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     Date : 19981229

     Dossier : T-371-96

Ottawa (Ontario), le 29 décembre 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON

ENTRE :

     MICHAEL JOSEPH McCORMICK,

     demandeur,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     LA COUR, STATUANT sur la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en vue de l'annulation de la décision en date du 18 septembre 1995 de l'arbitre Yvon Tarte de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, et après audition de la demande à London (Ontario), en présence du demandeur et de l'avocat du défendeur, les 16 et 17 novembre 1998 :

REJETTE la présente demande et condamne le demandeur à la moitié des dépens entre parties, après taxation ou entente.

                                 F. C. Muldoon

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19981229

     Dossier : T-371-96

ENTRE :

     MICHAEL JOSEPH McCORMICK,

     demandeur,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]      Le demandeur sollicite, en application des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, le contrôle judiciaire de la décision (dossier de la CRTFP no 166-2-26274) par laquelle l'arbitre Yvon Tarte de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a confirmé la décision de Transports Canada de le licencier.

Genèse de l'instance

[2]      Le demandeur, Michael Joseph McCormick, est un ancien employé de Transports Canada qui travaillait à l'aéroport de London (Ontario). Il est entré dans la fonction publique fédérale en mai 1971 en tant qu'ouvrier et a fini par accéder au poste de gestionnaire, Gestion des ressources, qu'il a occupé du 1er août 1988 jusqu'à la date d'effet du licenciement le 24 juin 1994.

[3]      La carrière du demandeur à Transports Canada a été sans histoire jusqu'au printemps 1992. Le 14 mai 1992, il a présenté à son employeur un certificat médical signé par son médecin indiquant qu'il serait incapable de travailler jusqu'au 16 novembre 1992. Il se plaignait de fatigue et de distraction. Son congé de maladie a commencé le 8 juin 1992.

[4]      Santé et Bien-être social Canada a évalué la santé du demandeur en octobre 1992 en prévision de son retour au travail. Le Dr Parliament, un médecin à l'emploi de Santé et Bien-être social Canada, a fait le nécessaire pour que le demandeur voie le Dr Bendheim le 26 novembre 1992. Une dépression a été diagnostiquée comme la cause probable des difficultés du demandeur. Dans son rapport, le Dr Parliament mentionne que le demandeur s'était rétabli et était prêt à retourner au travail; toutefois, le médecin a également considéré le demandeur comme une personne [traduction] " inapte au travail - classe C " (dossier du défendeur, onglet C-24, p. 127). Ni le demandeur ni son supérieur, Steve Baker, n'ont été avisés de cette dernière partie de l'évaluation avant le mois de juin 1993.

[5]      Le demandeur est retourné au travail à l'aéroport le 16 novembre 1992. Pour faciliter son retour au travail, on l'a affecté à un projet spécial ne comportant pas de fonctions de supervision. Ce projet s'est terminé à la fin de décembre. Les parties ne s'entendent pas sur la nature des fonctions que le demandeur a exercées pendant la période comprise entre le mois de janvier 1993 et le 5 avril 1993, date à laquelle le demandeur a commencé un deuxième congé de maladie. Le demandeur affirme qu'il a complètement repris le travail, mais M. Baker a témoigné devant l'arbitre qu'il s'était agi d'un retour au travail progressif. Au soutien de sa thèse, le demandeur se réfère à l'évaluation dont il a fait l'objet le 19 avril 1993 (dossier du défendeur, onglet B-9, p. 72), dans laquelle M. Baker ne mentionne pas le projet spécial et semble avoir évalué le demandeur en fonction de ses tâches habituelles, quoique de manière négative. En effet, M. Baker recommande la mutation du demandeur à un autre poste adapté à ses " capacités actuelles ".

[6]      Pendant le congé de maladie du demandeur, M. Baker et lui ont discuté de la possibilité d'une rétrogradation à un poste comportant moins de responsabilités afin de tenir compte de la situation du demandeur. Celui-ci a accepté l'offre, mais il affirme l'avoir fait parce qu'on l'avait menacé de renvoi; d'ailleurs, peu de temps après, il a avisé M. Baker qu'il était sûr de pouvoir reprendre ses anciennes fonctions, de sorte qu'une rétrogradation n'était plus nécessaire.

[7]      Le Dr Bendheim a fait une autre évaluation du demandeur et a soumis, le 19 août 1993, un rapport dans lequel il concluait que le demandeur attribuait ses difficultés à M. Baker et que sa dépression se poursuivait. Le Dr Parliament a résumé ce rapport et conclu que le demandeur demeurait inapte au travail. Il a proposé la médiation pour résoudre le conflit interpersonnel perçu.

[8]      Le demandeur a poursuivi son congé de maladie, tandis que ses médecins ont continué de tenter de poser un diagnostic. Le 24 avril 1994, les Drs Parliament et Bendheim ont conclu que le demandeur ne retournerait vraisemblablement pas au travail dans un proche avenir. Le 24 mai 1994, le Dr Parliament a avisé le défendeur que le demandeur ne progressait guère sur la voie de la guérison et que ses médecins avaient été incapables de poser un diagnostic. Il terminait en disant que le demandeur demeurait inapte au travail et qu'il ne serait apparemment pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible (dossier du défendeur, onglet B-15, p. 90).

[9]      Le demandeur a été avisé le 14 juin 1994 qu'il serait licencié le 24 juin 1994 pour incapacité médicale prolongée (dossier du défendeur, onglet B-10, p. 81). Il a déposé un grief le 24 juin 1994.

La décision de l'arbitre

[10]      Le grief du demandeur a été renvoyé à l'arbitrage et a été entendu les 6 et 7 juillet et les 8 et 9 août 1995 par l'arbitre Yvon Tarte de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Pour rejeter le grief du demandeur, l'arbitre a déclaré :

     Pour pouvoir licencier un fonctionnaire pour incapacité en vertu de l'alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, l'employeur doit démontrer qu'au moment du licenciement le fonctionnaire était inapte au travail et qu'il ne pourrait pas retourner au travail dans un avenir prévisible.         
     Tous les intéressés reconnaissent qu'en juin 1994 M. McCormick n'était pas apte à travailler. Ce qui est en litige, donc, c'est la décision de l'employeur selon laquelle le fonctionnaire ne pourrait retourner au travail dans un avenir prévisible. On doit en général déterminer cette question à la lumière de la situation qui existait lors du licenciement. Autrement dit, on déterminera habituellement le bien-fondé de la décision de l'employeur à partir des faits connus de lui ou dont il aurait pu raisonnablement prendre connaissance au moment du licenciement.         

     * * *

     La maladie peut en certaines circonstances rendre inexécutable le contrat d'emploi. Bien qu'un employé ait droit à des congés afin de pouvoir s'absenter de façon temporaire et même prolongée, il arrive un temps où, une fois ses congés acquis épuisés, s'il est incapable d'exercer les fonctions de son poste et s'il ne sera pas en mesure de le faire dans un avenir prévisible, il s'ensuivra inexorablement un licenciement.         
     Il faut définir l'"avenir prévisible" en fonction des circonstances de chaque cas, définition qui variera par ailleurs suivant le domaine du droit en cause. Cette définition peut très bien ne pas être la même dans un contexte fiscal que dans le milieu des relations de travail. Je suis d'avis que, après près de deux ans d'absence, une période de six mois pourrait raisonnablement constituer l'avenir prévisible. En juin 1994, M. McCormick ne pouvait exercer les fonctions de son poste, et on ne pouvait dire s'il serait en mesure de le faire dans un avenir prévisible.         
     La question n'est pas de savoir si j'aurais été incliné [sic] -- ou si quelqu'un d'autre l'aurait été -- à attendre un peu plus longtemps, mais de savoir si l'employeur a agi raisonnablement lorsque, en juin 1994, il a licencié le fonctionnaire. Je suis au regret de devoir conclure qu'il s'est agi d'une décision raisonnable.         

     (dossier du défendeur, onglet A, aux pp. 24 à 28)

Les questions en litige

Quelle est la norme de contrôle appropriée?

L'arbitre a-t-il commis des erreurs justifiant une intervention judiciaire?

Analyse

La norme de contrôle

[11]      L'arbitre a été nommé en vertu de l'article 93 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (ci-après la LRTFP). L'article 92 prévoit le renvoi des griefs à l'arbitrage, établissant ainsi la compétence de l'arbitre. L'alinéa 92(1)b)(ii) permet à un arbitre d'entendre un grief portant sur un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-10. La clause privative de la LRTFP, qui figurait auparavant à l'article 101, a été abrogée par l'article 73 de la Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54, qui est entrée en vigueur le 1er juin 1993.

[12]      Pour définir le degré de retenue dont il convient de faire preuve envers une décision arbitrale, il faut tenir compte de quatre facteurs : la nature spécialisée du tribunal, l'existence ou non d'un droit d'appel d'origine législative, la nature de la question que l'arbitre doit trancher et l'existence d'une clause privative : voir l'affaire Canada (Procureur général) c. Wiseman (1995), 95 F.T.R. 200 (C.F. 1re inst.), dans laquelle il a été statué qu'il faudrait accorder à la décision de l'arbitre, qui avait été nommé en vertu de la LRTFP, " un degré considérable ou appréciable de retenue judiciaire [...], d'autant plus qu'elle porte sur un sujet qui relève nettement de la compétence et de l'expertise spéciale de l'arbitre ". Seules les décisions que n'étaye pas la preuve sont susceptibles d'intervention.

[13]      Dans l'affaire Barry Green c. Conseil du Trésor (Transports Canada), (1997) 134 F.T.R. 108, le juge Cullen a conclu, en conformité avec l'affaire Wiseman, que la Cour devait faire preuve d'une grande retenue envers la décision de l'arbitre. La norme de contrôle appropriée en ce qui concerne les décisions d'un arbitre nommé en vertu de la LRTFP était celle de la décision manifestement déraisonnable.

[14]      La Cour suprême du Canada a défini en quoi consistait une décision manifestement déraisonnable dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941. À la page 964, le juge Cory a déclaré qu'il ne suffit pas que la décision de la commission soit erronée aux yeux de la cour qui procède au contrôle; pour qu'elle soit manifestement déraisonnable, cette décision doit être clairement irrationnelle.

[15]      Par conséquent, dans la présente affaire, il convient de faire preuve d'une retenue considérable envers la décision de l'arbitre. Pour qu'une intervention judiciaire soit justifiée, la décision de l'arbitre doit être manifestement déraisonnable ou clairement irrationnelle; elle ne doit pas simplement être erronée aux yeux de la Cour.

La décision de l'arbitre

[16]      Les questions portant sur le licenciement d'un employé relèvent directement de la compétence d'un arbitre. Par conséquent, il faut faire montre d'une retenue considérable. Pour parvenir à une décision, les arbitres doivent observer le comportement des témoins, entendre et apprécier la preuve, faire des constatations de fait et tirer les conclusions nécessaires. En l'espèce, c'est précisément ce que l'arbitre a fait.

[17]      Les questions qui ont été soumises à l'arbitre étaient les suivantes : le demandeur a-t-il été incapable de travailler pendant une période prolongée, était-il inapte au travail au moment de son licenciement et continuerait-il de l'être dans un avenir prévisible?

[18]      Pour se prononcer, l'arbitre a examiné la question de savoir si un arbitre peut se fonder sur une preuve d'événements subséquents et s'est référé à l'arrêt de la Cour suprême du Canada Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095. Au nom de la majorité, Madame le juge L'Heureux-Dubé a statué qu'une telle preuve ne sera admissible que si elle permet de clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné. L'arbitre en l'espèce s'est donc borné à examiner la preuve que l'employeur avait en sa possession au moment du licenciement.

[19]      Le critère que l'arbitre a appliqué était de savoir si l'employeur a démontré qu'au moment du licenciement le demandeur était inapte au travail et continuerait de l'être dans un avenir prévisible. Dans sa décision, l'arbitre a déclaré qu'il avait été démontré que le demandeur était inapte au travail au moment de son licenciement; ce fait n'a pas été contesté. En ce qui concerne le deuxième élément, soit l'avenir prévisible, l'arbitre a examiné le caractère raisonnable de la décision de l'employeur eu égard aux faits dont celui-ci disposait au moment du licenciement. Pour se prononcer en faveur de l'employeur, l'arbitre a déclaré qu'après près de deux ans d'absence, une période de six mois pourrait constituer l'avenir prévisible. Vers la fin de mai 1994, le Dr Parliament a conclu dans le rapport qu'il a soumis à l'employeur que le demandeur ne progressait guère sur la voie de la guérison, qu'aucun diagnostic ne serait posé prochainement, que le demandeur demeurait inapte au travail et qu'il était impossible de prévoir à quel moment il serait en mesure de retourner au travail. Par conséquent, compte tenu de ce rapport médical, l'employeur a satisfait au critère de l'avenir prévisible.

[20]      Le demandeur soutient que l'arbitre a commis une erreur en concluant qu'il avait été absent pendant près de deux ans et, partant, que sa décision devrait être annulée. Le défendeur prétend que même si cette conclusion est erronée, elle n'a pas été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.

[21]      La décision de l'arbitre est assez longue, et celui-ci semble s'être donné beaucoup de mal pour rappeler les événements ayant abouti au licenciement du demandeur. Il cite de longs extraits de plusieurs lettres et rapports. Il est clair que l'arbitre avait compris que le demandeur a pris deux congés de maladie. Le premier a commencé le 8 juin 1992 et a pris fin le 16 novembre 1992, et le second a commencé le 5 avril 1993 et s'est terminé le 24 juin 1994, date à laquelle le licenciement est devenu effectif. Entre ces périodes de congé de maladie, le demandeur a travaillé pendant environ dix-sept semaines, d'abord dans le cadre d'un projet spécial, puis dans son ancien poste. Peut-être que l'arbitre a commis une erreur en déclarant que ce deuxième congé de maladie avait duré près de deux ans, mais on ne saurait affirmer qu'il s'agit d'une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire qui justifie l'intervention de la Cour.

[22]      Le demandeur a également soutenu que l'arbitre n'a tenu aucun compte de l'effet qu'a produit sur lui ce qu'il a appelé un milieu de travail abusif. Il a prétendu que son superviseur, M. Baker, était la cause de ce milieu de travail abusif. La LRTFP n'habilite toutefois pas l'arbitre à se prononcer sur une allégation de harcèlement. De plus, mis à part le fait qu'il a avisé le superviseur de M. Baker, Lew Rogers, et qu'il a participé, le 9 septembre 1993, à une rencontre informelle au cours de laquelle les trois hommes ont discuté de la plainte, le demandeur n'a pas demandé la tenue d'une enquête officielle.

[23]      Le demandeur a également contesté le témoignage que M. Baker a fait à l'audition du grief et a reproché à l'arbitre d'avoir commis une erreur en donnant du poids à ce témoignage. Toutefois, M. Baker n'a pas été jugé ni déclaré coupable de parjure, de sorte que lorsque son témoignage diffère de celui du demandeur, cette différence constitue en réalité une divergence de vues. Par conséquent, l'arbitre a agi dans les limites de sa compétence en accordant du poids à ce témoignage.

[24]      En conclusion, l'arbitre ne semble pas avoir rendu une décision manifestement déraisonnable ou clairement irrationnelle qui justifie l'intervention de la Cour. Dans sa décision, il aurait pu exposer plus clairement les thèses des parties, mais rien ne permet de conclure qu'il a mal compris la question litigieuse ou le critère à appliquer. Par conséquent, la demande doit être rejetée et le défendeur a droit à la moitié des dépens entre parties.

                                 F. C. Muldoon

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 décembre 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      T-371-96

INTITULÉ :                          MICHAEL JOSEPH McCORMICK

                             - et -

                             LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  LONDON (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 16 NOVEMBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :                      29 DÉCEMBRE 1998

COMPARUTIONS :

Michael J. McCormick                      Le demandeur en son nom personnel
Ronald Snyder                          Au nom du défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                          Au nom du défendeur     

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