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     Date : 19980420

     Dossier : IMM-3588-97

Ottawa (Ontario), le lundi 20 avril 1998

EN PRÉSENCE DE M. le juge Gibson

Entre :

     KANDASAMY YOGANATHAN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     O R D O N N A N C E

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la section du statut de réfugié au sens de la Convention est infirmée, et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvelle audition et nouvelle décision par une formation différente.

                         FREDERICK. E GIBSON

                     ___________________________________         

                         Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     Date : 19980420

     Dossier : IMM-3588-97

Entre :

     KANDASAMY YOGANATHAN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié (la section du statut) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié au sens de la Convention dans laquelle la section du statut a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La décision est datée du 30 juillet 1997.

[2]      Le demandeur est un Tamoul de 40 ans, originaire de la région de Jaffna au Sri Lanka. Il fonde sa revendication du statut de réfugié sur une crainte qu'il dit fondée d'être persécuté s'il est forcé de retourner au Sri Lanka, à cause de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier, c'est-à-dire les Tamouls du nord du Sri Lanka. C'est un matelot qualifié.

[3]      Au cours des années 1980, le demandeur a fait l'objet de menaces et d'extorsions par les Tigres tamouls. En outre, quand il n'a pas fait sa " contribution " au EPRLF, il a été arrêté, battu et accusé d'appuyer les Tigres. De novembre 1989 jusqu'à mars 1992, le requérant a parcouru le monde, dans le cadre de son métier de matelot. Au cours de cette période, même si le navire sur lequel il travaillait a fait escale dans bon nombre de pays qui sont signataires de la Convention sur les réfugiés, il n'a jamais réclamé ce statut.

[4]      Le demandeur est retourné à Colombo en mars 1992, où il est descendu dans une auberge et s'est présenté à la police. Il a été arrêté par les forces de la sécurité, détenu pendant trois jours, et interrogé au sujet de son engagement avec les Tigres de la mer. Il a été libéré contre paiement d'un pot-de-vin, et à la condition qu'il quitte Colombo. Ses empreintes digitales et sa photo ont été prises. Il est donc retourné à Jaffna. À partir de cette date jusqu'à avril 1995, à l'exception d'une brève visite à Colombo motivée par un traitement médical pour un membre de sa famille, il est demeuré à Jaffna où les Tigres ont de nouveau fait pression sur lui. En avril 1995, il est retourné à Colombo dans le but de prendre la mer de nouveau. Encore une fois, il a été arrêté, détenu pendant un jour et demi, interrogé et battu. Il a été accusé de collaborer avec les Tigres. À sa libération, contre paiement d'un pot-de-vin, il est parti en mer dans le cadre d'un contrat de travail d'un an.

[5]      Une fois encore, pendant ses voyages autour du monde, le navire sur lequel il travaillait a fait escale dans plusieurs ports de nombreux pays signataires de la Convention sur les réfugiés. Il n'a jamais revendiqué ce statut dans aucun de ces pays jusqu'à ce que, presque à la fin de son contrat de travail, il soit informé que son contrat ne serait pas renouvelé et qu'il devrait donc retourner au Sri Lanka. Le port d'escale suivant était Halifax. Il a quitté le navire là-bas et, dix jours après que le navire eut quitté le port, il a revendiqué le statut de réfugié.

[6]      Au début de l'audience devant la section du statut, l'un des membres a formulé les questions que la formation devait trancher : [TRADUCTION] " [...] identité, possibilité de refuge dans une autre partie du même pays, non-revendication du statut de réfugié ailleurs, retard à présenter la revendication, [peut-être] crédibilité et authenticité de la crainte d'être persécuté ". Le même membre de la formation a donné instruction à l'avocat du demandeur de mettre l'accent sur les événements qui se sont produits à partir de l'arrestation du requérant à Colombo en mars 1992. Il semble donc que la section du statut a présumé que le demandeur pouvait se réclamer à nouveau de la protection du Sri Lanka quand il y est retourné en 1992. Il semble également que la section du statut a pris pour acquis que le demandeur avait une authentique crainte objective d'être persécuté s'il retournait dans la région de Jaffna.

[7]      Cependant, la section du statut a conclu que le demandeur n'avait pas réussi à démontrer qu'il avait une crainte subjective d'être persécuté et que, de plus, s'il était forcé de retourner au Sri Lanka, il avait une possibilité de refuge raisonnable à Colombo. La formation écrit ceci :

         [TRADUCTION]                 
         Le revendicateur est retourné au Sri Lanka après chaque voyage à l'étranger [le retour le plus récent étant survenu après le voyage de 1989 à 1992], malgré sa crainte d'être persécuté. Il n'a pas revendiqué le statut de réfugié dès qu'il a été en mesure de le faire au cours de ses voyages [vraisemblablement au cours de ses voyages de 1989 à 1992 et de 1995 à 1996]. Par conséquent, la formation conclut que par son comportement, c'est-à-dire en ne revendiquant pas le statut de réfugié à la première occasion, le revendicateur a prouvé qu'il n'a pas de crainte subjective d'être persécuté. Il aurait été raisonnable qu'il revendique le statut de réfugié à la première occasion qui lui était donnée, et il en a eu plusieurs.                 

Un peu plus loin, la section du statut écrit ceci :     

         [TRADUCTION]                 
         [...] compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui s'appliquent particulièrement à la situation du demandeur, la formation ne croit pas que les conditions à Colombo seraient si difficiles qu'elle ne puisse s'attendre à ce que le demandeur y cherche refuge et s'y établisse paisiblement parmi ses concitoyens tamouls qui l'ont fait, plutôt que de demander la protection à l'échelle internationale.                 

[8]      Dans l'arrêt Hue c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)2, le juge Marceau écrit ceci :

         Bien que nous ne contestions pas que le retard dans le dépôt d'une demande de statut de réfugié puisse être un facteur important à prendre en considération lorsqu'il s'agit d'établir le sérieux des prétentions d'un requérant, nous ne sommes pas du tout d'accord avec le raisonnement de la Commission en l'espèce. Il nous semble évident que les craintes du requérant visent la perspective d'avoir à retourner aux Seychelles, et que tant qu'il avait ses papiers de matelot et un navire sur lequel il pouvait naviguer, il n'avait pas à chercher une protection.                 

Malgré les arguments très éloquents de l'avocat du défendeur, et même en supposant que le demandeur pouvait se réclamer à nouveau de la protection du Sri Lanka en 1992, je conclus que le même raisonnement peut s'appliquer au demandeur en l'espèce à l'égard de son voyage de 1995-1996. Le demandeur avait ses " papiers de matelot " et " un navire sur lequel il pouvait naviguer ". Dans les circonstances, il n'avait pas à chercher une protection. Il était à l'abri des persécutions au Sri Lanka. À la première occasion qui lui a été offerte après qu'il eut été informé que son contrat de travail ne serait pas renouvelé, et qu'il serait donc forcé de retourner au Sri Lanka, il a revendiqué le statut de réfugié. À la lumière du précédent obligatoire que représente l'arrêt Hue , je ne crois pas que la décision de la section du statut concluant à l'absence d'une crainte subjective d'être persécuté puisse être maintenue.

[9]      J'aborde maintenant la conclusion concernant la possibilité de refuge à l'intérieur du même pays. Pour arriver à cette conclusion, la section du statut s'est appuyée très fortement sur une lettre du HCNUR datée du 9 septembre 1996, qui dépeint un tableau raisonnablement optimiste de Colombo comme lieu de refuge pour les Tamouls du Sri Lanka. Tout en reconnaissant l'existence d'un rapport beaucoup moins positif du Refugee Council (R.U.) préparé après la lettre du HCNUR et qui réfute en partie cette lettre, dont la section du statut était également saisie, elle n'a pas expliqué pourquoi elle a préféré la lettre au rapport. Elle déclare ceci :

         [TRADUCTION]                 
         Le profil de ce demandeur indique à la formation qu'il ne fait pas partie de ces Tamouls qui courent le plus grand risque d'être persécutés, c'est-à-dire les jeunes Tamouls célibataires.                 

Et un peu plus loin elle déclare ceci :

         [TRADUCTION]                 
         À notre avis, le demandeur ne correspond pas au profil de ceux qui courent le plus grand risque à Colombo, c'est-à-dire les jeunes Tamouls célibataires, hommes ou femmes.                 

                         [non souligné dans l'original]

Ces deux citations donnent des descriptions générales des Tamouls qui courent le plus grand risque. Il est peut-être vrai que le demandeur n'est ni " jeune " ni " célibataire ". Mais c'est un Tamoul qui, au cours de ses deux brefs séjours à Colombo, a été arrêté par les autorités, interrogé, battu, fiché et accusé de collaborer avec les Tigres de la mer, et qui a par deux fois été libéré à la condition qu'il quitte immédiatement Colombo. Il ne pouvait donc être assimilé à la vaste majorité des autres Tamouls qui sont en mesure de vivre à Colombo en toute sécurité. La section du statut semble avoir ignoré ces faits concernant les expériences récentes du demandeur à Colombo en décidant que cette ville représentait une possibilité de refuge viable pour lui. En agissant ainsi, elle a, à mon avis, commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte de la situation personnelle du demandeur.

[10]      Par les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la section du statut est infirmée, et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvelle audition et nouvelle décision.

[11]      Les avocats n'ayant pas recommandé la certification d'une question, aucune ne le sera.

                         FREDERICK E. GIBSON

                     ___________________________________         

                         Juge

Ottawa (Ontario)

le 20 avril 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-3588-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      KANDASAMY YOGANATHAN c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 16 AVRIL 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON

DATE :                  LE 20 AVRIL 1998

ONT COMPARU :

Lorne Waldman                      POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                      POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

JACKMAN, WALDMAN AND ASSOCIATES

Toronto (Ontario)                      POUR LE DEMANDEUR

George Thomson

Sous-procureur général du Canada              POUR LE DÉFENDEUR

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      [1988] A.C.F. no 283 (C.A.)

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