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Date : 20001024


Dossier: T-144-00



            

ENTRE :

     ANNETTE RENATE DOMNIK

     demanderesse

     et


     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur


     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DAWSON


[1]      Il s'agit de l'exposé des motifs pour lesquels j'accueille l'appel interjeté par Mme Domnik contre la décision rendue le 30 novembre 1999 par le juge de la citoyenneté Lamartine Silva, par laquelle cette dernière a refusé la demande de citoyenneté canadienne de Mme Domnik au motif que celle-ci n'avait pas satisfait à l'exigence de résidence prévue par l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, et ses modifications (la Loi).


LES FAITS

[2]      Mme Domnik a immigré au Canada à partir de l'Allemagne à l'âge de sept ans en compagnie de sa mère et de sa soeur. Ils sont venus pour rejoindre le père de Mme Domnik, qui était déjà au Canada. À cette époque, Mme Domnik a acquis le statut d'immigrante admise au Canada.

[3]      Mme Domnik est maintenant âgée de trente-deux ans et est toujours citoyenne allemande. Mme Domnik a fait une demande de citoyenneté canadienne le 27 avril 1998. Ses parents et sa soeur sont maintenant citoyens canadiens.

[4]      Après avoir immigré au pays lorsqu'elle était enfant, Mme Domnik a fait l'ensemble de ses études au Canada. Elle a obtenu un baccalauréat en commerce de l'Université Queen à Kingston en 1991.

[5]      Mme Domnik a déclaré que, malgré ses efforts acharnés, elle n'avait pas réussi à trouver un poste de premier échelon en marketing stratégique au Canada. Mme Domnik a donc postulé et reçu une offre pour un poste en marketing stratégique en Allemagne chez Braun AG.

[6]      Par suite de son acceptation du poste, Mme Domnik a déménagé en Allemagne le 4 janvier 1992. Depuis lors, à l'exception de la période comprise entre juillet 1994 et octobre 1996, où elle a travaillé près de Boston (Massachusetts) pour une filiale de Braun Inc., Mme Domnik travaille et vit en Allemagne.

[7]      Le dossier du tribunal indique que Mme Domnik s'est trouvée au Canada pendant 181 des 1 461 jours qui ont précédé le dépôt de sa demande de citoyenneté. Il manquait donc à Mme Domnik 914 jours pour satisfaire à l'exigence d'être résident pendant trois ans qui est prévue par la loi.

[8]      Devant le juge de la citoyenneté, Mme Domnik a prétendu qu'elle considérait son absence du Canada comme étant temporaire et qu'elle avait l'intention de retourner y vivre dès que sa carrière le permettrait. Elle a souligné ses liens financiers avec le Canada, dont ses épargnes REER, ses placements, son compte bancaire, ses actions dans une entreprise familiale et ses biens immobiliers. Elle a conservé son statut de résidente permanente, et elle a sollicité et obtenu plusieurs permis de retour pour résident permanent d'Emploi et Immigration Canada et de son successeur Citoyenneté et Immigration Canada. Elle a prétendu que ses [traduction] « relations sociales les plus significatives » étaient centralisées en Ontario.

[9]      Depuis le 1er novembre 1996, Mme Domnik est à l'emploi de Braun Canada Ltd., une compagnie canadienne. À ce titre, Mme Domnik a passé une partie importante de son temps à effectuer des activités de mise en marché au Canada et aux États-Unis. Une partie de son revenu d'emploi lui a été versée en devises canadiennes, directement dans un compte bancaire canadien. Mme Domnik a indiqué qu'en acquérant de l'expérience en marketing stratégique international à l'étranger, elle se mettait en position d'obtenir un poste supérieur en marketing/direction générale au Canada, de préférence au sein de l'organisation Gillette/Braun. Elle a indiqué avoir clairement fait part à son employeur de son désir de revenir et de travailler au Canada pour l'une des filiales de Gillette/Braun.

[10]      Mme Domnik a indiqué qu'elle avait visité le Canada aussi souvent que le lui permettait sa situation professionnelle, qu'elle avait conservé une chambre chez ses parents et que lorsqu'elle avait quitté le Canada, elle n'avait emporté aucun bien personnel important avec elle, à l'exception de ses vêtements et de quelques manuels liés à son travail.

[11]      Mme Domnik a comparu à l'audience devant le juge de la citoyenneté le 22 novembre 1999, et la lettre l'informant du refus de sa demande de citoyenneté était datée du 30 novembre 1999.

[12]      Dans la lettre de refus, le juge de la citoyenneté a conclu que Mme Domnik avait satisfait à toutes les exigences de la Loi à l'exception de l'exigence prévue par l'alinéa 5(1)c), qui avait trait à la résidence.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]      Mme Domnik a soulevé deux questions relativement à la décision du juge de la citoyenneté :

1.      Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en concluant qu'elle n'avait pas satisfait à l'exigence de résidence?;
2.      Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en refusant de faire une recommandation portant sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par les paragraphes 5(4) et 15(1) de la Loi?

ANALYSE

[14]      La jurisprudence de la Cour établit qu'il faut faire preuve d'une certaine retenue envers les juges de la citoyenneté en raison de leurs connaissances spécialisées et de leur expérience. Dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177 (1re inst.), la norme de contrôle applicable aux appels interjetés auprès de la Cour en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi a été décrite ainsi par le juge Lutfy, maintenant juge en chef adjoint :

     [33]      La justice et l'équité, tant pour les demandeurs de citoyenneté que pour le ministre, appellent la continuité en ce qui concerne la norme de contrôle pendant que la Loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo. La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition. [non souligné dans l'original]

[15]      La jurisprudence établit aussi clairement que le juge de la citoyenneté a le droit d'adopter une méthode particulière plutôt qu'une autre pour statuer sur la question de savoir si l'exigence de résidence a été respectée. Dans la mesure où la méthode choisie par le juge de la citoyenneté est appliquée correctement, l'intervention de la Cour n'est pas requise.

[16]      Dans la présente affaire, j'ai conclu que les motifs du juge de la citoyenneté n'indiquaient pas clairement la méthode relative à l'exigence de résidence qui avait été appliquée.

[17]      Le juge de la citoyenneté a cité des extraits des jugements rendus par le juge Muldoon dans Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (1re inst.), et par le juge Reed dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.).

[18]      Ces décisions exposent des opinions différentes sur l'exigence de résidence.

[19]      Dans la partie des motifs du juge de la citoyenneté qui ne constituait pas que la simple reproduction d'extraits de décisions de la Cour, le juge a dit : [traduction] « [v]ous savez sans doute que dans des circonstances particulières, il a été jugé que des personnes avaient respecté l'esprit de l'exigence de résidence malgré de longues absences du Canada » .

[20]      Cela paraît être une référence au critère appliqué à bon nombre d'occasions par le juge Pinard dans des affaires telles que Re Mui (1996), 105 F.T.R. 158 (1re inst.).

[21]      Le juge de la citoyenneté n'a jamais formulé précisément le critère qu'elle a appliqué. L'essentiel de la décision se lit comme suit :

     [TRADUCTION] Vous êtes arrivée au Canada et avez reçu le droit d'établissement le 7 août 1975, à l'âge de 7 ans. Vous avez fait vos études au Canada. Vous avez obtenu un baccalauréat en commerce de l'Université Queen en 1991. Après avoir reçu votre diplôme, vous avez vécu et travaillé en Allemagne et aux États-Unis. Vous louez une résidence et vous possédez une voiture en Allemagne. Vous avez utilisé l'adresse de votre avocat pour votre correspondance; vous êtes venue au Canada le 21 novembre pour une audience prévue le 22 novembre 1999, et vous avez quitté pour les États-Unis pour retourner en Allemagne le 27 novembre 1999. Fait : L'Allemagne est votre lieu de résidence depuis 1992. De votre propre aveu, vous ne venez au Canada que pour visiter. Fait : vous ne payez pas vos impôts au Canada, mais en Allemagne. En raison de votre besoin de demeurer hors du Canada pour une si longue période, il ne m'est pas possible d'approuver votre demande de citoyenneté présentement. J'estime que vous serez une bonne citoyenne un jour, mais, présentement, il ne m'est pas possible de modifier les exigences dans la mesure nécessaire dans votre cas.

[22]      Les faits susmentionnés sont essentiellement exacts. Même si l'Allemagne n'est pas le lieu de résidence de Mme Domnik depuis 1992, comme l'a dit le juge, je n'estime pas que cette erreur soit importante en soi puisque, depuis 1992, Mme Domnik réside hors du Canada.

[23]      Toutefois, le juge a ensuite exposé des extraits de jurisprudence, lesquels précisaient la distinction entre le statut d'un immigrant admis et celui d'un citoyen. J'estime importants les extraits de la jurisprudence citée qui sont soulignés par le juge de la citoyenneté dans la lettre de refus.

[24]      Citant la décision rendue par le juge Pratte dans Blaha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1971] C.F. 521 (1re inst.), le juge de la citoyenneté a souligné ce qui suit : « [l]e législateur veut [...] s'assurer que la citoyenneté canadienne ne soit accordée qu'à ceux-là qui ont démontré leur aptitude à s'intégrer dans notre société » .

[25]      Citant la décision rendue par le juge Joyal dans Canada (Secrétaire d'État) c. Nakhjavani, [1988] 1 C.F. 84 (1re inst.), le juge de la citoyenneté a souligné ce qui suit :

     Je ne peux pas voir à quel moment pendant les années 1982 à 1986, les intimés se sont mêlés de quelque manière que ce soit à la société canadienne ou ont établi avec les Canadiens ou leurs institutions le genre de liens envisagés par le législateur dans sa Loi.
     La jurisprudence est claire : avant que l'on puisse appliquer à la durée de la résidence le critère applicable à la résidence en vertu de la Loi, le requérant doit tout d'abord prouver qu'il a établi sa résidence au Canada.

[26]      J'estime avec égards que les décisions ainsi soulignées par le juge de la citoyenneté sont entièrement inapplicables à la situation de Mme Domnik.

[27]      Dans sa plaidoirie, l'avocate du ministre a très honorablement concédé que si Mme Domnik avait fait une demande de citoyenneté avant son départ du Canada, elle aurait certainement obtenu sa citoyenneté canadienne.

[28]      Il ressort clairement de la preuve dont le juge de la citoyenneté était saisi qu'entre le moment où elle était âgée de sept ans et celui où elle était âgée de trente-trois ans et avait obtenu un diplôme de l'Université Queen, Mme Domnik avait incontestablement fait la preuve qu'elle était en mesure de s'intégrer à notre société et qu'elle s'était mêlée à la société canadienne.

[29]      Je conclus que les motifs du juge de la citoyenneté ne démontrent pas une compréhension des circonstances uniques dont elle était saisie. Les motifs ne démontrent ni une bonne compréhension de la jurisprudence, ni une bonne application à la jurisprudence des faits soumis au juge.

[30]      Pour les motifs qui précèdent et malgré les arguments convaincants et utiles de l'avocate du ministre, la décision en question est annulée et l'appel de Mme Domnik est accueilli.


                                 « Eleanor R. Dawson »

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 24 octobre 2000.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-144-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Annette Renate Domnik c. Procureur général du Canada
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 18 septembre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :              24 octobre 2000

ONT COMPARU

M. John Birch                          POUR LA DEMANDERESSE
Mme Ann Margaret Oberst                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Cassels Brock & Blackwell                  POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)












Date : 20001024


Dossier : T-144-00

Ottawa (Ontario), le mardi 24 octobre 2000

EN PRÉSENCE DE :      Madame le juge Dawson

ENTRE :


ANNETTE RENATE DOMNIK


demanderesse


et


PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


défendeur



JUGEMENT

     IL EST ORDONNÉ ET STATUÉ QUE :


     La décision rendue le 30 novembre 1999 par le juge de la citoyenneté

Lamartine Silva est annulée, et l'appel interjeté par Annette Renate Domnik est accueilli.



« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.

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