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Date : 20060403

Dossier : IMM-3661-05

Référence : 2006 CF 425

Toronto (Ontario), le 3 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

FABIOLA GAMA PEREZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande vise le rejet par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la demande d'asile de la demanderesse qui prétendait être persécutée en raison de son sexe, car elle était victime de la violence horrible que lui infligeait [traduction] « son petit ami au Mexique » .

[2]                La SPR a jugé la preuve de la demanderesse crédible et, en conséquence, a accepté la véracité du récit suivant : en 2002, alors qu'elle était âgée de 20 ans, la demanderesse a entamé une relation avec un policier, la relation est devenue sexuelle après moins de six mois, mais elle s'est détériorée au point où, en janvier 2003, la demanderesse était régulièrement battue par son petit ami; en juillet 2003, il l'avait déjà violée trois fois et l'avait menacée de mort; en juillet 2003, il l'a agressée si brutalement qu'il a causé un saignement vaginal et la perte d'un foetus, la demanderesse étant enceinte de quatre semaines.   

[3]                En raison de la persécution qu'elle a subie, la demanderesse, en septembre 2003, a fui le Mexique et a demandé l'asile à son arrivée au Canada.

[4]                En avril 2005, la demanderesse a été évaluée psychologiquement et il a été établi qu'elle souffrait de [traduction] « syndrome de stress post-traumatique » et d'un [traduction] « épisode de dépression majeure, faible gravité » résultant directement de la violence qu'elle avait subie (dossier de la demande de la demanderesse, pages 35-38). La SPR a considéré le rapport psychologique comme [traduction] « pertinent » (dossier du tribunal, page 209).

[5]                Cependant, indépendamment de la persécution subie par la demanderesse, la SPR a rejeté sa demande d'asile pour le motif qu'elle n'avait pas fait suffisamment d'efforts pour obtenir la protection de la police au Mexique. Pourtant, la SPR a accepté la preuve de la demanderesse démontrant qu'elle était allée trois fois voir la police. Le paragraphe suivant de la décision de la SPR apporte des précisions :

La demandeure d'asile a déclaré qu'elle avait tenté de signaler aux policiers qu'elle avait été battue en avril 2003 et que ceux ci avaient exigé une preuve. Elle est retournée les voir en juin 2003 en compagnie de ses parents après que la Croix-Rouge lui a remis un certificat médical. Elle a affirmé qu'elle avait essayé de faire un suivi le lendemain et que les policiers voulaient de l'argent pour traiter sa plainte. Lorsqu'elle s'est vu demander si elle ou ses parents avaient exigé de voir un agent supérieur pour l'informer de la demande scandaleuse de ses subalternes, elle a répondu par la négative. Elle a déclaré n'avoir rien fait de tel parce que les policiers sont corrompus. Je considère que la demandeure d'asile n'a pas fait suffisamment de tentatives pour obtenir la protection du Mexique avant de demander la protection d'un autre pays. C'est la seule fois que la demandeure d'asile a tenté de signaler les mauvais traitements qu'elle subissait aux policiers ou à d'autres autorités. Cette dernière n'a pas signalé les viols dont elle a été victime après sa rencontre avec les policiers en juin 2003 ni l'agression qui l'a menée à se faire avorter, car elle ne croyait pas que les policiers du Mexique l'aideraient. (Décision de la SPR, page 4)

[...]

La demandeure d'asile a déclaré qu'elle ne connaissait aucun autre organisme ni refuge pour femmes susceptibles de l'aider. Bien que d'un côté je ne sois pas surpris qu'elle n'ait pas demandé l'aide d'autres organismes, parce que les documents sur le pays indiquent que la violence familiale passe souvent sous silence, d'un autre côté, je me serais attendu à ce qu'une jeune femme ayant complété 16 années d'études soit au courant des services offerts. (Décision de la SPR, page 5)

[...]

J'estime que si la demandeure d'asile s'était adressée à des agents de police supérieurs ou aux autorités en matière de droits de la personne, elle aurait bénéficié de la protection de l'État. (Décision de la SPR, page 9)

[6]                La demanderesse a également été critiquée par la SPR pour n'avoir pas indiqué « clairement » à la police que son petit ami était policier, même si elle avait signalé ce fait (décision de la SPR, page 7). En outre, la demanderesse a été critiquée pour ne pas avoir informé le médecin ayant procédé à l'avortement que ses blessures avaient été causées par son petit ami, car si le médecin en avait été informé, il aurait été tenu de signaler l'agression à la police (décision de la SPR, page 9). En conséquence de l'analyse suivante établissant que ce qui était attendu de la demanderesse n'a pas été évalué adéquatement, je conclus que les critiques de la SPR sont extrêmement injustes.   

[7]                La SPR affirme dans ses motifs que les Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe ont été prises en compte dans le rejet de la demande d'asile de la demanderesse. Je crois que le passage suivant des Directives est de conséquence pour la décision rendue :    

C. QUESTIONS RELATIVES À LA PREUVE

Pour que l'allégation de crainte de persécution d'une femme du fait de son sexe soit fondée, la preuve doit établir que la revendicatrice craint véritablement d'être persécutée pour un motif de la Convention et non qu'elle fait l'objet d'une forme de violence généralisée ou qu'elle a été la cible d'un seul crime perpétré contre elle comme personne. Bien entendu, pour déterminer si c'est le cas, il faut examiner avant tout les circonstances de la revendicatrice tant en ce qui a trait à la reconnaissance générale des droits de la personne dans son pays d'origine qu'aux expériences vécues par d'autres femmes se trouvant dans une situation similaire. Pour évaluer la crédibilité de l'ensemble de la preuve de la revendicatrice et le poids qu'il faut accorder à cette preuve, il convient de tenir compte, entre autres choses, des facteurs suivants :

[...]

2.         Les décideurs doivent examiner la preuve démontrant l'absence de protection de l'État si l'État et ses mandataires dans le pays d'origine de la revendicatrice ne voulaient pas ou ne pouvaient pas assurer une protection appropriée contre la persécution fondée sur le sexe. Si la revendicatrice peut montrer clairement qu'il était objectivement déraisonnable pour elle de demander la protection de l'État, son omission de le faire ne fera pas échouer sa revendication. En outre, que la revendicatrice ait ou non cherché à obtenir la protection de groupes non gouvernementaux ne doit avoir aucune incidence sur l'évaluation de la protection qu'offre l'État.

[...]

[Notes de bas de page et mise en page omises.]

[Non souligné dans l'original.]

[Directives no 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe.]

[8]                Je conclus que, afin d'appliquer adéquatement les Directives dans la décision à l'étude et avant d'attendre quoi que ce soit de la demanderesse, la SPR devait juger toute attente potentielle en tenant compte de la réalité que vivait la demanderesse, y compris les troubles dont elle a souffert à la suite de la violence extrêmement grave aubie ainsi que sa grande fragilité psychologique. Puisque cette analyse n'a pas été menée, je conclus que les Directives n'ont pas été adéquatement appliquées.

[9]                Il est important de souligner que la SPR ne fait aucune mention du rapport psychologique d'avril 2005 constatant la fragilité de l'état mental de la demanderesse découlant directement de la persécution subie au Mexique. Je considère qu'il s'agit d'un facteur déterminant pour conclure que la SPR a commis une erreur fondamentale dans sa décision.    

[10]            Dans toutes les affaires où le demandeur est victime de violence dans le cadre d'une relation, et particulièrement dans une affaire où la violence est aussi grave que celle subie par la demanderesse, l'état mental du demandeur constitue un des principaux facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer la volonté et la capacité de faire appel à la protection de l'État et il doit donc être considéré avec soin. Cela n'a pas été fait en l'espèce, et ce, au grand détriment de la demanderesse.   

[11]            Pour ce qui est de la volonté, la SPR a accepté que la demanderesse se soit rendue trois fois voir la police, mais elle n'a accordé aucune valeur à cet élément de preuve. La première fois, sans raison, la police n'a pas cru la demanderesse quand elle a affirmé être battue. Cela prouve que la police mexicaine ne donne pas aux femmes battues une chance raisonnable d'accès à la justice et à la protection sans être soupçonnées. Toutefois, conformément aux directives injustifiées de la police, la demanderesse est revenue avec une preuve concrète solide démontrant qu'elle était battue et, le jour suivant, elle est encore revenue à la charge. Lors de cette dernière tentative d'accès à la justice et à la protection, les policiers ont traité la demanderesse avec mépris, ils ont exigé un pot-de-vin pour agir. Ces faits témoignent d'une force policière déficiente.   

[12]            Il n'est pas difficile de concevoir comment n'importe quel citoyen, après avoir été traité ainsi, éprouverait au sortir de cette épreuve de la répugnance et du désespoir. Il n'est pas non plus difficile de comprendre que, après avoir été rejeté de la sorte, il faudrait un courage et une détermination hors du commun pour revenir une autre fois ou mettre encore plus d'efforts afin d'obtenir ce qui vous revient de droit : un traitement équitable ainsi que l'accès à la justice et à la protection par les agents de la sécurité publique.     

[13]            Toutefois, en l'espèce, il ne s'agit pas de n'importe quel citoyen mais de la demanderesse. La question est la suivante : après avoir été victime d'actes violents horribles ayant causé non seulement des blessures physiques mais aussi un traumatisme psychologique grave, la demanderesse ne trouverait-elle pas extrêmement difficile, voire impossible, de faire face à une force policière insensible et corrompue? C'est sur cette question que la SPR était tenue de se pencher, ce qu'elle n'a pas fait.

[14]            Dans sa décision, la SPR ne s'appuie sur aucune preuve pour affirmer que la demanderesse devait prendre d'autres mesures pour obtenir la protection de l'État. Pour résister à un examen poussé, la conclusion de la Commission quant à ses attentes doit être étayée par une preuve démontrant que, compte tenu de la situation où la demanderesse se trouvait à cette époque, on pouvait s'attendre raisonnablement à ce que la demanderesse entreprenne d'autres démarches ou fasse plus d'efforts. Puisque rien ne fonde cette conclusion, je conclus qu'elle est arbitraire. En fait, il existe une preuve forte soutenant la position de la demanderesse selon laquelle il était raisonnable qu'elle n'ait pas la volonté d'obtenir la protection de l'État au Mexique relativement à la violence subie.   

[15]            Pour ce qui est de la question de savoir si la demanderesse est en mesure d'être protégée par la police au Mexique, le dossier comporte de nombreux éléments de preuve démontrant de façon claire et convaincante que les femmes victimes de violence au Mexique ne sont pas protégées par l'État. À mon avis, le fait que la société civile mexicaine essaie d'aider les femmes victimes de violence ne prouve pas qu'il existe une protection de l'État. C'est la police qui assure la protection, pas les organismes sociaux.    

[16]            À mon avis, la SPR n'a pas analysé de manière raisonnable la masse d'éléments de preuve attestant la corruption et l'indifférence de la police avant de conclure que la demanderesse pouvait être protégée par l'État au Mexique. Puisqu'il existe une grande quantité d'éléments de preuve permettant de réfuter la présomption d'existence de protection de l'État et qu'ils n'ont pas été analysés de manière raisonnable, je conclus que la conclusion de la SPR quant à la protection de l'État est arbitraire.

[17]            Pour ces motifs, je conclus que la décision de la SPR est manifestement déraisonnable.

ORDONNANCE

En conséquence, j'annule la décision de la SPR et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

En ce qui concerne la façon dont la nouvelle décision sera rendue, j'ordonne que le témoignage de la demanderesse à l'audience devant la SPR au sujet de la violence qu'elle a subie et de ses tentatives d'accès à la justice et à la protection policière au Mexique avant son arrivée au Canada soit accepté comme vrai. Cependant, la demanderesse et le défendeur pourront présenter d'autres éléments de preuve et d'autres observations sur la question non résolue de la protection.   

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3661-05

INTITULÉ :                                                    FABIOLA GAMA PEREZ

                                                                        c.

                                                                        MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 31 MARS 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 AVRIL 2006

COMPARUTIONS :

Daniel Fine

POUR LA DEMANDERESSE

David Tyndale

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Fine

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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