Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050125

Dossier : IMM-3786-04

Référence : 2005 CF 107

Ottawa, Ontario, le 25ième jour de janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                               Christopher Chigozie NWAMMADU

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Vu sa mémoire institutionnelle et son expérience, liées à ses connaissances spécialisées, la conclusion quant à l'identité et l'évaluation de la crédibilité appartient au tribunal de première instance. À cet égard, cette Cour n'intervient qu'en cas d'erreur (ou de lacune) manifestement déraisonnable.


NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1](Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 27 janvier 2004 et dont les motifs ont été signés le 4 février 2004. Dans cette décision, la Commission a conclu que le demandeur ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de _ personne à protéger _ au paragraphe 97(1) de la Loi.

FAITS

[3]                Citoyen du Nigeria, le demandeur, Monsieur Christopher Chigozie Nwammadu, allègue avoir une crainte fondée de persécution en raison du voisinage des communautés de deux villages dont son père aurait été le chef au Nigeria. En 1984, le père de M. Nwammadu serait mort empoisonné en raison de conflits quant à la famille ayant droit de diriger un certain village. Depuis 1996, M. Nwammadu aurait dirigé le commerce que lui a laissé son père.


[4]                En 2002, la possibilité que le droit sharia musulman soit instauré au Nigeria a mené à des tensions entre les chrétiens et les musulmans et ultimement à des émeutes à Kaduna, où des maisons, des commerces et des églises appartenant à des chrétiens ont été saccagés. Le commerce de M. Nwammadu aurait été du nombre des commerces brûlés. Après l'émeute, M. Nwammadu se serait réfugié dans une église. Il aurait rencontré une femme de l'Afrique du Sud, qui l'aurait aidé à s'enfuir. Selon son témoignage à l'audience, il aurait quitté son pays le 22 septembre 2002, à destination de l'Afrique du Sud. Il aurait ensuite quitté l'Afrique du Sud le 30 décembre 2002 pour arriver au Canada le 30 ou le 31 décembre 2002. Il a immédiatement demandé l'asile.

DÉCISION CONTESTÉE

[5]                La Commission a conclu au rejet de la revendication de M. Nwammadu aux motifs que ce dernier n'a pas établi son identité et qu'il n'était pas crédible.

QUESTIONS EN LITIGE

[6]                1. La demande de contrôle judiciaire devrait-elle être entendue malgré le fait qu'elle n'a pas été présentée dans les délais prescrits ?

2. La conclusion de la Commission quant à l'identité défaillante et au manque de crédibilité du demandeur est-elle manifestement déraisonnable ?


ANALYSE

1. La demande de contrôle judiciaire devrait-elle être entendue malgré le fait qu'elle n'a pas été présentée dans les délais prescrits ?

[7]                Tel qu'il appert de la preuve au dossier, la décision de la Commission a été envoyée à M. Nwammadu le 24 février 2002. Selon le paragraphe 35(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés[2] (Règles), M. Nwammadu est considéré avoir reçu la décision sept jours après sa mise à la poste, soit le 2 mars 2004. L'alinéa 72(2)b) de la Loi prévoit que la demande d'autorisation en vue d'un contrôle judiciaire doit être déposée et signifiée dans les quinze jours suivant la date où il est avisé ou a eu connaissance de la décision motivée de la Commission. M. Nwammadu aurait donc dû déposer sa demande d'autorisation le 17 mars 2004. Or, ce dernier allègue n'avoir pris connaissance de la décision de la Commission que le 19 avril 2004 et ce n'est que le 22 avril 2004, soit un peu plus d'un mois après l'échéance prévue à l'alinéa 72(2)b) de la Loi, qu'il a déposé et signifié sa demande d'autorisation.

[8]                La Cour convient avec le défendeur qu'aucune prorogation de délai ne devrait être accordée dans le présent dossier car, comme cela sera expliqué ci-dessous, M. Nwammadu n'a pas démontré qu'il lui était impossible de respecter le délai prévu à l'alinéa 72(2)b) de la Loi.

[9]                Dans Canada (Procureur général) c. Hennelly,[3] la Cour d'appel fédérale a établi les critères que doit démontrer le demandeur pour avoir droit à une prorogation de délai :

1.         une intention constante de poursuivre sa demande ;

2.         que la demande est bien-fondée ;

3.         que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai ; et

4.         qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai.


[10]            En l'espèce, on ne peut dire qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai. Seul un événement imprévu qui est hors du contrôle du demandeur peut justifier l'octroi d'une demande de prorogation [Chin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[4] au paragraphe 8]. M. Nwammadu soulève le fait qu'il est déménagé et que cela a coïncidé avec l'envoi de l'avis de décision. Or, un déménagement n'est pas un cas fortuit qui échappe au contrôle d'un demandeur, telle une maladie. Un déménagement est un événement que l'on peut préparer et organiser. Il était donc raisonnable de s'attendre à ce qu'une personne diligente, surtout un demandeur d'asile qui s'attend à recevoir une décision négative (il convient de rappeler que la Commission avait rejeté la demande d'asile de vive voix à l'audience du 27 janvier 2004), prenne des mesures raisonnables afin que tout se déroule bien et qu'il puisse recevoir son courrier [Dimenene c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5] au paragraphe 11]. Or, la seule preuve au dossier indique que M. Nwammadu n'a avisé la Commission de son déménagement que le 31 mars 2004, soit un mois et demi après le fait. Il ne s'agit pas d'une conduite diligente et en l'absence totale d'explications de la part de M. Nwammadu qui auraient justifié un assouplissement de la règle, une prorogation de délai n'est pas appropriée en l'espèce. Cette conclusion est, en soi, suffisante pour arrêter ici l'analyse du dossier. La Cour traitera tout de même de la deuxième question en litige.    

2. La conclusion de la Commission quant à l'identité défaillante et au manque de crédibilité du demandeur est-elle manifestement déraisonnable ?

[11]            Il est bien établi qu'en ce qui a trait à des questions de fait et de crédibilité, comme en l'espèce, l'erreur de la Commission doit être manifestement déraisonnable pour que la Cour intervienne [Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.)[6]; Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7]; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8]].


[12]            La Commission a conclu à l'absence de preuve acceptable confirmant l'identité de M. Nwammadu. Elle a, en outre, conclu au manque de crédibilité de ce dernier en raison des connaissances limitées de M. Nwammadu à propos des événements survenus entre 2000 et 2002 à Kaduna, ville dans laquelle il alléguait avoir subi la persécution, ainsi qu'en raison de l'incapacité de M. Nwammadu de fournir de la preuve relativement à la date exacte de son départ du Nigeria.

[13]            La seule pièce d'identité avec photo fournie par M. Nwammadu était son permis de conduire. Or, la Commission a relevé des renseignements contradictoires entre cette pièce d'identité et les autres éléments de preuve fournis : son adresse, sa taille ainsi que la mention qu'il n'avait pas de cicatrice. Il était raisonnable que la Commission n'accorde aucune valeur probante au permis de conduire puisque la preuve présentée était suffisante pour douter de l'authenticité de ce permis. La conclusion selon laquelle M. Nwammadu n'a pas prouvé son identité était suffisante en soi pour mettre un terme à l'analyse de la revendication [Ibnmogdad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[9]]. De plus, il appert de la décision de la Commission que M. Nwammadu possédait un passeport nigérien, mais qu'il ne l'a pas produit à l'audience, alléguant que ce passeport se trouve en Afrique du Sud. Dans ces circonstances, il était loisible à la Commission de conclure que cela entachait encore plus la crédibilité de M. Nwammadu.


[14]            En deuxième lieu, il était raisonnable pour la Commission de conclure à l'absence de crédibilité de M. Nwammadu à la lumière de la connaissance limitée démontrée à propos des événements survenus entre 2000 et 2002 à Kaduna. Le tribunal s'est principalement fondé sur les faits suivants afin de rendre sa décision. M. Nwammadu indique qu'il a quitté Kaduna après la destruction de son étal en septembre 2002 lorsque sévissaient des émeutes meurtrières. Or, la preuve documentaire à ce sujet indique que ces émeutes ont eu lieu en novembre 2002. Par ailleurs, M. Nwammadu a été incapable de dire quand les émeutes ont eu lieu en l'an 2000 et 2001. Il n'avait pas non plus de connaissances précises quant aux émeutes de Kaduna en 2001. Il a affirmé qu'il y avait eu environ 300 morts, alors que la preuve documentaire démontrait qu'il y en avait eu dix fois plus. Les connaissances limitées de M. Nwammadu à propos d'événements dont il allègue avoir été témoin et avoir vécu permettait raisonnablement à la Commission de douter de sa crédibilité.

[15]            En troisième lieu, la preuve fournie par M. Nwammadu sur sa date de départ du Nigeria est contradictoire. Il a témoigné être parti le 22 septembre 2002. Or, son Formulaire de renseignements personnels indique qu'il est parti le 20 septembre 2002. Finalement, dans sa déclaration à un agent de Citoyenneté et Immigration Canada, il indique plutôt le 2 octobre 2002. La Commission était donc en droit de conclure au manque de crédibilité de M. Nwammadu.

[16]            Ce dernier ne peut se contenter en contrôle judiciaire, comme il le fait en l'espèce, de réitérer des explications et des éléments de preuve qui se trouvaient déjà devant la Commission et que celle-ci a considéré. Ces explications et éléments de preuve ont déjà été pris en compte par la Commission et celle-ci a rendu une décision en conséquence. En l'absence d'erreur manifestement déraisonnable, la Cour n'intervient pas.   


CONCLUSION

[17]            Pour ces motifs, la Cour répond par la négative aux deux questions en litige. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

_ Michel M.J. Shore _

                                                                                                                                                     Juge                      


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3786-04

INTITULÉ :                                                    CHRISTOPHER CHIGOZIE NWAMMADU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE    

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DE L'ORDONNANCE         

ET ORDONNANCE :                                    LE 25 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Me Éveline Fiset                                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Ian Demers                                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Éveline Fiset                                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS                                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada



[1]L.C. 2001, ch. 27.

[2]DORS/2002-228.

[3](1999) 244 N.R. 399, [1999] A.C.F. no 846 (QL) au paragraphe 3.

[4](1993) 22 Imm. L.R. (2e)136 (C.F. 1ère inst.), [1993] A.C.F. no 1033 (QL).

[5]2001 CFPI 1101, [2001] A.C.F. no 1525 (QL).

[6](1993) 160 N.R. 315, _1993_ A.C.F. no 732 (QL).

[7] (2001) 11 Imm. L.R. (3e) 233, _2000_ A.C.F. no 2001 (1ère inst.) (QL).

[8](2000) 173 F.T.R. 280, _1999_ A.C.F. no 1283 (1ère inst.) (QL).

[9]2004 CF 321, [2004] A.C.F. no 327 (QL).


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.