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Date : 20051107

Dossier : T-781-05

Référence : 2005 CF 1512

Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 7 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER                                 

ENTRE :

                                                              DANIEL CURRIE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Daniel Currie, qui a servi dans la Force régulière du Canada de 1948 à 1973, souffre d'acouphène, un trouble de l'ou_e. Il allègue que son acouphène est une invalidité due à ses 25 ans de service militaire.


[2]                M. Currie demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 22 février 2005 par le comité d'examen du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le tribunal), dans laquelle il a conclu que l'acouphène de M. Currie n'était pas consécutif ou rattaché directement au service qu'il avait accompli en temps de paix dans la Force régulière. Par conséquent, M. Currie n'avait pas droit à une pension pour invalidité aux termes du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, L.R.C. 1985, ch. P-6.

[3]                Le tribunal a tiré la conclusion générale suivante :

_TRADUCTION_ Vu l'ensemble de la preuve, le tribunal ne peut pas rattacher l'invalidité invoquée par M. Currie, c'est-à-dire son acouphène, à son service militaire; par conséquent, le tribunal décide de confirmer la décision du comité de révision du 16 juillet 2004.

En ce qui concerne l'acouphène de M. Currie, le tribunal a précisément conclu que _TRADUCTION_ « l'invalidité dont prétend être atteint M. Currie, son acouphène, s'inscrit dans sa perte d'ou_e actuelle et qu'aucune cause distincte n'a pu être cernée à ce jour. »

LA QUESTION EN LITIGE

[4]                La seule question que soulève la présente demande est la suivante : la conclusion du tribunal est-elle étayée par la preuve, vu l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la loi sur le TAC)?


ANALYSE

[5]                La norme de contrôle applicable à la décision du tribunal est la décision manifestement déraisonnable, puisque la question de savoir si l'invalidité du demandeur a été causée par son service militaire est une question de fait (Comeau c. Canada, [2004] A.C.F. no 1323 (1re inst.), au paragraphe 51; Bradley c. Canada, [2001] A.C.F. no 1152 (1re inst.), aux paragraphes 16 et 19; Nisbet c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1340, aux paragraphes 8 à 13). En d'autres termes, le tribunal n'a commis une erreur que s'il a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu'il a tirée d'une manière arbitraire ou abusive ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait (Hall c. Canada, [1998] A.C.F. no 890 (1re inst.), au paragraphe 18, conf. par [1999] A.C.F. no 1800 (C.A.F.)).

[6]                Lorsque le tribunal décide si un ancien membre des Forces est devenu invalide en raison de son service militaire, il est guidé par l'article 39 de la Loi sur le TAC, qui se lit comme suit :

39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

[7]                En l'espèce, M. Currie qualifie de non contredite la preuve produite devant le tribunal rattachant son acouphène à ses 25 ans de service militaire. Cette preuve comprenait les éléments suivants :

·            il a été exposé à un bruit excessif au cours de son service à titre de technicien en construction et en maintenance de 1948 à 1973;

·            il n'a pas été exposé à un bruit excessif après avoir terminé son service;

·            le rapport du 17 octobre 1997 intitulé _TRADUCTION_ « Étude sur la perte d'ou_e due au bruit, l'acouphène, et l'enregistrement des potentiels évoqués du cortex » , préparé pour Anciens Combattants Canada (le rapport sur l'acouphène), dans lequel il est dit que l'acouphène peut se déclencher tardivement et qu'il faut le considérer en lui-même comme une cause d'invalidité grave;

·            la lettre du Dr Paul Gladman, le médecin de famille de M. Currie, dans laquelle il déclare ce qui suit :

_TRADUCTION_ M. Currie est un patient âgé de 75 ans; il a été constaté qu'il est atteint de perte d'ou_e due au bruit d'après l'audiogramme.

Il a passé plusieurs années dans l'armée et il a souvent été exposé à un bruit fort. Sa perte d'ou_e est probablement directement liée au bruit auquel il a été exposé pendant son service militaire. Il est aussi atteint d'acouphène dans les deux oreilles qui est très prononcé et pénible à l'occasion.

Selon mon expérience, les patients exposés à un bruit fort pendant un certain nombre d'années peuvent aussi contracter un bourdonnement d'oreille. Je suis d'avis que son acouphène est aussi directement lié au bruit auquel il a été exposé au cours de son service militaire.


[8]                M. Currie soutient qu'aucun de ces éléments de preuve n'est contredit. Selon lui, la seule conclusion que l'on peut tirer de cette preuve est que son acouphène constitue une cause d'invalidité, distincte de sa perte d'ou_e, qui se rattache à son service militaire. Par conséquent, sa position est que le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a rejeté cette preuve. En ce qui a trait à la norme de contrôle, M. Currie affirme que le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve.

[9]                J'entame la présente analyse en signalant que, selon l'article 39, le tribunal n'est pas tenu d'accepter automatiquement la preuve produite par M. Currie dans son intégralité. Le juge Nadon s'est exprimé en ces termes dans la décision King c. Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel)) (2001), 205 F.T.R. 204; 2001 CFPI 535, au par. 40 :

Il est clair que le [Tribunal] peut examiner et soupeser la preuve qui lui est soumise et accorder à cette preuve l'importance qu'il juge appropriée. Toutefois, la preuve doit toujours être appréciée conformément aux articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants [révision et appel] , ce qui veut dire que le TAC doit accepter la preuve qui lui est soumise à moins qu'il ne tire une conclusion au sujet de son invraisemblance ou que la preuve ne soit contredite par un autre élément de preuve. [Non souligné dans l'original]

[10]            Le dossier du tribunal contenait un grand nombre d'éléments de preuve à part ceux qui ont été invoqués par le demandeur, notamment :

·            le décision du 12 septembre 2003 du ministère des Anciens combattants, selon laquelle M. Currie n'avait pas droit à une pension pour perte d'ou_e générale (il n'y a pas eu d'appel);

·            l'acouphène n'a été diagnostiqué pour la première fois que 30 ans après la fin de son service militaire;


·            Anciens combattants Canada - Table des invalidités; il y est dit que, dans la majorité des cas, l'acouphène se rattache à une perte d'audition (autrement dit il ne s'agit pas d'une invalidité distincte);

·            le rapport d'audiologiste du 20 mai 2004, dans lequel il est dit que l'acouphène de M. Currie _TRADUCTION_ « peut correspondre à une surdité de perception » .

[11]            Je suis d'avis que toute cette preuve étaye la conclusion suivante : l'acouphène de M. Currie est liée à la perte d'ou_e pour laquelle il ne peut pas obtenir une pension, et non pas à son service militaire. En d'autres termes, ces éléments de preuve contredisent ceux qui ont été produits par M. Currie.


[12]            En outre, le tribunal a cerné les faiblesses de la lettre du Dr Gladman et du rapport sur l'acouphène. Le médecin de famille de M. Currie n'a fondé son opinion que _TRADUCTION_ « sur mon expérience » , plutôt que sur la preuve médicale ayant précisément trait à M. Currie. Le rapport sur l'acouphène _TRADUCTION_ « contient des considérations générales et ne constitue pas une opinion portant précisément sur ce cas particulier » . Le tribunal peut rejeter (ou donner moins de poids) à des preuves médicales qui ne sont pas précises (Nisbet, précité, au paragraphe 22). Il n'était pas déraisonnable de la part du tribunal de donner moins de poids à cette preuve et de conclure qu'elle préférait la preuve contraire étayant la conclusion que l'acouphène de M. Currie découlait de sa perte d'ou_e. Au regard d'une décision antérieure (qui n'a pas été portée en appel) selon laquelle la perte d'ou_e de M. Currie n'était pas consécutive ou rattachée à son service militaire, il s'ensuit logiquement que l'acouphène de M. Currie, qui découle de sa perte d'ou_e, n'était pas consécutive ou rattachée à son service.

[13]            Vu la preuve produite devant le tribunal et vu l'article 39 de la loi sur le TAC, je ne peux pas conclure que la décision du tribunal était manifestement déraisonnable. Par conséquent, la demande sera rejetée.

[14]            Conformément au pouvoir discrétionnaire qui m'est conféré, je m'abstiens de condamner M. Currie aux dépens.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée, sans dépens.

« Judith A. Snider »

Juge                

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                T-781-05

INTITULÉ :               DANIEL CURRIE

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              KAMLOOPS (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 3 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 7 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Jody A. McCormack                                         POUR LE DEMANDEUR

Ward Bansley                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morelli Chertkow                                              POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Kamloops (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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