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Date : 20011016

Dossier : IMM-2802-00

OTTAWA (Ontario), le 16 octobre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

                                                                             AN HE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

VU la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en vue d'obtenir une ordonnance annulant la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui déclarait que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention;

ENTENDU les avocats des parties à Toronto le 16 mai 2001, jugement mis en délibéré, et examiné les arguments des parties;

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1)          il est fait droit à la demande.

2)          la décision attaquée émanant de la SSR est annulée.

3)          l'affaire est renvoyée pour nouvel examen devant un tribunal de la SSR différemment constitué.

                                                                                                                               « W. Andrew MacKay »

                                                                                                                __________________________

                                                                                                                                                               JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20011016

Dossier : IMM-2802-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1124

ENTRE :

                                                                             AN HE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur conformément à l'art. 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 et ses modifications, à l'égard d'une décision de la section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, datée du 1er mai 2000, qui déclarait que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l'affaire pour nouvel examen à un tribunal de la section du statut de réfugié différemment constitué. La Commission a statué que le témoignage fourni par le demandeur au sujet des aspects matériels de sa revendication n'était pas digne de foi, et, par conséquent, n'était pas crédible.

Les faits

[3]                 Le demandeur fonde sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur sa crainte d'être persécuté par le gouvernement chinois à cause de ses opinions politiques. Le demandeur affirme que sa femme et lui ont trois enfants. En 1998, la femme du demandeur a été obligée de se faire stériliser conformément à la politique de planification familiale de la Chine. La stérilisation a entraîné des complications; la santé de sa femme s'est détériorée au point où elle est incapable de travailler. À l'époque, le demandeur n'avait pas les moyens d'acheter les médicaments dont sa femme avait besoin et il a demandé de l'aide au bureau du contrôle des naissances parce qu'il pensait que les problèmes de santé que connaissait sa femme venaient de sa stérilisation. Les agents du service de contrôle des naissances ont menacé de présenter un rapport sur le demandeur à l'usine où il travaillait parce qu'il se conduisait mal; ils ont présenté ce rapport et le demandeur a été congédié.


[4]                 La santé de la femme du demandeur a continué à se détériorer et il l'a finalement ramenée au bureau du contrôle des naissances pour demander de l'aide et obtenir les médicaments dont elle avait besoin. Ils ont été expulsés du bureau, et une fois à l'extérieur, devant l'édifice, le demandeur a critiqué le bureau et dénoncé la politique qu'il était chargé d'appliquer. Le demandeur a reçu l'ordre de quitter les lieux. Il déclare avoir été accusé de propager publiquement des rumeurs antigouvernementales et de contrecarrer la politique gouvernementale en matière de planification familiale.

[5]                 Après cet incident, le demandeur a appris par son frère qu'il était recherché par le bureau de la sécurité publique à cause de ses déclarations antigouvernementales. Il a estimé qu'il ferait mieux de quitter le pays avec sa famille, ce qu'il fit.

[6]                 Après avoir entendu la déposition du demandeur et examiné les preuves présentées, le tribunal de la SSR a estimé que certains aspects essentiels de la version du demandeur n'étaient pas dignes de foi. Plus précisément, le tribunal n'a pas été convaincu de la véracité des éléments suivants : le demandeur travaillait dans une usine ou a été congédié à cause de ses problèmes avec les agents de planification familiale, sa femme a été stérilisée ou arrêtée; le demandeur a eu des difficultés avec les autorités chinoises, les autorités chinoises l'ont recherché parce qu'il avait fait des déclarations antigouvernementales dans un lieu public. En outre, il semble que le tribunal ait mis en doute le fait qu'il soit marié et père de trois enfants puisqu'il n'a apporté aucun élément de preuve à ce sujet. Le tribunal a estimé que le revendicateur avait fabriqué toute cette histoire pour appuyer sa revendication du statut de réfugié. Le tribunal a conclu que le témoignage du revendicateur n'était ni crédible, ni digne de foi. Celui-ci n'a donc pas réussi à démontrer qu'il craignait avec raison d'être persécuté pour ses opinions politiques.

[7]                 La SSR en est arrivée à sa conclusion en se fondant principalement sur les contradictions constatées entre la version du demandeur qu'il a rapportée dans sa langue avec ses propres mots, et qui figure dans les notes prises au point d'entrée, c.-à-d., le dossier de l'entrevue du revendicateur du statut de réfugié, qui a été rempli à son arrivée au Canada, et la version qu'il a fournie par la suite dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), qui accompagnait sa demande de statut de réfugié, telle qu'elle a été complétée par son témoignage devant le tribunal.

[8]                 Dans sa décision, la SSR mentionne que les notes prises au point d'entrée ne font aucunement référence au fait qu'il ait été persécuté par les autorités chinoises comme il le relate dans son FRP. En outre, l'agent d'immigration lui a apparemment demandé plusieurs fois au point d'entrée pourquoi il avait fui la Chine et pourquoi il demandait l'asile au Canada; M. An He n'a pas indiqué dans ses réponses qu'il craignait les autorités chinoises ou qu'il éprouvait des difficultés politiques à cause de ses prétendues activités visant à contrer la politique de stérilisation obligatoire, à laquelle sa femme avait été soumise, comme il l'a prétendu par la suite. Les notes prises au point d'entrée ne font aucunement référence à ces éléments, qui constituent l'essentiel de sa revendication, telle qu'elle ressort de son FRP et de son témoignage à l'audience. Si l'on se fonde sur les notes prises au point d'entrée, la principale raison pour laquelle le demandeur est venu au Canada était qu'il voulait se trouver du travail pour subvenir aux besoins de sa famille.


[9]                 Le demandeur a tenté d'expliquer ces contradictions mais ses explications n'ont pas convaincu le tribunal. En particulier, le tribunal n'a pas cru que l'agent d'immigration qui l'a interrogé au point d'entrée lui avait demandé d'être bref parce qu'il pourrait donner sa version des faits de façon plus détaillée à la SSR lorsqu'il présenterait par la suite sa demande de statut de réfugié. Outre les éléments qui ne figurent pas dans les notes prises au point d'entrée et qui sont mentionnés par la suite dans son FRP, il y a le fait que le demandeur a déclaré, tant dans les notes prises au point d'entrée que dans son FRP, qu'il était un travailleur indépendant, lorsqu'on lui a demandé ce qu'il faisait. Le tribunal n'a pas retenu son témoignage selon lequel il avait été congédié du poste qu'il occupait dans une usine.

[10]            Le tribunal a déclaré dans les derniers paragraphes de la décision :

...

Le tribunal ne croit pas que le revendicateur ait connu des difficultés en Chine aux mains des autorités chinoises ou que son épouse ait été stérilisée ou arrêtée. Le tribunal ne croit pas que les autorités chinoises l'ont recherché parce qu'il avait fait des déclarations antigouvernementales dans un lieu public devant des édifices gouvernementaux ou parce qu'il avait dénoncé les politiques de contrôle des naissances ou parce qu'il avait perturbé l'ordre public et il ne croit pas que le revendicateur ait visité le bureau de la planification familiale à cause de la mauvaise santé de son épouse. Le revendicateur mentionne dans sa preuve documentaire qu'il a trois enfants. Lorsqu'on lui a demandé s'il avait des photos de ses trois enfants, il a répondu non. Le revendicateur ne possédait aucune preuve pouvant démontrer qu'il était marié et avait trois enfants.

Le tribunal est d'avis que le revendicateur a fabriqué toute cette histoire pour appuyer sa revendication du statut de réfugié. En outre, le tribunal considère que la preuve documentaire, le FRP et le témoignage verbal du revendicateur ne sont ni crédibles, ni fiables, à cause des nombreuses contradictions décrites ci-dessus entre ces divers éléments.

Puisque le tribunal a déterminé que la preuve fournie par le revendicateur n'est ni crédible, ni fiable, il s'ensuit que le revendicateur n'a pas établi une crainte justifiée de persécution pour un motif d'opinion politique ou pour tout autre motif au sens de la Convention; par conséquent, la revendication doit être rejetée.

...

[11]            La SSR en est arrivée à sa conclusion sans mentionner certains documents présentés par le demandeur, à savoir :

- Un certificat de mariage délivré à An He le 7 novembre 1991, certifiant qu'il était marié à Jiang, Zhu Ying, apparemment émis par le gouvernement du peuple de la banlieue de la ville de Fuzhou.


- Un certificat faisant état d'une opération de planification familiale, mentionnant la stérilisation par ligature des trompes de Jiang, Zhu Ying, délivré le 15 mai 1998 à titre de certificat d'une opération de planification familiale de la ville de Fuzhou.

- Des dossiers médicaux concernant Jiang, Zhu Ying mentionnant des traitements fournis les 15 mai 1998, 22 mai 1998, 24 juin 1998, 16 février 1999 et 30 mai 1999, ainsi que les 11 et 28 février 2000, à l'hôpital Lang Qi de la ville de Fuzhou.

Questions en litige

[12]            L'avocate du demandeur soutient que la SSR a commis une erreur parce qu'elle n'a pas tenu compte d'éléments de preuve qui touchent l'élément central de la revendication du demandeur. Elle soutient également que le tribunal a commis une erreur en fondant sa décision principalement sur les éléments de preuve contenus dans les notes prises au point d'entrée et en écartant les éléments contenus dans le FRP du demandeur et dans son témoignage.

Analyse

[13]            J'estime que le tribunal a commis une erreur lorsqu'il a mis en doute l'état matrimonial du demandeur et rejeté son argument selon lequel sa femme avait été maltraitée, sans avoir mentionné, ou du moins évalué, les éléments de preuve du défendeur concernant son mariage ni les dossiers médicaux de sa femme indiquant qu'elle aurait subi des traitements après sa stérilisation. La SSR semble ainsi avoir écarté des éléments qui appuyaient les aspects essentiels de la revendication du demandeur. (Voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.)

[14]            Les principaux facteurs sur lesquels s'est fondée la SSR sont les contradictions existant entre les notes prises au point d'entrée du moins en partie par le demandeur et ses déclarations ressortant de son FRP et de son témoignage. En particulier, le fait que le premier de ces documents ne mentionne aucunement la crainte exprimée par la suite du demandeur d'être persécuté en Chine pour avoir dénoncé la politique de planification familiale, telle qu'elle a été appliquée à sa femme, semble s'être vu attribuer une importance particulière par le tribunal. Celui-ci a toutefois écarté les éléments concernant son mariage et la stérilisation de sa femme. Il n'a aucunement mentionné ces éléments de preuve et clairement mis en doute le fait qu'il était marié et avait trois enfants; il a conclu qu'il n'y avait pas lieu de croire la relation qu'il avait faite de ses déclarations dans lesquelles il dénonçait les pratiques officielles en matière de planification familiale, telles qu'elles avaient été appliquées à sa femme.

[15]            J'estime que le fait que le tribunal de la SSR ait émis des doutes au sujet de l'état matrimonial du demandeur et qu'il ait refusé de croire que sa femme avait été mal traitée par les autorités de planification familiale montre qu'il n'a tenu aucun compte des documents qui appuyaient ces éléments essentiels de sa revendication.

[16]            En résumé, la décision de la SSR selon laquelle les preuves apportées par le demandeur n'étaient pas crédibles ou dignes de foi est manifestement déraisonnable. C'est une décision qui, selon les termes de l'art. 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7 et ses modifications, peut être qualifiée de décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments dont le tribunal disposait.


Conclusion

[17]            Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner la deuxième question soulevée par le demandeur, à savoir si la SSR a accordé trop d'importance aux notes prises au point d'entrée, et écarté à tort les éléments contenus dans son FRP et son témoignage.

[18]            Dans les circonstances, il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire. Une ordonnance en ce sens sera délivrée. Aucune question n'a été proposée en vue d'être certifiée conformément au par. 83(1) et aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                               « W. Andrew MacKay »          

                                                                                                                                                               JUGE                     

OTTAWA (Ontario)

le 16 octobre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-2802-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             An He c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 16 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :                        Le 16 octobre 2001

ONT COMPARU

Vania Campana                                                    POUR LE DEMANDEUR

Negar Hashemi                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lewis & Associates                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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