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Date : 20040308

Dossier : IMM-4975-03

Référence : 2004 CF 352

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2004

En présence de Madame la jugeMactavish

ENTRE :

                                          BAMATO MONIQUE BONGWALANGA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Bamata Monique Bongwalanga est une citoyenne de la République démocratique du Congo. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa revendication du statut de réfugié. Le président de l'audience n'a pas cru Mme Bongwalanga lorsqu'elle a prétendu que des partisans du président congolais Laurent-Désiré Kabila l'avaient persécutée. La décision se fondait en partie sur un rapport d'octobre 2002, rédigé par le Commissariat aux réfugiés de Belgique et portant sur la situation dans la République démocratique du Congo (RDC). Ce rapport a été communiqué à l'avocat de la demanderesse six jours avant que ne débute l'instruction de la revendication du statut de réfugié.

[2]                Mme Bongwalanga demande l'annulation de la décision de la Commission, au motif que les circonstances entourant la communication tardive du rapport belge donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part du président d'audience, et au motif que ce dernier n'a pas pris en compte la demande de récusation présentée par la demanderesse. Mme Bongwalanga soutient en outre qu'étaient manifestement déraisonnables les conclusions quant à la crédibilité de la Commission, et que cette dernière a commis une erreur en n'examinant pas ses prétentions fondées sur l'article 97 et le paragraphe 108(4) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

CONTEXTE

[3]                Mme Bongwalanga soutient que feu son époux était membre des services secrets du gouvernement Mobutu en RDC. Elle prétend qu'après la chute de ce gouvernement et l'arrivée au pouvoir du président Laurent-Désiré Kabila, des militants ont kidnappé et tué son époux. Mme Bongwalanga ajoute qu'avec l'aide de voisins et de membres de sa famille, elle s'est tenue cachée, accompagnée de ses enfants, alors que des militants étaient toujours à sa recherche. Plusieurs mois plus tard, des militants ont tiré sur un cousin de Mme Bongwalanga et l'ont tué. Celle-ci croit que les militants ont tué ce cousin parce qu'ils n'avaient pu la trouver.


[4]                Mme Bongwalanga affirme s'être plainte aux autorités, qui ne lui auraient pas prêté assistance. Elle a ensuite quitté la RDC et est arrivée au Canada le 5 novembre 2001. Elle avait revendiqué le statut de réfugié le 27 octobre 2001, en soutenant craindre avec raison d'être persécutée en RDC du fait de ses opinions politiques et de ses liens avec un certain groupe social, en l'occurrence sa famille. Elle croit qu'on la recherche toujours parce qu'elle est de la même origine ethnique que l'ancien président Mobutu, et qu'elle court le risque d'être torturée et de subir une peine cruelle et inhabituelle si elle devait retourner en RDC.

LE PROCESSUS D'AUDIENCE

[5]                Six jours avant que ne commence l'instruction de la revendication de Mme Bongwalanga, l'avocat de cette dernière s'est fait transmettre une copie du rapport belge. Khamisa Khamsi, l'agente - protection des réfugiés chargée du dossier de Mme Bongwalanga, a transmis le rapport par télécopieur au bureau de l'avocat. Il s'agit d'un volumineux rapport qui, s'il est admis en preuve, met fortement en doute les prétentions de Mme Bongwalanga.


[6]                Mme Khamsi n'était pas présente à l'audience, qui s'est déroulée à Toronto. Au début de l'audience, l'avocat de Mme Bongwalanga s'est inscrit en faux contre la communication tardive du document, soulignant que celui-ci n'était pas nouveau et datait de quelques mois. Le commissaire qui a instruit l'affaire a déclaré ne pas comprendre pourquoi le document avait été communiqué si tardivement, signalant qu'on en connaissait bien l'existence dans les bureaux de Montréal de la Commission. Le commissaire a alors ajouté : « Moi aussi je l'ai reçu en retard, à la même date que vous » . Après avoir pris en compte les arguments de l'avocat, le commissaire a statué en faveur de la poursuite de l'audience, en accordant toutefois deux semaines à Mme Bongwalanga pour présenter des arguments additionnels relativement au rapport belge.

[7]                L'ancien avocat de Mme Bongwalanga a soumis un affidavit à la Cour au soutien de la présente demande. Une partie de l'affidavit a trait à une situation antérieure vécue par l'avocat avec le commissaire dans une autre affaire, ce qui n'est pas pertinent en l'espèce. Pour ce qui est de la présente affaire, selon la déposition de l'avocat, Mme Khamsi aurait dit à ce dernier que ce n'était pas sa faute si le rapport belge avait été communiqué tardivement. L'avocat déclare que Mme Khamsi lui a dit avoir reçu du commissaire le document six jours avant l'audience, et qu'elle le lui a transmis le même jour conformément aux directives du commissaire.


[8]                L'avocat de Mme Bongwalanga s'est dit soucieux face à ce qu'il percevait être des incohérences entre la déclaration du commissaire à l'audience - ce dernier, selon l'avocat, aurait laissé entendre qu'il n'était pas au courant du dépôt du rapport avant que Mme Khamsi ne le lui communique - et la prétention de celle-ci selon laquelle c'était le commissaire qui lui avait remis le rapport. L'avocat soutient dans sa déposition qu'étant donné la nature très préjudiciable du rapport belge, la possibilité que le commissaire soit partial a alors commencé à l'inquiéter. L'avocat a fait état de cette crainte dans les arguments additionnels présentés relativement au rapport belge; il a suggéré que le commissaire se récuse et que la revendication du statut de réfugié de Mme Bongwalanga soit instruite de nouveau.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[9]                La Commission a rendu sa décision dix mois après l'instruction de la revendication de Mme Bongwalanga. La Commission a refusé de prendre en compte la demande de récusation, au motif que la question aurait dû être soulevée à l'audience relative à la revendication et non une fois l'affaire prise en délibéré.

[10]            Sur le fond, la Commission a cru que Mme Bongwalanga était bien qui elle prétendait être mais a jugé non crédibles ses allégations de persécution. La Commission a également conclu qu'il y avait incompatibilité entre le certificat de décès de feu l'époux de Mme Bongwalanga - faisant état de « défaillance multiviscebrale » comme cause du décès - et la description par Mme Bongwalanga des circonstances entourant ce décès. La Commission a conclu enfin que le témoignage de Mme Bongwalanga était invraisemblable, et que celle-ci avait fabriqué son récit pour favoriser sa revendication du statut de réfugié.


ANALYSE

[11]            Mme Bongwalanga soulève diverses questions dans sa demande. Étant donné ma conclusion relativement à l'une d'elles, soit le défaut du commissaire de prendre en compte sa demande de récusation, il ne me sera pas nécessaire d'examiner les autres questions.

[12]            Mme Bongwalanga soutient que les circonstances entourant la communication tardive du rapport belge donnent lien à une crainte raisonnable de partialité de la part du président d'audience.

[13]            Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité est bien connu. Tel que la Cour suprême du Canada l'a déclaré dans Committee for Justice and Liberty c. L'Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décisionnaire], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » ?

[14]            Il est également bien établi qu'une allégation de partialité doit être soulevée dès que la partie qui l'invoque apprend les faits à la source de son inquiétude. On conclura en la renonciation à une opposition si la partie omet de soulever la question à la première occasion (Zündel c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), le Congrès juif canadien, et al.) (2000), 195 D.L.R. (4th) 399.


[15]            En l'espèce, le président d'audience a refusé de se prononcer sur le fond sur l'allégation de partialité de Mme Bongwalanga, statuant que la question aurait dû être soulevée lors de l'instruction de la revendication. J'estime que la Commission a commis une erreur à cet égard. Dans sa décision, la Commission a déclaré que l'allégation de partialité n'avait été soulevée qu'une fois l'audience terminée et l'affaire prise en délibéré. Le défendeur concède à juste titre que tel n'était pas le cas et que l'audience se déroulait toujours lorsqu'a été soulevée la question de la partialité. Il ressort clairement de la déposition irréfutée de l'ancien avocat de Mme Bongwalanga que les circonstances permettant de croire en la possible partialité du président d'audience n'ont été connues de l'avocat qu'une fois terminée la preuve orale à l'audience de Mme Bongwalanga. Le président avait accordé deux semaines additionnelles à l'avocat pour présenter des arguments supplémentaires relativement au rapport belge. Des arguments ont été présentés à la Commission dans le délai prescrit. C'est dans le cadre de ceux-ci que l'avocat a fait valoir la crainte de partialité de la part du président d'audience.

[16]            Je suis convaincue, dans les circonstances, que la question de la partialité a été soulevée en temps opportun, et que Mme Bongwalanga n'avait pas renoncé à faire valoir ses sujets d'inquiétude face à la possibilité de la partialité du président d'audience. Le commissaire, par suite, aurait dû se prononcer sur le fond sur l'allégation de partialité. Le défaut de ce faire constitue une erreur révisable; la décision de la Commission doit par conséquent être annulée.

[17]            Il y a lieu de noter que la présente décision n'a trait qu'au processus suivi par la Commission pour traiter l'allégation de partialité. Je ne tire aucune conclusion sur le fond même de l'allégation.

CERTIFICATION

[18]            Ni l'une ni l'autre partie n'a suggéré la certification d'une question, et ainsi aucune question ne sera certifiée.

                                                           O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE :

1.          Pour les motifs énoncés précédemment, la présente demande est accueillie et la revendication du statut de réfugié de Mme Bongwalanga est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.   

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                                  « A. Mactavish »              

                                                                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-4975-03

INTITULÉ :                                       BAMATO MONIQUE BONGWALANGA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 26 février 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     Madame la juge Mactavish

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                         Le 8 mars 2004

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Matina Karvellas                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto


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