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Date : 20050119

Dossier : T-145-04

Référence : 2005 CF 76

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                  LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                              YING QING DING

                                                                                                                                        défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite, en application des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le contrôle judiciaire de la décision du tribunal de révision (le tribunal), en date du 19 décembre 2003, par laquelle le tribunal accueillait l'appel interjeté par la défenderesse en application de l'article 28 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O-9 (la LSV) en lui reconnaissant le droit à des prestations de sécurité de la vieillesse commençant le 3 mars 1991.


LES FAITS

[2]                La défenderesse, Mme Ying Qing Ding, est une immigrante âgée de 72 ans qui a obtenu le droit d'établissement.

[3]                Elle est arrivée au Canada le 3 mars 1991. Avant son arrivée, elle s'était présentée à l'ambassade du Canada dans son pays, en Chine. Elle avait dit au représentant de l'ambassade qu'elle voulait émigrer et vivre au Canada. Sa fille au Canada était sur le point d'accoucher. Le représentant de l'ambassade lui avait dit qu'il pourrait s'écouler jusqu'à trois ou quatre ans avant qu'elle n'obtienne le statut d'immigrante avec droit d'établissement.

[4]                Le représentant de l'ambassade avait dit aussi à la défenderesse que, si elle voulait se rendre au Canada immédiatement, elle devrait obtenir un visa de touriste. Cela lui permettrait d'être présente à la naissance de l'enfant de sa fille.

[5]                La défenderesse a demandé et obtenu un visa de touriste et elle s'est rendue au Canada. Elle a emporté avec elle tous ses vêtements ainsi que d'autres biens transportables. Elle pensait qu'elle resterait ici en permanence. Elle a vécu avec sa fille et son gendre ainsi que sa nouvelle petite-fille.

[6]                Elle a obtenu plusieurs prorogations de son visa de touriste, mais finalement, en 1992, elle s'est présentée à un bureau de l'immigration en Colombie-Britannique, où on lui a dit que le seul moyen pour elle d'obtenir le droit d'établissement était de retourner dans son pays d'origine et d'y présenter une demande en ce sens.

[7]                Comme c'était elle surtout qui s'occupait de sa petite-fille, elle est retournée en Chine avec elle à la fin de février 1992.

[8]                La défenderesse a présenté depuis la Chine une demande de droit d'établissement, qui a été accueillie en octobre 1994. Elle et son mari ont vendu leurs biens et sont partis pour le Canada.

[9]                Le 15 novembre 2002, la défenderesse présentait une demande de pension de sécurité de la vieillesse (SV). Sur la demande, elle écrivait qu'elle avait vécu au Canada du 3 mars 1991 au 29 février 1992, puis du 24 octobre 1994 jusqu'alors.

[10]            Le 18 décembre 2002, la défenderesse était informée que sa demande de pension de SV était rejetée parce que, si l'on tenait compte de la date à laquelle elle avait obtenu le droit d'établissement au Canada (24 octobre 1994), elle ne remplissait pas la condition d'une période minimale de résidence de dix ans.

[11]            La défenderesse a répondu le 29 décembre 2002, en disant qu'elle souhaitait le réexamen de la décision. Sa lettre indiquait que le temps qu'elle avait passé au Canada du 3 mars 1991 au 29 février 1992 devrait être compté dans sa période de résidence de dix ans, pour trois raisons :

(i)          elle avait prévu rester au Canada;

(ii)         elle avait prévu présenter une demande d'immigration au Canada;

(iii)        elle n'avait pas prévu retourner en Chine.

[12]            Le 23 janvier 2003, la défenderesse était informée que sa demande avait été réexaminée, mais qu'elle était encore refusée.

[13]            Le 2 février 2003, la défenderesse informait le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision qu'elle souhaitait faire appel de la décision du ministre. Le 17 mars 2003, elle était informée que sa lettre était acceptée en tant qu'appel interjeté devant le tribunal en application de la LSV.

[14]            Le tribunal s'est réuni le 3 septembre 2003 à Burnaby (C.-B.). Dans sa décision datée du 19 décembre 2003, il faisait droit à l'appel de la défenderesse au motif qu'elle avait eu l'intention de rester au Canada. Le tribunal a jugé que la période de résidence de la défenderesse au Canada était réputée avoir commencé le 3 mars 1991 et qu'elle n'avait pas été interrompue par son retour ultérieur en Chine ni par son absence du Canada.


LA DÉCISION CONTESTÉE

[15]            Le tribunal a estimé que la période de résidence de la défenderesse était réputée avoir commencé le 3 mars 1991 et que sa pension de SV devrait être calculée à compter de cette date.

[16]            Le point que le tribunal devait décider était celui de savoir si la défenderesse avait ou non résidé au Canada durant la période requise pour avoir droit à des prestations selon le paragraphe 3(2) de la LSV. La période minimale de résidence est dix ans.

[17]            Dans son avis d'appel, la défenderesse avançait les arguments suivants afin d'expliquer pourquoi le temps qu'elle avait passé au Canada de 1991 à 1992 devrait être inclus :

a)          l'exigence de résidence ne disait pas que la période de résidence au Canada durant une visite ne comptait pas;

b)          selon la Loi de l'impôt sur le revenu, si quelqu'un reste au Canada durant plus de 183 jours, il sera un résident du Canada. Elle est entrée au Canada le 3 mars 1991 et en est partie le 29 février 1992. Cette période devrait être considérée comme une période de résidence;


c)          elle a aussi appris, en s'informant auprès de la ligne d'information générale du Programme de sécurité du revenu, 1-800- 277- 9914, que sa première année devrait être incluse si elle avait eu l'intention de rester au Canada. Il était évident qu'elle avait eu une telle intention, puisqu'elle avait présenté une demande d'immigration au Canada et qu'elle avait apporté avec elle tous ses effets au Canada, comme l'indiquait sa lettre du 29 décembre 2002.

[18]            Le tribunal a jugé que, même si elle se trouvait à l'origine au Canada à la faveur d'un visa de visiteur ou de touriste, il était clair qu'elle n'était pas simplement en visite, ou présente, au Canada, parce qu'elle y était venue avec l'intention de s'y établir. Le tribunal a relevé qu'elle était venue ici à la faveur d'un visa parce qu'un représentant de l'ambassade du Canada à Pékin lui avait conseillé de s'y prendre ainsi. Son intention était de s'y établir en permanence, et elle avait compté présenter une demande de droit d'établissement ici au Canada et obtenir ce droit.

[19]            Puis le tribunal a considéré que le retour de la défenderesse en Chine, de 1992 à 1994, avait simplement été une présence, non une période de résidence. Selon lui, l'unique raison pour laquelle la défenderesse était retournée en Chine était la présentation d'une demande de droit d'établissement au Canada. Le tribunal a relevé que, si l'on considérait l'état d'esprit et les intentions de la défenderesse, alors la défenderesse voyait le Canada comme le lieu de son domicile, et elle le voyait tel depuis le 3 mars 1991.


[20]            Le tribunal a estimé aussi que [traduction] « en raison de ses intentions évidentes, le temps qu'elle a passé ici devrait compter comme période de résidence et elle devrait à ce titre recevoir des prestations de sécurité de la vieillesse qui seront chiffrées en conséquence » . Le tribunal a considéré que la période de résidence de la défenderesse avait débuté le 3 mars 1991.

POINTS LITIGIEUX

[21]            Le demandeur soulève quatre points :

(i)          le tribunal a-t-il appliqué le bon critère juridique lorsqu'il a dit que la défenderesse était une résidente canadienne?

(ii)         le tribunal a-t-il tiré des conclusions de fait erronées ou commis une erreur de droit lorsqu'il a dit que la défenderesse avait résidé au Canada entre le 3 mars 1991 et le 29 février 1992?

(iii)        le tribunal a-t-il tiré des conclusions de fait erronées ou commis une erreur de droit lorsqu'il a dit que la défenderesse avait résidé au Canada entre le 29 février 1992 et le 24 octobre 1994?


(iv)        le tribunal a-t-il agi sans compétence ou a-t-il outrepassé sa compétence lorsqu'il a dit que la défenderesse avait résidé au Canada entre le 29 février 1992 et le 24 octobre 1994?

ARGUMENTS

Norme de contrôle

[22]            Selon le demandeur, pour les points (i) et (iv), la norme de contrôle devrait être celle de la décision correcte (voir l'arrêt Villani c. Canada (Procureur général), [2002] 1 C.F. 130 (C.A.F.)). Le demandeur dit que les points (ii) et (iii) requièrent une application des faits au droit et qu'il convient donc de les examiner selon la norme de la décision raisonnable pour voir si la décision du tribunal repose sur un fondement rationnel.

Conditions de la SV

[23]            Le demandeur relève que le programme de la SV est un programme de sécurité sociale institué par une loi et administré par le gouvernement fédéral. Le programme de la SV verse des prestations aux personnes âgées de plus de 65 ans qui répondent aux conditions de résidence.

[24]            Pour un programme fondé sur la résidence, un ressortissant étranger peut répondre aux conditions s'il a vécu au Canada pendant un minimum de dix ans après l'âge de 18 ans. Les requérants doivent être soit des citoyens canadiens soit des résidents en règle le jour qui précède celui de l'approbation de la demande.

[25]            Le montant de la pension de SV dépend de la période durant laquelle le bénéficiaire a résidé au Canada. Dix ans de résidence donnent droit à des prestations partielles tandis que 40 ans de résidence donnent droit à de pleines prestations.

[26]            Selon le demandeur, la raison des conditions de résidence est que la pension de SV est versée en reconnaissance de la contribution de toute une vie d'une personne à la société canadienne et à l'économie canadienne.

[27]            Le demandeur relève que c'est à celui qui réclame une pension de SV qu'il appartient d'établir qu'il répond aux conditions de résidence. Dans l'alinéa 21(1)a) du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (le Règlement), la « résidence » est définie ainsi :


21. (1) Aux fins de la Loi et du présent règlement,

21. (1) For the purposes of the Act and these Regulations,

a) une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada;

(a) a person resides in Canada if he makes his home and ordinarily lives in any part of Canada;


[28]            La notion de « présence » se trouve dans l'alinéa 21(1)b) du Règlement :


21. (1) Aux fins de la Loi et du présent règlement,

21. (1) For the purposes of the Act and these Regulations,

b) une personne est présente au Canada lorsqu'elle se trouve physiquement dans une région du Canada.

(b) a person is present in Canada when he is physically present in any part of Canada.


[29]            Le paragraphe 21(4) du Règlement régit les cas où une absence du Canada est réputée ne pas avoir interrompu la période de résidence ou la présence d'une personne au Canada. Une absence de caractère temporaire qui ne dépasse pas un an n'entraîne pas une interruption.

[30]            Le demandeur dit que le point de savoir si une personne établit sa demeure au Canada est une question de fait qui est décidée en fonction des circonstances (voir la décision Perera c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), [1994] A.C.F. no 351 (C.F. 1re inst.))

[31]            Le demandeur dit aussi que de nombreux facteurs doivent être considérés pour savoir si les conditions de résidence sont observées (voir R-40690 c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (22 mars 2000); et D-55074 c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (20 novembre 2000)) :

a)          liens prenant la forme de biens mobiliers;

b)          liens sociaux au Canada;

c)          autres liens au Canada (assurance-maladie, permis de conduire, bail de location, dossiers fiscaux, etc.);

d)          liens dans un autre pays;


e)          régularité et durée du séjour au Canada, ainsi que fréquence et durée des absences du Canada;

f)           mode de vie de l'intéressé, ou la question de savoir si l'intéressé vivant au Canada y est suffisamment enraciné et établi.

[32]            Le demandeur soutient que, comme il est indiqué dans l'arrêt Ata c. Canada, [1985] A.C.F. no 800 (C.A.F.), la résidence permanente est un statut que l'on obtient en se conformant aux dispositions particulières des lois canadiennes sur l'immigration (et pas simplement par intention personnelle) et en justifiant d'une présence licite, de quelque durée que ce soit, au Canada.

Point no 1 - Critère juridique à appliquer

[33]            Le demandeur est d'avis que, bien que le tribunal se réfère dans sa décision à l'article 21 du Règlement sur la SV et à la définition de la « résidence » , il n'a pas appliqué le bon critère juridique dans l'examen de la preuve. Le demandeur soutient que le tribunal n'a donné aucun effet au texte du Règlement sur la SV.


[34]            Le demandeur soutient que le tribunal a fondé sa décision uniquement sur l'intention de la défenderesse de s'établir au Canada. Il dit aussi que le tribunal a rendu sa décision sans évaluer ou apprécier la preuve aux fins de savoir si la défenderesse avait établi sa demeure et vivait ordinairement au Canada. Le demandeur dit que le mode de vie de la défenderesse n'a pas été considéré ou évalué par le tribunal.

Point no 2 - Période allant du 3 mars 1991 au 29 février 1992

[35]            La position du demandeur sur ce point est que le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve qu'il avait devant lui et qu'il a rendu une décision manifestement déraisonnable. Le tribunal a énoncé plusieurs hypothèses qui dépassaient sa spécialisation et sa connaissance personnelle lorsqu'il a dit que la défenderesse était une résidente. Notamment,

a)          le tribunal a présumé que la défenderesse ne s'était pas livrée aux activités qui seraient habituelles pour une personne détenant un visa de touriste;

b)          il n'est pas inusité dans la culture chinoise pour une grand-mère d'être la personne qui s'occupe principalement d'une première petite-fille.

[36]            Selon le demandeur, la preuve n'appuie pas les dires de la défenderesse qui affirme que, lorsqu'elle est arrivée au Canada en mars 1991, elle pensait y être établie en permanence ou être devenue une résidente à cette date. Le demandeur relève que c'est à la défenderesse qu'il appartient d'établir qu'elle était une résidente au cours de la période considérée.


[37]            Selon le demandeur, la défenderesse n'a produit, pour la période de 1991 à 1992, aucune facture de services publics, aucun dossier d'impôt sur le revenu, aucune carte de membre d'association ou d'organisation, aucun bail de location ni aucun autre document montrant l'existence de liens matériels ou sociaux avec le Canada. Au contraire, elle n'a vendu sa maison en Chine qu'à son retour en 1992.

[38]            Le demandeur fait observer que la défenderesse est arrivée au Canada à la faveur d'un visa de visiteur en 1991. Un visiteur est désigné, dans l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, comme une personne qui se trouve au Canada à titre temporaire :


_ visiteur _ Personne qui, à titre temporaire, se trouve légalement au Canada ou cherche à y entrer, à l'exclusion :

"visitor" means a person who is lawfully in Canada, or seeks to come into Canada, for a temporary purpose, other than a person who is

a) des citoyens canadiens;

(a) a Canadian citizen,

b) des résidents permanents;

(b) a permanent resident,

c) des titulaires de permis;

(c) a person in possession of a permit, or

d) des immigrants visés aux alinéas 14(2)b), 23(1)b) ou 32(3)b).

_ immigrant _ Personne qui sollicite l'établissement.

(d) an immigrant authorized to come into Canada pursuant to paragraph 14(2)(b), 23(1)(b) or 32(3)(b).

"immigrant" means a person who seeks landing.


[39]            La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C 2001, ch. 27 (la LIPR), concerne les droits et obligations des résidents temporaires :



Droit du résident temporaire

29. (1) Le résident temporaire a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'autorisation d'entrer au Canada et d'y séjourner à titre temporaire comme visiteur ou titulaire d'un permis de séjour temporaire.

Right of temporary residents

29. (1) A temporary resident is, subject to the other provisions of this Act, authorized to enter and remain in Canada on a temporary basis as a visitor or as a holder of a temporary resident permit.29(2) Obligation du résident temporaire

(2) Le résident temporaire est assujetti aux conditions imposées par les règlements et doit se conformer à la présente loi et avoir quitté le pays à la fin de la période de séjour autorisée. Il ne peut y rentrer que si l'autorisation le prévoit.

29(2) Obligation - temporary resident

(2) A temporary resident must comply with any conditions imposed under the regulations and with any requirements under this Act, must leave Canada by the end of the period authorized for their stay and may re-enter Canada only if their authorization provides for re-entry.


Points nos 3 et 4 - Période allant du 29 février 1992 au 24 octobre 1994, et compétence

[40]            Sur ces points, le demandeur affirme que le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a dit que la défenderesse était résidente du Canada du 29 février 1992 au 24 octobre 1994 alors qu'elle était en Chine.

[41]            Par lettre en date du 29 décembre 2002, la défenderesse a demandé le réexamen de la décision rendue contre elle sur un point : celui de savoir si elle était résidente du Canada durant la période allant du 3 mars 1991 au 29 février 1992. La défenderesse n'était pas en désaccord avec le demandeur sur le fait qu'elle n'était pas résidente du Canada du 29 février 1992 au 24 octobre 1994.

[42]            Le demandeur soutient que, puisque la défenderesse n'a jamais interjeté appel à propos de la période allant du 29 février 1992 au 24 octobre 1994, le tribunal a agi sans compétence ou a outrepassé sa compétence lorsqu'il a pris en compte cette période.


ANALYSE

[43]            Pour commencer, je crois qu'il importe de préciser ce qui est en jeu dans cette demande. Le ministre ne dit pas que Mme Ding n'a pas droit à une pension partielle de SV. Il s'agit de savoir si, comme l'a jugé le tribunal, on devrait calculer ses prestations en considérant que sa période de résidence au Canada a débuté le 3 mars 1991 et qu'elle s'est poursuivie sans interruption depuis cette date.

[44]            Selon le calcul du ministre, elle a acquis le droit de recevoir des prestations en novembre 2004, compte tenu d'une période de résidence de dix ans qui a débuté en octobre 1994.

[45]            En raison de son âge et de son état de santé, et parce que Mme Ding n'a pas produit de documents en réponse à la demande de contrôle judiciaire, qu'elle n'a pas comparu à l'audience du 9 novembre 2004 à Vancouver et que nul n'a comparu en son nom, j'ai l'impression qu'elle ne comprend peut-être pas l'importance de cette demande et ce qu'elle signifie pour ses droits actuels. Pour apaiser les préoccupations à cet égard, l'avocat du ministre, Me Michel Mathieu, s'est généreusement engagé à informer par écrit Mme Ding des conséquences de cette demande pour ses droits en général, et je voudrais les remercier, lui et le ministre, de m'avoir tranquillisé l'esprit sur ce point.

[46]            S'agissant de la décision elle-même, je la considère comme une louable tentative du tribunal d'accorder à tous égards à Mme Ding le bénéfice du doute, mais je ne crois pas que, sur le plan juridique, elle soit valide.

Le retour en Chine durant la période 1992-1994

[47]            Le tribunal a présumé qu'il avait été prié de tenir compte du retour de Mme Ding en Chine, et il est arrivé sur ce point aux conclusions suivantes :

[TRADUCTION]

...

(2)            Lorsqu'elle est retournée en Chine avec le bébé de sa fille un an plus tard, pour une période dépassant deux ans, elle ne s'est trouvée en Chine que pour y être « présente » et non à titre de « résidente » . L'unique raison pour laquelle elle s'y trouvait, c'était qu'elle devait présenter une demande de droit d'établissement, vendre ses biens et dire au revoir à sa famille et aux amis de longue date. Si l'on considérait son état d'esprit et ses intentions, alors elle voyait le Canada comme le lieu de son domicile et elle le voyait tel depuis les trois années antérieures.

Le ministre a exprimé l'avis que, parce que l'appelante avait quitté le Canada depuis plus de deux ans, c'était là une indication que son absence effaçait toute période antérieure de résidence. Comme il est indiqué ci-dessus, l'unique raison de l'absence de l'appelante était qu'elle devait remplir et parachever son statut de résidente au Canada comme l'indiquaient les directives qu'elle avait reçues du personnel canadien de l'immigration.

...

[48]            La difficulté que cela pose, c'est que la caractérisation du retour de Mme Ding en Chine n'a pas été soulevée par elle dans son appel.

[49]            Dans sa lettre du 29 décembre 2002 en réponse à la décision du ministre, Mme Ding indiquait très clairement que [traduction] « le seul aspect sur lequel je suis en désaccord avec vous quant à votre décision concerne ma première année au Canada, du 3 mars 1991 au 29 février 1992 » :

[TRADUCTION] Je crois donc que la première année que j'ai passée au Canada devrait être incluse dans ma période totale de résidence, parce que j'avais l'intention de rester au Canada, que j'ai présenté une demande d'immigration au Canada et que j'ai également apporté tous mes effets avec moi. Je crois que ma première année devrait être incluse.

[50]            Également, dans son avis d'appel du 2 février 2003, cité par le tribunal dans sa décision, Mme Ding précise clairement encore une fois que la seule difficulté que lui posait la décision du ministre était la manière dont il avait considéré sa première année au Canada, de 1991 à 1992.

[51]            La décision du tribunal ne dit pas comment la question du retour en Chine durant deux ans a pu être soumise au tribunal, si ce n'est le fait que le ministre s'y était référé en y voyant le signe qu'il n'y avait eu durant l'année 1991-1992 aucune période antérieure de résidence.

[52]            À mon avis donc, sur ce point, le tribunal s'est arrogé une compétence pour décider un point dont il n'était pas saisi. C'était là une erreur de droit ou de compétence, qui je crois est sujette à révision selon la norme de la décision correcte. Voir par exemple la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Heaman, 2004 CF 1155 (QL), au paragraphe 5.


Le critère de la résidence

[53]            L'essentiel de la décision du tribunal se trouve dans le paragraphe suivant :

[TRADUCTION] Au vu de la preuve existante, le tribunal de révision a considéré que le temps passé par Mme Ding au Canada alors qu'elle détenait un visa de visiteur n'entrait pas dans la catégorie d'une « présence » ou d'une « visite » , mais que, au lieu de cela, en raison de ses intentions évidentes, le temps qu'elle avait passé ici devrait compter comme période de résidence et elle devrait à ce titre recevoir des prestations de sécurité de la vieillesse, qui seront chiffrées en conséquence.

[54]            Le droit de Mme Ding à une pension partielle découle du paragraphe 3(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. 0-6, ainsi rédigé :


Pension partielle

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, une pension partielle est payable aux personnes qui ne peuvent bénéficier de la pleine pension

Payment of partial pension

(2) Subject to this Act and the regulations, a partial monthly pension may be paid for any month in a payment quarter to every person who is not eligible for a full monthly pension under subsection (1)


[55]            La notion clé de « résidence » dont il est question dans cette disposition est définie au paragraphe 21(1) du Règlement sur la SV :


21. (1) Aux fins de la Loi et du présent règlement,

21. (1) For the purposes of the Act and these Regulations,

a) une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada; et

(a) a person resides in Canada if he makes his home and ordinarily lives in any part of Canada; and

b) une personne est présente au Canada lorsqu'elle se trouve physiquement dans une région du Canada.

(b) a person is present in Canada when he is physically present in any part of Canada.


[56]            Le paragraphe 3(2) de la Loi requiert uniquement que l'aspect de la « résidence » soit considéré.

[57]            Il ressort clairement de la décision que le tribunal a considéré les « intentions » de Mme Ding durant le temps qu'elle a passé au Canada à la faveur d'un visa de visiteur comme le facteur déterminant permettant de dire si elle avait « résidé au Canada » selon le paragraphe 3(2) de la Loi. Le tribunal n'invoque aucun précédent à l'appui de cette manière de voir, laquelle semble aller à l'encontre de l'approche adoptée par les cours de justice lorsqu'elles ont affaire à la notion de « résidence » dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, où un soin considérable a été pris pour établir une distinction entre un changement de « domicile » (changement qui dépend de la volonté de l'individu) et un changement de « résidence » , qui dépend de faits extérieurs à l'intention de l'intéressé. Je trouve utiles ici les propos suivants du juge Noël, tirés de la décision rendue par la Cour de l'Échiquier du Canada dans l'affaire Schujahn c. Canada (Ministre du Revenu national), [1962] C. de l'É. 328 (QL), au paragraphe 8 :


[TRADUCTION] Il est un principe très bien établi, en ce qui concerne la question de la résidence, qu'il s'agit d'une question de fait, et par conséquent que les circonstances de chaque espèce doivent être examinées attentivement pour voir si elles sont englobées par les éléments variables et très divers de l'expression « réside ordinairement » ou du mot « résident » . Ce n'est pas, comme dans les règles du domicile, le lieu d'origine d'une personne ou le lieu où elle entend retourner. Un changement de domicile dépend de l'intention de l'intéressé. Un changement de résidence dépend de faits qui échappent à sa volonté ou à ses voeux. La durée du séjour ou le temps de présence dans le pays, bien que ce soit un élément à considérer, n'est pas toujours concluant. La présence personnelle pendant quelque temps durant l'année, soit de la part du mari soit de la part de l'épouse et de la famille, est sans doute essentielle pour établir la résidence dans le pays. Un lieu de résidence [page 332] ailleurs peut n'être d'aucune importance puisqu'une personne peut avoir plusieurs lieux de résidence du point de vue fiscal, et le mode de vie, la durée du séjour ainsi que le motif de sa présence dans le pays pourraient annuler sa période de résidence en dehors du pays. Même la permanence du lieu de résidence n'est pas essentielle puisqu'une personne peut être résidente même si elle voyage constamment et, dans un tel cas, le statut peut être acquis en raison du lien établi par naissance, par mariage ou par une association antérieure de longue date avec un endroit. Une résidence forcée pourrait même conférer le statut de résident.

[58]            Autrement dit, la résidence est une question de fait qui requiert l'examen de toute la situation de la personne concernée. Dans le cas de Mme Ding, de nombreux facteurs devaient être examinés et pris en compte, et « ses intentions évidentes » n'auraient pas dû être le fondement du critère que le tribunal a appliqué.

[59]            À mon avis, le tribunal a appliqué le mauvais critère juridique pour savoir si la défenderesse avait la qualité de résidente. Puisqu'il s'agit d'une question de droit, je suis d'avis que, d'après la jurisprudence de la Cour, la conclusion du tribunal doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Voir par exemple Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Néron, 2004 CF 101 (QL); et Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Succession Reisinger, 2004 CF 893 (QL). Ma conclusion est que le tribunal a commis une erreur sujette à révision parce que, lorsqu'il s'est demandé si Mme Ding avait résidé au Canada à l'époque pertinente, il s'est fondé sur « ses intentions évidentes » , à l'exclusion d'autres facteurs qui auraient pu conduire à une conclusion contraire.


[60]            Outre les erreurs de droit, je suis également d'avis que la décision du tribunal renferme plusieurs erreurs factuelles qui concernent des aspects très importants et qui rendent la décision manifestement déraisonnable. Par exemple, le tribunal semble avoir été d'avis que Mme Ding [traduction] « pouvait demander le droit d'établissement lorsqu'elle est arrivée au Canada » et qu'elle était venue au Canada pour présenter une demande de droit d'établissement parce que les autorités canadiennes lui avaient dit de s'y prendre ainsi. Mais la défenderesse dit clairement dans sa lettre du 29 décembre 2002 que [traduction] « j'ai pensé qu'il serait plus rapide pour moi de présenter une demande d'immigration au Canada alors que je me trouvais à Vancouver. Lorsque j'ai présenté ma demande d'immigration à Vancouver, on m'a dit que je devais la présenter en Chine et qu'il me fallait partir » . Le tribunal n'a avancé aucune preuve véritable montrant qu'un employé de l'ambassade du Canada à Pékin avait dit à Mme Ding qu'elle pouvait se rendre au Canada et y présenter une demande de droit d'établissement.

[61]            Un autre facteur important entourant la question de la résidence était que Mme Ding avait laissé son mari et ses biens derrière elle en Chine. Constatant que le mari de Mme Ding ne l'avait pas accompagnée, le tribunal a énoncé l'hypothèse suivante, invérifiée et invérifiable :

[TRADUCTION] La raison pour laquelle il ne s'était pas rendu avec elle au Canada était que le droit canadien de l'immigration interdit à un couple chinois d'arriver ensemble au Canada.


[62]            De même, le tribunal affirme, au soutien de sa décision, que Mme Ding [traduction] « ne s'était pas livrée aux activités qui seraient habituelles pour une personne détenant un visa de touriste » . L'origine de cette affirmation semble être le fait que, durant la période 1991-1992, lorsqu'elle se trouvait au Canada à la faveur d'un visa de touriste, elle [traduction] « vivait chez sa fille, son gendre et le nouveau bébé et quittait rarement la maison » . L'idée semble être qu'un touriste ne séjourne pas en général avec sa parenté. Cette position est insoutenable. D'ailleurs, le tribunal n'explique pas ce que seraient les activités habituelles d'une personne détenant un visa de touriste. C'est là un point significatif de la décision, et il n'est tout simplement pas expliqué.

[63]            Le tribunal semble aussi avoir présumé que Mme Ding avait attendu l'expiration de toute la période 1991-1992 avant de se présenter à un bureau de l'immigration et [traduction] « qu'on lui avait dit que le seul moyen pour elle d'obtenir le droit d'établissement était de retourner dans son pays d'origine et d'y présenter une demande en ce sens » . Mais le dossier donne aussi à entendre que Mme Ding a demandé et obtenu deux prorogations de son visa de touriste avant qu'elle ne soit priée de partir (septembre 1991 et janvier 1992). Il n'y avait aucune raison de présumer que Mme Ding avait attendu durant toute l'année pour finalement se surprendre de constater qu'elle devait retourner en Chine.

[64]            Considérés globalement, ces postulats ne semblent pas être appuyés par une preuve quelconque et ils vont à l'encontre de la preuve qui apparaît dans le dossier. Ils sont manifestement déraisonnables.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est accueillie, la décision du tribunal est annulée et l'affaire est renvoyée à une autre formation du tribunal, pour réexamen.

2.          Il n'est pas ordonné de dépens.

                                                                                 _ James Russell _              

                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       T-145-04

INTITULÉ :                      LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES c. YING QING DING

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 9 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :     LE 19 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Michel Mathieu                                                  POUR LE DEMANDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims                                                     POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

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