Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041118

Dossiers : IMM-1876-04

IMM-1877-04

Référence : 2004 CF 1619

ENTRE :

                                                MAKRAM MOHAMED ELKEBTI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Makram Mohamed Elkebti a mené la belle vie au Canada. Il est venu ici de la Libye muni d'un visa d'étudiant, qu'il faisait renouveler de temps en temps. Il a menti. Il n'était pas du tout un étudiant. Il a utilisé l'argent qui devait servir à payer ses frais de scolarité pour jouer à la bourse.

[2]                Il a présenté une demande de résidence permanente. Les documents qu'il a soumis à l'appui de sa demande étaient faux. Il a été débouté.

[3]                Il a présenté une demande d'asile. Il a été débouté. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait des doutes quant à son identité véritable, étant donné que ses pièces d'identité semblaient avoir été falsifiées. Indépendamment de la question de l'identité, les autres allégations contenues dans sa demande d'asile, à savoir que les autorités libyennes le puniraient sévèrement si elles apprenaient qu'il avait fait une demande de résidence permanente au Canada, qu'elles le puniraient en outre parce qu'un membre de sa famille vivant aux États-Uni était un opposant de Khadafi et parce qu'il pourrait être considéré comme un conscrit réfractaire, ont également été rejetées.

[4]                M. Elkebti a alors sollicité l'autorisation de rester au Canada en présentant une demande fondée sur des considérations humanitaires, et il a aussi demandé la tenue d'un examen des risques avant renvoi. Ces deux demandes ont également été rejetées. Il s'agit en l'espèce du contrôle judiciaire de ces décisions. Je n'ai relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans les décisions en question, et je rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent.


[5]                L'avocat de M. Elkebti a soutenu que l'identité du demandeur ayant été prouvée, il s'ensuivait que le reste de sa demande était bien fondé. Comme la demande d'asile de laquelle il a été débouté a été présentée en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, l'agente qui a traité la demande d'ERAR et la demande CH a procédé à un nouvel examen de l'ensemble de la situation. La version actuelle de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, a une portée un peu plus large dans la mesure où une personne qui ne tombe pas sous le coup de la définition d'un réfugié au sens de la Convention peut quand même être une personne ayant besoin d'une protection internationale selon l'article 97 de la Loi.

[6]                La décision relative à l'ERAR est consignée dans un formulaire administratif. On a reproché à l'agente la façon dont elle a rempli le formulaire en question. Elle a omis de cocher certaines cases. Toutefois, il est clair qu'elle l'a fait parce qu'au lieu de rendre une décision qui aurait pu être considérée comme hâtive, elle a expliqué sa position sur ces éléments de façon très approfondie. Par exemple, il est évident que M. Elkebti a non seulement présenté de nouveaux éléments de preuve, mais encore que l'agente a tenu compte de ces éléments de preuve.

[7]                L'ancien avocat de M. Elkebti a fait valoir que celui-ci serait en danger de mort s'il retournait en Libye. Il n'y a absolument rien dans la preuve pour appuyer cette allégation.

[8]                On a dit qu'il serait exposé au risque de mauvais traitements parce qu'il avait passé un grand nombre d'années à l'extérieur de la Libye et parce que certains membres de sa famille avaient des liens avec l'opposition. En outre, il pourrait être emprisonné pour s'être soustrait au service militaire.


[9]                Toutes ces questions ont été examinées en profondeur par l'agente. Elle a mentionné que la situation en Libye n'était pas bonne, mais qu'elle s'améliorait. Un autre agent serait peut-être arrivé à une conclusion différente, mais son analyse n'est pas du tout déraisonnable. La véritable question n'est pas de savoir comment est la vie en Libye, mais plutôt de savoir si le demandeur a, avec raison, une crainte subjective et objective de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Ce sont les deux derniers critères qui s'appliquent en l'espèce, et l'agente a jugé que M. Elkebti ne les a pas remplis.

[10]            Pour ce qui est de la situation dans le pays, l'agente a conclu, en se fondant dans une large mesure sur un rapport de la UK Immigration and Nationality Directorate, que dans le pire des cas les Libyens qui retournaient dans leur pays, notamment les étudiants, devaient passer une entrevue à leur retour, et que les demandeurs d'asile déboutés pouvaient également faire l'objet d'une détention provisoire. L'agente n'était pas convaincue que M. Elkebti avait des parents qui s'opposaient au régime libyen. De plus, la situation dans le pays révélait que la punition collective, comme le punition des membres de la famille pour des crimes politiques, n'était plus pratiquée.


[11]            En ce qui concerne le service militaire, il semble qu'il existe un service militaire obligatoire, et qu'un conscrit réfractaire puisse être emprisonné pendant une certaine période. Abstraction faite de l'omission de M. Elkebti de prouver qu'il est un objecteur de conscience de bonne foi, la loi libyenne ne revêt pas un caractère de persécution, et ce, que ce soit à l'égard de M. Elkebti ou d'autres personnes se trouvant dans la même situation que lui. Le droit applicable a été exposé dans l'arrêt Zolfagharkhani c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 20 Imm.L R. (2d) 1, où le juge MacGuigan, en s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, a dit ce qui suit :

Après cet examen du droit, je m'aventure maintenant à exposer quelques propositions générales relatives au statut d'une loi ordinaire d'application générale lorsqu'il s'agit de trancher la question de la persécution :

1) La définition légale de réfugié au sens de la Convention rend l'objet (ou tout effet principal) d'une loi ordinaire d'application générale, plutôt que la motivation du demandeur, applicable à l'existence d'une persécution.

2) Mais la neutralité d'une loi ordinaire d'application générale, à l'égard des cinq motifs d'obtention du statut de réfugié, doit être jugée objectivement par les cours et les tribunaux canadiens lorsque cela est nécessaire.

3) Dans cet examen, une loi ordinaire d'application générale, même dans des sociétés non démocratiques, devrait, je crois, être présumée valide et neutre, et le demandeur devrait être tenu, comme c'est généralement cas dans les affaires de réfugiés, de montrer que les lois revêtent, ou bien en soi ou pour une autre raison, un caractère de persécution.

4) Il ne suffira pas au demandeur de montrer qu'un régime donné est généralement tyrannique. Il devra plutôt prouver que la loi en question a un caractère de persécution par rapport à un motif énoncé dans la Convention.

Voir aussi Ates c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1599, qui fait actuellement l'objet d'un appel.


[12]            Tout ceci a amené l'agente à la conclusion suivante : [traduction] _ Je conclus qu'il y a moins qu'une simple possibilité que le demandeur soit assujetti à de la persécution pour un motif prévu par la Convention. Je conclus également qu'il ne courra vraisemblablement pas le risque d'être torturé ou tué, ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités en raison d'un tel motif. _ On a fait valoir pour le compte de M. Elkebti que l'agente avait commis une erreur quant au fardeau de la preuve. À cet égard, c'est au demandeur qu'il incombe de prouver qu'il existe plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté. Il n'est pas nécessaire de le prouver suivant la prépondérance des probabilités. Tout ce que l'agente a dit ici c'est qu'il n'existait même pas une simple possibilité. C'est comme si je disais que sa décision n'était pas susceptible de contrôle parce qu'elle n'était pas déraisonnable. Il se peut fort bien que la norme de contrôle soit celle de la décision manifestement déraisonnable. Abaisser la norme pour les besoins de l'analyse ne constitue pas une erreur.

[13]            On a également reproché aux agents d'immigration d'avoir informé les autorités libyennes du retour possible de M. Elkebti. Certaines objections ont été soulevées concernant le dépôt dans le dossier de la correspondance en cause; toutefois, je préfère la considérer comme non pertinente. Les autorités devaient s'assurer que le pays dans lequel le demandeur allait être envoyé allait l'accepter.


[14]            Enfin, on a soutenu que le Canada aurait dû se renseigner auprès des autorités libyennes pour vérifier si M. Elkebti allait être exposé au risque de persécution. Cet argument est diamétralement opposé à l'argument selon lequel aucune communication avec les Libyens n'aurait dû avoir lieu. Une telle demande de renseignements aurait peut-être été nécessaire si on avait conclu que M. Elkebti était exposé au risque de persécution et s'il était expulsé du Canada parce qu'il s'était rendu coupable d'activités criminelles, comme c'était le cas dans l'affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3. La situation est bien différente en l'espèce. Il a été démontré que M. Elkebti avait tendance à déformer la vérité, mais il n'est pas un criminel et, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire Suresh, on a expressément conclu qu'il n'allait pas être victime de persécution s'il retournait en Libye.

[15]            En ce qui concerne la demande CH, il n'existe aucun élément de preuve démontrant que les traitements que le demandeur subira en Libye, comme le harcèlement, équivaudront à de mauvais traitements pour les besoins des articles 96 et 97 de la Loi. Quant aux attaches du demandeur au Canada, son oncle habite ici, il a prétendument une petite amie ici et il vit au Canada depuis un certain temps déjà. Il n'y a rien d'exceptionnel dans sa situation qui m'amènerait à conclure que l'agente a agi de façon déraisonnable en rejetant sa demande (Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (Q.L.)).

[16]            Il n'y a pas de question de portée générale à certifier.

                                                                               _ Sean Harrington _               

                                                                                                     Juge                           

Vancouver (C.-B.)

Le 18 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                           IMM-1876-04 ET IMM-1877-04

INTITULÉ :                            MAKRAM MOHAMED ELKEBTI

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 16 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :           LE 18 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Gerald G. Goldstein                   POUR LE DEMANDEUR

Peter Bell                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbeau, Evans & Goldstein      POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.