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Date : 20051109

Dossier : T-2165-04

Référence : 2005 CF 1531

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

demandeur

et

LIBERO DE TOMMASO

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Le ministre du Développement des ressources humaines (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 22 octobre 2004 par un membre de la Commission d'appel des pensions désigné conformément au paragraphe 83(2.1) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, et modifications (le Régime). Par cette décision, la Commission donnait à M. de Tommaso (le défendeur) l'autorisation de faire appel d'une décision d'un tribunal de révision, et cela environ sept ans après l'expiration du délai d'appel.

LES FAITS

[2]                Le demandeur est chargé, selon le Régime, de l'administration des retraites et des prestations supplémentaires. L'un des objets du Régime est de verser une pension d'invalidité aux personnes qui y ont droit.

[3]                Le défendeur s'est blessé au travail le 11 mars 1994. Il a demandé une pension d'invalidité, en vertu du Régime, en présentant une demande en ce sens le 14 septembre 1994 ou vers cette date. Cette demande a été rejetée par lettre datée du 26 février 1996. Dans cette lettre, le défendeur était informé que les prestations d'invalidité lui étaient refusées parce qu'il ne remplissait pas les conditions du Régime. Il était également informé qu'il pouvait faire appel de cette décision.

[4]                Le défendeur s'est prévalu de la possibilité de faire appel du rejet initial de sa demande. Une audience a eu lieu le 18 novembre 1996 devant le tribunal de révision. Dans ses motifs, communiqués le 17 février 1997, le tribunal de révision rejetait l'appel, dans les termes suivants :

[traduction] Le tribunal a estimé que l'appelant n'avait pas produit une preuve médicale suffisante, objective et fiable propre à démontrer que son invalidité était « grave et prolongée » selon ce que prévoit le Régime de pensions du Canada.

[5]                Le défendeur a reçu, par lettre datée du 17 février 1997, communication de la décision défavorable du tribunal de révision. Le défendeur était aussi informé qu'il pouvait demander l'autorisation d'en appeler. La lettre renferme notamment ce qui suit :

[traduction]

Vous trouverez ci-joint la décision rendue dans l'appel que vous avez formé devant le tribunal de révision contre la décision du ministre de l'Emploi et de l'Immigration datée du 26 février 1996.

À la suite de l'audience tenue à North York (Ontario) le 18 novembre 1996, le tribunal de révision a rejeté votre appel. Sa décision motivée est annexée.

Une partie à cet appel qui s'estime lésée par la décision du tribunal de révision peut, dans un délai de quatre-vingt-dix jours après qu'elle a reçu communication de cette décision, ou à l'intérieur du délai plus long que peut autoriser le président ou le vice-président de la Commission d'appel des pensions avant ou après l'expiration de ce délai de quatre-vingt-dix jours, demander par écrit au président ou au vice-président l'autorisation de faire appel de cette décision à la Commission d'appel des pensions. Une demande d'autorisation d'appel doit être présentée par écrit à :

Le registraire

Commission d'appel des pensions

C.P. 8567

Terminus postal

Ottawa (Ontario)

K1G 3H9

Vous trouverez ci-joint, pour votre information, un exemplaire des Règles de procédure de la Commission d'appel des pensions. Nous attirons votre attention en particulier sur l'article 4.

[6]                Le défendeur n'a rien fait jusqu'à l'été de 2004. Par lettre datée du 22 juillet 2004, Mme Maria Priolo, du cabinet Calcagno Consultants, écrivait ce qui suit au registraire en chef de la Commission d'appel des pensions :

[traduction]

Nous vous écrivons au nom du client susmentionné pour demander l'autorisation de déposer une demande tardive d'autorisation d'appel contre la décision du tribunal de révision datée du 18 février 1997.

La raison de ce retard est que l'ancien représentant de M. DeTommaso a fermé ses bureaux. M. DeTommaso ne savait plus à qui s'adresser, puis son état dépressif s'est ensuite détérioré au point qu'il n'a pu gérer ses affaires.

Nous vous saurions gré de bien vouloir examiner notre demande et de nous autoriser à déposer une demande tardive d'autorisation d'appel contre la décision du tribunal de révision datée du 18 février 2003.

Si vous souhaitez discuter davantage de la question, n'hésitez pas à communiquer avec nos bureaux.

Nous vous remercions de votre attention.

[7]                Le 20 septembre 2004, Mme Priolo envoyait une autre lettre, qui renfermait d'autres détails concernant la volonté du défendeur de faire appel et son état physique actuel. La lettre est ainsi rédigée :

[traduction]

Nous vous écrivons au nom du client ci-dessus à propos du rejet, par le tribunal de révision, de sa demande de pension d'invalidité selon le Régime de pensions du Canada, à la suite de l'audience tenue devant le tribunal le 18 novembre 1996 à Toronto (Ontario).

Mon client et moi-même protestons contre la décision du tribunal de révision datée du 18 février 1997. D'après nous, la preuve médicale objective versée dans le dossier est plus que suffisante pour confirmer que M. DeTommaso est invalide depuis décembre 1998.

Nous croyons que le tribunal de révision n'a pas bien étudié les documents médicaux versés dans le dossier. Les documents versés dans le dossier et les rapports médicaux concernant l'état de M. DeTommaso renferment des conclusions solides, objectives et fiables qui appuient sa demande de prestations d'invalidité au titre du RPC.

Dans son rapport du 5 mars 2004, le Dr Ratnanather décrit l'état de M. DeTommaso en 1998. Le Dr Ratnanather explique que son GAF [traduction] « ne dépasse pas 40 p. 100... et que son manque de concentration et son faible champ d'attention, résultat de l'inquiétude où il se trouve en raison de ses symptômes physiques, constitueraient un danger pour lui-même et pour les autres dans un milieu de travail » . Ce rapport suffit en soi à prouver la gravité de l'état mental de M. DeTommaso.

En ce qui concerne son état physique, M. DeTommaso a eu nombre de difficultés. Vous trouverez ci-joint les rapports médicaux suivants :

-           Échographie des deux épaules    rapport daté du 22 novembre 2001

-           IRM de la colonne cervicale        rapport daté du 27 juillet 2002

-           Dr Schacter                                     rapport daté du 2 octobre 2002

-           Dr Prutis                                          rapport daté du 20 février 2003

-           Dr Prutis                                          rapport daté du 29 mai 2003

-           Dr Prutis                                          rapport daté du 18 mars 2004

Ces rapports médicaux additionnels confirment le droit de M. DeTommaso à des prestations d'invalidité.

Veuillez considérer cette lettre comme notre demande d'autorisation de faire appel. D'autres rapports médicaux seront produits dès qu'ils seront disponibles.

Si vous souhaitez discuter davantage de la question, prière de communiquer avec moi.

[8]                En fin de compte, la demande de prorogation du délai d'appel de la décision du tribunal de révision a été présentée à un membre de la Commission d'appel des pensions. Le demandeur n'a pas été informé de la demande du défendeur et il n'a pas eu l'occasion de présenter des arguments. Par lettre datée du 29 octobre 2004, le défendeur fut informé que le délai de présentation d'une demande d'autorisation de faire appel avait été prorogé et que l'autorisation de faire appel avait été accordée. La lettre renferme en partie ce qui suit :

[traduction] Suite à notre lettre du 29 septembre, la présente vous informe qu'un membre de la Commission a examiné votre demande d'autorisation de faire appel et, conformément à l'article 5 des Règles de procédure, le délai d'appel a été prorogé jusqu'au 22 octobre 2004 et, le même jour, le membre de la Commission vous a accordé l'autorisation de faire appel. Vous avez d'ores et déjà fait appel de la décision du tribunal de révision. Un exemplaire de l'avis d'appel est envoyé au ministre du Développement social. Lorsque la Commission aura reçu la réponse du ministre, vous en recevrez un exemplaire.

[9]                Cette lettre fut aussi envoyée au demandeur. La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée par le demandeur le 30 novembre 2004 ou vers cette date. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision du membre désigné et renvoyant à un autre membre la demande du défendeur en prorogation du délai d'appel et en autorisation de faire appel.

EXAMEN ET DISPOSITIF

[10]            Le droit de faire appel d'une décision du tribunal de révision est régi par l'article 83 du Régime. Le paragraphe 83(1), qui est la disposition applicable, prévoit ce qui suit :

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l'article 82 - autre qu'une décision portant sur l'appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse - ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu'autorise le président ou le vice-président de la Commission d'appel des pensions avant ou après l'expiration de ces quatre-vingt-dix jours, une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission d'appel des pensions, afin d'obtenir la permission d'interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice-Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.

[11]            Les Règles de procédure de la Commission d'appel des pensions (prestations), C.R.C. 1978, ch. 390, et modifications, sont également applicables. Les articles 4, 5 et 7 de ces Règles sont ainsi formulés :

4. L'appel de la décision d'un tribunal de révision est interjeté par la signification au président ou au vice-président d'une demande d'autorisation d'interjeter appel, conforme en substance à l'annexe I, qui indique :

4. An appeal from a decision of a Review Tribunal shall be commenced by serving on the Chairman or Vice-Chairman an application for leave to appeal, which shall be substantially in the form set out in Schedule I and shall contain

a) la date de la décision du tribunal de révision, le nom de l'endroit où cette décision a été rendue et la date à laquelle la décision a été transmise à l'appelant;

(a) the date of the decision of the Review Tribunal, the name of the place at which the decision was rendered and the date on which the decision was communicated to the appellant;

b) les nom et prénoms ainsi que l'adresse postale complète de l'appelant;

(b) the full name and postal address of the appellant;

c) le cas échéant, le nom et l'adresse postale complète d'un mandataire ou d'un représentant auquel des documents peuvent être signifiés;

(c) the name of an agent or representative, if any, on whom service of documents may be made, and his full postal address;

d) les motifs invoqués pour obtenir l'autorisation d'interjeter appel; et

(d) the grounds upon which the appellant relies to obtain leave to appeal; and

e) un exposé des faits allégués, y compris tout renvoi aux dispositions législatives et constitutionnelles, les motifs que l'appelant entend invoquer ainsi que les preuves documentaires qu'il entend présenter à l'appui de l'appel.

(e) a statement of the allegations of fact, including any reference to the statutory provisions and constitutional provisions, reasons the appellant intends to submit and documentary evidence the appellant intends to rely on in support of the appeal. SOR/92-18, s. 2; SOR/96-524, s. 2.

5. La demande de prorogation du délai imparti pour demander l'autorisation d'interjeter appel de la décision d'un tribunal de révision est signifiée au président ou au vice-président et contient les renseignements visés aux alinéas 4a) à e) et un exposé des motifs sur lesquels elle est fondée.

5. An application for an extension of time within which to apply for leave to appeal a decision of a Review Tribunal shall be served on the Chairman or Vice-Chairman and shall set out the information required by paragraphs 4(a) to (e) and the grounds on which the extension is sought.

...

...

7. Il est statué ex parte sur les demandes visées aux articles 4 ou 5, à moins que le président ou le vice-président n'en décide autrement.

7. An application under section 4 or 5 shall be disposed of ex parte, unless the Chairman or Vice-Chairman otherwise directs.

[12]            L'argument principal avancé par le demandeur est que le membre désigné n'a pas appliqué le bon critère qui l'aurait normalement conduit à refuser la prorogation de délai sollicitée par le défendeur pour présenter sa demande d'autorisation de faire appel plus de sept ans après l'expiration du délai imparti.

[13]            Selon le Régime, une demande d'autorisation d'interjeter appel doit être présentée dans les quatre-vingt-dix jours de la décision rendue par le tribunal de révision. Le paragraphe 83(1) du Régime prévoit aussi qu'une demande de prorogation de délai peut être présentée avant ou après l'expiration de la période de quatre-vingt-dix jours.

[14]            Les Règles prévoient que, lorsqu'il présente une demande de prorogation de délai, le demandeur doit établir ce qui suit :

1.                     une intention constante de poursuivre l'appel;

2.                     la demande d'autorisation révèle des griefs d'appel défendables;

3.                     il existe pour le retard une explication raisonnable;

4.                     si la prorogation est accordée, la partie adverse n'en subira pas de préjudice.

[15]            Ces facteurs ont été récemment examinés par la juge Snider dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c.Gattellaro, [2005] A.C.F. n ° 1106, et par la juge Dawson dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c.Roy, 2005 CF 1456.

[16]            Après avoir examiné le dossier de la présente affaire, le dossier de demande et les arguments du demandeur, ainsi que les arguments oraux du défendeur à l'audience, puisqu'il n'a pas déposé de dossier de réponse à la demande, j'arrive à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[17]            Il n'est pas établi que le défendeur avait une intention constante de poursuivre son appel. Au contraire, des éléments de preuve tendent à indiquer qu'il a plutôt présenté une autre demande de pension d'invalidité pour laquelle une décision n'a pas encore été rendue.

[18]            Eu égard aux lettres produites au nom du défendeur en juillet et septembre 2004, et compte tenu des dates des rapports médicaux mentionnés dans la lettre du 24 septembre 2004, je suis d'avis que le défendeur n'a pas prouvé qu'il a des arguments à faire valoir au regard de la décision du tribunal de révision dont il voudrait faire appel. Les rapports médicaux ont été rédigés après la décision du tribunal de révision.

[19]            Je suis également d'avis que le défendeur n'a pas suffisamment expliqué sa lenteur à obtenir une prorogation du délai imparti pour demander l'autorisation d'interjeter appel.

[20]            Finalement, je suis d'accord avec le demandeur pour dire qu'il subira un préjudice si la prorogation de délai et l'autorisation d'appel sont accordées. Il s'est écoulé une très longue période depuis que le tribunal de révision a entendu l'affaire initiale. L'audience qui serait tenue devant la Commission d'appel serait une « nouvelle audience » et le demandeur sera lésé s'il doit se soumettre à une telle audience à cette date tardive.

[21]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la décision du membre désigné d'accorder une prorogation du délai imparti pour solliciter l'autorisation de faire appel et pour faire appel est annulée. L'affaire est renvoyée à un autre membre de la Commission pour nouvelle décision conforme aux présents motifs. Le demandeur n'a pas sollicité l'adjudication de dépens et il n'est pas adjugé de dépens.

ORDONNANCE

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du membre désigné de la Commission d'appel des pensions, en date du 22 octobre 2004, est annulée, et l'affaire est renvoyée à un autre membre de la Commission pour nouvelle décision conforme aux présents motifs. Il n'est pas adjugé de dépens.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    T-2165-04

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES
RESSOURCES HUMAINES

                                                                       c.

                                                                       LIBERO DE TOMMASO

LIEU DE L'AUDIENCE :                            Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 31 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   la juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                                  le 9 novembre 2005

COMPARUTIONS :

Adrian Joseph                                                  pour le demandeur

Libero de Tommaso                                         LE DÉFENDEUR - EN SON PROPRE NOM

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                  POUR LE DEMANDEUR

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