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Date : 19990409


Dossier : T-895-98

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la citoyenneté,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET l'appel interjeté de la

     décision d'un juge de la Citoyenneté

     ET

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelant,

     et

     LING WAH PHYLLIS KU,

     intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON :

[1]      L'appelant fait appel de la décision par laquelle un juge de la Citoyenneté a estimé que l'intimée répond aux conditions auxquelles la Loi sur la citoyenneté1 subordonne l'octroi de la citoyenneté canadienne. Le présent appel revêt le caractère d'une instance de novo étant donné qu'il a été interjeté avant l'entrée en vigueur des Règles de Cour fédérale (1998)2.

[2]      Cet appel se situe dans un contexte assez inhabituel. Dans les motifs exposés par écrit le 17 juin 1997, le juge de la Citoyenneté a conclu :

                 [traduction] J'estime que vous n'avez pas vraiment ancré votre existence au Canada et, en conséquence, je ne puis accueillir cette demande [c'est-à-dire la demande de citoyenneté canadienne déposée par l'intimée].                 

L'intimée a fait appel de cette décision écrite. L'appel fut porté devant le juge Nadon le 24 mars 1998. Dans des motifs exposés par écrit le 8 avril 1998, le juge Nadon affirmait :

                 À l'audience que j'ai présidée, l'appelante et l'avocat qui la représentait devant le juge de la citoyenneté ont témoigné. Selon leur témoignage, qui était concordant, à la conclusion de l'audience le juge de la citoyenneté a informé Mme Ku que sa demande ne poserait aucune difficulté. Cela contredit carrément la décision rendue en juin 1997 ...                 

En conséquence, le juge Nadon s'est prononcé en ces termes :

                 L'appel est accueilli et la décision écrite, datée du 17 juin 1997, du juge de la citoyenneté Meagher est annulée. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration sera réputé avoir été avisé en date d'aujourd'hui que le juge Meagher a approuvé la demande de citoyenneté de l'appelante.                 

C'est ce qui est à l'origine de l'appel interjeté devant moi au nom du ministre.

[3]      En début d'audience, l'avocat de l'appelant a sollicité l'autorisation de déposer la transcription de l'audience présidée par le juge Nadon. L'avocat de l'intimée, sans en avoir au préalable fait part à l'appelant, fit savoir à la Cour qu'il entendait contester, à titre préliminaire, la qualité de l'appelant pour interjeter le présent appel. Les deux avocats avaient convenu d'une remise d'audience afin de permettre le dépôt de la transcription et l'échange de mémoires concernant l'objection préliminaire soulevé par l'intimée. J'ai décidé de ne pas admettre la transcription, de ne pas donner suite à l'objection préliminaire et de ne pas ajourner l'audience. Les avocats s'étaient vu notifier avec préavis raisonnable la date d'audition prévue pour cet appel. La question du dépôt de la transcription et l'objection préliminaire auraient pu être invoquées plus tôt. J'estimais qu'un nouveau retard ne ferait que nuire au règlement juste et rapide de cette affaire.

[4]      L'intimée, sa mère et ses deux frères, ont reçu le droit d'établissement au Canada le 15 août 1993. À l'époque, son père avait déjà reçu ce droit. Seulement seize jours plus tard, le 1er septembre 1993, l'intimée est retournée dans la région dont elle était originaire, Hong Kong, pour préparer son mariage. Elle resta à Hong Kong 161 jours avant de revenir au Canada. Elle retourna de nouveau à Hong Kong 10 jours plus tard. Le motif invoqué par l'intimée pour expliquer son second retour à Hong Kong était [traduction] " enregistrement/organisation des noces ". Elle resta à Hong Kong 137 jours. Elle revint au Canada en juillet 1994 pour un bref séjour, après quoi elle rentra de nouveau à Hong Kong, donnant comme motif de ce nouveau voyage [traduction ] " motifs personnels/affaires " et restant là-bas cette fois 183 jours. Ses allées et venues continuèrent puisqu'elle effectua trois autres visites à Hong Kong pour des durées respectives de 110, 193 et 190 jours, périodes entrecoupées de brefs séjours au Canada. La dernière fois que l'intimée revint au Canada avant sa demande de citoyenneté était le 16 août 1996.

[5]      L'intimée a déposé une demande de citoyenneté canadienne le 25 août 1996, un peu plus de trois ans après sa première arrivée au Canada. Il semble bien qu'avant le dépôt de sa demande de citoyenneté canadienne, l'intimée se soit mariée à Hong Kong et ait parrainé l'immigration au Canada de son époux.

[6]      Il semble que pendant les brefs périodes où elle se trouvait au Canada, l'intimée ait vécu avec ses parents et l'un de ses frères. Elle accumula les indices statiques et habituels de la résidence au Canada et, en outre, s'associa avec ses parents et ses deux frères pour constituer la Convergence Trading Company Ltd. et, plus tard, pour acheter une maison à Richmond Hill (Ontario). L'intimée fit également des dons à certains organismes charitables canadiens et remplit également des déclarations d'impôt sur le revenu au Canada.

[7]      Au regard des conditions prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, il manquait à l'intimée quelque 964 jours sur les 1 095 jours de résidence au Canada requis au cours de la période précédant immédiatement le dépôt de sa demande de citoyenneté.

[8]      Dans l'affaire Papadogiorgakis3 le juge Thurlow, alors juge en chef adjoint, estima que :

                 Il me semble que les termes " résidence " et " résident " employés dans l'alinéa 5(1)b ) [maintenant 5(1)c)] de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante [sic] fréquente pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps.                 
                 ...                 
                 Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [traduction] " essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question " [non souligné dans l'original].                 

[9]      Étant donné le très bref laps de temps passé ici par l'intimée lors de son premier séjour au Canada, ses longues absences à des fins qui ne sont décrites que de façon très générale, ponctuées comme elles le sont de séjours relativement brefs au Canada, et compte tenu de la nature des indices qu'elle a fournis de son engagement envers le Canada, le degré auquel l'intimée s'était, " ...en pensée et en fait... ", établie au Canada ou y avait conservé ou centralisé son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, était minime jusqu'à la date à laquelle elle a demandé la citoyenneté canadienne. Peut-être sa situation a-t-elle évolué depuis, mais cela n'est pas ce qui importe en l'espèce. J'estime qu'à l'époque où l'intimée a demandé la citoyenneté canadienne, elle n'avait pas ancré son existence au Canada. Pour reprendre l'expression du juge Reed dans l'affaire Re Koo4, le Canada n'était pas, pour l'intimée, le pays où elle " viv[ait] régulièrement, normalement ou habituellement ", ou le lieu où elle avait centralisé son mode de vie.

[10]      En conséquence l'appel est accueilli et la décision considérée par le juge Nadon comme ayant été rendue à l'égard de l'intimée par le juge de la Citoyenneté est annulée.

" Frederick E. Gibson "

Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 9 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      T-895-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                        

                             et
                             LING WAH PHYLLIS KU

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE MERCREDI 7 AVRIL 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

DATE :                          LE VENDREDI 9 AVRIL 1999

ONT COMPARU :                      Leena Jaakkimainen

                                 pour l'appelant

                             Sheldon Robins

                                 pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général

                             du Canada

                            

                                 pour l'appelant

                             Sheldon Robins
                             Avocat
                             2, avenue St. Clair East
                             Toronto (Ontario)
                             M4T 2T5

            

                                 pour l'intimée

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19990409

                        

         Dossier : T-895-98

                             Entre :

                            

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelant,

                             et
                             LING WAH PHYLLIS KU,

     intimée.

                    

                            

            

                                                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. C-29.

2      DORS/98-106.

3      [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.).

4      [1993] 1 C.F. 286, aux pp. 293 et 294 (1re inst.).

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