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Date : 20040507

Dossier : T-1186-02

Référence : 2004 CF 672

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

                                                        ELEONORA GALETZKA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                              LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la « décision en équité » en date du 25 juin 2002 par laquelle le ministre du Revenu national (ministre), représenté par M. J. Walker, gestionnaire au Recouvrement des recettes du bureau des services fiscaux de Toronto-Nord, a refusé la demande de renonciation aux intérêts présentée par la demanderesse relativement à sa déclaration de revenus des particuliers de 1990, en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, modifiée (LIR).


LES FAITS

[2]                La demanderesse, âgée de 54 ans, a travaillé comme gouvernante principale au Muskoka Riverside Inn, à Bracebridge, en Ontario. Le montant d'impôts exigible à l'égard de sa déclaration de revenus de 1990 était de 8 931,06 $ et les intérêts accumulés au 13 juin 2003 étaient de 13 078,11 $. Le revenu de la demanderesse est périodique et il est saisi par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (Agence) depuis environ 1995. Elle a remboursé le montant total d'impôts qu'elle devait. Elle soutient qu'elle est incapable de payer les intérêts accumulés en raison de difficultés financières, d'autres dettes existantes et de l'impossibilité d'obtenir un autre prêt pour effacer sa dette.

[3]                La demanderesse a tout d'abord présenté une « demande en équité » en mars 1996. Sa demande a été refusée parce qu'elle avait omis de produire ses déclarations de revenus pour les années 1991, 1992 et 1993. Elle a présenté une nouvelle demande au début de 1997. Le 19 février 1997, une « décision en équité » du premier pallier a ordonné qu'elle soit libérée de payer les futurs intérêts, à la condition qu'elle conclue une entente de paiement mutuellement acceptable avec l'Agence et qu'elle s'y conforme. La renonciation aux intérêts ne s'est finalement jamais concrétisée puisque la demanderesse n'a pas conclu d'entente de paiement obligatoire.


[4]                Par lettre datée du 17 mars 1997, la demanderesse a présenté une demande d'examen fondé sur l'équité au second pallier. Cet examen n'a jamais eu lieu parce que la demanderesse n'a pas produit les informations financières additionnelles exigées par l'Agence. Par lettre datée du 26 novembre 2001, la demanderesse a demandé au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire de renoncer aux arriérés d'intérêts impayés en raison de difficultés financières.

LA DÉCISION DU MINISTRE

[5]                Dans sa lettre du 25 juin 2002, l'Agence a fourni les explications suivantes relativement aux motifs de son refus :

(1)        la capacité d'emprunter pour payer la dette entière semble exister;

(2)        un mauvais dossier au chapitre des paiements volontaires;

(3)        la demanderesse a fait défaut de déclarer sur sa déclaration de revenus de 1997 des revenus provenant d'un travail à temps partiel même si elle a avisé verbalement l'Agence qu'elle travaillait deux jours par semaine;

(4)        des informations indiquent que la demanderesse a omis de déclarer des revenus gagnés en 1999.

[6]                Cette décision était fondée sur la recommandation du 22 mai 2002 d'Elisa McEachern, agente de recouvrement à l'unité d'examen fondé sur l'équité de l'Agence (agente de recouvrement), qui a examiné le dossier de la demanderesse et a tiré les conclusions suivantes :

(1)        il y avait beaucoup d'éléments de preuve indiquant que la demanderesse n'était pas séparée de son mari, contrairement à ce qu'elle affirmait;

(2)        la demanderesse a fourni un état des revenus et dépenses ainsi qu'un relevé de la valeur nette du patrimoine qui ne tient pas compte du revenu, des dépenses, de l'actif et du passif estimatifs de son mari;


(3)        si l'on tient compte des informations financières de son mari, le revenu familial mensuel de la demanderesse s'élève environ à 4 170 $ et les dépenses mensuelles s'élèvent environ à 2 536 $, ce qui représente comme revenu disponible la somme de 1 634 $;

(4)        la valeur nette de la propriété de la demanderesse est estimée à 140 000 $ et le revenu familial semble suffisant pour supporter une augmentation de son hypothèque afin d'effacer sa dette fiscale;

(5)        aucune preuve d'une incapacité à emprunter n'a été présentée à l'appui de sa demande d'examen fondé sur l'équité au second pallier.

DISPOSITION LÉGISLATIVE PERTINENTE

[7]                La disposition pertinente en matière d'équité de la LIR figure au paragraphe 220(3.1) comme suit :


Renonciation aux pénalités et aux intérêts

(3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l'annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

Waiver of penalty or interest

(3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.



ANALYSE

[8]                La seule question soulevée dans la présente demande est de savoir si le ministre a commis une erreur en refusant d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la LIR. La demanderesse, qui s'est représentée elle-même, fait valoir que les paiements qu'elle a faits jusqu'à ce jour sont supérieurs au montant de sa dette fiscale initiale. Elle soutient qu'elle est incapable de payer les intérêts accumulés exigibles en raison de difficultés financières et qu'elle est incapable d'obtenir pour les mêmes raisons un autre prêt. Elle fait valoir que son état de santé l'empêche d'occuper un autre emploi qui lui permettrait de rembourser sa dette.

[9]                Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre parce ni la décision de ce dernier ni la recommandation sur laquelle elle s'appuie ne sont manifestement déraisonnables. Le défendeur fait valoir que la demanderesse et son mari ont clairement les ressources financières pour payer la totalité de la dette exigible.    Le défendeur ajoute que la demanderesse est la cause de son propre malheur puisque les intérêts accumulés depuis les six dernières années auraient pu être évités si elle avait accepté l'entente de paiement raisonnable de l'Agence en 1997. Le défendeur affirme que la demanderesse ne peut pas démontrer que le ministre n'a pas agi de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle ou qu'il s'est fondé sur des facteurs extrinsèques pour rendre sa décision.


1.          Norme de contrôle

[10]            La Cour a conclu que la norme de contrôle applicable à l'égard du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de la LIR est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans Barron c. Canada (Le ministre du Revenu national) (1997), 209 N.R. 392, le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale a dit au paragraphe 5 :

Avant d'exposer les motifs pour lesquels nous estimons que ces conclusions sont erronées, il est peut-être utile de rappeler que le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu confère un pouvoir discrétionnaire au ministre et que, à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise en vertu d'un tel pouvoir, le rôle de la cour de révision ne consiste pas à exercer ce pouvoir à la place de son titulaire. La cour pourra intervenir et annuler la décision visée seulement si celle-ci a été prise de mauvaise foi, si l'instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte des faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit. [Non souligné dans l'original.]

Voir également Sharma c. Le ministre du Revenu national, [2001] DTC 5360 (C.F. 1re inst.); Cheng c. Canada (2001), 213 F.T.R. 85 (C.F. 1re inst.).

2.          Le ministre a-t-il commis une erreur en n'exerçant pas son pouvoir discrétionnaire?

[11]            J'ai examiné les « Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités » de l'Agence, apparaissant dans la circulaire de l'Agence IC 92-2, (lignes directrices). Bien que les lignes directrices ne soient pas exhaustives et ne lient pas la Cour, elles illustrent comment l'Agence applique les « dispositions relatives à l'équité » . En particulier, l'alinéa 7b) des lignes directrices prévoit ce qui suit :


7.     Il peut être convenable dans des situations où il y a incapacité de verser le montant exigible d'examiner la possibilité de renoncer ou d'annuler la totalité ou une partie des intérêts afin d'en faciliter le recouvrement, par exemple dans les suivants :

[...]

b) lorsqu'un contribuable ne peut conclure une entente de paiement qui serait raisonnable parce que les frais d'intérêts comptent pour une partie considérable des versements; dans un tel cas, il faudrait penser à renoncer à la totalité ou à une partie des intérêts pour la période où les versements débutent jusqu'à ce que le montant exigible soit payé pourvu que les versements convenus soient effectués à temps.

En l'espèce, la demanderesse n'a jamais convenu avec l'Agence d'une entente de paiement qui serait raisonnable parce qu'elle ne pouvait emprunter de l'argent ni à la banque ni à son ex-mari.


[12]            À l'audience, la demanderesse a fournit les renseignements suivants : (1) elle a présenté une lettre de la Banque Royaledatée du 19 septembre 2002 confirmant qu'elle ne pouvait pas emprunter de l'argent pour conclure une entente de paiement raisonnable, lettre qui avait été fournie à l'époque au défendeur; (2) elle a confirmé qu'elle et son mari vivaient séparés mais sous le même toit pour des raisons économiques et que ce dernier ne voulait pas lui consentir un petit prêt hypothécaire sur la ferme qu'ils possèdent conjointement pour qu'elle puisse conclure une entente de paiement raisonnable; (3) elle a déclaré qu'elle a un travail saisonnier à 9 $ l'heure, et gagne 12 000 $ pas année comme l'indique sa déclaration de revenus de 2003; (4) elle a affirmé qu'elle pourrait obtenir un prêt privé pour conclure une entente de règlement raisonnable pour les intérêts exigibles et la pénalité imposée relativement à sa déclaration de revenus de 1990; (5) elle a confirmé que son mari ne lui versait pas d'argent, hormis la somme de 400 $ par mois pour l'épicerie.

[13]            Ces renseignements n'ont pas été transmis dans les règles à la Cour puisque la demanderesse n'est pas avocate et qu'elle n'avait pas fourni un affidavit adéquat. Cependant, j'ai accepté que ces renseignements soient présentés parce que l'intérêt de la justice exige que le cas de la demanderesse soit entendu devant la Cour. L'avocat du défendeur a consenti, c'est-à-dire qu'il ne s'est pas opposé vigoureusement. Compte tenu de ces renseignements, j'estime que la décision en cause est manifestement déraisonnable et que la seule décision raisonnable et équitable est d'ordonner la renonciation aux intérêts et à la pénalité exigibles, moyennant paiement sans délai par la demanderesse de la somme de 500 $ à titre d'entente de paiement raisonnable.

[14]            La décision en cause est fondée sur une conclusion de fait manifestement déraisonnable, à savoir que la demanderesse n'est pas séparée puisqu'elle vit sous le même toit que son mari et qu'elle peut obtenir de l'argent ou une hypothèque avec l'appui de ce dernier. Malheureusement, cela n'est manifestement pas le cas et le défendeur n'a pas contesté ce fait à l'audience.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du défendeur est annulée et l'affaire lui est renvoyée pour qu'il statue à nouveau sur celle-ci avec la directive que l'unique décision raisonnable et équitable est la renonciation aux intérêts et à la pénalité, moyennant paiement par la demanderesse de la somme de 500 $ à titre d'entente de paiement raisonnable.

                                    « Michael A. Kelen »                                                                                                            _______________________________

           Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Chantale Lamer, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1186-02

INTITULÉ :                                        ELEONORA GALETZKA

                                                                                                                                       demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU

NATIONAL DU CANADA

         défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 3 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       LE 7 MAI 2004

COMPARUTIONS :                      

Eleonora Galetzka                                 POUR LA DEMANDERESSE

H. Annette Evans                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Eleonora Galetzka                                POUR LA DEMANDERESSE

3410 route 118 est, RR#3        

Bracebridge (Ontario)

P1L 1X1                                                                                                                    

                                                                                                           

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la justice

Toronto (Ontario)                                                                                                                                                                                              

                                                                                                             


                                  COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20040507

                                       Dossier : T-1186-02

ENTRE :

ELEONORA GALETZKA

                                                            demanderesse

- et -

LE MINISTRE DU REVENU

NATIONAL DU CANADA

                                                                   défendeur

                                                    

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                 

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