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Date : 19980901 Dossier : T-482-98

ENTRE

DANIEL CHRISTOPHER BAST,

demandeur,

- et - LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

défendeur.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE, PROTONOTAIRE

[1]         Le demandeur, le capitaine Bast, est pilote au sein des Forces armées canadiennes. Par avis de requête introductif d'instance (un avis de demande dans les Règles de 1998), il demande l'annulation d'une décision des Forces armées canadiennes exigeant qu'il continue son service jusqu'au l' décembre 1999. Cette décision s'appuie sur le fait que le capitaine Bast est soumis à une politique de libération restreinte, en tant que bénéficiaire de programmes éducatifs et de formation des Forces armées.

[2]         Le Procureur général du Canada défendeur a présenté une requête en radiation de l'avis de demande au motif qu'il est scandaleux, frivole et vexatoire, puisque le demandeur n'a pas épuisé l'autre voie de recours appropriée dans son cas. Cette requête a été suivie d'une requête

Page : 2 du demandeur cherchant à obtenir un sursis ou un ajournement de la requête du défendeur, ainsi qu'une ordonnance enjoignant le Chef d'état-major de la Défense de répondre par écrit dans les trente jours à un grief présenté le 1 ° ` mai 1998, soit dix jours après le dépôt, par le Procureur général, de sa requête en radiation. J'ai décidé de surseoir à ma décision sur la requête du défendeur, mais par les présents motifs et une ordonnance datée du même jour, j'ai décidé de l'accueillir et de radier la demande. J'ai rejeté la requête du demandeur à sa présentation et j'indiquerai pourquoi ci-après. Voici certains faits pertinents.

CONTEXTE

[3]       Le capitaine Bast s'est enrôlé dans les Forces armées canadiennes dans le cadre du Programme de formation des officiers de la force régulière. Il s'engageait de ce fait à servir dans les Forces armées pendant les cinq années suivant l'obtention de son diplôme, savoir jusqu'au 30 avril 1998. Par la même occasion, il a aussi convenu, sous réserve de satisfaire aux critères de sélection, de participer aux programmes de formation du Groupe tactique des opérations aériennes. Ayant été choisi comme élève pilote, il s'est qualifié après sa période de formation.

[4]         Dans son affidavit du 13 mars 1998, le capitaine Bast explique que par la suite, soit en novembre 1994, les Forces armées ont décidé à son insu que les pilotes devaient servir pendant les cinq années suivant l'obtention de leur classification. De ce fait, la fin de son service obligatoire était maintenant fixée au l~` décembre 1999.

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Avant d'entamer sa procédure de réclamation, le capitaine Bast a présenté une demande

au Directeur général des Carrières militaires à Ottawa, le 9 janvier 1998, dans laquelle il

demandait sa libération volontaire des Forces armées canadiennes. Le DG Carrières militaires a

répondu à cette demande par le message suivant, daté du 18 février 1998

[TRADUCTION]

« 1.        LA DEMANDE DE LIBÉRATION DU CAPITAINE BAST EN RÉF N'EST PAS RECEVABLE. LE MEMBRE EST SOUMIS À UNE POLITIQUE DE LIBÉRATION RESTREINTE JUSQU'AU 1 DÉC 1999.

2. LE CAPITAINE BAST PEUT ÊTRE LIBÉRÉ DES FC À PARTIR DU 2 DÉC 1999 » .

La présente demande de contrôle judiciaire, présentée le 24 mars 1998, porte sur ce message du 18 février 1998. Le capitaine Bast n'a initié sa procédure de réclamation en vertu de l'article 19.26 des ORFC, en présentant une demande à son commandant, que le 1 ° ` mai 1998, soit bien après que la présente demande de contrôle judiciaire a été présentée. Le commandant a répondu au grief sans délai, soit le 4 mai 1998.

[6]         En vertu du paragraphe 19.26(16) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, la procédure de grief a été suspendue dès le début de la présente instance en l'instance. De l'avis du capitaine Bast, il faudrait au moins une année pour obtenir une décision par la voie de grief. Il convient à ce stade-ci d'examiner la procédure de grief applicable.

PROCÉDURE MILITAIRE EN MATIÈRE DE GRIEFS

[7]         La procédure militaire en matière de griefs est prévue à l'article 19.26 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les « ORFC » ) et au chapitre 19-32 des Ordonnances administratives des Forces canadiennes. Le grief suit la chaîne de commandement

Page : 4 et il doit être traité à certains niveaux particuliers jusqu'à ce qu'il parvienne au Chef d'état-major de la Défense, avec un droit d'appel au ministre de la Défense nationale. Cette procédure est obligatoire en vertu du paragraphe 19.26(2) des ORFC, chaque niveau, soit un commandant, un officier commandant une formation ou un commandement, le Chef d'état-major de la Défense et le ministre, devant disposer de la question aussi promptement que possible (ORFC 19.26(1)3)).

[8]         Le paragraphe 19.26(11) des ORFC prévoit que le commandant doit répondre dans les trente jours, l'officier commandant une formation dans les quatre-vingt-dix jours, et l'officier commandant un commandement dans les six mois. Aucune limite de temps n'est imposée aux niveaux supérieurs pour prendre leur décision. Avant d'examiner tout ceci dans le contexte de la demande de radiation du ministère public, je vais exposer les motifs par lesquels je rejette la requête du capitaine Bast visant l'obtention d'un sursis et d'une directive adressée au Chef d'état­major de la Défense.

REQUÊTE VISANT À OBTENIR UN SURSIS ET UNE PROCÉDURE SPÉCIALE DE RÈGLEMENT DU GRIEF

[9]       Dans l'examen de_ la demande de sursis présentée par le demandeur, j'ai fait appel aux critères suivants : y a-t-il une question grave; le défaut d'accorder le sursis causerait-il un préjudice irréparable; et où se situe la prépondérance des inconvénients? Il va de soi que la question est grave. Quant à l'existence d'un préjudice irréparable, en supposant qu'une année et deux tiers de service obligatoire puisse être ainsi qualifiée, il faudrait présumer que le déroulement de la procédure de grief prendrait beaucoup de temps. Je ne peux présumer rien de tel, surtout dans un contexte où le commandant du capitaine Bast a répondu au grief du 1 ° ` mai

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sans délai. Tout compte fait, il n'y a pas de raison impérative d'accorder un sursis alors que la

prépondérance des inconvénients dicterait plutôt le contraire. Reste aussi la question de savoir si

la Cour doit, ou même si elle peut, ordonner au Chef d'état-major de la Défense de se prononcer hors du cadre de la procédure réglementaire de règlement des griefs.

[10]       J'ai aussi rejeté la requête du demandeur au motif que la Cour ne saurait raisonnablement imposer ou sanctionner une procédure de règlement des griefs ad hoc, savoir un grief présenté directement au Chef d'état-major de la Défense, alors que la réglementation impose une procédure qui doit suivre la voie hiérarchique militaire. De plus, pour que la Cour délivre une ordonnance exécutoire, il faut qu'il y ait une demande de contrôle judiciaire en bonne et due forme et non seulement une pétition adressée à la Cour pour obtenir une décision sur une plainte présentée hors du cadre ordinaire de la procédure de grief soit une plainte présentée directement au Chef d'état­major de la Défense, à laquelle ce dernier n'est pas tenu de répondre. Ceci ressort clairement du texte du paragraphe 18.1(3), qui permet à la Cour d'ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir, texte qui ne peut être invoqué que si la Cour est saisie d'une décision susceptible de contrôle judiciaire. Cette question a été traitée récemment par le juge Teitelbaum dans Stratégies St-Laurent Société pour vaincre la pollution S. V. P. c. Pêches et Océans Canada, une décision non publiée datée du 17 août 1998 (dossier T-1477-98). Dans cette affaire, le demandeur a demandé la délivrance d'une ordonnance exécutoire à la ministre de l'Environnement pour que celle-ci renvoie la question en litige à une commission d'évaluation. La requête a été rejetée puisqu'il n'y avait pas de décision à contrôler

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« Il ressort manifestement de la lecture de la demande de contrôle judiciaire s'appuyant, selon les demandeurs, sur le paragraphe 18.1(3) qu'aucune date de décision n'est mentionnée.

En fait, si je comprends bien la prétention des demandeurs, ceux-ci déclarent ne pas attaquer quelque décision que ce soit. Les demandeurs ont soutenu qu'ils ne visaient pas le contrôle judiciaire d'une décision de la ministre de l'Environnement, mais qu'ils demandaient plutôt à la Cour de rendre une ordonnance de mandamus ou d'injonction mandatoire en vertu de l'alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur la Cour fédérale.

À mon sens, cet argument dénote un manque de compréhension du cadre législatif. Pour que la Cour puisse utiliser les pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 18.1(3) de la Loi, il doit y avoir une demande de contrôle judiciaire portant sur une décision ou sur une ordonnance rendue par un office fédéral. ...

Les premiers mots du paragraphe 18.1(3) indiquent manifestement que les pouvoirs de la Section de première instance n'entrent enjeu que « sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire » . Ainsi, la Cour ne peut tout simplement pas ordonner à un office fédéral d'accomplir un devoir lorsqu'aucune décision ou ordonnance ne fait l'objet d'un contrôle. Les demandeurs n'ont cherché à obtenir le contrôle d'aucune ordonnance de la ministre de l'Environnement, de sorte que la Cour ne peut examiner la question de savoir si une ordonnance de mandamus ou d'injonction mandatoire est requise. »

Pour reprendre la formulation du juge Teitelbaum, « ...la Cour ne peut tout simplement pas ordonner à un office fédéral d'accomplir un devoir lorsqu'aucune décision ou ordonnance ne fait l'objet d'un contrôle » . En l'espèce, c'est une décision de la Direction générale des Carrières militaires qui fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire, mais aucune décision du Chef d'état-major de la Défense ne pourrait justifier la demande d'injonction contre lui présentée par le demandeur. Je vais maintenant examiner la requête du ministère public visant la radiation du document introductif d'instance.

EXAMEN DE LA REQUÊTE EN RADIATION

[11]       Nous avons ici deux points de vue opposés. Le capitaine Bast est d'avis qu'il faudrait à peu près une année pour obtenir une réponse dans le cadre de la procédure de grief prévue dans

Page : 7 les ORFC. Je note que le capitaine Bast a obtenu une décision de la Direction générale des Carrières militaires, située au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa. Il faut tenir compte de cet élément dans l'examen du caractère approprié de la procédure militaire de règlement des griefs et de sa pertinence en l'espèce. Le Procureur général du Canada présente un point de vue différent, alléguant que le demandeur ne s'est pas prévalu de la procédure de grief prévue à l'article 19.26 des ORFC et qu'il ne saurait en être exempté du simple fait qu'il ne veut pas s'y soumettre. Il est possible que la procédure de contrôle judiciaire soit plus rapide, mais ce n'est qu'un facteur de l'équation. Avant d'examiner au fond la requête du demandeur, je dois d'abord trancher la question suivante : une demande peut-elle être radiée au même titre qu'une action?

Radiation d'une demande

[12]       À première vue, on pourrait envisager d'utiliser la Règle 221 pour radier ce qu'on appelait autrefois un avis de requête introductif d'instance, maintenant appelé avis de demande. La Règle 221(1) permet de radier une procédure pour certains motifs. Les mots « acte de procédure » sont définis de façon assez large dans l'article 2 des Règles, notamment comme « ...un acte par lequel une instance est introduite ... » . Le mot instance est aussi défini de façon assez large. Par contre, la Règle 221 est située dans la Partie 4 des Règles de la Cour fédérale, partie qui ne s'applique qu'aux actions.

[13]       En général, les avis de demande ne devraient pas être radiés, mais plutôt faire l'objet d'une contestation à l'audience. Le juge Muldoon insiste sur ce point dans Khalil Hasan c.

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Procureur général du Canada, décision du 11 mai 1998, non publiée (les dossiers T-316-98 et

T-379-98). Il indique au défendeur qu'il doit s'en remettre à l'audience et non viser une

procédure sommaire comme la radiation. Ce faisant, il cite la jurisprudence existante, notamment

David Bull Laboratories c. Pharmacia, [1995] 1 C.F. 588 (C.A.F.). Dans cet arrêt, la Cour

d'appel a déclaré que « ... le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait

contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à

comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même » (page 597). La

Cour fédérale a toutefois radié à l'occasion des demandes de contrôle judiciaire au motif qu'elles

n'avaient aucune chance de succès. Compte tenu du commentaire du juge Strayer, qui a écrit les

motifs de la Cour d'appel dans l'affaire David Bull, cette procédure reste possible dans un

nombre limité d'affaires, à condition qu'une demande soit si dénuée de fondement qu'elle n'a

aucune chance de succès:

« Pour ces motifs, nous sommes convaincus que le juge de première instance a eu raison de refuser de prononcer une ordonnance de radiation sous le régime de la Règle 419 ou de la règle des lacunes, comme il l'aurait fait dans le cadre d'une action. Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. (Voir, par exemple, Cyanamid Agricultural de Puerto Rico, Inc. c. Commissaire des brevets et autre (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F. 1" inst.); et l'analyse figurant dans la décision Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1994] 1 C.F. 102 (1" inst.), aux pages 120 et 121.) Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête. »

Dans l'affaire David Bull, le juge Strayer ne rendait pas une décision, il donnait un avis. Comme je l'ai dit, la Cour a, à l'occasion, radié des demandes. C'était le cas dans l'affaire Canadian Pasta Manufacturers' Association c. Aurora Importing & Distributing Ltd., une décision du 23 avril 1997, non publiée (dossier A-252-97). Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a radié

Page : 9 une demande de contrôle judiciaire qui, à son avis, n'avait aucune chance de succès. Toutefois, la Cour ne devrait pas normalement radier des demandes. Voici à ce sujet un extrait de mes motifs dans Laura-Lee Brown c. Le Procureur général du Canada, une décision du 8 avril 1998, non publiée (dossier T-228-98)

« Ce serait un gaspillage de temps et de ressources si les requêtes interlocutoires deviennent une pratique courante pour radier des procédures de contrôle judiciaire. Par ailleurs, on gaspillerait aussi sans raison du temps et des ressources en permettant qu'une demande de contrôle judiciaire inutile qui n'aboutirait à aucun résultat pratique, progresse au-delà d'une requête en radiation. C'est peut-être bien pour ces motifs que la Cour d'appel n'a pas écarté dans la cause David Bull Laboratories, la possibilité qu'une requête soit radiée en application de la Règle 419, mais a établi un critère rigoureux en vertu duquel un avis de requête introductif d'instance doit être « ... manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli » .

Ainsi, le défendeur ne peut réussir que s'il démontre que la demande est si « ... manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être accueillie » . Je vais maintenant analyser la procédure de grief afin de déterminer si oui ou non elle est tellement inappropriée que le demandeur pourrait y passer outre.

Caractère approprié de la procédure de griefs

[14]       Le capitaine Bast désire agir par voie de contrôle judiciaire, parce qu'il estime pouvoir gagner du temps par rapport à la procédure militaire de règlements des griefs, dont il ne s'est prévalu d'ailleurs qu'après avoir intenté la présente action. Même s'il y a des similitudes entre la présente affaire et Laura-Lee Brown (précitée), le demandeur dit qu'on peut les distinguer du fait que Mme. Brown s'est adressée directement à la Direction générale des Carrières militaires et n'a pas présenté de grief. En l'espèce, le capitaine Bast a non seulement sollicité le point de vue de la Direction générale des Carrières militaires, il a aussi, bien que sur le tard, saisi le

Page : 10 premier niveau de la procédure de grief prévue aux ORFC. Ceci me semble soulever deux questions : premièrement, la procédure de grief est-elle généralement appropriée; et, deuxièmement, cette procédure de grief était-elle devenue inopérante et futile, du moins jusqu'au niveau du Chef d'état-major de la Défense à Ottawa, du fait que la Direction générale des Carrières militaires à Ottawa s'était déjà prononcée par la négative?

[15]       Dans Laura-Lee Brown, j'ai examiné en profondeur le cheminement de la procédure de grief dans les diverses instances de la chaîne de commandement. Dans la présente affaire, il suffit que je résume mon point de vue.

[16]       En examinant la question de savoir si le demandeur peut trouver un recours approprié dans la procédure hiérarchique de règlement des griefs, j'admets que l'existence d'un recours approprié n'est pas automatiquement un obstacle à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour pour entendre pareille affaire dans le cadre d'un contrôle judiciaire : voir, par exemple, Harelkin c. The University of Regina, [1979] 2 R.C.S. 561. Les facteurs à considérer comprennent, selon la Cour suprême, la procédure, la ou les personnes qui prennent la décision, les pouvoirs des décideurs et la façon dont ils seraient probablement exercés, la célérité et les frais : voir Harelkin, à la page 588.

[17]       Deux types d'affaires sont pertinentes en l'espèce. Le premier type est illustré par l'arrêt Abby R. Gayler c. Directeur, administration des carrières (PNO), Quartier général de la défense nationale, [1995] 1 C.F. 801, une décision du juge MacKay de la Section de première instance.

Page : 11 Dans Gayler, la requérante demandait le contrôle d'une décision du Directeur, administration des carrières (PNO), prise au nom du Chef d'état-major de la Défense. Dans un tel cas, la procédure de grief était dénuée de sens jusqu'à ce que Mme Gayler dépasse le niveau du Chef d'état-major de la Défense et atteigne celui du ministre de la Défense nationale. Comme il s'agissait d'un cas où la procédure de grief était sans objet avant d'atteindre le niveau du ministre de la Défense nationale, le juge MacKay a conclu que la requérante n'était empêché de recourir directement au contrôle judiciaire en cour-circuitant la procédure de règlement des griefs, du fait qu'elle n'avait pas interjeté une série d'appels inutiles portés d'un échelon à l'autre dans la chaîne de commandement.

[18]       Le second type peut être illustré par les arrêts suivants : Anderson c. Canada (Officier des opérations du Quatrième groupe des opérations maritimes), (1997) 141 D.L.R. (4th) 54, une décision de la Cour d'appel fédérale, et Couture c. Le Procureur général du Canada, (1998) 136 F.T.R. 56 (1' inst.).

[19]       Dans Anderson (précité), le sous-officier de marine Anderson, objet d'une mesure de mise en garde et dé surveillance, a entamé une procédure de réclamation en vue de faire retirer les pièces pertinentes de son dossier. La demande a été traitée par le commandant des Forces maritimes du Pacifique, qui a décidé de ne pas appuyer le grief. Cette décision a mené à une procédure de contrôle judiciaire et le ministre public en a demandé la radiation, demande rejetée par le juge du procès. La Cour d'appel s'est reportée à l'arrêt Harelkin (précité), pour ensuite se pencher sur les facteurs déterminant le caractère approprié de l'autre voie de recours, soit la

Page : 12 hiérarchie militaire de redressement. Dans Anderson, la Cour d'appel a convenu que la procédure de grief pourrait être longue, mais a jugé que le délai en cause n'était pas tel qu'il puisse justifier l'intervention de la Cour. En conséquence, elle a décidé que la procédure militaire de règlement des griefs constituait une autre voie de recours approprié. Elle a donc radié la demande de contrôle judiciaire. Ce faisant, la Cour d'appel a dû se pencher sur l'arrêt Gayler (précité), concluant qu'elle pouvait établir une distinction avec Gayler parce que le Directeur, administration des carrières (PNO), à Ottawa, avait pris la décision de rejeter le grief de Mme Gayler au nom du Chef d'état-major de la Défense. Donc dans Gayler, comme je l'ai dit plus haut, la procédure de grief n'aurait eu aucun sens avant d'avoir dépassé le niveau du Chef d'état­major de la Défense. Dans Anderson, la procédure militaire de règlement des griefs avait tout son sens, même aux niveaux inférieurs, puisque la décision que le sous-officier Anderson considérait comme rendant la procédure inutile était celle du contre-amiral Johnson, commandant des Forces maritimes du Pacifique, qui refusait en fait d'appuyer la position d'Anderson. La Cour d'appel a donc jugé qu'il était valable de poursuivre le grief au moins jusqu'au niveau suivant de la procédure, déclarant que somme toute la procédure en question était simple, directe et peu coûteuse, et que les délais n'étaient pas tels que l'intervention de la Cour s'en verrait justifiée (voir Anderson, à la page 62).

[20]       Je vais maintenant revenir à l'avis que le capitaine Bast a reçu de la Direction générale des Carrières militaires à Ottawa, savoir le message du 18 février 1998. Pour plus de facilité, je reproduis ce texte à nouveau

[TRADUCTION]

Page : 13

« 1.             LA DEMANDE DE LIBÉRATION DU CAPITAINE BAST EN RÉF N'EST PAS RECEVABLE. LE MEMBRE EST SOUMIS À UNE POLITIQUE DE LIBÉRATION RESTREINTE JUSQU'AU 1 DÉC 1999.

2.        LE CAPITAINE BAST PEUT ÊTRE LIBÉRÉ DES FC À PARTIR DU 2 DÉC 1999. »

Il importe de souligner ici que ce message, bien que parvenant du Quartier général de la Défense à Ottawa, n'est pas une décision prise au nom du Chef d'état-major de la Défense, comme c'était le cas dans Gayler. Contrairement à la situation dans l'affaire Gayler, la réponse que le capitaine Bast a reçue d'Ottawa et qui fonde sa demande de contrôle judiciaire n'est que l'expression du point de vue de la Direction générale des Carrières militaires. Bien sûr, le directeur général des Carrières militaires est un officier haut gradé du Quartier général de la Défense à Ottawa, mais il n'est pas dans la chaîne hiérarchique de la procédure de grief. Par conséquent, la procédure de grief n'était pas neutralisée jusqu'au moment où elle aurait atteint Ottawa et pouvait faire l'objet d'une réponse favorable à un niveau inférieur. C'est essentiellement ainsi que la Cour d'appel a conclu dans l'arrêt Anderson.

[21]       Dans Couture (précité), le capitaine Couture a déposé un grief suite au refus de lui accorder sa libération du service obligatoire découlant de l'éducation reçue aux frais des Forces armées. Le capitaine Couture a suivi la chaîne de commandement, mais il n'a pas mené son grief aux deux niveaux supérieurs, soit le Chef d'état-major de la Défense et le ministre de la Défense nationale. Le juge Nadon n'a pu établir de distinction entre la situation du capitaine Couture et celle qui avait fait l'objet de l'arrêt Anderson en Cour d'appel.

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CONCLUSION

[22]       Je ne suis pas d'avis que la situation du capitaine Bast est visée par le principe de l'arrêt Gayler (précité). Dans Gayler, la procédure de grief a été jugée sans objet jusqu'à ce qu'elle remonte la chaîne de commandement jusqu'au Chef d'état-major de la Défense, puisque ce dernier pouvait seul infirmer une décision prise en son nom. La présente affaire est plutôt clairement assimilable à l'affaire Laura-Lee Brown (précitée), dans laquelle j'ai conclu que la procédure militaire de règlement des griefs fournit un autre recours approprié parce que simple, direct et peu coûteux, situé dans un contexte où les questions militaires sont monnaie courante. Ce faisant, je n'ai fait qu'appliquer la décision de la Cour d'appel dans l'arrêt Anderson (précité). Selon l'issue que son grief connaîtra dans la procédure militaire, il se peut que le capitaine Bast ait à un moment donné un motif valable de demander un contrôle, mais ce n'est pas l'affaire de cette Cour en ce moment précis. Bref, il est clair que cette demande est inappropriée. Comme elle n'a aucune chance de succès, ce serait un gaspillage de temps et de ressources que d'autoriser la poursuite d'une procédure de contrôle judiciaire aussi futile. L'avis de requête introductif d'instance du 24 mars 1998 est radié et la demande du capitaine Bast rejetée. Le ministère public n'ayant pas demandé les dépens, ils ne seront pas adjugés.

(Signé) « John A. Hargrave » Protonotaire

Vancouver (Colombie-britannique) Le 1 ° ` septembre 1998

T ~uction c           i té conforme i Bbrnard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA, SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                             T-482-98

INTITULÉ DE LA CAUSE:                 Daniel Christopher Bast,

demandeur,

c.

Le Procureur général du Canada,

défendeur.

LIEU DE L'AUDIENCE:                      Edmonton (Alberta)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE, datés du 17 août 1998

ONT COMPARU

M. D.B. Murphy

Edmonton (Alberta)                                            pour le demandeur

M ° " Ursula Tauscher                                           pour le défendeur Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. D.B. Murphy                                                  pour le demandeur

Morris Rosenberg                                               pour le défendeur Sous-procureur général

du Canada

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