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Date : 19990714

Dossier : T-2306-98

ENTRE :

                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                       L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                 appelant,

                                                                    - et -

                                                                       

                                                UNE AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la                                                                    citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29                                     

                                                ET un appel formé contre la décision d'un juge de la                                                          citoyenneté,

                                                ET GUILLERMO WU CHANG,

                                                                                                                                     intimé.

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE TEITELBAUM

[1]         Il s'agit d'un appel en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté (ci-après la Loi) par le ministre de Citoyenneté et de l'Immigration à l'encontre d'une décision rendue par le juge de la citoyenneté Van Roggen en date du 28 octobre 1998 dans laquelle cette dernière a accueilli la demande de citoyenneté de l'intimé Guillermo Wu Chang en se fondant sur le paragraphe 5(1) de la Loi.


[2]         Au soutien de sa demande, le ministre déclare :

[TRADUCTION] Que le juge de la citoyenneté VAN ROGGEN a omis de tenir compte des critères de résidence énoncés à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, qui exige qu'un demandeur de la citoyenneté ait accumulé au moins trois (3) années de résidence au Canada dans les quatre (4) années précédant immédiatement la date de sa demande de citoyenneté.

[3]         Au terme de l'audience, j'ai immédiatement informé les parties que j'allais accueillir l'appel et annuler la décision datée du 28 octobre 1998.

[4]         Le 1er janvier 1994, l'intimé, de même que son épouse et ses deux enfants, a obtenu le statut de résident permanent au Canada. Il a été admissible pour immigrer au Canada à titre d'investisseur dans le cadre du programme d'immigration des gens d'affaires. On m'a informé qu'à l'époque, il lui fallait investir au moins 400 000 $ au Canada pour être admissible au programme d'immigration des gens d'affaires.

[5]         Ceci démontre qu'une telle personne doit posséder ce que j'appellerai une somme d'argent très considérable. J'estime que les faits de la présente affaire le démontrent.

[6]         Le dernier pays qui a servi de résidence permanente à l'intimé et à sa famille est Hong Kong.

[7]         Cinq jours après son arrivée au Canada, l'intimé a quitté le pays et s'est rendu à Hong Kong.

[8]         Comme l'appelant l'a affirmé au paragraphe 4 de son Exposé des faits et du droit, [TRADUCTION] « Ce voyage était le premier des dix-sept voyages effectués à Hong Kong par l'intimé entre la date de son arrivée au Canada à titre de résident permanent et la date de sa demande de citoyenneté canadienne, soit le 30 septembre 1997 » .

[9]         Comme je l'ai mentionné, l'intimé a obtenu le statut de résident permanent et est venu une première fois au Canada le 1er janvier 1994 avec son épouse et ses deux enfants. Les deux enfants de l'intimé sont partis pour Hong Kong avant l'intimé : ils ont quitté le pays pour Hong Kong le 4 janvier 1994.

[10]       En ce qui concerne la liste des absences de l'intimé du Canada, je renverrai à sa demande de citoyenneté datée du 30 septembre 1997. L'intimé y affirme qu'il a été absent du Canada du 1er janvier 1994 au 30 août 1997, soit pour une durée totale de 1051 jours. Il invoque des [TRADUCTION] « motifs d'ordre commercial et familial » pour justifier ces absences.

[11]       Lorsque les deux enfants ont quitté la première fois le Canada le 4 janvier 1994, ils sont restés à l'étranger pendant 565 jours, pour ne revenir au pays que le 23 juillet 1995. Ils n'ont pas mis les pieds au Canada pendant un an et demi.

[12]       Le 30 septembre 1997, l'intimé a présenté une demande de citoyenneté canadienne malgré le fait qu'il lui manquait 778 jours pour atteindre le critère minimum de trois années de résidence au Canada dans les quatre années précédant immédiatement la date de sa demande de citoyenneté, conformément à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[13]       Le 28 octobre 1998, le juge de la citoyenneté Van Roggen a accueilli la demande de citoyenneté présentée par l'intimé.

[14]       L'intimé a vu le Canada pour la première fois dans les années 50, lorsque ses parents l'y ont emmené en visite. Dans les années 80, il a eu un appartement à Toronto pendant plus de 10 ans. Je n'ai reçu aucune preuve démontrant qu'il a déjà occupé cet appartement.

[15]       En mai 1993, l'intimé a constitué en société une entreprise en Colombie-Britannique, Rockreef Investment Limited, dont lui et son épouse sont actionnaires.

[16]       Au paragraphe 3(b) et 3(c) de son Exposé des faits et du droit, l'intimé affirme :

[TRADUCTION]

b)Depuis le début jusqu'au milieu des années 70, l'intimé et son épouse ont gardé contact avec des amis et des associés au Canada, et ont visité le pays à la fois lors de voyages d'affaires et de vacances en famille. L'intimé est actionnaire de Rockreef Investment Limited (ci-après Rockreef), une entreprise de la Colombie-Britannique constituée en société en mai 1993. Rockreef a fait l'acquisition d'un bien immeuble de nature commerciale au 7960-7966, rue Granville, à Vancouver (Colombie-Britannique), au coût de 376 716 $. L'intimé a l'intention d'aménager ce site en vue d'y implanter un restaurant chinois de prêt-à-manger sous l'appellation commerciale de Super Bowl, lequel restaurant s'inspirera des restaurants similaires situés à Hong Kong. L'objectif est de développer ce concept en une chaîne de restaurants principalement situés dans l'ouest du Canada. En octobre 1995, Rockreef a fait l'acquisition d'un bien immeuble de nature commerciale situé à Langley (Colombie-Britannique) au coût de 1 215 000 $. Ce bien fait actuellement l'objet d'une location à Roger's Entertainment, mais il est prévu de l'aménager plus tard. Rockreef prévoit investir dans l'ouest du Canada et recherche présentement des investisseurs de l'étranger à cet égard. Rockreef a embauché l'intimé et lui a confié la responsabilité de développer et de financer la chaîne de restaurants Super Bowl, ainsi que d'obtenir du financement en vue de l'acquisition de biens immobiliers. L'intimé a par conséquent signé un contrat de services avec Rockreef en juin 1994.

c)De mars 1993 à mai 1996, l'intimé et sa famille ont maintenu une résidence dans un appartement, au 1415, rue W. Georgia, app. 1803, à Vancouver (Colombie-Britannique), qui a été acheté par l'intimé en octobre 1992 pour la somme de 373 000 $. Après que les rénovations eurent été terminées en mai 1996, l'intimé et sa famille ont déménagé dans leur résidence principale actuelle au 1282, 45e Avenue ouest, à Vancouver (Colombie-Britannique), qui a été achetée le 4 janvier 1994 au coût de 780 000 $. L'intimé paie des impôts sur le revenu au Canada depuis l'année d'imposition 1994.

c)          Il est intéressant de noter que l'intimé a affirmé au paragraphe 3(b) que son entreprise avait l'intention d'aménager le bien immeuble situé au 7960-7966, rue Granville, à Vancouver (C.-B.). Le bien en question a été acheté en mai 1993. Je n'ai reçu aucune preuve démontrant que des travaux d'aménagement y ont eu lieu.         

d)          L'intimé affirme que lui et sa famille ont maintenu une résidence dans un appartement, au 1415, rue Georgia ouest, app. 1803, à Vancouver (C.-B.), acheté par l'intimé en octobre 1992 au coût de 373 000 $.

e)          Si l'intimé et sa famille sont arrivés au Canada à titre de résidents permanents le 1er janvier 1994, il est évident qu'ils n'ont jamais habité l'appartement avant cette date.

f)           L'intimé a fait l'acquisition d'un bien immeuble au 1282, 45e Avenue ouest, le 4 janvier 1994 au coût de 780 000 $, mais sa famille n'y a emménagé qu'en mai 1996.

g)          Il est manifeste de ce qui précède que l'intimé n'était présent que très rarement au Canada. Quoi qu'il en soit, comme je l'ai déjà indiqué, le juge de la citoyenneté a accordé la citoyenneté à l'intimé le 28 octobre 1998.

h)          Je crois qu'il est important de reproduire la décision du juge de la citoyenneté Van Roggen :

[TRADUCTION] Les demandeurs sont demeurés au Canada pendant 317 jours, et il leur manque 778 jours pour satisfaire à l'exigence minimale de résidence.

Vu des circonstances familiales qui ne dépendaient pas d'eux - le décès de deux frères à Hong Kong - les demandeurs ont dû se rendre fréquemment à Hong Kong pour offrir réconfort aux veuves et à la mère en deuil. Cette dernière se présentera à une entrevue le 12 mai 1999, prévue pour son immigration au Canada grâce au parrainage de ses fils.

M. Guillermo est un promoteur immobilier. Il participe activement à la vie de sa collectivité. Il est propriétaire de sa propre maison, de même que de deux autres appartements en location - l'un à Vancouver et l'autre dans l'est du Canada. Il travaille pour une entreprise canadienne, soit Rockreef Investment Ltd. Le demandeur a payé des impôts sur le revenu depuis 1993. Les deux demandeurs parlent couramment l'anglais, ayant étudié aux États-Unis, et Sophia Wong a fréquenté l'Université de l'Alberta pendant six ans avant son mariage.

La famille est de religion catholique, ayant habité au Pérou avant de s'installer à Hong Kong.

Les documents qui ont été examinés comprenaient notamment les documents relatifs au compte bancaire, à la carte d'assurance-santé, aux dons de bienfaisance et à l'impôt sur le revenu. Sur la base de l'arrêt Thurlow, j'estime que les demandeurs ont centralisé leur mode de vie au Canada. Les enfants fréquentent des écoles au Canada, la mère a fait une demande pour vivre au Canada - au cours de l'entrevue, leur intention était clairement de travailler et de vivre au Canada.

J'accueille leur demande de citoyenneté.

i)           Il est important de souligner l'un des facteurs dont le juge de la citoyenneté a cru devoir tenir compte lors de l'attribution de la citoyenneté. Elle a dit : « La famille est de religion catholique, ayant habité au Pérou avant de s'installer à Hong Kong » . Je suis convaincu qu'il s'agit là d'une erreur de droit. Je suis convaincu que la religion que pratique un individu n'est pas un facteur pertinent aux fins de l'attribution de la citoyenneté. Je suis d'avis que la Loi sur la citoyenneté ne fait aucune mention de la religion comme étant un facteur dont il faut tenir compte.

j)           En fait, je suis persuadé que tenir compte de la religion comme facteur d'attribution de la citoyenneté contreviendrait à la Charte canadienne des droits et libertés. Je m'explique mal la raison pour laquelle le juge de la citoyenneté Van Roggen a considéré la religion de l'intimé comme un facteur pertinent aux fins de l'attribution de sa citoyenneté canadienne.

k)          Je n'ai pas l'intention de passer en revue toute la jurisprudence qui m'a été présentée par les deux avocats. Je sais que les juges de la Cour ont différents points de vue quant à au sens à donner au terme « résidence » énoncé à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

l)           Dans l'affaire James Lo (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 213, à la page 216, j'ai dit :

Dans Re Pourghasemi, T-80-92, décision non publiée, M. le juge Muldoon a évoqué le but de l'alinéa 5(1)c) à l'égard d'un appelant qui avait accumulé seulement 357 jours de résidence au Canada au lieu des 1 095 jours requis, en ces termes, pages 1 et 2 :

En entreprenant une interprétation téléologique du texte de loi, on doit se demander pourquoi le législateur prescrit au moins trois ans de résidence au Canada durant les quatre années qui précèdent la date de la demande de citoyenneté.


Il est évident que l'alinéa 5(1)c) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de 'se canadianiser'. Il le fait en côtoyant les Canadiens au centre de commerce, au magasin d'alimentation du coin, à la bibliothèque, à la salle de concert, au garage de réparation d'automobiles, dans les buvettes, les cabarets, dans l'ascenseur, à l'église, à la synagogue, à la mosquée ou au temple - en un mot là où l'on peut rencontrer des Canadiens et parler avec eux - durant les trois années requises. Pendant cette période, le candidat peut observer la société canadienne telle qu'elle est, avec ses vertus, ses défauts, ses valeurs, ses dangers et ses libertés.    S'il lui manque cette expérience formatrice, cela signifierait que la citoyenneté canadienne peut être accordée à quelqu'un qui est encore un étranger pour ce qui est de son vécu, de son degré d'adaptation sociale, et souvent de sa pensée et de sa conception des choses. Si le critère s'applique à l'égard de certains candidats à la citoyenneté, il doit s'appliquer à l'égard de tous. Et c'est ainsi qu'il a été appliqué par Mme le juge Reed dans Re Koo, T-20-92, 3 décembre 1992, encore que les faits de la cause ne fussent pas les mêmes.

Je partage cette vue du juge Muldoon.

m)         Je ne vois aucune raison d'adopter un point de vue autre que celui que j'avais adopté dans l'affaire Lo. Les faits dont je dispose indiquent clairement que l'intimé n'a fait aucun effort pour tenter de devenir un « Canadien » . Il n'était pratiquement jamais au Canada au cours des 365 premiers jours de son arrivée au pays, pas plus que son épouse ou ses enfants.

n)          Comment peut-on établir une résidence au Canada sans y être?

o)          Je l'ai déjà dit et je le répète, la citoyenneté canadienne n'est pas un produit de consommation. Le fait qu'un individu puisse avoir les fonds nécessaires pour faire l'acquisition de biens immeubles au Canada ou pour venir au Canada en vertu du programme d'immigration des gens d'affaires ne signifie pas qu'il peut acheter sa citoyenneté, ni qu'il devrait pouvoir le faire. Selon les Nations unies, le Canada est premier au monde pour la qualité de la vie. C'est un privilège que d'être Canadien.


p)          Sur l'ensemble des faits en l'espèce, l'intimé n'a fait d'autre chose au Canada que d'investir dans l'immobilier. Il n'est pas demeuré au Canada assez longtemps pour prendre part aux activités de sa collectivité.

q)          Je suis convaincu que le juge de la citoyenneté Van Roggen a commis une erreur de droit et que sa décision a été prise sans égard à la preuve dont elle disposait.

r)           La décision du juge de la citoyenneté est par conséquent annulée.

                                                                                    (Signé) « Max M. Teitelbaum »

                                                                                                Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 14 juillet 1999

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 13 juillet 1999

No DU GREFFE :                                           T-2306-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Re Guillermo Wu Chang

LIEU DE L'AUDIENCE :Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM

en date du 14 juillet 1999

ONT COMPARU :

            Pauline Anthoine                                 pour l'appelant

            Baerbel Langner                                 pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

            Morris Rosenbergpour l'appelant

            Sous-procureur général

            du Canada

            Zaifman Associatespour l'intimé

Winnipeg (Manitoba)

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