandeur. En l"espèce, il est soutenu que l"API a participé au processus décisionnel sans être autorisée à le faire.

[7]      La deuxième question que la demanderesse a soulevée se rapporte à la décision de l"agent des visas, soit qu"elle n"avait pas d"expérience pour effectuer le genre de travail envisagé; l"agent des visas n"était pas convaincu qu"elle retournerait en Roumanie à la fin de son contrat à court terme durée. On affirme que les deux conclusions sont manifestement déraisonnables eu égard aux circonstances, étant donné en particulier que l"agent des visas n"a pas eu d"entrevue avec la demanderesse même si celle-ci était restée à l"ambassade et même si elle était disponible; de fait, la demanderesse a été mise au courant de la décision avant de quitter l"ambassade.

[8]      Comme je l"ai fait savoir à l"audience, j"ai rejeté la demande; une ordonnance est rendue en ce sens pour les motifs suivants :

[9]      Il est vrai que l"agent des visas est tenu, en vertu de la Loi et du Règlement, de se prononcer sur les demandes de visa. Le ministre est autorisé en vertu de la Loi à déléguer cette fonction à certaines personnes, mais il n"est pas soutenu que ce pouvoir a été délégué à l"API dans ce cas-ci. La demanderesse soutient que, compte tenu des contre-interrogatoires de l"API et de l"agent des visas, il est clair que l"API a participé au processus décisionnel; les deux témoins ont reconnu que l"API pouvait faire droit aux demandes qui étaient simples. Toutefois, pendant le contre-interrogatoire, les agents ont tous les deux affirmé que seul l"agent des visas peut décider de refuser un visa.

[10]      Cette affaire se rapporte à la décision de refuser de délivrer un visa. La décision a clairement été prise par l"agent des visas, comme celui-ci le déclare dans son affidavit. Cela est étayé par l"affidavit de l"API ainsi que par le propre affidavit de la demanderesse, qui reconnaît que lorsqu"elle a été informée du rejet de sa demande, on lui a dit que c"était l"agent d"immigration qui avait pris la décision et non l"API.

[11]      Il s"agit essentiellement d"une décision administrative, que l"agent des visas a prise dans l"exercice de son pouvoir discrétionnaire. Eu égard aux circonstances de la présente affaire ou de toute autre affaire, il n"est pas nécessaire que l"agent des visas ait une entrevue personnelle avec la personne qui demande un visa. Dans certaines circonstances, l"omission de le faire pourrait être inéquitable, mais je ne suis pas convaincu que ce soit ici le cas. Dans ce cas-ci, l"API a eu une entrevue avec la demanderesse et a rendu compte du résultat de l"entrevue. Ce compte rendu a été examiné par l"agent des visas, qui a pris la décision. Le traitement des demandes et les comptes rendus y afférents par des membres du personnel font bien souvent normalement partie du processus administratif et il n"est pas surprenant que ce processus ait ici été suivi. Il ne s"agit pas d"un cas dans lequel l"agent des visas a rendu une décision judiciaire ou quasi judiciaire, qui pourrait donner lieu à l"application du principe voulant que celui qui entend une affaire doit rendre la décision y afférente, ou à l"inverse que celui qui rend la décision doit entendre le demandeur.

[12]      Quant aux arguments selon lesquels les conclusions de fait tirées par l"agent des visas étaient manifestement déraisonnables, je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. La demanderesse ne soutient pas qu"elle avait de l"expérience en tant qu"effeuilleuse nue. Elle soutient plutôt que l"expérience qu"elle a en tant que danseuse " topless " a pour effet de la qualifier à titre de danseuse exotique, ou même d"[TRADUCTION] " effeuilleuse " comme son employeur, à Brasov, l"a déclaré. Selon la preuve dont disposait l"agent des visas, la demanderesse n"avait pas d"Expérience à titre [TRADUCTION] " d"effeuilleuse ou de danseuse nue " comme l"a déclaré l"API en se fondant sur son entrevue. Le fondement de la conclusion tirée par l"API a été examiné lorsque cette dernière a été contre-interrogée au sujet de son affidavit, mais je ne dispose en fait d"aucun élément de preuve montrant que l"appréciation effectuée par l"API est erronée. Le contrat que la demanderesse avait signé pour travailler à Toronto l"obligeait à danser nue en se déshabillant progressivement. Dans son affidavit, la demanderesse n"allègue pas avoir de l"expérience dans ce domaine. On ne peut pas dire que la conclusion tirée par l"agent des visas, à savoir que la demanderesse n"avait pas réellement d"expérience pour effectuer le genre de travail envisagé, est déraisonnable.

[13]      J"arrive à la même conclusion au sujet de la conclusion de l"agent des visas selon laquelle il n"existait aucun élément de preuve convaincant montrant que la demanderesse retournerait en Roumanie à la fin de son contrat à court terme. Parmi les éléments de preuve dont disposait l"agent des visas, il y avait les remarques de l"API, selon lesquelles la demanderesse vivait avec cinq membres de sa famille dans un logement de trois pièces, que son salaire était plutôt faible, que sa situation financière était précaire, qu"elle n"avait pas de liens à cet endroit et que les explications qu"elle avait données au sujet de l"annulation de son visa aux EAU et du séjour qu"elle avait effectué dans ce pays n"étaient pas crédibles. Ces motifs ne pourraient pas tous étayer la conclusion que l"agent des visas a tirée, mais à mon avis, ils fournissaient un fondement suffisant en ce qui concerne la conclusion qu"il a tirée, à savoir qu"il était loin d"être certain que la demanderesse retourne en Roumanie à la fin de son contrat à Toronto.

[14]      À la fin de l"audience, il a été soutenu pour le compte de la demanderesse que la Cour devrait certifier la question suivante, conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l"immigration :

[TRADUCTION]
Le principe selon lequel seules les personnes qui entendent une affaire peuvent rendre une décision à cet égard s"applique-t-il dans le contexte du règlement d"une demande de permis de travail?

J"ai examiné l"affaire et j"ai conclu que la question ne devrait pas être certifiée étant donné qu"il me semble clair que le principe sous-tendant cette question ne s"applique pas à une décision administrative, même s"il s"agit d"une décision de nature discrétionnaire, comme c"est ici le cas. Eu égard aux circonstances, la question proposée n"est pas une question grave de portée générale.





                         W. Andrew MacKay
                                     Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 18 août 1999


Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :                  IMM-5288-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          LOREDANA SILION et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

DATE DE L"AUDIENCE :              LE MARDI 17 AOÛT 1999

LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE MacKAY EN DATE DU 18 AOÛT 1999.


ONT COMPARU :

Stephen W. Green                  pour la demanderesse
Kevin Lunney                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green & Spiegel                  pour la demanderesse

Avocat

121 King Street West

Suite 2200, C.P. 114

Toronto (Ontario)

M5H 3T9

Morris A. Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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