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     IMM-3764-96


OTTAWA (ONTARIO), LE 11 SEPTEMBRE 1997.


EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

ENTRE :

     SUKHMANDER SINGH SANDHU,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     O R D O N N A N C E

     VU LA DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l"agent d"immigration K. L. McMurray a conclu, le 26 septembre 1996, qu"il n"existait pas suffisamment de raisons d"ordre humanitaire pour que la demande du droit d"établissement du requérant soit traitée à partir du Canada.

     Le requérant cherche à obtenir une ordonnance annulant cette décision et une autre ordonnance enjoignant à l"intimé de traiter la demande du droit d"établissement à partir du Canada, conformément aux dispositions en matière de politique prévues à la section IE 9 du Guide de l"immigration.

     LA COUR ORDONNE que l"affaire soit envoyée à un autre agent d"immigration pour qu"il statue de nouveau sur celle-ci, en tenant expressément compte des dispositions en


matière de politique prévues à la section IE 9 du Guide de l"immigration.


B. Cullen

                                         J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme                      ____________________

                                     Bernard Olivier, LL.B.

    


IMM-3764-96

ENTRE :

     SUKHMANDER SINGH SANDHU,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

     Il s"agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l"agent d"immigration K. L. McMurray a conclu, le 26 septembre 1996, qu"il n"existait pas suffisamment de raisons d"ordre humanitaire pour que la demande du droit d"établissement du requérant soit traitée à partir du Canada.

     Le requérant cherche à obtenir une ordonnance annulant cette décision et une autre ordonnance enjoignant à l"intimé de traiter la demande du droit d"établissement à partir du Canada, conformément aux dispositions en matière de politique prévues à la section IE 9 du Guide de l"immigration.

LES FAITS

     Le requérant est un citoyen de l"Inde. Il est arrivé au Canada le 17 mars 1991 et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. La Section du statut de réfugié (la Section du statut) de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le requérant n"était pas un réfugié au sens de la Convention.

     Le requérant a déposé, le 13 mai 1996, une demande visant à obtenir la permission de demander le statut de résident permanent à partir du Canada (la demande humanitaire). Le 12 septembre 1996, Paulette M. Johnson, une agente d"immigration, a eu une entrevue avec le requérant. À cette occasion, le requérant a prétendu qu"il craignait toujours d"être persécuté en Inde en raison d"un certain nombre d"événements survenus après que sa revendication du statut de réfugié a été rejetée. Ces événements sont décrits dans l"exposé du droit du requérant. L"agente d"immigration était d"avis que le cas du requérant ne comportait pas suffisamment de raisons d"ordre humanitaire pour que la réparation prévue au paragraphe 114(2) lui soit accordée. Elle a recommandé que la demande du requérant soit rejetée, recommandation à laquelle son supérieur a souscrit, le 24 septembre 1996.

     Dans la dernière section de ses notes d"entrevue, intitulée [TRADUCTION] " Recommandations des agents / Décision et motifs ", l"agente d"immigration mentionne, dans le premier d"une série de trois paragraphes :

             [TRADUCTION] Sukhmander Singh Sandhu est un revendicateur du statut de réfugié débouté dont la demande a également été rejetée par un agent de révision des revendications refusées. Il attend présentement qu"il soit statué sur la demande qu"il a déposée en invoquant la catégorie des DNRSRC et sur l"appel qu"il a interjeté de la décision rendue par un agent de révision des revendications refusées. Un rapport au titre de l"article 20, défavorable à M. Sandhu, a été rédigé en 1991, mais il semble qu"aucune ordonnance n"ait jamais été prise à son égard.             

     Le deuxième paragraphe de cette section renvoie aux antécédents de travail du requérant, à son implication au sein de la collectivité et à ses liens familiaux au Canada et en Inde. Le troisième paragraphe ne contient que l"avis de l"agente selon lequel, d"une part, la présente affaire ne comporte pas suffisamment de raisons d"ordre humanitaire et, d"autre part, la demande doit faire l"objet d"une enquête.

     Cependant, le requérant n"a pas eu droit à ce que sa demande soit examinée dans le cadre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la catégorie des DNRSRC), sa revendication du statut de réfugié ayant été rejetée avant le 1er février 1993, date à laquelle le règlement applicable à la catégorie des DNRSRC a été promulgué. En outre, bien que l"agente d"immigration eût le loisir de consulter un agent traitant de la catégorie des DNRSRC en ce qui concerne le risque, aucune consultation de ce genre n"a eu lieu.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

1.      L"agente d"immigration a-t-elle omis de tenir compte de la déclaration du requérant qu"il craignait de retourner en Inde? Autrement dit, l"agente d"immigration a-t-elle omis de tenir compte d"une preuve pertinente?
2.      L"agente d"immigration a-t-elle tiré des conclusions de fait erronées dans ses motifs en renvoyant à la décision défavorable au requérant rendue par un agent de révision des revendications refusées, à l"appel interjeté contre cette décision et à la demande, en instance, invoquant la catégorie des DNRSRC? Dans l"affirmative, les conclusions de fait erronées ont-elles été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l"agente disposait?

DISCUSSION

1.      La déclaration du requérant qu"il craignait de retourner en Inde

La preuve

     Dans ses notes d"entrevue, l"agente d"immigration mentionne que le requérant avait fourni les renseignements suivants en ce qui concerne le bien-fondé de son cas :

             [TRADUCTION] [...] Il prétend également qu"il craint de retourner en Inde, car lui-même et son père y ont été arrêtés et torturés, avant sa venue au Canada. Il prétend qu"il a été arrêté en 1990 pour avoir appuyé un commando de terroristes, mais qu"il avait simplement donné de la nourriture à ceux-ci, après y avoir été contraint. Il n"appartenait pas au commando et ni lui ni les autres membres de sa famille n"ont eu d"autre lien avec les terroristes.             

Analyse

     Il ressort de cet extrait que l"agente d"immigration était parfaitement consciente de la crainte exprimée par le requérant. Bien qu"elle n"ait pas expressément renvoyé à cette crainte dans sa recommandation, il est évident qu"elle en était consciente. Compte tenu de cet extrait, je ne peux conclure que l"agente d"immigration a omis de tenir compte de la crainte du requérant de retourner en Inde. L"agente d"immigration n"a pas omis de tenir compte d"une preuve pertinente à cet égard.

2.      Conclusions de fait erronées

La preuve

     Dans le premier paragraphe de ses motifs précités, l"agente d"immigration renvoie clairement à la décision défavorable au requérant rendue par un agent de révision des revendications refusées, à l"appel interjeté contre cette décision et à la demande, en instance, invoquant la catégorie des DNRSRC. Cependant, rien de cela ne fait partie, en réalité, du cas du requérant.

     L"agente d"immigration a témoigné que c"est par inadvertance qu"elle a renvoyé à une décision rendue par un agent des revendications refusées. Elle avait plutôt voulu dire que la demande du requérant invoquant la catégorie des immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée (la catégorie des IMRED) avait été rejetée et qu"il attendait que l"appel qu"il avait interjeté de cette décision soit tranché.

     En ce qui concerne son renvoi à une demande, en instance, invoquant la catégorie des DNRSRC, l"agente d"immigration a témoigné qu"elle demandait toujours aux requérants dont la revendication du statut de réfugié avaient été rejetée s"ils avaient déposé une demande invoquant la catégorie des DNRSRC. Elle a donc demandé au requérant s"il avait reçu une décision à cet égard et il a répondu par la négative. L"agente d"immigration a témoigné qu"elle avait simplement tenu pour acquis que le requérant était admissible à déposer une demande invoquant la catégorie des DNRSRC et qu"il recevrait, plus tard, une décision à cet égard. L"agente d"immigration a également témoigné que la question de la demande invoquant la catégorie des DNRSRC n"avait aucunement influé sur sa décision, parce qu"elle avait examiné et considéré à fond la prétention du requérant selon laquelle son retour en Inde mettrait sa vie en danger et qu"elle avait conclu que cela n"était pas le cas.

Analyse

     L"avocat du requérant soutient qu"il ne sied pas au décideur, en l"occurrence l"agente d"immigration, de déposer un affidavit de la nature de celui qui a été déposé en l"espèce.

     La demande de contrôle judiciaire doit, hormis des circonstances très exceptionnelles, être réglée compte tenu du seul dossier dont dispose le décideur. L"affidavit de l"agente d"immigration n"introduit pas de nouvelle preuve dont ne disposait pas le décideur. L"affidavit de l"agente d"immigration remplit une fonction qui s"apparente à celle que remplit l"affidavit du requérant. Je ne vois donc pas en quoi l"admissibilité de l"affidavit de l"agente d"immigration poserait problème.

     Comme je l"ai déjà conclu plus haut, l"agente d"immigration n"a pas tenu compte de la déclaration du requérant qu"il craignait de retourner en Inde. Cependant, en quoi les conclusions de fait erronées susmentionnées ont-elles influé sur la décision finale de l"agente d"immigration?

     L"agente d"immigration a témoigné que c"est par inadvertance qu"elle a renvoyé à une décision rendue par un agent des revendications refusées alors qu"en réalité, elle voulait parler de la demande du requérant invoquant la catégorie des IMRED. Sur ce point précis, je trouve l"explication de l"agente d"immigration plausible.

     Cependant, les renvois à une décision rendue par un agent des revendications refusées doivent être examinés dans le contexte du paragraphe tout entier dans lequel ils ont été faits de même que dans le contexte de la décision prise dans son ensemble.

     À titre de remarque préliminaire, je fais remarquer que, si nous acceptons que l"agente d"immigration renvoyait, en fait, à une décision défavorable au requérant à l"égard de sa demande invoquant la catégorie des IMRED1, il est alors vraiment curieux qu"elle croyait que le requérant recevrait également une décision concernant une demande invoquant la catégorie des DNRSRC. Il est impossible, aux termes de la Loi sur l"immigration, qu"une même personne reçoive une décision concernant une demande invoquant la catégorie des IMRED et une demande invoquant la catégorie DNRSRC.

     Même en laissant complètement de côté la question de la demande invoquant la catégorie des IMRED, je trouve également curieux que l"agente d"immigration croyait que le requérant attendait que soit réglée une demande qu"il avait déposée invoquant la catégorie des DNRSRC, étant donné qu"il ressortait de la preuve dont l"agente disposait que la revendication du statut de réfugié déposée par le requérant avait été rejetée le 9 avril 1992. L"agente d"immigration devait certainement savoir cela. Or, le règlement concernant la catégorie des DNRSRC a été promulgué le 1er février 1993 et la revendication du statut de réfugié du requérant a été rejetée avant cette date. Vu les circonstances, l"agente d"immigration devait certainement savoir que le requérant n"avait pas le droit de déposer une demande invoquant la catégorie des DNRSRC.

     Les erreurs commises par inadvertance ou typographiques ne touchent pas le fond du litige dans la plupart des cas et, par conséquent, elles ne constituent pas un motif suffisant d"intervention judiciaire à l"égard de la décision d"un agent d"immigration. Le manque de connaissance manifeste, de la part du décideur, des faits de l"espèce ou de la loi dont il est saisi, cependant, peut effectivement constituer un motif valable d"intervention judiciaire.

     Cependant, le problème que pose la décision de l"agente d"immigration n"est pas de cette nature. L"aspect le plus troublant de celle-ci ressort d"un examen des erreurs susmentionnées dans le contexte de la décision prise dans son ensemble.

     L"agente d"immigration a témoigné qu"elle avait soigneusement évalué le risque que la vie du requérant soit en danger dans son pays d"origine ou qu"il y subisse des sanctions graves ou un traitement inhumain. Cependant, elle avait également l"impression qu"une demande du requérant invoquant la catégorie des DNRSRC serait examinée et qu"à cette occasion, la question du risque serait considérée.

     Selon des directives remises par le ministère de l"Immigration (appelées " IE 9 ") aux agents d"immigration, il existe des raisons d"ordre humanitaire lorsque " [...] des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l"examen de son cas [...] " si celle-ci devait quitter le Canada2. Les directives fournissent des exemples de situations pouvant justifier l"octroi d"une réparation pour des raisons d"ordre humanitaire, telle la prise de sanctions graves dans le pays d"origine de la personne. Dans le contexte de la décision rendue, qui tenait en trois paragraphes, il est évident que le paragraphe introductif est le seul paragraphe dans lequel l"agente d"immigration tire une conclusion en ce qui concerne la question du risque.

     Il ressort du libellé de ce paragraphe que l"agente d"immigration croyait qu"un agent de révision des revendications refusées avait rendu une décision comportant une évaluation du risque et que cette décision avait été défavorable au requérant. Cependant, aucune décision de cette nature n"a été rendue et aucune évaluation du risque que courait le requérant n"a eu lieu. L"agente d"immigration a, depuis, précisé que les renvois à la décision d"un agent de révision des revendications refusées étaient le fruit d"une erreur commise par inadvertance.

     Il ressort également du libellé de ce paragraphe que l"agente d"immigration croyait qu"une demande du requérant invoquant la catégorie des DNRSRC serait incessamment réglée par une décision comportant, entre autres, une évaluation du risque. Cependant, aucune décision de cette nature ne devait être rendue ni ne pouvait l"être, vu les circonstances de l"espèce.

     L"agente d"immigration avait donc l"impression erronée qu"une évaluation du risque serait faite " à un moment donné " à l"égard de ce revendicateur. Compte tenu de cela, je peux conclure que, même si l"agente d"immigration connaissait les craintes exprimées par le requérant, elle n"a pas, en fait, tranché la question de savoir si ces craintes, et les risques qui y étaient associés, étaient raisonnables ou non, vu la situation particulière du requérant. Bien que l"agente d"immigration témoigne maintenant qu"elle a effectivement conclu à l"absence de fondement raisonnable aux craintes du requérant, il ne ressort nullement de ses notes qu"elle a, de fait, tiré une telle conclusion. Il semble plutôt qu"elle croyait, peu importe qu"une erreur ait été commise par inadvertance ou non, qu"une évaluation en bonne et due forme du risque avait été faite à l"égard du requérant ou encore qu"elle le serait.

     La décision de l"agente d"immigration comporte deux parties. La première partie de la décision traite de divers aspects du risque, comme il a été discuté précédemment, alors que la deuxième partie porte sur l"importance des liens du requérant avec le Canada et son pays d"origine. Par conséquent, dans le contexte de l"ensemble de la décision, une partie importante de celle-ci est fondée sur des conclusions de fait erronées. Or, l"agente d"immigration a tiré ces conclusions sans tenir compte de la preuve dont elle disposait, ce qui démontre clairement qu"aucune évaluation du risque n"avait été ni ne serait faite. Vu les circonstances de l"espèce, il incombait à l"agente d"immigration de faire une telle évaluation du risque3. Je ne suis pas convaincu que c"est ce qu"elle a fait.


CONCLUSION

     La présente affaire sera envoyée à un autre agent d"immigration pour qu"il statue de nouveau relativement à celle-ci en tenant expressément compte de la section section IE 9 du Guide de l"immigration.

OTTAWA (ONTARIO)          B. Cullen

Le 11 septembre 1997.      J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme                      ____________________

                                     Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

    

NO DU GREFFE :          IMM-3764-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SUKHMANDER SINGH SANDU c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :      TORONTO

DATE DE L"AUDIENCE :      LE 10 SEPTEMBRE 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CULLEN

EN DATE DU :              11 SEPTEMBRE 1997

ONT COMPARU :

Lorne Waldman                              POUR LE REQUÉRANT

Stephen Gold                              POUR L"INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                              POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

George Thomson                              POUR L"INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      Il est remarquable que la demande du requérant invoquant la catégorie des IMRED a été rejetée au motif qu"elle a été déposée après l"expiration du délai prescrit.

2      IE 9, article 9.07, paragraphe 2.

3      Une telle conclusion s"accorde avec le raisonnement élaboré par le juge McGillis dans Senar Sinnappu, Thilagawathy Sinnappu c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, IMM-3659-95 (14 février 1997) (non publié), que j"ai moi-même appliqué dans Fernando Arduengo Naredo et Nieves del Carmen Salazar Arduengo c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, IMM-317-96 (29 mai 1997) (non publié).

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