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Date : 19990716

Dossier : IMM-3308-98

ENTRE :

                                                      ARULTHAS CHELLAIYAH,

                                                                                                                                          demandeur,

                                                                             et

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                            défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY :

[1]         Arulthas Chellaiyah, 38 ans, est un ressortissant sri lankais appartenant à l'ethnie tamoule. C'était un charpentier travaillant à son compte. Il est marié et père de quatre enfants et son aîné est né en 1986.

[2]         En avril 1997 il quitte Mankulam, dans le nord du Sri Lanka, où il habitait avec sa famille, afin de chercher asile au Canada. Il avait peur à l'époque car les Tigres de libération du Tamoul Eelam (LTTE) s'emparaient des hommes mariés et les obligeaient à se joindre à eux. À la même époque, son épouse, ses enfants et ses parents sont allés vivre tout près de là, à Odduchuddan, un endroit qui paraissait plus sûr.

[3]         La Section du statut de réfugié a conclu que M. Chellaiyah n'était pas un témoin digne de foi, estimant pour cela qu'il n'était pas parvenu à établir sa situation de réfugié au sens de la Convention. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, l'avocate de M. Chellaiyah affirme que la décision du tribunal contient des erreurs susceptibles de contrôle judiciaire et qu'il y a lieu pour cela de l'annuler. C'est aussi mon avis.

[4]         Les motifs relativement brefs exposés par le tribunal soulèvent cinq interrogations. La cinquième concerne les séjours effectués dans divers pays par le demandeur avant de solliciter le statut de réfugié au Canada, à savoir trois semaines en Thaïlande, deux semaines au Brésil et deux jours aux États-Unis. M. Chellaiyah a témoigné que son intention avait toujours été de déposer sa demande d'asile au Canada. Son parcours avait été tracé par son agent, avec qui il a effectué le voyage. Alors qu'une autre formation de la Section du statut de réfugié aurait très bien pu retenir cette explication, il était parfaitement loisible en l'occurrence au tribunal de noter que [traduction] « s'agissant de quelqu'un qui estime être en danger de mort, on pourrait s'attendre à ce qu'il sollicite le statut de réfugié à la première occasion » . La décision du tribunal à l'égard des quatre interrogations touchant la crédibilité du demandeur appelle, cependant, l'intervention de la Cour.

Les certificats de naissance et de scolarité du demandeur

[5]         D'abord, le tribunal a noté une différence entre les dates de naissance des parents du demandeur telles que portées sur son formulaire de renseignements personnels, et les dates inscrites sur le formulaire de sa soeur (qui avait déjà obtenu le statut de réfugié) et sur son certificat de naissance. Le formulaire de renseignements personnels de sa soeur avait été rempli en 1991, et le sien environ six ans plus tard. Voici en quels termes le tribunal a résumé son analyse sur ce point :

                [traduction]

Dans son FRP, le demandeur de statut indique que les dates de naissance de ses parents sont les mêmes que sur le FRP de sa soeur. Les dates de naissance des parents du demandeur figurant sur le certificat de naissance du demandeur sont différentes et le demandeur les a corrigées au début de l'audience en s'alignant sur les dates figurant dans son certificat de naissance. Interrogé sur la question de savoir pourquoi il avait inscrit des dates différentes dans son FRP, le demandeur a répondu qu'il pensait que les premières dates indiquées étaient les bonnes et qu'il ne s'était jamais rendu compte de l'erreur, étant donné qu'au Sri Lanka il ne fêtait jamais l'anniversaire de ses parents.

Le tribunal estime que le demandeur de statut était conscient de cette erreur et qu'il a inventé cette explication sur-le-champ.

[6]         La première phrase des motifs du tribunal est à la fois inexacte et incomplète. Les deux formulaires de renseignements personnels ne concordent pas quant aux dates de naissance des parents. Le demandeur y avait inscrit le jour, le mois et l'année de l'anniversaire de ses parents. Sa soeur avait indiqué, pour la date de naissance de son père, un jour différent, et n'avait indiqué que l'année de naissance de sa mère.

[7]         L'opinion du tribunal, selon laquelle « le demandeur de statut était conscient de cette erreur et [qu'il] a inventé cette explication sur-le-champ » soulève une difficulté encore plus grande. M. Chellaiyah a modifié les dates de naissance de ses parents figurant sur son formulaire de renseignements personnels immédiatement avant le début de l'audience afin de faire coïncider ces dates avec les renseignements figurant sur son certificat de naissance. Les modifications apportées n'avaient guère d'importance. La conclusion du tribunal, selon laquelle le demandeur était « conscient de cette erreur » , dans le contexte, semble-t-il, du formulaire de renseignements personnels de sa soeur, et qu'il avait « inventé cette explication sur-le-champ » n'est justifiée ni par le dossier, ni par la transcription de l'audience.

[8]         Dans un même ordre d'idée, le tribunal a reproché au demandeur de ne pas avoir fourni d'explication vraisemblable concernant son certificat de fin d'études. Le demandeur a expliqué qu'il avait obtenu ce certificat en 1989, environ quinze ans après la fin de ses études, afin de pouvoir prouver que [traduction] « j'avais étudié dans cette école » . Il a également reconnu que la case où aurait normalement figuré, sur le certificat, sa date de naissance, n'avait pas été remplie. Même si le tribunal pouvait trouver invraisemblable la réponse donnée par le demandeur pour expliquer qu'il avait obtenu ce certificat en 1989, j'estime que rien ne justifiait que l'on mette en doute la crédibilité du demandeur du simple fait que sa date de naissance ne figurait pas sur ce document. Dans ses motifs, le tribunal n'a jamais mis en doute l'identité du demandeur. Le fait que le certificat de scolarité ne comporte pas sa date de naissance n'a rien à voir avec le fond même de la demande de statut présentée par le demandeur, ni avec aucune autre question évoquée par le tribunal. Ce point-là est sans pertinence. Si l'on en juge d'après le dossier, la question n'avait rien à voir avec la crédibilité du demandeur.

Le formulaire de renseignements personnels de la soeur du demandeur

[9]         Deuxièmement, l'analyse la plus longue à laquelle se soit livré le tribunal comporte une comparaison détaillée des divergences entre les formulaires de renseignements personnels du demandeur et de sa soeur quant au nombre de leurs frères et soeurs et quant à la question de savoir si leurs parents sont encore en vie. La soeur du demandeur avait indiqué que ses parents [traduction] « étaient peut-être morts » . Le tribunal a conclu :

                [traduction]

Le demandeur de statut n'a pas été en mesure d'expliquer ces divergences, affirmant qu'il n'est pas au courant du récit effectué par sa soeur.

Le demandeur de statut a affirmé avoir vu sa soeur à de multiples reprises depuis son arrivée au Canada. Par conséquent, le tribunal estime invraisemblable qu'il ne soit pas au courant du récit effectué par sa soeur.

[10]       Le fait que le tribunal ait exigé que le demandeur explique ces divergences sous-entend nécessairement, d'après moi, qu'il est indûment pris pour acquis que les renseignements fournis par la soeur étaient exacts. À l'époque où s'est tenue l'audience, le demandeur et sa soeur vivaient tous deux à Toronto mais dans des endroits distincts. Il lui rendait visite chaque semaine. L'avocat du défendeur a fait valoir qu'il était loisible au tribunal de se demander pourquoi le demandeur n'aurait pas été au courant du récit de sa soeur. Mais là encore, l'argument tient pour acquis que les données fournies par la soeur dans son formulaire de renseignements personnels étaient exactes. À l'audience, le demandeur a été mis devant le formulaire de renseignements personnels rempli par sa soeur. Celle-ci n'a pas été appelée à témoigner. Il était contraire au droit, même devant une instance où les règles de la preuve sont moins exigeantes, de prendre pour acquis en de telles circonstances que les données fournies par sa soeur étaient exactes et d'imposer au demandeur l'obligation d'expliquer les divergences alléguées. Cela ne devait se faire qu'après une évaluation de la crédibilité de la soeur et des circonstances entourant la divulgation par celle-ci, en 1991, des renseignements en question.

Le retard de quatre mois avant que le demandeur ne quitte le Sri Lanka

[11]       Troisièmement, le tribunal a estimé que le demandeur a été incapable d'expliquer pourquoi il n'avait quitté le Sri Lanka qu'en avril 1997, soit quelque quatre mois après son [traduction] « recrutement de force » en novembre et décembre 1996. Sur ce point, le dossier fait ressortir, de la part du tribunal, une erreur possible et une omission importante. Le tribunal a peut-être confondu les travaux forcés effectués par le demandeur vers la fin de 1996 et sa crainte d'être enrôlé contre son gré dans les forces des LTTE en avril 1997. En tout état de cause, le demandeur avait bien répondu à la question qui lui était posée concernant le fait qu'il s'était enfui du Sri Lanka en avril 1997 et non pas quatre mois plus tôt : [traduction] « C'est à cette époque-là que les LTTE s'emparaient des personnes mariées. ... S'emparaient de force des personnes mariées, c'est comme cela que je l'ai su au mois d'avril. ... [fin 1996], le problème n'existait pas encore. » . Il s'agissait d'une réponse dont le tribunal aurait pu évaluer la véracité. C'est à tort que le tribunal se contente d'affirmer dans ses motifs que le demandeur a été incapable d'expliquer le retard. Si le tribunal ne s'estimait pas satisfait de la réponse du demandeur, il devait l'indiquer nettement dans ses motifs.

La décision prise par le demandeur de quitter le Sri Lanka

[12]       Quatrièmement, le tribunal a reproché à M. Chellaiyah de ne pas pouvoir fournir de réponse plausible à la question de savoir pourquoi il avait quitté le Sri Lanka au lieu d'aller vivre à Odduchaddan avec sa famille. En fait, le demandeur avait répondu à la question en ces termes : [traduction] « ... en général, ils prennent les jeunes gens, les hommes mariés, et non les femmes et les enfants » . Encore une fois, si le tribunal n'était pas disposé à reconnaître la crédibilité de cette réponse, il lui fallait l'indiquer nettement dans ses motifs. Or, il ne l'a pas fait. En l'occurrence, les conclusions du tribunal quant à la crédibilité du demandeur telles qu'exposées dans le cadre des troisième et quatrième interrogations, ne tiennent pas compte d'éléments pertinents produits par le demandeur.

Conclusion

[13]       Il n'est pas fréquent que la Cour intervienne dans les conclusions de la Section du statut de réfugié touchant la crédibilité d'un demandeur. En l'espèce, cependant, la décision du tribunal révèle, au niveau des quatre conclusions concernant la crédibilité, des erreurs susceptibles de contrôle judiciaire. La décision sera annulée et l'affaire renvoyée devant un tribunal constitué différemment afin d'être entendue et tranchée à nouveau. Aucune des parties n'a demandé à la Cour de certifier une question grave.

                                                                                                                                            Allan Lutfy                  

                                                                                                                                               J.C.F.C.                       

Toronto (Ontario)

le 16 juillet 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, B.A., LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                        Avocats inscrits au dossier

No DE GREFFE :                                                         IMM-3308-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                ARULTHAS CHELLAIYAH

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                            LE LUNDI 12 JUILLET 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  LE JUGE LUTFY

DATE :                                                                         LE VENDREDI 16 JUILLET 1999

ONT COMPARU:                                                     Mme Helen P. Luzius

                                                                                                pour le demandeur

                                                                                    M. Michael Beggs

                                                                                                pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                   Helen P. Luzius

                                                                                    Avocate

                                                                                    1610-372, rue Bay

                                                                                    North York (Ontario)

                                                                                    M5H 2W9

                       

                                                                                                pour le demandeur

                        Morris Rosenberg

                                                                                    Sous-procureur général

                                                                                    du Canada

                                   

                                                                                                pour le défendeur


                                                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                  Date : 19990716

                                                                       

                                                                                                                       Dossier : IMM-3308-98

                                                                                    entre :

                                                                                   

ARULTHAS CHELLAIYAH,

                                                                                                                                          demandeur,

et

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                            défendeur.

                                                                                                                                         

                                   

                                                                                                                                                                                                                                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                                         

                                   

                                                                                                                                         

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