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Date : 20040609

Dossier : IMM-5674-03

Référence : 2004 CF 837

Toronto (Ontario), le 9 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NOËL                                  

ENTRE :

                                                    LAKHVIR KAUR GHATOURA

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre de la décision que Paul Bassi, agent principal (l'agent) de Citoyenneté et Immigration Canada, a rendue le 8 juillet 2003. L'agent a décidé qu'il n'y avait pas suffisamment de motifs d'exempter pour des raisons d'ordre humanitaire la demanderesse de l'exigence de présenter sa demande de résidence permanente de l'extérieur du Canada.


LES FAITS

[2]                La demanderesse est une citoyenne de l'Inde qui a été admise au Canada à titre de résidente permanente le 12 juillet 1997, sous condition qu'elle marie son parrain dans les 90 jours de son arrivée et qu'elle fournisse la preuve de ce mariage dans les 180 jours de son arrivée. Le mariage n'a pas eu lieu. La demanderesse a fait l'objet d'un rapport et une mesure d'interdiction de séjour a été prise contre elle le 21 avril 1999, pour ne pas avoir rempli la condition de son admission au Canada. La demanderesse a porté en appel la mesure d'interdiction de séjour devant la Section d'appel de l'immigration (SAI), qui, dans sa décision du 25 avril 2000, a rejeté l'appel au motif qu'elle estimait que la demanderesse avait tenté de contourner les règles de l'immigration en venant au Canada sous le prétexte de marier un homme qu'elle n'avait pas l'intention de marier.

[3]                Le 20 avril 2001, soit un an après la décision de SAI et immédiatement après avoir été informée de l'obligation de se présenter à une entrevue de renvoi, la demanderesse a présenté une requête en réouverture de son appel, qui a été rejetée le 14 juin 2001. La demanderesse a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire du refus de la SAI de rouvrir son appel, qui a été accueillie par la Cour au motif que la SAI avait omis de prendre en considération la situation de la demanderesse en Inde, le pays qui était la destination la plus probable advenant son renvoi du Canada.


[4]                La requête en réouverture a été renvoyée à la SAI, qui, après réexamen, l'a rejetée de nouveau le 28 avril 2003. Le 3 avril 2001, la demanderesse avait reçu une lettre qui l'avisait qu'elle devait se présenter à une entrevue de renvoi le 20 avril 2001. Le 16 avril 2001, la demanderesse a marié un citoyen canadien, Narinder Singh, et le 17 avril 2001, elle a déposé une demande d'être exemptée de l'exigence de posséder un visa d'immigrant. Elle déposait aussi une demande de parrainage de la part de son nouveau mari.

LA DÉCISION DE L'AGENT

[5]                L'agent a refusé la demande d'exemption présentée par la demanderesse au motif qu'il avait des doutes quant à la raison du mariage et parce qu'il n'était pas convaincu que l'obligation de retourner en Inde pour présenter une demande de visa de résident permanent causerait à la demanderesse des difficultés indues et disproportionnées. L'agent a affirmé à la première page de sa décision :

[traduction]

Bien que Mme Ghatoura et son conjoint aient vécu ensemble plus de deux ans, le moment de leur mariage, survenu si tôt après avoir reçu l'avis d'un possible renvoi, laisse planer un doute quant à la raison du mariage.

Je reconnais que le départ de la demanderesse du Canada causera des difficultés telles que la séparation de son mari et de sa famille et la perte d'un emploi permanent de même que des difficultés pour l'entreprise de son frère qui perdra une bonne employée. Madame Ghatoura devra aussi surmonter la difficulté de se réajuster à la vie en Inde, faire face à l'embarras de retourner seule et de se trouver un emploi et un logement. Cependant, ces difficultés sont normales dans le cas d'un renvoi du Canada et sont inhérentes aux départs.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]                Les deux parties demandent essentiellement que la Cour tranche les quatre questions suivantes :

A.         L'agent a-t-il commis une erreur en attendant que la SAI rende sa décision avant d'examiner la demande d'exemption de la demanderesse?

B.          L'agent a-t-il commis une erreur en appliquant les lignes directrices qui étaient en vigueur au moment de sa décision plutôt que les précédentes?

C.         L'agent a-t-il commis une erreur en doutant de la raison du mariage de la demanderesse?

D.         L'agent a-t-il commis une erreur en concluant que l'obligation de retourner en Inde pour présenter une demande de visa de résident permanent ne causerait pas à la demanderesse des difficultés indues et disproportionnées?

ANALYSE

[7]                Pour rendre une décision dans la présente affaire, j'examinerai ces quatre questions telles qu'elles ont été présentées :


A.         Le moment de la prise de décision de l'agent

[8]                La demanderesse allègue que l'agent a commis une erreur de droit en attendant pour rendre sa décision sur sa demande d'exemption que la SAI ait rendu sa décision sur son appel. Après avoir examiné soigneusement les observations présentées par les deux parties et les dispositions légales pertinentes, dont l'article 24 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, je suis convaincu que l'agent a eu raison de reporter son examen de la demande d'exemption de la demanderesse jusqu'à ce que la SAI ait rendu sa décision, parce que si la demanderesse avait eu gain de cause, elle aurait le statut de résidente permanente en raison du fait qu'elle avait antérieurement demandé et obtenu son visa de résidente permanente alors qu'elle était à l'extérieur du Canada. Par conséquent, si la demanderesse avait eu gain de cause dans cet appel, l'exemption de l'exigence de demander le statut de résidente permanente de l'extérieur du Canada n'aurait plus été nécessaire. Je conclus que ce motif est compréhensible, son principal objet étant d'éviter le travail fait en double dans une situation où une réparation qui puisse éliminer d'autres litiges potentiels peut être obtenue.

B.         Les lignes directrices         


[9]                La demanderesse allègue que l'agent a commis une erreur en appliquant les lignes directrices qui étaient en vigueur au moment où il a rendu sa décision (les nouvelles lignes directrices) plutôt que les lignes directrices qui étaient en vigueur au moment où la demande a été présentée (les anciennes lignes directrices). J'ai examiné les observations et la jurisprudence pertinente sur cette question et je suis d'accord avec le défendeur que, comme la Cour suprême du Canada l'a établi dans l'arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 283 :

[p]ersonne n'a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu'elle existait par le passé.

J'ai examiné aussi la décision que mon collègue le juge Kelen a rendue dans l'affaire Osadalor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 895, qui posait le même problème. Je suis d'accord avec lui lorsqu'il affirme à la page 5 :

Les anciennes directives [...] n'avaient aucune force après l'entrée en vigueur de la LIPR parce qu'elles reflétaient la loi abrogée.

Vu que la demanderesse n'avait aucun droit acquis à l'application de l'ancienne législation et le fait que, même en vertu des anciennes lignes directrices, ce n'était pas une question « réglée d'avance » qu'un mariage véritable emportait toujours une décision favorable, je conclus par conséquent que l'agent n'a pas commis d'erreur en appliquant les lignes directrices qu'il a appliquées.

C.         Le mariage de la demanderesse


[10]            Tant en vertu des anciennes lignes directrices que des nouvelles, la décision clé est de savoir si le mariage du 16 avril 2001 est véritable. En l'espèce, je considère que la conclusion de l'agent selon laquelle la situation [traduction] « laisse planer un doute quant à la raison du mariage » est une décision qui ne satisfait aux exigences ni des anciennes ni des nouvelles lignes directrices. Selon les lignes directrices, l'agent doit tirer une conclusion quant à savoir si le mariage est véritable ou non et donner ses motifs. Il n'est pas suffisant de « laisse[r] planer un doute » . Par conséquent, pour ce motif, j'accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire et ordonnerai que la décision soit rendue en suivant les nouvelles lignes directrices.

D.         Les difficultés

[11]            Vu la conclusion que je viens de tirer, il n'est pas nécessaire que je me penche sur cette question.

CONCLUSION

[12]            Me fondant sur mon examen de la décision de l'agent et sur les observations des parties, je suis d'avis que la conclusion de l'agent quant à savoir si le mariage est véritable n'a pas été tirée conformément aux nouvelles lignes directrices. En ne tirant pas une conclusion certaine sur une question de cette importance, l'agent a commis une erreur de droit qui rend sa décision manifestement déraisonnable.

[13]            J'ai demandé aux parties si elles avaient des questions aux fins de la certification et elles ont répondu que non.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-           La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent pour qu'il rende une nouvelle décision en suivant les lignes directrices IP5 de novembre 2002.

-            Aucune question n'est certifiée.

                                                                                          Simon Noël                     

                                                                                                   Juge                           

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5674-03

INTITULÉ :                                        LAKHVIR KAUR GHATOURA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                           

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                       LE 9 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov                

POUR LA DEMANDERESSE

Ian Hicks                      

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                     

POUR LE DÉFENDEUR


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040609

                    Dossier : IMM-5674-03

ENTRE :

LAKHVIR KAUR GHATOURA

                                       demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                             défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


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