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     Date : 19990210

     Dossier : IMM-566-98

ENTRE :

     UTHAYAKUMARI KANAGALINGAM,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision en date du 19 janvier 1998 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]      La demanderesse est une ressortissante du Sri Lanka âgée de 39 ans qui prétend avoir raison de craindre d'être persécutée au Sri Lanka en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa nationalité et de son appartenance à un groupe social, soit les Tamouls originaires du nord du Sri Lanka.

[3]      La demanderesse est née à Kodday, au Sri Lanka. Son frère et son père ont été tués durant la période où l'Indian Peacekeeping Force (IPKF) était responsable de la sécurité dans le nord du Sri Lanka.

[4]      En août 1995, le fiancé de la demanderesse a été enrôlé de force dans les rangs des Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul (TLET). Moins d'une semaine plus tard, son cadavre était découvert dans la région.

[5]      La demanderesse a quitté la péninsule de Jaffna en compagnie de sa mère et de son oncle Sivarajah. Elle s'est rendue avec eux à Omanthai où elle est demeurée de juin 1996 à mars 1997.

[6]      Elle s'est rendue avec son oncle à Vavuniya dans le but de s'y installer. Ils sont arrivés là-bas le 28 mars 1997. La demanderesse a été mise en détention avec deux autres femmes tamoules.

[7]      La demanderesse a été séparée de ces deux femmes et a subi l'humiliation d'être filmée nue au moyen d'une caméra vidéo par un soldat de l'armée sri-lankaise, vraisemblablement dans le but de voir si elle portait les marques d'un entraînement au sein des TLET. Elle a été interrogée sur sa famille et sur les liens qu'elle entretenait avec les TLET, et a été relâchée le lendemain, soit le 29 mars 1997, après que son oncle eut pris des mesures en ce sens en versant des pots-de-vin à des membres du PLOTE (People's Liberation Organization of Tamil Eelam).

[8]      La demanderesse et son oncle sont partis pour Colombo le 31 mars 1997. Ils sont arrivés dans cette ville le 1er avril 1997. Le soir même de leur arrivée, la police a fait une descente dans l'endroit où ils étaient logés. L'un des policiers a demandé à la demanderesse pourquoi elle n'était pas mariée après avoir examiné ses papiers d'identité. Ce même policier a ensuite commencé à lui faire des attouchements. Il lui aurait dit quand elle est tombée par terre en pleurant qu'il la tuerait. Le policier a pris la chaîne en or qu'elle portait et est parti en lui disant de se présenter au poste de police le lendemain, mais il n'a pas précisé à quel poste de police.

[9]      La demanderesse est demeurée à Colombo avec son oncle pendant encore cinq ou six jours selon son feuillet. Elle a quitté le Sri Lanka le 8 avril 1997.

[10]      La demanderesse prétend avoir raison de craindre les Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul et le gouvernement sri-lankais et ses mandataires, la police et l'armée.

LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

     [traduction] Le tribunal a conclu que le témoignage fait par l'intéressée à l'audience relative à la reconnaissance du statut de réfugié était généralement crédible. Toutefois, la question que le tribunal considère déterminante quant à l'issue de la revendication se rapporte au premier élément du critère de la possibilité de refuge intérieur, c'est-à-dire la possibilité sérieuse ou la possibilité raisonnable que l'intéressée soit persécutée à son retour au Sri Lanka à l'endroit proposé comme possibilité de refuge1. À cet égard, le tribunal a tenu compte de la preuve documentaire et de ce qu'on y déclare au sujet des antécédents relatifs aux droits de la personne du gouvernement du Sri Lanka et du traitement qu'il réserve à des personnes qui sont dans une situation semblable à celle de l'intéressée2.         

[11]      Le tribunal a également examiné la preuve relative aux pots-de-vin grâce auxquels la demanderesse a été relâchée et la preuve relative au harcèlement sexuel dont elle a été victime à Vavuniya et Colombo.

[12]      Le tribunal a conclu que les incidents cumulés de harcèlement sexuel ne peuvent être assimilés à de la persécution3.

LES QUESTIONS EN LITIGE

1 -      La Section du statut de réfugié a-t-elle rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte de la preuve dont elle disposait?
2 -      La Section du statut a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n'est pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'elle a une possibilité de refuge intérieur?

ANALYSE

[13]      La perte du père, du frère et du fiancé de la demanderesse est assimilée à une persécution indirecte. Comme le défendeur l'a fait remarquer, la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Pour-Shariati a annulé la décision Bhatti dans laquelle le concept de persécution indirecte était reconnu comme un principe de notre droit en matière de réfugiés. Le juge MacGuigan a écrit :

     Selon le raisonnement du juge Nadon, dans Casetellanos c. Canada (Solliciteur général) (1994), 89 F.T.R. 1, à la page 11, "comme la persécution indirecte ne peut être assimilée à de la persécution selon la définition de réfugié au sens de la Convention, toute demande à laquelle elle sert de fondement devrait être rejetée". La Cour est d'avis que le concept de persécution indirecte va directement à l'encontre de la décision qu'elle a prise dans Rizkallah c. Canada , A-606-90, le 6 mai 1992, et dans laquelle elle a statué qu'il devait y avoir un lien personnel entre le demandeur et la persécution alléguée pour l'un des motifs prévus dans la Convention. L'un de ces motifs est bien entendu "l'appartenance à un groupe social particulier", un motif qui permet de tenir compte de la situation familiale dans un cas approprié.         

[14]      Le tribunal a évalué les deux incidents de harcèlement sexuel et a conclu qu'il s'agissait d'incidents isolés et que même des incidents cumulés ne peuvent être assimilés à de la persécution. Le tribunal a apprécié la preuve de ces incidents en fonction de la capacité de la demanderesse de vivre à Colombo.

[15]      La reconnaissance d'une persécution autre que des incidents de discrimination ou de harcèlement est une question de droit et de fait; le tribunal est parvenu à une conclusion après avoir fait une analyse de la preuve dont il disposait et après avoir examiné les divers éléments. La Cour ne devrait intervenir que si la conclusion qui a été tirée est déraisonnable.

[16]      Le tribunal a estimé que la demanderesse pourrait vivre à Colombo parce qu'elle était employable et que rien ne l'empêchait de vivre là-bas.

[17]      Le tribunal a considéré la perte du père, du frère et du fiancé de la demanderesse comme des malheurs qui n'avaient rien à voir avec la capacité de la demanderesse de se réinstaller à Colombo.

[18]      La preuve qui a été soumise au tribunal relativement à ces meurtres n'établissait pas l'existence d'un lien personnel entre la demanderesse et la persécution dont les membres de sexe masculin de sa famille auraient été victimes.

[19]      Le tribunal a également examiné attentivement la possibilité de refuge intérieur de la demanderesse. Il devait être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu'il n'existait aucune possibilité sérieuse de persécution à Colombo et que, eu égard à toutes les circonstances, y compris les circonstances particulières de l'espèce, les conditions à Colombo étaient telles qu'il n'était pas déraisonnable que la demanderesse y cherche refuge.

[20]      La demanderesse affirme que le tribunal a rejeté ou n'a tenu aucun compte d'éléments de preuve pertinents et n'a pas fait l'évaluation voulue. Un examen de la décision du tribunal et de l'argumentation complète de la demanderesse n'appuie pas de telles assertions.

[21]      L'analyse détaillée que fait le tribunal dans sa décision montre qu'il a apprécié la preuve relative aux mauvais traitements infligés à la demanderesse et aux menaces qui lui ont été faites dans le contexte de la preuve dans son ensemble et de l'indifférence manifeste des autorités envers la demanderesse en tant que suspect étant donné qu'elles ne l'ont jamais arrêtée à Colombo, et montre qu'il a valablement conclu qu'il n'existait aucune possibilité sérieuse de persécution si la demanderesse retournait à Colombo.

[22]      En l'espèce, la Section du statut de réfugié n'a pas commis d'erreur en concluant que la demanderesse avait une possibilité de refuge à Colombo, ni en appréciant la preuve qui lui a été soumise comme elle l'a fait.

[23]      Compte tenu du droit applicable et de la preuve dont le tribunal a été saisi, il n'était pas déraisonnable de conclure que la demanderesse n'a pas été victime de persécution.

[24]      Le tribunal a correctement appliqué le critère de la possibilité de refuge intérieur et on ne saurait affirmer que sa conclusion est déraisonnable.

[25]      La Cour ne devrait pas modifier la conclusion tirée par la Section du statut de réfugié, qui a eu l'avantage de voir et d'entendre le témoin, à moins d'être convaincue que la section du statut de réfugié a fait reposer sa conclusion sur des considérations dénuées de pertinence ou n'a tenu aucun compte de la preuve.

[26]      Par conséquent, je conclus que le tribunal n'a commis aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour.

CONCLUSION

[27]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[28]      Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.

                                 " Pierre Blais "

                                         Juge

Toronto (Ontario)

Le 10 février 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Noms des avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :                  IMM-566-98

INTITULÉ :                          UTHAYAKUMARI KANAGALINGAM

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE MARDI 9 FÉVRIER 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO, ONTARIO

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE BLAIS

EN DATE DU :                      MERCREDI 10 FÉVRIER 1999

COMPARUTIONS :                  Lorne Waldman

                                 Pour la demanderesse

                             Lori Hendriks

                                 Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Jackman, Waldman & Associates
                             Avocats
                             281, avenue Eglinton Est
                             Toronto (Ontario)
                             M4P 1L3
                                 Pour la demanderesse
                             Morris Rosenberg
                             Sous-procureur général du Canada
                                 Pour le défendeur

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19990210

     Dossier : IMM-566-98

Entre :

     UTHAYAKUMARI KANAGALINGAM,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

     Dossier : IMM-566-98

Entre :

     UTHAYAKUMARI KANAGALINGAM,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     JE CERTIFIE PAR LES PRÉSENTES qu'à la fin de ses Motifs de l'ordonnance et ordonnance, la Cour (le juge Blais) a, le 10 février 1999, ordonné ceci :

     [27]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.         
     [28]      Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.         

                                                                      Fonctionnaire du greffe

CERTIFIÉ À TORONTO (Ontario) le 10 février 1999.

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

__________________

     1      Dans les faits, toutefois, le tribunal a tranché la question de la possibilité de refuge intérieur après avoir fait un examen approfondi des deux éléments du critère dans le corps de ses motifs.

     2      Page 3 de la décision de la CISR.

     3      Page 6 de la décision de la CISR.

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