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Date : 19990226


IMM-2001-98

E n t r e :

     YONGZHONG CHEN,

     demandeur,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 23 mars 1998 par laquelle l'agent des visas Claire Wittenberg, du consulat général du Canada à Buffalo (New York), aux États-Unis d'Amérique, a refusé la demande de résidence permanente au Canada du demandeur.

LES FAITS

[2]      Le demandeur a demandé d'être évalué en fonction de la profession de directeur des cuisines, faisant allusion au code 6121-112 de la Classification canadienne descriptive des professions (la CCDP). Le consulat général du Canada à Buffalo a toutefois reçu sa demande le 6 mai 1997.

[3]      Le demandeur a donc été évalué en fonction de la Classification nationale des professions (CNP), qui s'applique à l'évaluation de toutes les demandes reçues à partir du 1er mai 1997. Le demandeur a été évalué selon le code 6241.3, le code de la profession équivalente de directeur des cuisines et de chefs de spécialités.

[4]      Dans une lettre que l'agent des visas lui a adressée le 23 mars 1998, le demandeur a été informé que sa demande de résidence permanente au Canada était refusée.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DU DEMANDEUR

[5]      Le demandeur affirme que l'agent des visas a outrepassé sa compétence étant donné qu'elle devait rendre sa décision dans un délai de douze semaines et qu'elle ne l'a rendue qu'au bout de huit mois, perdant ainsi juridiction.

[6]      Le demandeur soutient que l'agent des visas a commis une erreur étant donné qu'elle n'a pas évalué le demandeur en fonction des critères de la CCDP, étant donné que sa demande avait été déposée avant le 1er mai 1997.

[7]      Le demandeur fait valoir qu'il devrait avoir le droit d'obtenir treize points d'appréciation sous la rubrique des études.

[8]      Le demandeur soutient par ailleurs que l'agent des visas a sciemment contrevenu au principe posé dans l'arrêt Muliadi et qu'elle a également délégué irrégulièrement à l'ordinateur son obligation d'évaluer le FEFP (facteur des études et de la formation professionnelle).

[9]      Le demandeur affirme aussi que l'agent des visas a sous-évalué le FEFP et son " expérience ", et qu'il aurait dû recueillir 15 points pour le facteur des études et de la formation professionnelle et six points pour l'expérience.

[10]      Le demandeur affirme finalement que l'agent des visas n'a pas tenu compte de toutes les dispositions applicables de la Loi et de ses règlements d'application, étant donné qu'elle n'a pas tenu compte du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DU DEFENDEUR

[11]      Le défendeur soutient pour sa part que l'agent des visas était compétente pour rendre sa décision et que personne n'a jamais promis au demandeur que sa demande serait examinée dans un délai précis de douze semaines.

[12]      Il n'y a pas le moindre élément de preuve à cet égard.

[13]      Le défendeur affirme que la demande présentée par le demandeur n'a été reçue au consulat de Buffalo que le 6 mai 1997, ainsi qu'en fait foi le cachet apposé sur la demande.

[14]      Le défendeur soutient que l'agent des visas a attribué au demandeur dix points au chapitre des études. Pour pouvoir obtenir treize points, le demandeur devait démontrer qu'il était titulaire d'un diplôme ou d'un certificat d'apprentissage, ce qui exigeait : a) au moins une année d'études à temps plein dans un établissement post-secondaire ; b) que le demandeur possède un certificat d'études secondaires lui permettant de s'inscrire à l'université.

[15]      Le défendeur ajoute que l'agent des visas a évalué le niveau d'études du demandeur et a conclu que celui-ci devait fournir des éléments de preuve démontrant que l'école générale de cuisine de Fuzhou exigeait, comme condition d'admission, que les candidats soient titulaires d'un diplôme d'études secondaires leur permettant de s'inscrire à l'université en Chine. Or, cette preuve n'a pas été fournie.

[16]      Le défendeur soutient que l'agent des visas n'a aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne le nombre de points attribués pour le FEFP. Le nombre de points à attribuer dépend de la profession examinée. La CNP précise le degré de scolarité exigé pour une profession déterminée et le FEFP reprend cette condition, de sorte que l'agent des visas n'a pas le pouvoir discrétionnaire de modifier ce chiffre.

[17]      En l'espèce, l'agent des visas a précisé que l'ordinateur lui fournit automatiquement le FEFP qui correspond à la profession qui est tapée à l'écran. L'agent s'assure que ce chiffre correspond bien à celui qui figure dans la CNP. Dans le cas qui nous occupe, l'agent des visas ne craignait pas que l'ordinateur ne lui ait pas donné le bon chiffre.

[18]      Le défendeur soutient que rien dans la demande ne permet de penser que le demandeur voulait que l'agent des visas exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration.

[19]      En outre, dans son examen de cette question, l'agent des visas n'a constaté l'existence d'aucun élément de preuve qui l'aurait justifiée d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur.

ANALYSE

[20]      Les tribunaux ont défini la norme de contrôle qui s'applique aux décisions des agents des visas. Dans l'arrêt Chiu Chee To c. M.E.I.1, la Cour d'appel fédérale a statué que la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires des agents des visas en ce qui concerne les demandes présentées par des immigrants est la même que celle qui a été établie dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada et al.2, aux pages 7 et 8, où le juge MacIntyre a déclaré :

             C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé.             
             Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.             

[21]      Le demandeur fait allusion au délai de douze mois qui est habituellement fixé par le centre régional de programmes et affirme que le centre a perdu sa compétence en raison de son omission d'agir dans le délai imparti. Le demandeur n'a cependant présenté aucun élément de preuve au sujet d'un avis de délai qui aurait été donné. Cet argument est donc mal fondé.

[22]      La date limite pour l'application des critères de la CCDP est le 1er mai 1997. Le demandeur invoque un mandat daté du 25 avril 1997, ainsi qu'une lettre d'accompagnement portant la date du 28 avril 1997 pour démontrer que la demande a été déposée avant le 1er mai 1997.

[23]      Ces documents ne constituent cependant pas des indices quant au moment du dépôt de la demande. Le demandeur fait valoir que la demande a été envoyée par Federal Express, mais aucun accusé de réception n'a été déposé en preuve.

[24]      Il ressort de la preuve que la demande du demandeur a été reçue le 6 mai 1997 (dossier du tribunal, aux pages 4 et 58). Faute d'autres éléments de preuve de la part du demandeur, la Cour est forcée de donner gain de cause au défendeur, car la charge de la preuve repose sur le demandeur.

[25]      L'agent des visas a donc eu raison d'appliquer les critères de la CNP qui sont entrés en vigueur le 1er mai 1997.

[26]      En ce qui concerne la question de l'évaluation des études, voici ce que l'agent des visas a déclaré dans son affidavit :

             [TRADUCTION             
             Le demandeur n'a pas déclaré " et n'a présenté aucun document pour indiquer " que l'école générale de cuisine de Fuzhou exigeait comme condition d'admission que le candidat possède un diplôme d'études secondaires lui permettant d'être admis à l'université en Chine. Suivant la demande et les autres documents qu'il a produits, le demandeur ne possédait pas de diplôme universitaire. D'où le nombre de points d'appréciation que j'ai attribués au demandeur pour le facteur des études3.             

[27]      Le demandeur affirme que, compte tenu du fait que l'agent des visas a refusé de lui faire part de ses réserves, on ne peut guère reprocher au demandeur de ne pas y avoir réagi.

[28]      Dans le jugement Lam c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4, le juge Rothstein déclare :

             [...] il n'[...] incombe nullement [à l'agent des visas] de pousser ses investigations plus loin si la demande est ambiguë. C'est au demandeur qu'il incombe de déposer une demande claire avec à l'appui les pièces qu'il juge indiquées.             

[29]      Dans le jugement Hajariwala c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)5, la Cour a fait remarquer que les personnes qui cherchent à obtenir le droit d'établissement au Canada doivent convaincre l'agent d'immigration qu'elles répondent aux normes de sélection fixées dans le Règlement :

             Il incombe donc clairement au requérant de présenter toutes les données pertinentes pouvant être utiles à sa demande.             

En conséquence, compte tenu des éléments de preuve portés à sa connaissance, l'agent des visas n'a pas commis d'erreur dans son analyse du niveau de scolarité du demandeur.

[30]      En ce qui concerne le manquement aux principes de justice naturelle que l'agent des visas aurait commis en procédant à son évaluation, j'estime que l'agent des visas a respecté les exigences du Règlement et qu'elle s'est fondée sur la demande et les documents qui lui avaient été soumis. L'agent des visas qui examine une demande de cette manière agit de toute évidence dans les limites du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 22.1 du Règlement. L'agent des visas n'a donc pas contrevenu au principe posé dans l'arrêt Muliadi, contrairement à ce que prétend le demandeur.

[31]      En ce qui concerne la question de la délégation irrégulière de l'appréciation du facteur des études et de la formation, comme l'agent des visas ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne ce critère, étant donné que celui-ci se rapporte à une profession déterminée qui correspond à un facteur précis en ce qui concerne les études et la formation professionnelle, il ne peut y avoir de délégation irrégulière.

[32]      Plus précisément, je ne crois pas qu'on puisse même parler légitimement de délégation, étant donné que l'agent des visas est celui qui est aux commandes de l'ordinateur et qui entre les données et peut contrôler les résultats. Cet argument est par conséquent mal fondé.

[33]      Compte tenu de ma conclusion que l'agent des visas n'a pas commis d'erreur dans son appréciation du facteur des études et de la formation professionnelle, laquelle appréciation a un effet corrélatif sur le facteur de l'expérience, l'appréciation que l'agent des visas a faite du facteur de l'expérience est également correcte.

[34]      Je conviens avec le défendeur qu'au vu du dossier soumis à l'agent des visas, il n'y avait ni demande ni motif justifiant l'agent des visas d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978 pour examiner la demande du demandeur en tenant compte de raisons d'ordre humanitaires.

[35]      Les mots " l'agent des visas peut " et " s'il est d'avis " que l'on trouve au paragraphe 11(3) du Règlement montrent bien que l'agent des visas est investi d'un large pouvoir discrétionnaire dont l'exercice relève de son appréciation souveraine.

[36]      Dans l'arrêt Williams c. Canada6, la Cour déclare :

             [...] il incombe à la personne qui conteste une décision discrétionnaire de prouver que cette décision est illégale. Cette preuve peut être facile à faire dans certains cas s'il s'agit d'une décision qui est manifestement absurde, qui est manifestement illégale parce qu'elle se rapporte à des questions qui ne ressortissent pas à la compétence du décideur, ou qui n'est explicable qu'en présumant la mauvaise foi. En l'absence de tels facteurs, c'est à la personne qui demande un contrôle judiciaire qu'il appartient de soumettre des éléments de preuve ou d'invoquer des moyens expliquant pourquoi la décision est illégale.             

DISPOSITIF

[37]      Comme l'agent des visas n'a commis à mon avis aucune erreur donnant ouverture à un contrôle judiciaire, la présente demande est rejetée.

[38]      Les parties auront sept jours, à compter du prononcé de la présente décision, pour suggérer toute question grave de portée générale.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 26 février 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-2001-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          YONGZHONG CHEN
                         c.
                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 11 février 1999

MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Blais

                         en date du 26 février 1999

ONT COMPARU :

Me Timothy E. Leahy                          pour le demandeur
Me Sally Thomas                              pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Timothy E. Leary                          pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg                          pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      C.A.F., 22 mai 1996, A-172-93.

2      [1982] 2 R.C.S. 2.

3      Dossier du défendeur, à la page 3.

4      [1998] F.C.J. No. 1239.

5      [1989] 2 C.F. 79 (C.F. 1re inst.).

6      (1997) 212 N.R. 63.

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