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Date : 20040803

Dossier : T-1123-02

Référence : 2004 CF 1053

Ottawa (Ontario) le 3 août 2004

Présente :        L'HONORABLE JUGE GAUTHIER

ENTRE :

                     HENRY BERTEAU, FRITZ APPOLLON, GINETTE ARSENAULT,

                           MARIE JAVELINE BARTHÉLEMY, SYLVIE BOISVERT,

             BODHAN CAP, MARIE MICHELLE DELVA, CHANTAL DÉMOSTHÈNE,

                    DANIEL DICAIRE, ROLAND DICAIRE, JACQUELINE EUGÈNE,

                                 LOUISE FOISY, YVES GOEDIKE, THÉRÈSE JEAN,

            MARYSE JEAN-BAPTISTE, VIVIANE JEAN-MARIE, ANITA LANTEIGNE,

                               ALBERT MAILLY, JACQUELINE PIERRE CANUEL,

               OTHNIEL STERLIN, GHASSAN TALNOUK et GAÉTANE TREMBLAY

                                                                                                                                       Demandeurs

                                                                             et

                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                            SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                             

                                                                                                                                         Défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                En juin 2002, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) rejette parce que tardive la plainte déposée par monsieur Berteau, en son propre nom, et pour 22 de ses collègues qui s'étaient vus refuser une promotion parce qu'ils avaient échoué, en 1995, un test de dextérité imposé par la Société canadienne des postes (Postes Canada) qui, selon les demandeurs, était discriminatoire et contraire aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985 ch. H-6 (la Loi). (Tous les articles pertinents de la Loi sont reproduits en annexe.)

[2]                Monsieur Berteau demande le contrôle judiciaire de cette décision. Il soumet que la Commission aurait dû lui accorder une extension du délai d'un an prévu à l'article 41(1)(e) de la même façon et sur la même base que celle qu'elle avait accordé à d'autres employés représentés par Jeannine Bastide et qui avaient déposé leurs plaintes le 29 mars 1996 quant au même test discriminatoire.

[3]                De plus, les demandeurs soumettent qu'ils avaient fait part à la Commission des actes dérogatoires reprochés à Postes Canada dès le 24 novembre 1995 et que cette "plainte" avait interrompu la prescription à leur égard. Le dépôt et l'arbitrage d'un grief par leur syndicat aurait aussi eu cet effet.

[4]                Ils soumettent que, de toute façon, les actes discriminatoires de la part de Postes Canada ont continué jusqu'en 1999 puisque ce test de dextérité fut administré jusqu'à cette date, et que ceci n'a pas été considéré par la Commission.


[5]                Les demandeurs arguent qu'ils avaient une expective légitime que la Commission agirait avec diligence après réception de la lettre du 24 novembre 1995, et s'assurerait que leurs droits soient protégés. À cet égard, ils invoquent aussi la doctrine de la préclusion promissoire (promissory estoppel).

[6]                Finalement, ils soumettent que dans les circonstances particulières de cette affaire y inclus la décision contradictoire de la Commission de statuer sur les plaintes de madame Bastide et des autres 62 employés qu'elle représente, que la décision de la Commission de ne pas exercer sa discrétion en leur faveur est manifestement déraisonnable.

[7]                Avant d'analyser ces arguments, il convient de résumer certains faits pertinents.

[8]                Le test de dextérité qui, selon les demandeurs, discriminait contre les personnes de leur âge, leur fut administré par Postes Canada en mars et avril 1995.

[9]                Le 24 novembre 1995, quatre employés de Postes Canada, soit Jeannine Bastide, Jeannine Bourassa, Lucien Gravelle et Normande St-Pierre, envoient une lettre à la Commission dans laquelle ils dénoncent les agissements de Postes Canada y inclus l'imposition de ce test discriminatoire. Dans une note de bas de page, après leurs signatures, la mention suivante apparaît:

Les signataires de la lettre dont les noms apparaissent ci-dessus, font les démarches pour et au nom des 129 personnes lésées par cette situation.

[10]            Toutefois, ces 129 personnes ne sont pas identifiées dans la lettre.[1]

[11]            Le 28 février 1996, la Commission informe madame Bastide qu'elle devra obtenir le consentement écrit des employés pour lesquels elle désire déposer une plainte formelle. Après divers échanges, le 29 mars 1996, madame Bastide dépose deux plaintes formelles (une en vertu de l'article 7 de la Loi, l'autre en vertu de l'article 10), pour elle et 62 autres employés de Postes Canada, dont les noms sont listés dans ces plaintes.

[12]            Après avoir été avisée du dépôt d'un grief par le syndicat représentant ces plaignants(es), la Commission suspend, à la demande de Postes Canada, son processus quant à ces plaintes. Le 5 novembre 1999, l'arbitre rejette le grief et la Cour supérieure de la Province de Québec rejette la demande de contrôle judiciaire à l'égard de cette décision, le 24 novembre 2000.

[13]            La Commission reprend le dossier et après avoir reçu le 22 novembre 2001 une recommandation à cet effet de son enquêtrice, madame Marielle Cofsky, elle décide de statuer sur les plaintes des 63 employés et ce même si Postes Canada invoquait que la plainte était tardive en vertu de l'article 41(1)(e) de la Loi. Elle indique alors:

-               Les plaignants se sont mis en rapport avec la Commission dans l'année suivant l'acte discriminatoire présumé; et

-               Le retard des plaignants à signer les plaintes résulte de leurs efforts à se prévaloir d'autres voies de recours.


[14]            Plus de cinq ans après le dépôt de ces plaintes par madame Bastide, les demandeurs donnent le mandat à monsieur Berteau de déposer une plainte en leurs noms. Celle-ci est déposée le 11 février 2002.           

[15]            Le 26 février 2002, madame Cofsky, la même personne qui enquêta dans les dossiers de madame Bastide, recommande à la Commission de ne pas statuer sur la plainte des demandeurs. Ce rapport est communiqué aux parties et elles soumettent toutes deux des représentations écrites.

[16]            Le 19 juin 2002, la Commission avise les demandeurs qu'elle ne statuera pas sur leur plainte parce que :

-                elle vise des actes qui se sont produits plus d'un an avant le dépôt de la plainte; et

-                les plaignants(es) ont attendu sept ans avant de manifester leur désir de se joindre à la première plainte.

ANALYSE

[17]       Après l'audience, les parties ont soumis des représentations supplémentaires sur la norme de contrôle applicable. Pour les demandeurs, vu l'importance des droits en jeu et la finalité de la décision, les conclusions de la Commission doivent être analysées selon la norme de la décision correcte. Ils indiquent aussi que même si l'on appliquait la norme de la décision manifestement déraisonnable, la décision devrait être annulée.


[18]            La défenderesse argue que la question de savoir si une plainte est tardive ou non est essentiellement une question de fait qui devrait être soumise à la norme de la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, elle considère que même si l'on appliquait une norme plus contraignante comme celle de la décision raisonnable, la Cour ne devrait pas intervenir puisque la décision est raisonnable.

[19]            Elle soumet qu'à l'audience, les demandeurs n'ont pas argumenté les questions de droit initialement soulevées dans leur mémoire de sorte que la norme de la décision correcte ne devrait pas s'appliquer.

[20]            Dans Pierce c. Concord Transportation Inc., [2003] A.C.F. No. 1202, l'honorable juge Heneghan applique la méthode pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme applicable à une décision de la Commission d'exercer sa discrétion de proroger le délai prévu à l'article 41(1)(e) de la Loi. La Cour adopte les commentaires à cet égard (paragraphes 37 à 42) et conclut que la norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique à la question de savoir si la Commission devait dans le présent dossier exercer ou non sa discrétion en faveur des demandeurs.


[21]            Par contre, pour ce qui est de la question de savoir si la Commission était tenue de statuer sur cette plainte, parce qu'elle avait créé, par sa conduite, une expectative légitime, ou avait donné lieu à une préclusion promissoire, ou parce que la plainte n'avait pas été déposée hors du délai d'un an la prescription ayant été interrompue, la norme de contrôle doit être plus contraignante. En effet, la Commission n'a pas à cet égard d'expertise particulière. Mais dans l'espèce, la Cour n'a pas à déterminer si la norme applicable ici est celle de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte puisqu'elle conclut, pour les motifs énoncés ci-après, que la décision de la Commission sur toutes ces questions était correcte et ne contient aucune erreur révisable.

[22]            Ceci étant dit, il convient de traiter d'abord des questions de droit soulevées devant la Commission puisque ceci déterminera si à cause, par exemple, d'une interruption de la prescription, la Commission était tenue de statuer sur cette plainte et si donc elle a excédé sa juridiction en exerçant sa discrétion pour rejeter la plainte.

Expectative légitime et préclusion promissoire

[23]       Pour ce qui est de l'application de la notion d'expectative légitime et celle de la préclusion promissoire dans la présente affaire, les demandeurs s'appuient sur la décision de la Cour d'appel du Québec dans Centre hospitalier du Mont-Sinaï c. Ministère de la santé et des services sociaux, [1998] A.Q. no. 2982 (en ligne: QL), qui fut confirmée par la Cour Suprême du Canada ([2001] 2 R.C.S. 281). Selon eux, le comportement de la Commission après l'envoi de la lettre du 24 novembre 1995 laissait croire aux 129 employés lésés qu'elle ferait son travail avec compétence et diligence, qu'elle s'assurerait que tous les travailleurs concernés seraient identifiés et inclus comme victimes de la discrimination et que leurs intérêts seraient protégés.

[24]            La décision dans Mont-Sinaï, supra, n'a pas changé les conditions que doit remplir la partie qui invoque une préclusion promissoire. Les demandeurs devaient donc établir que:

i)          par ses paroles ou sa conduite la Commission leur avait fait une promesse ou donné une assurance;

ii)         destinée à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l'accomplissement de certains actes; et

iii)         sur la foi de laquelle;

iv)        ils ont pris une mesure quelconque ou de quelque manière changé leur position.

Il fallait aussi que cette promesse ou assurance soit non-équivoque.

[25]            Même si le concept de l'expectative légitime ne requiert pas la preuve de tous ces éléments, les demandeurs devaient au moins démontrer une conduite non-équivoque de la part de la Commission.

[26]            Il ressort clairement des communications entre la Commission et madame Bastide que la Commission n'a jamais considéré la lettre du 24 novembre 1995 comme une plainte au sens de la Loi et qu'elle a clairement indiqué qu'elle n'acceptait pas une plainte déposée par un tiers sans que ce tiers ait obtenu le consentement écrit des victimes qu'il représente. Il était aussi clair que madame Bastide a été avisée que c'était elle qui devait faire les démarches nécessaires à cet égard.


[27]            Si madame Bastide et les autres signataires de la lettre du 24 novembre étaient bien les mandataires des demandeurs, les communications entre ces personnes et la Commission leur sont opposables. Les demandeurs arguent que madame Bastide ne les a pas contacté pour obtenir leur consentement. Ce fait n'est pas imputable à la Commission. Il ne peut être question de préclusion promissoire sur cette base.

[28]            L'envoi de la lettre du 24 novembre 1995 n'est pas le fait de la Commission, et les demandeurs n'ont pas indiqué dans leur mémoire ni à l'audience, sur la base de quels autres faits la Cour devrait conclure à une conduite non-équivoque de la Commission donnant ouverture à une expectative légitime.

[29]            En vertu de l'article 40(1), il appartient à la Commission de décider de la forme que doivent respecter les plaintes pour être recevables. Les demandeurs n'ont présenté aucune preuve à l'effet que le Commission acceptait généralement des plaintes sous la forme d'une lettre ou qu'elle acceptait généralement des plaintes faites par un individu pour d'autres victimes sans exiger un consentement écrit des victimes concernées ni sans que leurs noms soient spécifiquement divulgués.


[30]            Les demandeurs soumettent que la Commission, eu égard à l'objet de la Loi tel que décrit à l'article 2, a un rôle social et que de ce fait, ils étaient en droit de s'attendre à ce qu'elle protège leurs droits. Ils n'ont toutefois pas indiqué sur quel principe de droit, ou en vertu de quelle disposition, la Cour pourrait conclure que la Commission avait le devoir de veiller personnellement à l'identification des 129 victimes mentionnées dans la lettre du 24 novembre 1995, et de s'assurer qu'un consentement au dépôt d'une plainte soit obtenu de chacune d'elles.

[31]            La Loi n'impose pas une telle obligation. En vertu de l'article 40(3), la Commission peut, dans certains cas, déposer elle-même une plainte mais elle n'a jamais l'obligation de le faire.

[32]            Ceci étant dit, la Commission peut tenir compte de l'envoi de cette lettre dans son analyse global des circonstances invoquées pour justifier une prorogation mais elle n'était pas tenue de proroger ce délai au-delà de l'année prévue à l'article 41(1)(e) sur cette base.

Interruption de la prescription:

[33]       Pour ce qui est de l'interruption de la prescription par le dépôt d'un grief par le syndicat, ici encore, les demandeurs n'ont pas expliqué à la Cour sur quel principe de droit ils s'appuient pour justifier leur conclusion.


[34]            Les plaintes déposées par madame Bastide et monsieur Berteau ne sont pas des plaintes du syndicat. Le législateur avait clairement à l'esprit des situations où un arbitrage en vertu d'un grief co-existerait avec une enquête de la Commission sur une plainte (article 41(1)). C'est à la Commission qu'il a donné la discrétion de décider si ces deux recours devaient être faits un après l'autre ou en même temps, et c'est aussi à cet organisme qu'il a donné la discrétion de déterminer si la poursuite d'un autre recours comme l'arbitrage d'un grief constitue une circonstance exceptionnelle suffisante dans un cas donné pour justifier une prorogation de délai en vertu de l'article 41(1)(e). Il ne s'agit donc pas ici d'une question de droit mais de fait laissé à l'appréciation de la Commission. Le législateur n'a pas indiqué que ce facteur devait être nécessairement déterminant à lui-seul.

[35]            Quant à l'argument que la réception des plaintes[2] de madame Bastide a interrompu la prescription en faveur des demandeurs, et ce parce que les 129 employés lésés sont des créanciers solidaires de Postes Canada, les demandeurs invoquent l'application de l'article 2900 du Code civil du Québec:

     Art. 2900.    L'interruption à l'égard de l'un des créanciers ou des débiteurs d'une obligation solidaire ou indivisible produit ses effets à l'égard des autres.

     Art. 2900.    Interruption with regard to one of the creditors or debtors or a solidary or indivisible obligation has effect with regard to the others.

[36]            La défenderesse réplique que cet article n'a aucune application ici. La solidarité entre ces débiteurs n'est pas prévue à la Loi ni par contrat. De plus, si les victimes étaient des créanciers solidaires, Postes Canada, en vertu de l'article 1541 du Code civil du Québec, pourrait exécuter son obligation envers un seul des créanciers pour se libérer à l'égard de tous.

[37]            L'argument de solidarité doit être rejeté, il est tout simplement intenable. La Loi traite de droits personnels et individuels; il ne peut être question de solidarité ici.

[38]            Naturellement, la Commission pouvait tenir compte de l'existence d'une plainte par d'autres employés qui se disent lésés par le même test de dextérité dans son analyse du contexte factuel. L'enquêtrice a d'ailleurs examiner l'impact de ces plaintes sur la préservation de la preuve par l'employeur. [3]

Exercice de pouvoir discrétionnaire de la Commission:

[39]       Il reste donc à examiner le dernier argument des demandeurs à l'effet qu'il était manifestement déraisonnable pour la Commission de refuser d'exercer sa discrétion en leur faveur dans les circonstances de cette affaire, particulièrement eu égard à la recommandation contradictoire de l'enquêtrice de statuer sur les plaintes de madame Bastide.

[40]            Dans leur plainte du 11 février 2002, les demandeurs décrivaient leur position comme suit:

Le 24 novembre 1995, quatre personnes signaient une lettre adressée à une agente de la Commission indiquant qu'elles représentaient les 129 personnes lésées par cette situation. Nous, les coplaignant-e-s affirmons que nous avons cru que la plainte signée le 29 mars 1996 l'était au nom des 129 personnes qui avaient signé les griefs et au nom de qui la lettre du 24 novembre 1995 était signée. Ce n'est que maintenant, plus de cinq ans plus tard, que nous apprenons que nous ne faisons par partie du groupe des 63 personnes au nom de qui la plainte du 29 mars 1996 a été signée.

[mes soulignés]


[41]            Dans les plaintes du 29 mars 1996, madame Bastide indique spécifiquement:

Nous sommes un groupe de plus de 50 employé(e)s temporaires, sur appel (voir liste ci-jointe).

[42]            Les demandeurs n'ont pas expliqué à la Commission ni à la Cour comment et quand ils ont appris l'existence des plaintes du 29 mars 1996, pourquoi ils ont cru qu'elles étaient faites pour 129 employés alors que la liste jointe n'inclut que 63 noms. Il n'est pas clair, non plus, quand et comment ils ont appris qu'ils ne faisaient pas partie de ce groupe[4]. Lors de l'audience, le procureur des demandeurs a indiqué que ceux-ci l'avaient appris en communicant avec la Commission, le 30 mai 2001.

[43]            Tel que l'indique le rapport de l'enquêtrice, Postes Canada avait aussi déposé une lettre manuscrite de Gaétane Tremblay (une demanderesse dans la présente instance) datée du 19 juin 2001, qui indiquait:

Voici la raison, pourquoi, je n'ai pas suivi mes collègues de travail dans les procédures en cour en 1995.

C'est que je n'étais pas au courant, que c'est[sic] procédures se faisait[sic]. Nous ne travaillons pas beaucoup car Poste[sic] CANADA nous appellais[sic] par lettre alphabétique. (lettre T. Tremblay) Je n'entrais pas souvent.

Une de mes amis, Mme Ginette Arsenault, m'en a fait part (Procédure un peu de temps après.

Et je n'ai pas hésité un instant, Je me suis jointe au Groupe.

[mes soulignés]


[44]            En vertu de l'article 41(1)(e), les demandeurs devaient convaincre la Commission que les circonstances justifiaient l'exercice de sa discrétion en leur faveur. La Commission a considéré que les circonstances dans l'affaire Bastide étaient différentes. À cet égard, une différence essentielle ressort du dossier et du rapport de l'enquêtrice. En effet, si l'on considère que l'acte discriminatoire est le test de mars et avril 1995[5], les plaintes formelles répondant à toutes les exigences de la Commission, ont été déposées par madame Bastide à l'intérieur du délai d'un an prévu à la Loi. Si l'on considère plutôt janvier 1995 comme la date de l'acte discriminatoire, elles furent déposées 14 mois après. Il s'agissait donc, tout au plus, d'accorder une prorogation de deux mois.

[45]            La Cour rejette l'argument des demandeurs que dans l'espèce, le dépôt d'une plainte formelle était une technicalité qui ne pouvait justifier une décision différente de celle rendue quant aux plaintes de madame Bastide. En adoptant l'article 41(1)(e), le législateur a clairement indiqué que la longueur du délai avant le dépôt d'une plainte au sens de l'article 40(1), était un élément essentiel à considérer.


[46]            Il est évident à la lecture du rapport de l'enquêtrice, que la Commission a considéré l'ensemble des circonstances pertinentes y inclus l'existence des plaintes de madame Bastide et sa décision dans ces dossiers, et que les demandeurs ont eu l'opportunité de corriger les inexactitudes factuelles dans le rapport de l'enquêtrice[6] et d'ajouter quelqu'autres faits pertinents.

[47]            Les demandeurs n'ont pas établi que la Commission a ignoré un fait ou une preuve. La Commission n'avait pas à expressément discuter du fait que le test a été administré jusqu'en 1999 dans sa décision. Elle avait clairement été avisée de ce fait. Même si cette date pouvait être pertinente pour le calcul du délai d'un an, la plainte des demandeurs serait hors délai. Ce fait n'est pas pertinent au délai mentionné par la Commission.

[48]            La Cour considère qu'il n'était pas déraisonnable, et certainement pas irrationnel, pour la Commission de soupeser l'ensemble des circonstances pertinentes aux plaintes de madame Bastide de façon différente de celles des demandeurs puisque au moins un élément important du mélange était très différent.

[49]            La Cour est aussi satisfaite que le raisonnement adopté par la Commission justifie sa décision de refuser de statuer sur la plainte des demandeurs.


[50]            La Commission a retenu comme un élément important le long délai entre le dépôt de la plainte du 29 mars 1996, et le moment où les demandeurs ont signifié leur désir de se joindre à cette plainte. Il est clair que les explications données par les demandeurs à cet égard n'ont pas été jugées satisfaisantes ou suffisantes pour justifier une prorogation du délai d'un an prévu à la Loi. Il s'agissait d'une considération pertinente. La conclusion de la Commission n'est pas déraisonnable compte tenu de l'ensemble de la preuve.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande est rejetée avec dépens.

« Johanne Gauthier »

                                                                                                     Juge                    


                                              ANNEXE

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985 ch. H-6

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

...

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

[...]

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

...

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

[...]

40. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d'individus ayant des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

(2) La Commission peut assujettir la recevabilité d'une plainte au consentement préalable de l'individu présenté comme la victime de l'acte discriminatoire.

(3) La Commission peut prendre l'initiative de la plainte dans les cas où elle a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire.

...

40. (1) Subject to subsections (5) and (7), any individual or group of individuals having reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice may file with the Commission a complaint in a form acceptable to the Commission.

(2) If a complaint is made by someone other than the individual who is alleged to be the victim of the discriminatory practice to which the complaint relates, the Commission may refuse to deal with the complaint unless the alleged victim consents thereto.

(3) Where the Commission has reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice, the Commission may initiate a complaint.         

[...]

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

[...]

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

...

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

[...]

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-1123-02

INTITULÉ :                                                             HENRY BERTEAU, FRITZ APPOLLON, GINETTE ARSENAULT, MARIE JAVELINE BARTHÉLEMY, SYLVIE BOISVERT, BODHAN CAP, MARIE MICHELLE DELVA, CHANTAL DÉMOSTHÈNE, DANIEL DICAIRE, ROLAND DICAIRE, JACQUELINE EUGÈNE, LOUISE FOISY, YVES GOEDIKE, THÉRÈSE JEAN, MARYSE JEAN-BAPTISTE, VIVIANE JEAN-MARIE, ANITA LANTEIGNE, ALBERT MAILLY, JACQUELINE PIERRE CANUEL, OTHNIEL STERLIN, GHASSAN TALNOUK et GAÉTANE TREMBLAY

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 4 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                               LA JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                                               LE 3 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Pierre Langlois                                                   POUR LE DEMANDEUR

Suzanne Thibodeau                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pierre Langlois                                                   POUR LE DEMANDEUR

Saint-Lambert (Québec

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                Procureur général du Canada

Heenan Blaikie SRL                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)                                                        Société canadienne des postes



[1]              Bien que les demandeurs insistent qu'une liste des employés ayant subi le test de dextérité au printemps 1995 a été remise à la Commission en juin 1995, il n'y a aucune preuve au dossier à cet effet. De plus, la liste auquelle ils réfèrent comprend 357 noms et rien n'indique comment elle aurait permis à la Commission d'identifier les 129 personnes dont on parle dans la lettre du 24 novembre 1995 sans faire enquête.

[2]           Les demandeurs ont aussi soumis que cet argument s'appliquait à la lettre du 24 novembre 1995 qui, selon eux, constituait une plainte. Il n'y a pas lieu de commenter séparément cet argument puisque la Cour a conclu que la Commission n'a pas erré en ne considérant pas cette lettre comme une plainte au sens de l'article 40(1) de la Loi.

[3]           Cet élément est discuté généralement dans le rapport de l'enquêtrice mais la question à savoir si Postes Canada a conservé les résultats individuels des employés non-listés dans les plaintes du 29 mars 1996 et si, de ce fait, l'ajout de 63 victimes lui causerait un préjudice n'est pas discutée.

[4]           Il semble que les mêmes procureurs représentaient madame Bastide et monsieur Berteau devant la Commission lorsque les recommandations de l'enquêtrice leur furent communiquées.

[5]              Bien que le rapport de l'enquêtrice indique que ces plaignants(es) ont effectivement subi leur test en mars et avril 1995 (p.3 du rapport dans le dossier Q 13854), leurs plaintes décrivent la date de l'acte discriminatoire présumé comme: Janvier 1995 et continu. Selon l'enquêtrice, cette description est erronée.

[6]          Les demandeurs ont indiqué à la Cour qu'ils acceptaient toutes les conclusions de faits de l'enquêtrice. Ils n'ont d'ailleurs pas noté d'erreurs à cet égard dans leurs représentations devant la Commission. La Cour note toutefois qu'il n'est pas exact de dire qu'il s'est écoulé sept ans entre le dépôt de la plainte du 29 mars 1996 et lc moment où les demandeurs ont exprimé le désir de se joindre à cette plainte. Il s'est plutôt écoulé six ans. Toutefois, le principe reste le même et la Cour conclue que cette erreur de calcul n'est pas déterminante puisque tous les faits pertinents sont bien notés au rapport de l'enquêtrice.


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