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Date : 20041029

Dossier : IMM-6639-03

Référence : 2004 CF 1533

Toronto (Ontario), le 29 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                            HUSSEIN SUMAIDA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur est un citoyen de l'Irak et de la Tunisie qui a fait l'objet d'une décision défavorable rendue le 1er août 2003 par un agent d'immigration (l'agent) à la suite d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, même si la Section du statut de réfugié (SSR) et un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) ont jugé qu'il serait exposé à un risque s'il était renvoyé dans l'un ou l'autre de ces pays.


[2]                La question en litige est de savoir si la décision concernant la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est insatisfaisante et, par conséquent, déraisonnable. Pour les motifs énoncés ci-dessous, j'estime qu'elle ne l'est pas.

A. Contexte factuel

[3]                Le demandeur a travaillé de nombreuses années comme informateur pour la police secrète irakienne, le « Mukhabarat » , et a espionné des membres du parti Al Da'wa au Royaume-Uni. Il a volontairement agi comme « taupe » et participé personnellement à faire en sorte qu'environ 30 à 35 personnes soient exposées, avec les membres de leur famille, à un risque probable de torture et d'assassinat. Par la suite, il a changé de côté pour aller travailler pour le Mossad, les services secrets israéliens, et a espionné les membres de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il n'était pas en sécurité dans cette position. Le demandeur a ensuite dévoilé les noms des membres du Mossad aux autorités irakiennes en échange d'un pardon officiel de Saddam Hussein et d'une entente le réintégrant au sein du Mukhabarat. Il devait alors rendre compte sur des personnes que le Mukhabarat prenait pour cible. Plus tard, il a fourni des armes à un leader terroriste de haut rang de l'OLP, Abu al-Abbas (voir le dossier du demandeur, pages 21 et 22).


B. Le contexte juridique

[4]                Le demandeur est arrivé au Canada le 26 avril 1990 et il s'est ensuite rendu au Royaume-Uni où il a présenté une demande d'asile visant l'Irak. Au bout de huit jours, sa demande a été rejetée et il a été renvoyé au Canada où il a demandé, le 19 octobre 1990, le statut de réfugié à l'égard de l'Irak et de la Tunisie. Le 6 août 1991, la femme du demandeur est arrivée au Canada et a demandé le statut de réfugiée. Le 12 décembre 1991, il y a eu audience et, bien qu'elle ait jugé que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques tant en Irak qu'en Tunisie, la SSR a rejeté sa demande au motif qu'il était exclu en vertu des alinéas 1Fa) et c) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés adoptée en 1951. La disposition 1F est rédigée comme suit :

Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

[5]                La décision de la SSR a fait l'objet d'un contrôle judiciaire par la Section de première instance de la Cour fédérale qui l'a annulée et qui a renvoyé l'affaire à la SSR pour un nouvel examen. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a interjeté appel à la Cour d'appel fédérale qui a tranché, en date du 7 janvier 2000, que la décision de la SSR était maintenue.


[6]                Le demandeur a entrepris de présenter une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire le 25 mai 2002. Dans le processus d'examen de la demande, une évaluation des risques a été réalisée le 25 juin 2003 par un agent d'ERAR qui est alors arrivé à la conclusion que le demandeur avait une crainte fondée de persécution relativement à l'Irak et à la Tunisie, en précisant ce qui suit :

[traduction] Le demandeur est né en Irak d'un père tunisien et il possède des passeports (qui sont expirés) pour les deux pays. Il allègue qu'il sera exposé à des risques s'il est renvoyé en Irak parce qu'il a publié en 1991 un livre qui renferme des détails sur ses tractations avec divers leaders et groupes du Moyen-Orient, dont Saddam Hussein, le Mukhabarat en Irak, le Mossad en Israël et l'OLP. Le père du demandeur est un diplomate irakien de haut rang au service du régime Ba'ath. L'autobiographie du demandeur s'intitule : « Circle of Fear » . Celle-ci a été largement diffusée et étudiée. Le demandeur est au Canada depuis 1990 et sa demande du statut de réfugié a été rejetée le 12 décembre 1991, en vertu des alinéas 1Fa) et c) de la Convention. Il a contesté la décision devant la Section de première instance de la Cour fédérale qui a renvoyé l'affaire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR). L'appel à l'encontre de cette dernière décision a ensuite été entendu par la Cour d'appel fédérale qui a rétabli, le 7 janvier 2000, la conclusion de la CISR.

Bien qu'elle ait exclu le demandeur en s'appuyant sur la disposition 1F de la Convention, la CISR a estimé cependant qu'il avait une crainte fondée de persécution en Irak et en Tunisie.

J'ai lu et examiné les observations et la preuve documentaire fournies par le demandeur le 19 décembre 2002 à l'égard sa demande de résidence permanente. J'ai également mené une vaste recherche sur la situation qui règne en Irak et en Tunisie.

La situation en Irak a changé considérablement depuis le dépôt de la recherche documentaire du demandeur en décembre de l'année dernière. Le régime de Saddam Hussein est tombé en avril 2003 et le parti Ba'ath n'est plus officiellement au pouvoir. Des rapports indiquent toutefois que des représentants du parti Ba'ath se sont vu offrir, par les forces militaires des États-Unis, la possibilité de réintégrer leur poste (article en ligne de la BBC News, juin 2003). Il existe cependant des limites importantes en matière de liberté d'expression et de liberté de presse, puisque le gouvernement ne tolère pas les critiques du public. (Ibid.)


J'estime que le demandeur serait actuellement exposé à une menace à sa vie ou à une menace à sa sécurité personnelle en Irak et en Tunisie. Il existe un vide au plan de la sécurité en Irak à l'heure actuelle et la Tunisie n'offre pas actuellement une protection étatique suffisante pour quelqu'un ayant le profil du demandeur.

8. Résultats de l'examen

J'estime que, en ce moment, le demandeur serait exposé à une menace à sa vie ou à une menace à sa sécurité personnelle s'il était renvoyé en Irak ou en Tunisie.

(Dossier du tribunal, pages 140 et 141)           

C. La norme de contrôle

[7]                Il est entendu que la norme de contrôle applicable à l'examen d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1991), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.)).

D. La décision d'ordre humanitaire donne-t-elle matière à révision?

[8]                Dans sa décision, l'agent d'immigration raconte longuement et en détail les antécédents personnels du demandeur et accorde moins d'importance à la situation actuelle du demandeur et des membres de sa famille. Il ressort clairement que, pour arriver à sa conclusion dans cette décision, l'agent a accordé une grande importance à la conduite du demandeur dans le passé et, en particulier, au fait qu'il avait été déclaré exclu parce qu'il avait commis des crimes contre l'humanité.

[9]                Le demandeur ne nie pas qu'il était loisible à l'agent d'apprécier sa situation, ainsi que celle de sa famille, par rapport à l'intérêt public. D'ailleurs, à l'appui de cette observation, l'avocate du défendeur cite l'extrait suivant de la décision Legault c. Canada 212 D.L.R. (4th) 139 :

[17] Le Parlement a choisi, au paragraphe 114(2), de restreindre l'exercice de la discrétion aux seuls cas où il existe des raisons d'ordre humanitaire. Une fois ces raisons établies, le ministre peut accorder la dispense, mais il peut aussi ne pas l'accorder. C'est l'essence même de sa discrétion, laquelle s'exerce dans le contexte général des lois et politiques canadiennes d'immigration. Le ministre peut ne pas accorder la dispense quand il est d'avis que des considérations d'intérêt public l'emportent sur les raisons d'ordre humanitaire.

Toutefois, l'avocate du demandeur allègue que, dans la décision rendue par l'agent, la spécificité des considérations prises en compte pour en arriver à la décision que l'intérêt public prédomine est insuffisante. En particulier, l'avocate du demandeur soutient que l'agent aurait dû précisément prendre en compte le dossier sans tache du demandeur au Canada. Même s'il apparaît dans la décision que la conduite du demandeur au Canada s'est vu accorder peu d'importance comparativement à sa conduite dans le passé, j'estime qu'il était loisible à l'agent de tirer cette conclusion. Par conséquent, je ne vois aucune erreur dans la décision d'accorder la prépondérance à l'intérêt public.


[10]            Comme second argument, le demandeur allègue que la décision d'ordre humanitaire ne satisfait pas au critère de prise en considération de l'intérêt supérieur des enfants du demandeur, comme l'exigent le paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et la décision Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1991), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.). Dans Baker, la juge L'Heureux-Dubé a énoncé les exigences suivantes :

67 Afin de décider si la démarche de l'agent d'immigration respectait les limites imposées par le libellé de la loi et les valeurs du droit administratif, une analyse contextuelle est requise comme l'exige en général l'interprétation des lois : voir R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux par. 20 à 23. À mon avis, l'exercice raisonnable du pouvoir conféré par l'article exige que soit prêtée une attention minutieuse aux intérêts et aux besoins des enfants. Les droits des enfants, et la considération de leurs intérêts, sont des valeurs d'ordre humanitaire centrales dans la société canadienne. Une indication que l'intérêt des enfants est une considération importante dans l'exercice des pouvoirs en matière humanitaire se trouve, par exemple, dans les objectifs de la Loi, dans les instruments internationaux, et dans les lignes directrices régissant les décisions d'ordre humanitaire publiées par le ministre lui-même. [Non souligné dans l'original.]

[¼]

75 La question certifiée demande s'il faut considérer l'intérêt supérieur des enfants comme une considération primordiale dans l'examen du cas d'un demandeur sous le régime du par. 114(2) et du règlement. Les principes susmentionnés montrent que, pour que l'exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l'intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l'intérêt supérieur des enfants l'emportera toujours sur d'autres considérations, ni qu'il n'y aura pas d'autres raisons de rejeter une demande d'ordre humanitaire même en tenant compte de l'intérêt des enfants. Toutefois, quand l'intérêt des enfants est minimisé, d'une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable. [Non souligné dans l'original.]

[11]            L'intérêt supérieur des enfants du demandeur dans la décision d'ordre humanitaire a été pris en compte de la façon suivante :


[traduction] Au plan de l'intérêt supérieur des enfants, il est noté que Maya Sumaida, âgée de neuf ans, et Daniel Sumaida, âgé de six ans, pourraient continuer de bénéficier des soins de leur mère qui est résidente permanente, s'il était demandé à M. Sumaida de quitter le Canada. J'ai également pris en considération les difficultés affectives susceptibles de survenir par suite de la séparation d'avec ses enfants, Maya Sumaida et Daniel Sumaida. Toutefois, l'intérêt supérieur des enfants est seulement l'un des nombreux facteurs importants qui doivent être pris en considération. J'ai tenu compte du jeune âge des enfants et je reconnais qu'ils sont intégrés au réseau scolaire canadien. Les enfants sont citoyens canadiens et il ne leur sera jamais demandé de quitter le Canada. Par ailleurs, compte tenu de leur jeune âge, si les enfants veulent accompagner leur père à l'étranger, je suis convaincu qu'ils seraient en mesure de s'intégrer à une nouvelle société avec l'aide de leur père. [Non souligné dans l'original.]

(Dossier de la demande présentée par le demandeur, p. 24)

[12]            Il est entendu que, au moment où l'agent a examiné la demande, les risques concrets de renvoi du demandeur en Irak ou en Tunisie étaient inexistants et que, en raison du risque reconnu auquel le demandeur serait exposé dans ces pays, il n'allait pas s'y rendre de son plein gré pour faire une demande d'établissement de l'étranger. C'est pourquoi l'avocate du demandeur allègue qu'il est absurde que l'agent ait conclu que les enfants pourraient se rendre à l'étranger et s'intégrer, compte tenu de ce facteur de risque. Par conséquent, il est allégué que la décision est déraisonnable.

[13]            En réponse, l'avocate du défendeur prétend que, dans une décision d'ordre humanitaire, le décideur doit évaluer les difficultés auxquelles le demandeur se heurterait s'il devait faire une demande d'établissement à partir d'un pays où il ne serait pas considéré en danger. En conséquence, l'avocate du défendeur soutient que les difficultés touchant les membres de la famille du demandeur ont été convenablement examinées de ce point de vue. Je suis d'accord.


[14]            Il est également allégué que, dans la décision, la seule affirmation qui n'est pas directement réceptive aux faits concrets de la situation du demandeur est la phrase soulignée dans le dernier extrait cité. En ce qui a trait à cette phrase, l'avocate du défendeur allègue qu'il s'agit d'une affirmation incidente, tandis que l'avocate du demandeur prétend qu'il s'agit d'une conclusion erronée importante.

[15]            J'estime que l'importance accordée à l'intérêt supérieur des enfants du demandeur, compte tenu de la preuve disponible à la date de la décision, satisfait au critère de l'arrêt Baker. Dans la décision, la prise en considération des enfants est un facteur mis en balance avec l'intérêt public. Il ressort très clairement de la décision que le point de vue du décideur penche nettement en faveur de l'intérêt public. Compte tenu de la preuve disponible, je peux comprendre le résultat. Par conséquent, j'estime que la décision n'est pas déraisonnable.

                                                                ORDONNANCE

Pour ces motifs, la demande est rejetée.

                                                                                                                      « Douglas R. Campbell »            

                                                                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                IMM-6639-03

INTITULÉ :                                                               HUSSEIN SUMAIDA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 26 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                              LE 29 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Maureen Silcoff                                                            POUR LE DEMANDEUR

Marianne Zoric                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maureen Silcoff                                                            POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20041029

                                            Dossier : IMM-6639-03

ENTRE :

HUSSEIN SUMAIDA

                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                                                             


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