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Date : 20050817

Dossier : IMM-8373-04

Référence : 2005 CF 1078

Ottawa (Ontario), le 17 août 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

CLAUDIO CABRAL NASCIMENTO

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         Le demandeur, M. Claudio Cabral Nascimento, a présenté une demande d'asile au Canada fondée sur son appartenance à un groupe social, celui des homosexuels. Le demandeur croit que, en tant qu'homosexuel, il est la cible d'un gang appelé « skinheads » , dont l'objet est d' « exterminer » les homosexuels. Il a été menacé à une occasion, puis agressé à une autre, par un individu non identifié. Le demandeur a signalé l'agression à la police, puis a été interrogé par un policier, qui n'a pris aucune mesure. Dans une décision datée du 19 août 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a déterminé que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Le facteur déterminant de la décision de la Commission était que le demandeur « ne s'est pas suffisamment efforcé de se réclamer de la protection d'État qui aurait pu lui être assurée » . Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]         Le point soulevé dans cette demande est celui de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption de l'existence d'une protection d'État.

[3]         Il y a eu divergence d'opinions sur la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer dans la présente affaire. Selon le défendeur, la norme est celle qui appelle le plus de retenue - en l'occurence celle de la décision manifestement déraisonnable (Hovarth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 583; Alli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 479; Ye c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 201). Cependant, dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 232, la juge Tremblay-Lamer a conclu, après analyse pragmatique et fonctionnelle, que la norme de contrôle à appliquer lorsqu'il s'agit de la protection d'État est la décision raisonnable simpliciter. Aux fins du présent jugement, j'adopterai sa conclusion.

[4]         Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 47, le juge Iacobucci expliquait ainsi la norme de la décision raisonnable :

[...] La norme de la décision raisonnable consiste essentiellement à se demander « si, après un examen assez poussé, les motifs donnés, pris dans leur ensemble, appuient la décision » . C'est la question qu'il faut se poser chaque fois que l'analyse pragmatique et fonctionnelle décrite dans l'arrêt Pushpanathan, précité, dicte l'application de la norme de la décision raisonnable. La déférence requise découle de la question puisqu'elle impose à la cour de révision de déterminer si la décision est généralement étayée par le raisonnement du tribunal ou de l'instance décisionnelle, plutôt que de l'inviter à refaire sa propre analyse. [...] [Non souligné dans l'original.]

[5]         Lorsqu'il s'agit de savoir s'il existe une protection d'État, l' « examen assez poussé » devrait convaincre la Cour que la Commission avait connaissance du critère juridique correct et qu'elle l'a appliqué. En l'espèce, la Commission a écrit que le demandeur « doit fournir une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de le protéger, et il lui incombe de se réclamer de la protection d'État lorsqu'il est raisonnable de croire qu'elle lui sera assurée » . C'est là, à mon avis, un énoncé succinct et exact du critère de la protection d'État tel qu'il est exposé dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 25. Autrement dit, la Commission a entrepris son analyse en sachant qu'un demandeur d'asile n'est pas tenu de risquer sa vie pour obtenir une protection d'État inefficace (arrêt Ward, au paragraphe 48).

[6]         Après s'être posé la question juridique correcte concernant la protection d'État, la Commission devait ensuite examiner la preuve justifiant la réfutation de la présomption de l'existence d'une protection d'État. Pour réfuter cette présomption, un demandeur d'asile peut produire le témoignage de personnes se trouvant dans la même situation que lui et n'ayant pu bénéficier des mécanismes de la protection d'État, ou il peut faire état d'incidents personnels où la protection d'État ne s'est pas concrétisée. Lorsqu'un demandeur d'asile vient d'un pays démocratique doté d'un système politique et d'un système judiciaire dignes de ce nom, le fait que la police n'a pas apporté sa protection au demandeur d'asile ne constitue pas la preuve de l'inexistence d'une protection d'État (Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532; 206 N.R. 272 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée le 8 mai 1997, dossier no 25689 de la C.S.C.). Finalement, il n'est pas nécessaire que les moyens pris par un gouvernement pour protéger ses nationaux donnent des résultats parfaits (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 150 N.R. 232 (C.A.F.)), et, « en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique [...] il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur » (arrêt Ward, au paragraphe 50).

[7]         À ce stade de mon analyse, un examen « assez poussé » ne consiste pas à revoir la preuve depuis le début. Le juge saisi d'une demande de contrôle judiciaire n'a pas à évaluer et apprécier de nouveau la preuve comme s'il était l'arbitre des faits. Il n'appartient pas à la juridiction de contrôle d'infirmer une décision administrative au motif qu'elle serait arrivée à une conclusion différente.

[8]         L'analyse de la Commission, qui l'a conduite à ses conclusions selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), s'appuie sur les constatations suivantes :

·         Le demandeur n'a tenté d'obtenir l'aide que d'un seul policier et à une seule occasion, lorsqu'une blessure mineure lui a été infligée. Il n'a pas été capable d'identifier son agresseur et le policier ne l'a donc pas aidé.

·         En réponse à l'exemple d'une personne se trouvant dans la même situation (soit celui d'un homme qui a été tué dans le quartier où vivait le demandeur), exemple donné par le demandeur, la Commission a pris note de la preuve attestant que deux personnes avaient été reconnues coupables de cet acte criminel et avaient été condamnées à un emprisonnement de 21 ans.

·         La Commission a admis que les homosexuels étaient victimes de « discrimination » au Brésil.

·         La Commission a relevé que l'État de Sao Paolo applique une loi qui offre une protection contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

·         La Commission a reconnu des cas isolés où des homosexuels ont été assassinés au Brésil.

·         La Commission a relevé que « des millions d'homosexuels vivent au Brésil » et que « bon nombre d'entre eux vivent leur homosexualité ouvertement et ne sont pas exposés à une sérieuse possibilité d'être assassinés » .

[9]         En bref, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas fait assez pour obtenir une protection qu'il était à même d'obtenir de l'État. Après examen des motifs de la Commission ainsi que des preuves qu'elle avait devant elle, je suis convaincue que la Commission a apprécié comme il convient la preuve à l'appui de l'allégation du demandeur selon laquelle, en tant que national brésilien homosexuel, il n'aurait pas pu obtenir une protection d'État. En résumé, l'ensemble de la preuve n'atteste pas un effondrement de l'appareil étatique et n'établit donc pas que le Brésil est incapable de protéger ses nationaux homosexuels.

[10]       Le demandeur a fait valoir devant moi que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve montrant que la police participe aux violences commises contre les homosexuels et qu'elle est complice de telles violences. Selon lui, la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de ce constat. Cet argument n'est pas recevable, et cela pour plusieurs raisons.

[11]       Je commencerai par dire que, bien qu'une partie de la preuve documentaire ne soit pas mentionnée dans les motifs de la Commission, sa décision n'est pas pour autant viciée (arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992) 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Toutefois, plus un document donné revêt une importance dans la preuve produite à l'appui d'une demande d'asile, plus élevée est l'obligation de la Commission de faire expressément état de ce document. Mais, à mon avis, lorsque le demandeur d'asile ne soulève aucun argument fondé sur tel ou tel document, la Commission ne commet pas d'erreur du seul fait qu'elle ne parle pas expressément du document qui intéresse cette portion non définie de la demande d'asile.

[12]       En l'espèce, si, dans ses conclusions, le demandeur avait dit craindre la police ou avait prétendu que la police n'était pas disposée à l'aider parce que, comme institution, la police ne vient pas en aide aux homosexuels, et s'il s'était fondé sur une preuve précise au soutien de cette allégation, alors la Commission aurait sans doute été tenue de considérer précisément la preuve présentée sur la question. Dans la présente affaire, le demandeur n'a jamais dit qu'il craignait la police de Sao Paolo ni la police brésilienne en général. Il n'a pas prétendu non plus que son agresseur était un agent de l'État. Les observations finales de son avocat durant l'audience de la Commission ont porté sur deux documents seulement et n'évoquaient pas l'argument maintenant avancé par le demandeur selon lequel la police est complice des agressions commises contre les homosexuels au Brésil. En l'espèce, les motifs de la Commission sont adaptés aux arguments qui lui ont été présentés. Cela est suffisant.

[13]       D'ailleurs, même avec cette preuve, la Commission pouvait encore conclure que le demandeur n'avait pas prouvé l'absence d'une protection d'État. Ainsi qu'on peut le lire dans l'arrêt Villafranca :

Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

[14]       À mon avis, la situation qui prévaut au Brésil correspond à cette description. La preuve montre que certains membres de la police ne sont pas toujours intègres, mais elle n'établit pas que l'État n'a plus d'autorité sur sa police.

[15]       Je conclus donc que la Commission a examiné et apprécié l'ensemble de la preuve qu'elle avait devant elle, y compris les documents mis en avant aujourd'hui par le demandeur.

[16]       Selon le demandeur, l'affirmation de la Commission selon laquelle « des millions d'homosexuels vivent au Brésil » n'est pas autorisée par la preuve. Je partage son avis; rien n'autorisait la Commission à dire qu'il y a « des millions d'homosexuels » . Toutefois, le propos de la Commission n'était pas l'exactitude du nombre de gens formant cette population; la Commission voulait plutôt dire que de nombreux homosexuels au Brésil vivent sans se cacher et sans connaître de réelles difficultés. La preuve documentaire le confirme. Toute erreur commise dans le nombre précis d'homosexuels est sans rapport avec la décision globale.

[17]       S'agissant de l'argument du demandeur selon lequel la Commission n'a pas fait une analyse selon l'article 97, je relève que le demandeur n'a pas présenté d'arguments distincts portant sur le risque dont fait état cette disposition. La crainte qu'il disait avoir était sa crainte des « skinheads » qui s'en prennent aux homosexuels. Selon l'article 97, comme selon l'article 96, le demandeur doit prouver l'incapacité de l'État brésilien à le protéger. Il n'a pas apporté cette preuve en ce qui concerne l'article 96. Par conséquent, la Commission n'avait devant elle aucun élément qui aurait pu la conduire à une conclusion différente ou qui l'aurait obligée à faire une analyse distincte aux fins de l'article 97. Même si la Commission a commis une erreur en n'effectuant pas une analyse portant expressément sur l'article 97, il n'y aurait aucun intérêt pratique à renvoyer cette affaire à la Commission pour nouvelle décision.

[18]       En conclusion, je suis convaincue que, considérés globalement, les motifs exposés par la Commission résistent à un examen « assez poussé » . La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[19]       La question de la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux conclusions qui intéressent la protection d'État n'est sans doute pas tranchée à titre définitif par la Cour et pourrait constituer une question de portée générale. Les parties sont convenues que, si je statuais que la décision était déraisonnable, mais non manifestement déraisonnable, la situation justifierait que soit certifiée une question portant sur la norme de contrôle à appliquer. Toutefois, puisque, selon moi, la décision de la Commission satisfaisait à la norme inférieure de la décision raisonnable simpliciter, la question ne dispose pas de la demande que j'ai devant moi. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. La demande est rejetée;

2. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-8373-04

INTITULÉ :                                                    CLAUDIO CABRAL NASCIMENTO

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 28 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS                                     LE 17 AOÛT 2005

ET DE L'ORDONNANCE :

COMPARUTIONS :

Michael F. Battista                                             POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Watson Jordan Battista                                      POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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