Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20001120

Dossier : IMM-5893-99

Ottawa (Ontario), le lundi 20 novembre 2000.

EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Dawson

ENTRE :

DRAGAN KRNETA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE

Que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision du représentant du ministre datée du 12 novembre 1999 soit annulée et que l'affaire soit renvoyée au ministre pour qu'il statue de nouveau sur celle-ci.


La question suivante est certifiée :

[TRADUCTION] Le ministre viole-t-il l'obligation d'équité qui lui incombe à l'égard de la personne qui fait l'objet d'un avis, émis en vertu du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)d) de la Loi, selon lequel elle constitue un danger pour le public au Canada, lorsqu'un rapport sommaire au sujet de la « demande d'avis du ministre » et un « rapport sur l'avis de danger pour le public du ministre » , ou des documents équivalents considérablement semblables à ceux qui étaient en cause dans la présente affaire, font partie des documents soumis au représentant du ministre qui émet l'avis, et que ces rapports ne sont pas communiqués à cette personne et que celle-ci ne se voit pas offrir d'occasion raisonnable d'y répondre?

     « Eleanor R. Dawson »     

        J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 20001120

Dossier : IMM-5893-99

ENTRE :

DRAGAN KRNETA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]         La présente demande invite de nouveau notre Cour à examiner la question de savoir si l'omission de fournir deux documents au demandeur, soit le rapport sur l'avis de danger pour le public du ministre (le rapport sur l'avis du ministre) et la demande d'avis du ministre, viole l'obligation dquité qui incombait au ministre en formulant un avis sur le danger conformément aux dispositions de l'alinéa 53(1)d) et du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi). Voici ce que prévoient ces dispositions :



53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou don't la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas_:

...

d) elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada.

...

70(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre_:

a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

53. (1) Notwithstanding subsections 52(2) and (3), no person who is determined under this Act or the regulations to be a Convention refugee, nor any person who has been determined to be not eligible to have a claim to be a Convention refugee determined by the Refugee Division on the basis that the person is a person described in paragraph 46.01(1)(a), shall be removed from Canada to a country where the person's life or freedom would be threatened for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion unless

...

(d) the person is a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada.

...

70(5) No appeal may be made to the Appeal Division by a person described in subsection (1) or paragraph (2)(a) or (b) against whom a deportation order or conditional deportation order is made where the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada and the person has been determined by an adjudicator to be

(a) a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c), (c.1), (c.2) or (d);

(b) a person described in paragraph 27(1)(a.1); or

(c) a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed.



LES FAITS

[2]         Monsieur Krneta, le demandeur, est un citoyen de la Yougoslavie âgé de 45 ans qui a été admis au Canada en 1993, s'est par la suite vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, et a obtenu le statut de résident permanent du Canada le 27 février 1996.

[3]         Le 30 novembre 1998, M. Krneta a été reconnu coupable de quatre chefs d'accusation de possession d'une substance interdite en vue d'en faire le trafic, et de trois chefs d'accusation de trafic d'une substance interdite. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement totale de quatre ans et six mois pour chaque chef d'accusation, ses peines devant être purgées simultanément.

[4]         Vu ces condamnations, M. Krneta a fait l'objet d'un rapport établi en vertu de l'alinéa 27(1)d) de la Loi. On lui a par la suite signifié un avis d'intention de demander l'avis du ministre (l'avis) conformément au paragraphe 70(5) et à l'alinéa 53(1)d) de la Loi. L'avis informait M. Krneta qu'il pouvait faire des observations écrites et produire de la preuve documentaire dans un délai de 15 jours suivant la réception de l'avis. Monsieur Krneta a soumis des observations écrites datées du 8 octobre 1999.


[5]         Le 26 octobre 1999, un rapport sur l'avis du ministre a été complété. Ce rapport analysait le raison pour laquelle M. Krneta constituait un danger et recommandait que ce dernier soit déclaré un danger pour le public au Canada. Ce document comprenait cinq pages et certains documents y étaient joints, dont les observations de M. Krneta, les remarques du juge qui lui avait imposésa peine et le rapport sur le plan correctionnel établi par les Services correctionnels.

[6]         Le 10 novembre 1999, un formulaire de demande d'avis du ministre a été rempli. Cette demande comprenait un résumé de cinq pages du cas de M. Krneta. Ce document, les documents auxquels il renvoyait, de même que le rapport sur l'avis du ministre et les pièces jointes à ce dernier, ont été remis au représentant du ministre pour étayer la demande d'un avis portant que M. Krneta constitue un danger pour le public. Le 12 novembre 1999, le représentant du ministre s'est dit d'avis que M. Krneta constituait un danger pour le public au Canada, conformément au paragraphe 70(5) et à l'alinéa 53(1)d) de la Loi.

LA QUESTION LITIGIEUSE

[7]         Bien que le demandeur ait soulevéun certain nombre de questions litigieuses à lgard de la décision du représentant du ministre, je suis d'avis qu'une seule question litigieuse est déterminante quant à l'issue de la demande, soit la question concernant l'obligation, s'il en est, de fournir au demandeur des copies du rapport sur l'avis du ministre et du rapport sur la demande d'avis du ministre.

L'ANALYSE


[8]         L'avocat du demandeur m'a renvoyée aux décisions suivantes de notre Cour : Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] 1 C.F. 619 (1re inst.); Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (2000), 6 Imm. L.R. (3d) 33 (1re inst.); Andino c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1023, IMM-2208-99 (27 juin 2000) (1re inst.) et Qazi c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1222, IMM-5317-99 (26 juillet 2000) (1re inst.).

[9]         Dans ces décisions, notre Cour a conclu, en ce qui concerne les avis sur le danger émis conformément aux paragraphes 70(5) et 53(1) de la Loi, qu'en omettant de communiquer à l'intéressé les documents relatifs à l'avis sur le danger de la nature de ceux qui sont en cause dans la présente affaire et de fournir à ce dernier une occasion raisonnable d'y répondre, le ministre avait violé l'obligation dquité qui lui incombait.

[10]       L'avocat du demandeur s'est également fondé sur l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 854, A-587-99 (12 juin 2000) (C.A.F.), dans lequel la Cour d'appel fédérale a examiné le contenu de l'obligation dquité et l'obligation de communiquer une appréciation défavorable du risque dans le contexte d'une demande d'examen fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.


[11]       L'avocate du ministre m'a renvoyée aux décisions que notre Cour a rendues dans les affaires Jan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1474, IMM-5756-99, IMM-5757-99 (15 septembre 2000) (1re inst.) et Siavashi c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1132, IMM-1942-99 (12 juillet 2000) (1re inst.), dans lesquelles elle a conclu qu'il n'existait aucune obligation de communiquer à l'intéressé des documents de la nature de ceux qui sont en cause dans la présente affaire. Dans ces décisions, la Cour a tenu compte du fait que les documents constituaient les motifs de la décision. Il n'aurait pas été logique, comme l'a souligné la Cour, de fournir des motifs aux parties afin qu'elles puissent les commenter avant que la décision n'ait été rendue. La Cour estimait également que si des documents de la nature de ceux qui sont en cause dans la présente affaire devaient être communiqués au demandeur, il s'ensuivrait que le demandeur pourrait par la suite faire d'autres observations en réponse à ceux-ci, ce qui donnerait lieu à un autre sommaire, voire à une série interminable de sommaires et réponses.

[12]       Des questions de portée générale ont été certifiées dans presque toutes ces affaires, mais la question n'a pas encore été examinée par la Cour d'appel.

[13]       En examinant cette question, j'analyse d'abord les conséquences de la délivrance d'avis sur le danger sur M. Krneta.

[14]       Un avis sur le danger émis en vertu de l'alinéa 53(1)d) de la Loi permet au ministre de renvoyer du Canada M. Krneta, qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, vers le pays où il craignait dtre persécuté. L'avis sur le danger émis en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi fera perdre à M. Krneta son droit de former un appel contre la mesure d'expulsion devant la Section d'appel de l'immigration.


[15]       Les conséquences de tels avis sur M. Krneta sont donc importantes, et elles le touchent de façon fondamentale. Il ressort, à mon avis, de l'importance des conséquences de la décision sur M. Krneta qu'en vertu de l'obligation dquité qui lui incombait, le ministre devait communiquer à M. Krneta le contenu des deux documents en cause dans la présente affaire, de façon à ce que ce dernier ait une véritable occasion de répondre à cette information et pleinement faire valoir le bien-fondé de sa cause.

[16]       Pour ce qui est de l'avis de la Cour qu'il est illogique de fournir des motifs aux parties avant qu'une décision n'ait été rendue, les rapports sommaires ne doivent être considérés comme les motifs de la décision par inférence que lorsque la recommandation qu'ils contiennent est acceptée. Qu'une telle inférence soit ultérieurement faite ne devrait pas, à mon avis, réduire, voire éliminer le contenu de l'obligation dquité qui, par ailleurs, incombe au ministre. Il n'est pas logique, à mon avis, que l'omission d'exposer des motifs, qui mène nécessairement à l'inférence que les sommaires constituent les motifs de la décision, puisse servir à justifier l'omission initiale de fournir des documents récapitulatifs au demandeur.

[17]       En ce qui concerne la crainte, sur le plan logistique, que le processus puisse donner lieu à une série interminable de sommaires et réponses, j'estime qu'on peut traiter de cette crainte d'un certain nombre de façons, dont l'une consiste simplement en ne pas résumer toute observation que fait le demandeur en réponse à un sommaire.


[18]       En conséquence, je conclus que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision du représentant du ministre datée du 12 novembre 1999 est annulée, l'affaire devant être renvoyée au ministre pour qu'il statue de nouveau sur celle-ci.

[19]       L'avocat de M. Krneta a proposé qu'un certain nombre de questions soient certifiées. Compte tenu du fait qu'une seule question litigieuse est déterminante quant à l'issue de la présente demande, la seule question que je certifie est la suivante :

[TRADUCTION] Le ministre viole-t-il l'obligation dquité qui lui incombe à lgard de la personne qui fait l'objet d'un avis, émis en vertu du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)d) de la Loi, selon lequel elle constitue un danger pour le public au Canada, lorsqu'un rapport sommaire au sujet de la « demande d'avis du ministre » et un « rapport sur l'avis de danger pour le public du ministre » , ou des documents équivalents considérablement semblables à ceux qui étaient en cause dans la présente affaire, font partie des documents soumis au représentant du ministre qui émet l'avis, et que ces rapports ne sont pas communiqués à cette personne et que celle-ci ne se voit pas offrir d'occasion raisonnable d'y répondre?

     « Eleanor R. Dawson »     

        juge

Ottawa (Ontario)

Le 20 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                          IMM-5893-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                           DRAGAN KRNETA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le vendredi 6 octobre 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                                               20 novembre 2000

ONT COMPARU :               

M. David Orman                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Mme Neeta Logsetty                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

M. David Orman                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.