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Date : 20000921

Dossier : IMM-5353-99

ENTRE :

                                                            ALI SHIRAZI

                                                                                                                               demandeur

                                                                    - et -

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                 ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de W. A. Sheppit, représentant du Ministre, datée du 29 octobre 1999, dans laquelle il a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public conformément à l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, telle que modifiée.

[2]                Les questions en litige dans le cadre de la présente demande sont :

i)          La décision datée du 29 octobre 1999 aurait-elle dû comprendre les motifs?;


ii)         Le rapport « Demande d'avis du ministre » , daté du 26 août 1999, aurait-il dû être divulgué au demandeur?;

iii)         Le rapport « Demande d'avis du ministre » , daté du 26 août 1999, était-il incomplet en ce qu'il ne soupesait pas le danger auquel le public allait être exposé s'il était permis au demandeur de demeurer au Canada en regard du danger auquel ce dernier allait être exposé s'il était renvoyé en Iran?; et

iv)        Le fait que le rapport « Demande d'avis du ministre » ne faisait aucune mention du rapport psychiatrique relatif au demandeur constituait-il effectivement une omission substantielle?

[3]                Le demandeur avait fait l'objet d'une demande en 1996, adressée au ministre, pour l'émission d'un avis de danger, qui a été refusé. Toutefois, en septembre 1998, le demandeur a été reconnu coupable de deux infractions. Il a été reconnu coupable de possession en vue du trafic, par dérogation à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch.19. Il a également été déclaré coupable d'avoir conduit un véhicule à moteur d'une façon dangereuse pour le public aux termes des alinéas 249(1)a) et 249(2)a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Il s'est vu imposer une peine d'emprisonnement de 18 mois pour chacune de ces infractions. Par suite de ces condamnations, une seconde demande a été présentée au ministre pour l'émission d'un avis de danger. Cette demande a eu pour résultat la décision qui est contestée dans le présent contrôle judiciaire.


[4]                Premièrement, je disposerai de la question de la correspondance du 16 novembre 1999 relative à la règle 9 en matière d'immigration. Ce jour-là, une copie de la décision qui exposait qu'aucun motif n'avait été fourni pour la décision en question a été envoyée à l'administrateur de la Cour fédérale du Canada ainsi qu'à l'avocat du demandeur. Conformément à l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, rendu le 9 juillet 1999, le document « Demande d'avis du ministre » constituerait, à mon avis, les motifs dans des affaires telles que celle dont je suis saisi. Toutefois, ce document n'a été fourni au demandeur que le 27 juin 2000, date à laquelle le dossier de la Cour a été soumis à la Cour. Dans l'arrêt Baker, précité, le juge L'Heureux-Dubé a souligné l'importance de fournir des motifs pour une décision. Elle a affirmé à la page 848 :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce où la décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l'espèce, à mon avis, constituent l'une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.


[5]                L'importance que revêt la décision en litige pour le demandeur ne fait aucun doute. En l'espèce, la loi prévoit le droit de demander l'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire. Il n'est pas possible pour une personne de présenter des prétentions adéquates relativement à une décision si les motifs de cette dernière ne sont pas mis à sa disposition en temps opportun.

[6]                Par conséquent, le défendeur devrait s'assurer que les motifs soient fournis au demandeur soit au moment que la décision est rendue ou très peu de temps après. Avant tout, il est nécessaire de fournir des motifs au demandeur en temps utile, afin qu'il ou elle ait suffisamment de temps pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Il est certes des plus inapproprié que des décisions semblables à celle en l'espèce soient toujours rendues sans motifs malgré le fait que l'arrêt Baker, précité, a été rendu il y a plusieurs mois.

[7]                En l'espèce, le demandeur a bel et bien reçu les motifs à temps pour déposer un mémoire additionnel. Par conséquent, je suis d'avis qu'aucun recours n'est nécessaire, particulièrement eu égard à mes conclusions dans la présente affaire.


[8]                La Cour est divisée relativement au fait de savoir si le rapport « Demande d'avis du ministre » devait être divulgué ou non au demandeur au moment où il est produit. À mon avis, étant donné que le rapport « Demande d'avis du ministre » constituerait les motifs, il serait tout à fait inapproprié de soumettre la demande avant que la décision ne soit rendue. Le demandeur pourrait alors présenter encore plus de prétentions, ce qui résulterait en un échange interminable de prétentions et de demandes d'avis du ministre. Certaines décisions prévoient le contraire, telles Bhagwandass c. Canada (M.C.I.), [2000] 1 C.F. 619 (1re inst.), et Andino c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 1023 (1re inst.). Cependant, dans ces deux affaires, les rapports « Demande d'avis du ministre » étaient considérés comme des résumés plutôt que des motifs. Je ne vois pas comment ces rapports peuvent être considérés comme des résumés s'ils sont également considérés comme des motifs. Je ne suis pas d'accord avec la prétention de l'avocat du demandeur selon laquelle parce qu'il s'agit de motifs inférés, ils devraient pour une raison ou une autre être traités différemment. Le fait que le décideur ne soit pas l'auteur des motifs ne change pas non plus mon avis relativement à cette question.

[9]                Les questions en litige en l'espèce doivent être examinées en fonction d'un fait très important, c'est-à-dire, le risque auquel le demandeur serait exposé s'il était renvoyé en Iran est probablement plus grand que dans pratiquement toute autre cause devant la Cour. Son père et sa mère étaient membres du parti Komala, un parti de l'opposition en Iran, et ont tous deux été jugés, in absentia, et condamnés à mort. Deux lettres du bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés au Canada font état du risque important auquel M. Shirazi serait exposé s'il était renvoyé en Iran. Ces lettres étaient respectivement datées du 10 octobre 1996 et du 8 décembre 1998. La dernière affirmait que [TRADUCTION] « la vie et la liberté [du demandeur] seraient menacées en Iran » .


[10]            Je suis disposé à renvoyer la présente affaire au ministre afin qu'elle soit réexaminée étant donné que le ministre n'a pas su soupeser le danger auquel le public allait être exposé en regard du danger auquel le demandeur allait être exposé. La Cour d'appel fédérale a décidé dans Suresh c. Canada (M.C.I.), [2000] 2 C.F. 592 (C.A.) que la Cour doit exiger qu'une pondération consciencieuse des intérêts en jeu soit effectuée. Le juge Robertson a affirmé aux pages 679 et 680 :

[147]        On se souviendra que l'alinéa 53(1)b) de la Loi sur l'immigration prévoit que l'interdiction de refouler un réfugié au sens de la Convention ne s'applique pas s'il est établi que cette personne appartient à une catégorie non admissible décrite à l'article 19 et si, « selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada » . On se rappellera aussi que les parties ont convenu que le ministre, lorsqu'il se penche sur cette question, doit évaluer le risque que l'appelant soit soumis à la torture s'il est renvoyé au Sri Lanka. Elles ont convenu, plus particulièrement, que le ministre doit déterminer s'il « y a des motifs sérieux de croire qu'[il] risque d'être soumi[s] à la torture » . Il s'agit du même critère de base que celui énoncé à l'article 3 de la Convention contre la torture que le Canada a signé. Si, toutefois, la personne qui doit être « refoulée » n'est pas en mesure d'établir qu'il existe des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture, l'article 7 de la Charte n'entre pas en jeu et le ministre peut limiter son examen à la question de savoir si cette personne constitue un danger pour la sécurité du Canada. Il est [page680] évident que la question de savoir si une personne constitue un danger pour la sécurité n'a aucun lien avec celle de savoir si elle sera exposée au risque d'être soumise à la torture à la suite de son refoulement. Par conséquent, une troisième conclusion peut être requise si le ministre décide que le refoulement créera un risque de torture et que la personne en cause constitue par ailleurs un risque pour la sécurité du Canada. Le ministre doit alors soupeser le risque pour la sécurité en regard du risque personnel d'être soumis à la torture. Si le dernier l'emporte sur le premier, le ministre doit s'abstenir de délivrer une lettre d'opinion sous le régime de l'alinéa 53(1)b).


[11]            L'avocat du défendeur convient qu'il était nécessaire de tenir compte du critère de Suresh, qui exige que l'on effectue une pondération des intérêts en jeu, pour évaluer si une personne constitue un danger pour le public. Aux pages 686 et 687 de l'arrêt Suresh, précité, le juge Robertson a longuement cité le représentant du ministre, lorsque ce dernier a soupesé le danger pour la sécurité du Canada en regard du danger pour le demandeur. Dans l'affaire dont je suis saisi, il n'y a pas de telle analyse. L'avocat du défendeur allègue que je devrais conclure à une pondération des intérêts en jeu implicite étant donné que la majeure partie du rapport « Demande d'avis du ministre » traite du risque auquel serait exposé le demandeur. Cependant, une affaire aussi grave que celle-ci commande une analyse plus poussée que celle qui résulterait d'une pondération implicite. La présente affaire diffère de façon importante d'avec Williams c. Canada (M.C.I.), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.) qui ne comportait pas de risque pour le demandeur. Par conséquent, je conclus que le ministre a commis une erreur en ne soupesant pas convenablement le danger pour le public en regard du danger pour le demandeur.

[12]            En ce qui a trait à la dernière question en litige, le fait de ne pas avoir fait référence au rapport psychiatrique dans le rapport « Demande d'avis du ministre » n'est pas déterminant compte tenu des faits de la présente affaire. Il aurait certainement été préférable que le représentant du ministre ait examiné le rapport, mais je n'aurais pas renvoyé la décision pour ce seul motif.

[13]            Je n'ai pas traité des questions relatives aux articles 7 et 12 de la Charte, étant donné que je renvoie l'affaire au ministre. Il a également été convenu qu'aucune question n'aurait à être certifiée si l'affaire était tranchée selon les quatre questions en litige que j'ai examinées en l'espèce. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


[14]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée au ministre pour réexamen conformément aux présents motifs.

                                                                             « W.P. McKeown »

                                                                                               J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 21 septembre 2000

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                                             IMM-5353-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                ALI SHIRAZI

                                                                                           demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE JEUDI 17 AOÛT 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          LE JUGE McKEOWN

EN DATE DU :                                                 21 septembre 2000

ONT COMPARU :                                         Lorne Waldman

Pour le demandeur

James Brender

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Jackman, Waldman & Associates

Avocats

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Pour le demandeur

Morris Rosenberg         

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20000921

                                                           Dossier : IMM-5353-99

ENTRE :

ALI SHERAZI

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                         


Date : 20000921

Dossier : IMM-5353-99

Ottawa (Ontario), le jeudi 21 septembre 2000

EN PRÉSENCE DE :             Madame le juge McKeown

ENTRE :

                                          ALI SHIRAZI

                                                                                           demandeur

                                                  - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                               ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée au ministre pour réexamen conformément aux présents motifs.

                                                                             « W.P. McKeown »

                                                                                               J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.

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