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Date : 20050118

Dossier : IMM-1260-04

Référence : 2005 CF 36

Ottawa, Ontario, le 18ième jour de janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                          CESAR GUILLERMO ANGULO GAZCO

LILIANA MARISOL RODRIGUEZ ABT

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                La protection de l'État est une présomption qui ne peut pas être refutée sans portrait clair et convinquant. Ce portrait se dévoile de la preuve qui trace le tableau d'où l'image de la protection se dégage.


NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1](Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 16 janvier 2004. Dans cette décision, la Commission a conclu que les demandeurs ne satisfont pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de _ personne à protéger _ au paragraphe 97(1) de la Loi.

FAITS

[3]                Citoyen du Pérou, le demandeur principal, M. Cesar Guillermo Angulo Gazco, allègue avoir une crainte fondée de persécution en raison de persécutions subies par des policiers corrompus. Mme Liliana Marisol Rodriguez Abt fonde sa demande d'asile sur celle de son mari.


[4]                Selon le Formulaire de renseignements personnels, et tel que réitéré par la Commission le 20 août 2002, des citoyens ont rapporté à M. Angulo Gazco, qui travaillait pour la municipalité de Jésus Maria, qu'un groupe de policiers municipaux taxaient les résidents, les vendeurs ambulants et les commerçants. M. Angulo Gazco a déposé à la mairesse de la ville un rapport décrivant des irrégularités dans les fonctions de certains policiers municipaux. Suite à ce rapport, deux policiers ont été congédiés. M. Angulo Gazco a ensuite reçu une lettre de menace anonyme, ainsi que deux appels téléphoniques anonymes de menaces. Le 24 septembre 2002, suite au dépôt d'un deuxième rapport, trois autres policiers ont été congédiés. Ceux-ci ont menacé M. Angulo Gazco, qui s'est mis à soupçonner que les policiers municipaux corrompus étaient protégés par des policiers corrompus de la Police nationale du Pérou (PNP). Il a approfondi son enquête et, dans un rapport daté du 16 juillet 2002, il a demandé le renvoi de six autres policiers qui étaient de mèche avec quatre membres de la PNP. Suite à son rapport, ces policiers ont été renvoyés. Le 22 octobre 2002, M. Angulo Gazco a présenté un rapport à la PNP. Le 25 octobre 2002, il a été enlevé et détenu deux jours par quatre inconnus qui se réclamaient de la PNP qui l'ont questionné et frappé. Le 30 octobre 2002, M. Angulo Gazco a reçu des menaces téléphoniques anonymes. Il est allé se cacher chez un ami et a ensuite quitté son pays avec sa femme le 23 décembre 2002.

DÉCISION CONTESTÉE

[5]                La Commission a conclu que M. Angulo Gazco n'a pas réussi à établir de façon claire et convaincante l'incapacité de l'État du Pérou de le protéger.

QUESTION EN LITIGE

[6]                1. La Commission a-t-elle erré en concluant que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption de la capacité de l'État péruvien de le protéger ?


ANALYSE

1. La Commission a-t-elle erré en concluant que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption de la capacité de l'État péruvien de le protéger ?

[7]                Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward[2], la Cour suprême du Canada a déclaré qu'en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger ses citoyens. En raison de cette présomption, « il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » (paragraphe 50). Il appartenait donc à M. Angulo Gazco de renverser cette présomption en démontrant, par une preuve claire et convaincante, que l'État péruvien était incapable de le protéger. M. Angulo Gazco n'a pas présenté une telle preuve devant la Commission.


[8]                Premièrement, comme le souligne la Commission, M. Angulo Gazco a reconnu que suite à chacun des trois rapports d'irrégularités dans les fonctions de certains policiers municipaux qu'il a déposés auprès de la mairesse de sa ville, des actions ont été prises et des policiers ont été congédiés. M. Angulo Gazco a donc obtenu la collaboration des autorités et il a dénoncé avec succès la corruption de certains policiers municipaux. M. Angulo Gazco rétorque que l'action prise par l'État péruvien a été non pas de le protéger mais de le punir pour avoir dénoncé ces policiers corrompus. À cela la Cour répond que la preuve présentée à la Commission et analysée par celle-ci révèle, de façon globale, que M. Angulo Gazco pouvait obtenir la protection des autorités péruviennes, dont un recours à la mairesse, et que ce n'est pas parce que M. Angulo Gazco aurait été victime d'un incident le 25 octobre 2002 que cela démontrait que les autorités péruviennes sont entièrement inefficaces.

[9]                Deuxièmement, malgré l'efficacité des rapports qu'il a présentés auprès de la mairesse, la Commission a noté à bon droit que M. Angulo Gazco s'est contenté de porter plainte directement à la PNP le 22 octobre 2002 sans le faire auprès de la mairesse. Pourtant, ses rapports antérieurs présentés à la mairesse avaient produit des résultats concrets et efficaces pour la protection des citoyens contre la corruption policière.

[10]            Troisièmement, M. Angulo Gazco n'a pas porté plainte suite à l'incident du 25 octobre 2002, soit son arrestation suivie d'une détention de deux jours où il a été interrogé et frappé. Comme l'a souligné à juste titre la Commission, « ceci jette un doute sérieux sur les événements allégués du 25 octobre 2002 » .


[11]            La Commission a également examiné la preuve documentaire qui établissait que l'État péruvien n'était pas incapable de protéger ses citoyens. Plus particulièrement, elle a constaté qu'il existait au Pérou un cadre juridique (police, armée, tribunaux) et que l'ancien Premier Ministre, « Fujimori lui-même a dû s'enfuir et que le gouvernement actuel et les autorités actuelles cherchent pas (sic) tous les moyens à trouver les coupables et à mettre de l'ordre » . M. Angulo Gazco reproche à la Commission de ne pas avoir fait référence dans ses motifs aux documents sur lesquels elle s'est appuyée pour conclure que l'État péruvien n'est pas incapable de protéger ses citoyens. Bien qu'une telle référence spécifique à la preuve documentaire sur laquelle elle fonde cette conclusion n'est pas essentielle, la Cour est d'avis qu'une telle référence précise à la preuve documentaire est préférable par souci de clarté et de considération pour le demandeur d'asile, qui saura alors quels documents ont amené la Commission à statuer comme elle l'a fait. En l'espèce, l'article de mars 2002 se trouvant à la section 2.1 de l'index du cartable régional portant sur le Pérou et intitulé « Le Pérou depuis la chute de Fujimori » relate de façon détaillée les nombreuses initiatives prises par le gouvernement pour protéger sa population et lutter contre la corruption. Enfin, la Cour note que les extraits du Country Reports on Human Rights Practices - 2002 auxquels M. Angulo Gazco fait référence et selon lesquels les forces de la sécurité ont commis des violations importantes des droits de la personne et continuent de pratiquer la torture et d'infliger des traitements brutaux ne contredisent pas la preuve documentaire selon laquelle l'État du Pérou est capable de protéger ses citoyens.

[12]            Devant ces nombreux éléments de preuve, la Cour est d'avis que la Commission pouvait raisonnablement conclure que M. Angulo Gazco n'avait pas renversé la présomption selon laquelle l'État du Pérou était capable de le protéger.


[13]            M. Angulo Gazco allègue en outre que la Commission a commis une erreur en soulevant dans ses motifs le fait qu'il n'a jamais porté plainte à la police avant les événements du 20 août 2002. Il déclare qu'il ne pouvait porter plainte avant cette date puisque la corruption policière n'a été portée à sa connaissance qu'à cette date. Bien qu'il ne soit pas clair pourquoi la Commission a fait cette observation, cette dernière n'a manifestement eu aucune incidence sur la conclusion globale puisque de nombreux autres éléments, tant dans le témoignage de M. Angulo Gazco que dans la preuve documentaire, démontrent que la présomption selon laquelle l'État est en mesure de protéger ses citoyens n'a pas été réfutée.

CONCLUSION

[14]            Pour ces motifs, la Cour répond par la négative à la question en litige. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

_ Michel M.J. Shore _

                                                                                                                                                     Juge                         


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1260-04

INTITULÉ :                                                    CESAR GUILLERMO ANGULO GAZCO

et LILIANA MARISOL RODRIGUEZ ABT

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 13 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE    

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DE L'ORDONNANCE         

ET ORDONNANCE :                                    LE 18 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Me Manuel Centurion                                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Caroline Doyon                                          POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MANUEL CENTURION                                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS                                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada



[1]L.C. 2001, c. 27.

[2][1993] 2 R.C.S. 689.


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