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Date : 19971224


Dossier : IMM-4187-96

Entre :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

     DE L"IMMIGRATION DU CANADA

     Requérant

     - et -

     LUTH BALANE-DEJARDIN

     Intimée

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON:

[1]      Le requérant attaque une décision de la section d"appel de la Commission de l"immigration et de la section du statut de réfugié (la "section d"appel") rendue le 1er novembre 1996.

[2]      Les faits pertinents sont les suivants. L"intimée prétend être la mère de Clark et Sherwin Balane qui ont déposé des demandes de résidence permanente au Canada au mois de juillet 1995. Au mois de septembre 1995, l"intimée signait un engagement d"aide en faveur de ses enfants.

[3]      Le 18 décembre 1995, l"ambassade du Canada à Paris (l""Ambassade"), à laquelle les demandes de résidence permanente avaient été référées, écrivait à l"intimée afin d"obtenir un certain nombre de documents, notamment l"original des extraits de naissance des enfants, l"original de leurs extraits de baptême et l"original de leurs carnets scolaires. L"auteur de la lettre, Hendrik Ferdinand de Pagter, alors le deuxième secrétaire de l"Ambassade, informait l"intimée qu"à défaut de pouvoir fournir les documents en question, un dépistage ADN serait nécessaire, le tout dans le but d"établir la relation de l"intimée avec Sherwin et Clark Balane. Finalement, M. de Pagter demandait à l"intimée de répondre "d"ici le 18 mars 1996".

[4]      Une autre lettre, celle-ci datée le 5 mars 1996, fut envoyée à l"intimée par l"ambassade. N"ayant pas reçu les originaux des documents mentionnés à la lettre du 18 décembre 1995, M. de Pagter expliquait à l"intimée pourquoi ces documents étaient requis. À la page 2 de sa lettre, M. de Pagter écrivait:

     Ces documents sont nécessaires parce que les actes de naissance fournis par M. Dejardin datent du 26 mai 1994, soit dix-huit et seize ans respectivement après les naissances de Sherwin et Clark et, pour cette raison, ne peuvent être considérés comme des preuves valables de fialiation [sic]. J"ai également noté que sur l""Affidavit for Delayed Registration of Birth" la raison mentionnée pour le retard d"enregistrement des naissances est "négligence".

     Ces faits, et les événements peu ordinaires de la vie des enfants (prétendus enlèvement et disparition pendant des années) exigent une vérification soigneuse de tous [sic] document pouvant établir un lien de parenté entre vous et Sherwin et Clark. C"est pour cette raison que nous vous demandons tous les documents originaux en votre possession prouvant ce lien.

[5]      Le 17 avril 1996, M. de Pagter écrivait aux enfants pour les informer que leurs demandes de résidence permanente au Canada étaient refusées. La lettre de M. de Pagter se lit, en partie, comme suit:

                  Conformément au paragraphe 9(3) de la Loi sur l"immigration de 1976 qui se lit comme suit:             

"Toute personne doit répondre franchement aux questions de l"agent des visas et produire toutes les pièces qu"exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements."

et afin de poursuivre l"étude de votre demande, nous vous avons demandé, le 18 décembre 1995, de fournir les documents suivants:

     -      l"original de votre acte de naissance;

     -      l"original de votre acte de baptême (si existant);

     -      l"original de vos carnets scolaires où on peut voir le nom de vos deux parents;
     -      une copie du livret de famille de vos parents;
     -      tout autre document pouvant aider à établir votre relation avec votre garante, Mme Luth Balane-Dejardin.

     Tel que nous l"écrivions à votre garante, ces documents étaient nécessaires parce que votre acte de naissance au dossier a été émis le 26 mai 1994, soit dix-huit ans après votre naissance et, pour cette raison, ne pouvait pas être considére [sic ] comme une preuve valable de filiation.

     Par notre courrier du 5 mars 1996, nous avons à nouveau demandé de bien vouloir nous faire parvenir ces documents et avisé que, si nous ne recevions pas de nouvelles dans les trois mois suivant ladite lettre, nous conclurions que vous ne désirez plus mettre votre projet à exécution et refuserions alors votre demande.

     De plus, vous ne vous êtes pas présenté à l"entrevue fixée pour vous à Bruxelles en date du 25 mars 1996.

     Sans réponse de votre part, et puisque vous ne vous êtes pas conformé aux dispositions du paragraphe 9(3) de la Loi, vous faites désormais partie des personnes non admissibles ne satisfaisant pas aux exigences de la Loi et des règlements ou ne s"y étant pas conformé, catégorie décrite à l"alinéa 19(2)d) de la Loi. Votre demande est donc refusée.

[6]      Le 3 juin 1996, l"intimée déposait un avis d"appel de la décision de M. de Pagter sous l"article 77 de la Loi sur l"immigration. L"audition de l"appel a eu lieu à Montréal le 1er novembre 1996. À la fin de l"audience, le commissaire à la section d"appel, Me Joseph S. Blumer, après un bref ajournement, accueillait l"appel de l"intimée. Me Blumer s"exprimait comme suit:1

Monsieur je note que j"ai deux (2) certificats devant moi. Un acte de baptême qui le Ministre avait dans sa possession depuis probablement 95. Ça c"est mon impression, selon ce que j"ai entendu concernant la question d"adoption et la légalité et pas seulement la légalité, les formalités que ça prend pour vérifier les antécédents dans le cas d"une naissance tardif (sic) soit-disant, pas naissance tardif (sic), mais une demande tardif (sic) de ces gens et le Ministre ils avait eu l"occasion de faire les vérifications (inaudible).

Il s"est contenté de douter. Il avait certainement des raisons de soulever les doutes, mais après avoir entendu Madame et je fais faire les motifs en détail, je considère que Madame est crédible dans sa version des événements, même s"ils sont un peu bizarre tous ces événements et je vais accueillir l"appel en droit.

[7]      Le 25 novembre 1996, Me Blumer signait ses motifs et le 6 décembre 1996, la section d"appel rendait l"ordonnance suivante:

             LA SECTION D"APPEL ORDONNE que l"appel soit accueilli parce que le refus d"approuver la demande d"établissement présentée par                  Clark BALANE (fils; 28-10-78)                  
                          Sherwin BALANE (fils; 27-08-76)             

n"est pas conforme à la loi.

[8]      Voilà la décision que le requérant cherche à faire annuler.

[9]      Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le requérant soumet que le commissaire Blumer a violé un principe de justice naturelle lorsque, durant l"audience du 1er novembre 1996, il a refusé la demande d"ajournement faite par l"agent chargé de la revendication, soit M. Martin Tremblay, lequel a déposé un affidavit au soutien de la demande de contrôle judiciaire.

[10]      Le requérant soumet, de plus, que le commissaire Blumer a commis une erreur lorsqu"il a conclu, à la page 4 de ses motifs, que les originaux des déclarations tardives de naissance ainsi que des certificats de baptême "étaient entre les mains des agents d"immigration depuis le milieu de 1995 ...".

[11]      Pour les motifs qui suivent, j"en viens à la conclusion que la décision de Me Blumer doit être annulée.

[12]      En premier lieu, il ne peut faire de doute que les originaux des documents demandés par l"ambassade n"ont jamais été fournis par l"intimée. Ce que l"ambassade a reçu sont des copies certifiées conformes par M. Émile Dejardin, né Bombisky, l"époux de l"intimée. [Voir les déclarations statutaires de Hendrik de Pagter et Louise Van Winkle, datées respectivement le 29 août 1996 et le 15 mars 1996.]

[13]      Il appert clairement des lettres de M. de Pagter à l"intimée en date du 18 décembre 1995 et du 5 mars 1996 que l"ambassade exigeait l"original de trois documents, à savoir les extraits du registre de naissance, les extraits du registre de baptême et leurs carnets scolaires. Vu l"omission de l"intimée de faire parvenir ces documents à l"ambassade, les demandes de résidence permanente ont été refusées. Par ailleurs, les originaux des extraits du registre des actes de naissance et des actes de baptême ont été déposés le 1er novembre 1996 lors de l"audition devant Me Blumer. Plus particulièrement furent déposés les documents suivants:

Certificate of live birth of Sherwin Balane with an affidavit for delayed registration of birth;

Certificate of live birth of Clark Balane with an affidavit for delayed registration of birth.

[14]      Lors de l"audition, Martin Tremblay, l"agent chargé de la revendication, a demandé à Me Blumer de lui accorder un ajournement afin que les documents "puissent être expertisés et que le contenu des informations sur ces documents soit vérifié avec les autorités aux Philippines" (page 13 de la transcription du 1er novembre 1996). Cette demande d"ajournement a été rejetée par le commissaire Blumer. Le commissaire semble avoir rejeté la demande d"ajournement pour les motifs suivants:

Donc, on procède sur la base qu"il y avait au moins un moment où l"officier à l"époque a fait un examen des originaux des extras, malgré du fait que monsieur Tremblay n"a pas de notes sur son dossier là-dessus. D"accord, ça ça règle la question seulement de... pour l"instant de 9(3), sous toute réserve, monsieur Tremblay, la question de l"acte de naissance, l"acte de baptême, mais j"aimerais que Madame témoigne concernant la scolarité et les autres ... et toute autre preuve qui peut démontrer les fis sont ... ses propres fils et si vous voulez, vu du fait que j"ai déjà accepté ces documents, je ne sais pas s"ils sont déjà déposés, c"est pas nécessaire d"attendre la contre-interrogatoire, vous aurez le droit de demander des explications.

[15]      Lorsque Me Blumer affirme "qu"il y avait au moins un moment où l"officier à l"époque a fait un examen des originaux des extras, ...", il réfère probablement à une rencontre qui a eu lieu le 24 juillet 1995 à l"ambassade entre Émile Dejardin et Mme Van Winkle. Lors de cette rencontre, M. Dejardin aurait brièvement exhibé à Mme Van Winkle les originaux et lui aurait laissé des copies conformes. Ces copies, certifiées conformes, l"ont été par M. Dejardin lui-même. En se faisant, M. Dejardin fut assermenté devant un commissaire à l"assermentation pour le district judiciaire de Longueuil le 22 février 1995. Devant moi, l"intimée n"a jamais prétendu que les originaux requis par l"ambassade avaient été acheminés à l"ambassade. Au contraire, l"intimée a affirmé qu"elle ne les a pas envoyés parce qu"elle ne voulait pas prendre le risque de les perdre.

[16]      Donc, il n"y a aucun doute que les documents originaux, requis par l"ambassade, n"ont jamais été fournis aux autorités canadiennes qui avaient, à mon avis, de bons motifs pour vouloir examiner ces originaux. Par exemple, le 24 juin 1985, l"intimée signait une déclaration statutaire dans laquelle elle affirmait avoir fait une fausse couche en 1978, l"année même où Clark Balane serait né. De plus, la requérante affirmait que cette fausse couche résultait d"une relation avec son ancien ami Rodolfo Villanueva. Par ailleurs, devant la section d"appel et devant cette Cour ainsi qu"à l"appui de l"engagement d"aide en faveur de ses enfants, l"intimée a soutenu que ses deux enfants étaient nés, en 1976 et 1978, suite à des viols perpétrés par un employé de son frère, prêtre au Philippines. Compte tenu de cette déclaration statutaire et de la position prise par l"intimée pour soutenir les demandes de résidence permanente au Canada de Clark et Sherwin Balane, il est incontestable que les autorités canadiennes ont de bons motifs de vouloir s"assurer qu"effectivement l"intimée est bel et bien la mère des enfants.2

[17]      Compte tenu que l"intimée a refusé de se conformer au paragraphe 9(3) de la Loi sur l"immigration2 et compte tenu qu"elle a déposé, pour la première fois, les originaux requis par les autorités canadiennes au début de l"audience devant le Commissaire Blumer, il est difficile, sinon impossible de comprendre pourquoi Me Blumer a refusé d"accorder l"ajournement que demandait M. Tremblay. Vu la preuve devant les autorités canadiennes, leur souci de s"assurer que l"intimée était véritablement la mère de Clark et Sherwin Balane ne peut être mis en doute. Dans ces circonstances, je ne peux qu"accueillir la demande de contrôle judiciaire. Le délai qui résultera en raison de ma décision est malheureux pour l"intimée dans la mesure où elle est véritablement la mère des enfants. Il aurait été préférable que Me Blumer ajourne l"audition pour une période de temps suffisante pour permettre aux autorités canadiennes d"expertiser les documents originaux et de s"enquérir auprès du gouvernement des Philippines concernant le contenu de ces originaux.

[18]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Le dossier sera retourné à la section d"appel de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié afin qu"une nouvelle audition soit tenue devant un autre membre de la section d"appel.

     "MARC NADON"

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 24 décembre 1997.

__________________

1Pages 162 et 163 de la transcription du 1er novembre 1996.

     Dans Bombisky v. Canada (1988), 22 F.T.R. 161, aux pages 167 et 168, mon collègue le juge Dubé, dans le cadre d"une action en dommages instituée par M. Dejardin et l"intimée, suite au refus des préposés de la Couronne à l"ambassade du Canada à Manille de décerner un visa d"établissement à l"intimée, s"est penché sur la déclaration statutaire de l"intimée en date du 24 juin 1985, dans les termes suivants: [22] Les demandeurs ont soutenu que la demanderesse n"a jamais signé une telle déclaration mais seulement une feuille blanche où apparaissaient à l"endos et au-dessus de sa signature les mots:      "And I make this solemn declaration conscientiously believing it to be true and knowing it is of the same force and effect as if made under oath."[23] Selon les demandeurs, la déclaration précitée aurait ensuite été dactylographiée par les préposées de la Couronne au recto de la feuille en l"absence de la demanderesse.[24] Je ne peux accorder aucune crédibilité à une telle prétention. Les deux préposées, mesdames Melis et Andrada, ont toutes les deux témoigné à l"instruction et m"ont convaincu de leur intégrité et de leur compétence. D"ailleurs, elles n"auraient tiré aucun bénéfice d"une telle manigance. Par contre, cette confession de la part de la demanderesse constitue un formidable obstacle que les demandeurs se doivent de surmonter pour obtenir gain de cause.

     Le paragraphe 9(3) de la Loi sur l"immigration se lit comme suit:(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: IMM-4187-96

INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. LUTH BALANE-DEJARDIN

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE: LE 11 DÉCEMBRE 1997 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON

EN DATE DU 24 DÉCEMBRE 1997

COMPARUTIONS

LUTH BALANE-DEJARDIN LA PARTIE REQUÉRANTE AGESANI' À SON PROPRE COMPTE

MICHEL SYNNOTT POUR LA PARTIE INTIMÉE PASCALE-CATHERINE GUAY

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. George Thomson POUR LA PARTIE INTIMÉE Sous-procureur général du Canada

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