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Date : 20010322

Dossier : IMM-2596-00

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 22 MARS 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

E n t r e :

                                      MAJLINDA DINI

                                          ARBEN DINI

                                        KLAUDIA DINI

demandeurs

                                                  - et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

La question suivante est certifiée :

Dans le cas de la décision visée au par. 2(3) de la Loi sur l'immigration, est-il nécessaire de conclure que les persécutions antérieures sont « épouvantables » ou « atroces » pour pouvoir conclure à l'existence de « raisons impérieuses » ?

                                                                                         FREDERICK E. GIBSON       

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


Date : 20010322

Dossier : IMM-2596-00

                                       Référence neutre : 2001 CFPI 217

E n t r e :

                                      MAJLINDA DINI

                                          ARBEN DINI

                                        KLAUDIA DINI

demandeurs

                                                  - et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]                Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 17 avril 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1].


[2]    La décision à l'examen en l'espèce n'est pas la première que la SSR rend au sujet de la revendication du statut de réfugié des demandeurs. Une décision antérieure, dans laquelle la SSR a également conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, a fait l'objet d'un contrôle judiciaire de la part de notre Cour. Le 24 juin 1999, le juge Reed a annulé cette décision et a renvoyé les revendications des demandeurs à la SSR pour qu'elle décide si le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration s'appliquait aux demandeurs. Voici les dispositions pertinentes des paragraphes 2(2) et 2(3) de la Loi sur l'immigration :


2.(2) A person ceases to be a Convention refugee when

...

(e) the reasons for the person's fear of persecution in the country that the person left, or outside of which the person remained, cease to exist.

2.(3) A person does not cease to be a Convention refugee by virtue of paragraph (2)(e) if the person establishes that there are compelling reasons arising out of any previous persecution for refusing to avail himself of the protection of the country that the person left, or outside of which the person remained, by reason of fear of persecution.


2.(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où_ :

...

e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.

2.(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.


[3]                Dans les motifs qu'elle a prononcés oralement et qu'elle ensuite communiqués par écrit[2], le juge Reed déclare :


La Commission a conclu que la situation qui régnait dans le pays d'origine avait changé mais elle n'a pas expressément décidé si les demandeurs avaient été des réfugiés au sens de la Convention avant les changements. Se fonder sur le principe du changement de la situation du pays d'origine est une reconnaissance implicite de son existence. En tout cas, la Commission a poursuivi, de la manière jugée appropriée par la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale, en évaluant ce qui est le plus à même d'arriver aux demandeurs s'ils sont renvoyés dans leur pays d'origine [l'Albanie], compte tenu des événements qui s'y déroulent au moment de l'audience devant la SSR, et qui comprennent bien sûr un changement de la situation qui règne dans le pays d'origine. Cette analyse a mené à la conclusion que les demandeurs, à cette date, n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

J'ai compris que les deux avocats étaient d'accord sur le fait que lorsqu'un tribunal de la Commission se base sur le changement de la situation qui règne dans un pays d'origine et qu'une demande d'analyse en vertu du paragraphe 2(3) est faite, une obligation pèse sur la Commission d'entreprendre cette analyse [...] L'analyse qui était exigée n'a pas été entreprise.

Le juge Reed a conclu qu'il ne conviendrait pas que la Cour elle-même se livre à une telle analyse. D'où sa décision de renvoyer la question à la Commission pour réexamen.

[4]                Le juge Reed écrit plus loin :

À ce sujet, je remarque que, bien que l'avocat ait mentionné que le paragraphe 2(3) n'était applicable que lorsque le demandeur avait subi un traitement effroyable et qu'il ait renvoyé à la jurisprudence dans la mesure où celle-ci renvoyait aux situations de traumatisme personnel, le paragraphe 2(3) décrit le critère pertinent comme étant :

si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté...

[5]                L'avocat des demandeurs affirme qu'en tenant les propos précités, le juge Reed laissait entendre qu'il n'était pas nécessaire que le revendicateur ait fait l'objet d'un traitement effroyable et qu'il ait subi un traumatisme personnel pour qu'on puisse conclure à l'existence de « raisons impérieuses » .

[6]                En effectuant son analyse conformément à l'ordonnance du juge Reed, la SSR a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]


La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir en quoi consistent les « raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures » et celle de savoir si c'est le cas en l'espèce.

Dans l'arrêt Obstoj, le juge Hugessen a statué que le paragraphe 2(3) devait être interprété comme exigeant des autorités canadiennes qu'elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d'ordre humanitaire à cette « catégorie spéciale et limitée de personnes « , c'est-à-dire « ceux qui ont souffert d'une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer » lors même qu'ils n'auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution. Ces circonstances sont toutefois « exceptionnelles « :

Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s'appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels.

La Cour fédérale a confirmé cette mise en garde dans des décisions subséquentes, dont le jugement Cortez, dans lequel elle a précisé que le paragraphe 2(3) ne s'applique que dans des « circonstances exceptionnelles » , et dans le jugement Yusuf, où elle a parlé de la « catégorie spéciale et restreinte de personnes à qui cette disposition exceptionnelle s'applique » .

La question de savoir s'il existe des « raisons impérieuses » est une question de fait. Suivant la jurisprudence, le critère minimal auquel il faut satisfaire pour démontrer qu'il existe des « raisons impérieuses » est exigeant. Par exemple, dans l'arrêt Hassan, la Cour a déclaré ce qui suit :

Bien qu'un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié pourront s'estimer visés par le paragraphe 2(3), on doit se souvenir que toute forme de persécution est associée, par définition, à la mort, à des blessures physiques ou à d'autres sévices. Le paragraphe 2(3), tel qu'il a été interprété, ne s'applique qu des cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même lventualité d'un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant.


      Dans l'affaire Arguello-Garcia, le requérant était un citoyen salvadorien dont le frère et d'autres membres de sa famille avaient été assassinés par la Garde nationale en 1981. Sa mère, qui avait été témoin des meurtres, était morte trois jours plus tard des suites de ce choc. En 1987, le requérant avait été arrêté et détenu pendant six semaines parce qu'il était soupçonné de complicité avec les guérilleros. Au cours de sa détention, il avait été maltraité, agressé sexuellement et torturé. En 1990, le fils du requérant a été tué. Le requérant a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la CAI avait jugé que le par. 2(3) ne s'appliquait pas à lui. Pour se prononcer sur les persécutions antérieures dont il avait fait l'objet de la part des agents de persécution, la Cour s'est inspirée des définitions des termes « atroces » , « atrocité » et « épouvantable » que l'on trouve dans les dictionnaires. La Cour a conclu que la torture et les agressions sexuelles que le requérant avait subies constituaient certainement des actes « atroces » et « épouvantables » au sens des définitions en question.

Toutefois, dans le jugement Siddique, la Cour a confirmé la conclusion de la SSR suivant laquelle, bien que répugnante, la torture dont le revendicateur avait été victime au cours de ses quinze jours de détention au Bangladesh au début des années quatre-vingt ne constituaient pas une persécution atroce. Dans le jugement Toah, la Cour a confirmé la décision de la SSR, qui avait conclu que la détention, la torture, les coups et les agressions sexuelles qu'avait subis le revendicateur ntaient pas « suffisamment graves » , « atroces » ou « effroyables » pour justifier l'application du paragraphe 2(3).

Il semble donc que le « critère » permettant de conclure à l'existence de « raisons impérieuses » qui a été établi dans la jurisprudence consiste à déterminer si, de façon objective, les souffrances du revendicateur sont suffisantes pour justifier l'application de ce critère[3].

  


[7]                La SSR a ensuite entrepris d'examiner les événements que les demandeurs avaient vécus en Albanie et qu'ils invoquaient pour justifier leur revendication du statut de réfugié au sens de la Convention à la lumière de la décision que la SSR avait déjà rendue à ce sujet. Dans la décision à l'examen en l'espèce, la SSR en est arrivée aux conclusions suivantes au terme de son examen :

[TRADUCTION]

Compte tenu de tous les éléments de preuve relatifs à l'expérience passée des deux revendicateurs [adultes], le tribunal est d'avis que les persécutions dont ils ont fait l'objet ne constituent pas objectivement des persécutions effroyables ou atroces.

En ce qui concerne le revendicateur adulte, la SSR a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le tribunal conclut toutefois que les persécutions qu'il a subies ntaient pas suffisamment atroces ou effroyables pour constituer des raisons impérieuses de ne pas le renvoyer en Albanie.

En ce qui concerne la revendicatrice adulte, la SSR a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Ce traitement, qu'on le considère isolément ou qu'on l'examine à la lumière de ses antécédents familiaux, ne constitue pas des souffrances atroces ou effroyables au point de justifier l'application des dispositions relatives aux raisons impérieuses.

[8]                L'avocat des demandeurs fait valoir que, de toute évidence, la SSR n'a pas retenu ce qu'il affirme être la conclusion implicite du juge Reed suivant laquelle il n'est pas nécessaire que le traitement que les demandeurs ont subi en Albanie soit « atroce » ou « effroyable » pour qu'il existe des circonstances déterminantes suffisantes pour satisfaire aux exigences du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration.


[9]                Dans le jugement Kulla c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], le juge MacKay a souligné ce qui suit, au paragraphe 6 :

En l'espèce, je suis persuadéque la conclusion du tribunal, qui estimait que l'expérience antérieure du demandeur était cruelle et dure, sans être atroce et épouvantable, n'est pas bien expliquée, mais je suis d'avis que le tribunal n'a pas tranché, en définitive, la question qui lui était soumise. Cette question consistait non pas à déterminer si l'expérience antérieure du demandeur pouvait être qualifiée d' « atroce » et « épouvantable » , selon les qualificatifs utilisés dans d'autres décisions, mais à se demander, conformément au critère applicable en vertu du paragraphe 2(3) énoncépar madame le juge Reed dans l'affaire Dini c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1054 (C.F. 1re inst.), si la partie demanderesse :

            établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté...

                                                                   [Renvois omis]

[10]            À mon avis, le juge MacKay laisse entendre, de façon beaucoup plus claire que ne le fait le juge Reed dans le jugement Dini, qu'il ne faut pas penser que les persécutions antérieures doivent avoir été « atroces » ou « épouvantables » pour qu'on puisse conclure à l'existence de « raisons impérieuses » . Au risque de me répéter, il me semble que le juge MacKay suggère un critère minimal moins exigeant en ce qui concerne le traitement « cruel et dur » . Il n'y a rien dtonnant à ce que la SSR n'ait pas tenu compte du jugement Kulla dans sa décision, étant donné que celui-ci a été rendu plusieurs mois après la décision à l'examen.


[11]            Vu la jurisprudence de la Section d'appel et de notre Cour qui existait au moment où la SSR a rendu la décision à l'examen en l'espèce, je suis convaincu que c'est à bon droit que la SSR a conclu que, pour conclure à l'existence de « raisons impérieuses » tenant à des persécutions antérieures, il fallait que les persécutions subies soient « atroces » ou « épouvantables » . De plus, je suis convaincu que la SSR n'a pas commis d'erreur justifiant notre intervention en concluant que les persécutions antérieures que les demandeurs adultes ont subies en Albanie n'étaient pas graves au point de pouvoir être considérées comme « atroces » ou « épouvantables » .

[12]            Compte tenu de ma conclusion précédente, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


[13]            L'avocat du demandeur soutient que, vu la décision rendue par le juge Reed dans l'affaire Dini et celle qu'a prononcée le juge MacKay dans l'affaire Kulla, ma décision est peut-être erronée en droit étant donné que l'interprétation qu'il convient de donner aux mots « raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures » que l'on trouve au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration suppose peut-être un critère minimal moins exigeant que celui des persécutions « atroces » ou « épouvantables » . À ma connaissance - et l'avocat n'a cité aucune décision permettant de conclure le contraire -, la nécessité que les persécutions aient été « atroces » ou « épouvantables » pour qu'on puisse conclure à l'existence de raisons impérieuses n'est pas une question qui a été abordée par la Cour d'appel. L'avocat du demandeur me prie de certifier la question suivante, qui constitue selon lui une question grave de portée générale et qui aurait un effet déterminant sur l'issue du présent appel :

Dans le cas de la décision visée au par. 2(3) de la Loi sur l'immigration, est-il nécessaire de conclure que les persécutions antérieures sont « épouvantables » ou « atroces » pour pouvoir conclure à l'existence de « raisons impérieuses » ?

[14]            L'avocat du défendeur s'est prononcé contre la certification d'une question, mais est d'accord avec le libellé de la question qui précède si une question doit effectivement être certifiée.

[15]            Je suis convaincu que la question dont l'avocat du demandeur recommande la certification est une question grave de portée générale et qu'elle aurait un effet déterminant sur l'issue de l'appel[5]. Je vais donc certifier la question proposée.

                                                                   FREDERICK E. GIBSON            

                                                   J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 22 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                IMM-2596-00

INTITULÉ DE LA CAUSE : Majlinda Dini et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 14 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Gibson le 22 mars 2001

ONT COMPARU :

Me Michael Crane                                                          pour les demandeurs

Me Marcel Larouche                                                     pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Michael Crane                                                          pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg                                                    pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



[1]         L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         [1999] F.C.J. No. 1054 (C.F. 1re inst.), (QL).

[3]       Voici la liste des décisions citées par la SSR :

Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 (C.A.F.).

Cortez c. Canada (Secrétaire d'État), (1993), 71 F.T.R. 69.

Yusuf c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 179 N.R. 11 (C.A.F.).

Hassan c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994), 77 F.T.R. 309.

Arguello-Garcia c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 285 (C.F. 1re inst.)

Siddique c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994), 82 F.T.R. 65.

E.T. c. Canada (Secrétaire d'État du Canada), [1995] F.C.J. No. 855, (C.F. 1re inst.), en ligne QL)

[4]         [2000] F.C.J. No. 1347,(T.D.), online : QL.

[5]         Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.).


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