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Date: 19990319


Dossier : IMM-2481-98

ENTRE


MAHALETCHUMY ELEDCHUMANASAMY et

SANGEETHA ELEDCHUMANASAMY (une mineure),


demanderesses,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

[1]      Les demanderesses, une mère et sa fille, sont des citoyennes sri-lankaises et des Tamoules du nord de ce pays. Elles ont revendiqué le statut de réfugié lorsqu"elles sont arrivées au Canada, en juin 1997, en alléguant craindre avec raison d"être persécutées du fait de leur appartenance à un groupe social, soit celui des Tamoules de Jaffna.

[2]      La mère, que j"appellerai la demanderesse, a été désignée pour représenter sa fille de onze ans devant la Section du statut de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié; la revendication de la fille dépend de celle de sa mère.

[3]      La Commission a reconnu que la mère et la fille avaient raison de craindre d"être persécutées dans le nord du pays entre les mains des Tigres de libération. Toutefois, après avoir jugé non crédible le témoignage que la demanderesse avait présenté au sujet du fait que la police, à Colombo, l"avait maltraitée, la Commission a conclu que Colombo constituait une possibilité de refuge intérieur et elle a donc rejeté les revendications.

[4]      La demanderesse a témoigné que peu de temps après être arrivée à Colombo à la mi-avril 1997, une personne du nord qui l"avait reconnue l"avait dénoncée à la police à titre de partisane des Tigres de libération. La demanderesse a déclaré que la police l"avait détenue et interrogée pendant quatre jours et qu"elle l"avait battue. Elle a été mise en liberté moyennant le paiement d"un pot-de-vin. Elle a également déclaré que la police l"avait de nouveau arrêtée quelques jours plus tard et l"avait accusée d"avoir pris des dispositions pour louer à Colombo un logement destiné à servir de refuge aux Tigres de libération. La demanderesse a été mise en liberté, moyennant encore une fois le paiement d"un pot-de-vin.

[5]      À l"audition de la demande de contrôle judiciaire, les avocats ont uniquement soulevé la question relative à la conclusion de crédibilité tirée par la Commission. Cette cour hésite énormément à infirmer des décisions de la Commission qui sont fondées sur des conclusions relatives à la crédibilité parce que la Commission est mieux placée qu"elle pour rendre pareilles décisions. Même si, comme c"est ici le cas, la Commission fonde sa conclusion sur l"invraisemblance du témoignage d"un demandeur plutôt que sur la nature incohérente ou vague du témoignage ou sur le comportement du témoin, la Cour peut uniquement intervenir lorsque la Commission ne pouvait pas raisonnablement tirer cette conclusion compte tenu de la preuve dont elle disposait.

[6]      Il a été soutenu qu"il n"est pas nécessaire de faire preuve d"une aussi grande retenue judiciaire lorsque la conclusion de crédibilité dépend d"inférences qui sont faites au sujet de l"invraisemblance à partir de critères tels que " le raisonnement, le sens commun et la connaissance d"office " : Giron c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1992), 143 N.R. 238, 239 (C.A.F.). Toutefois, il convient à mon avis de faire preuve d"une grande retenue lorsque la Commission conclut que la preuve est invraisemblable en se fondant sur son expertise et sur ses connaissances dans le domaine des revendications ainsi que sur la preuve documentaire mise à la disposition du public relativement à la situation générale qui existe dans le pays du demandeur.

[7]      En l"espèce, le fondement de la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité se trouve principalement dans un seul paragraphe de la décision. Il est déclaré qu"étant donné que la demanderesse avait 51 ans et qu"elle était en possession de pièces d"identité et d"un permis délivré par l"armée l"autorisant à rester à Colombo pour une période indéfinie, son profil ne correspond pas à celui des Tamouls qui risquent sérieusement d"être persécutés à Colombo. Dans une remarque à laquelle l"avocat de la demanderesse s"est opposé avec véhémence, la Commission a dit ceci :

         [TRADUCTION]                 
         La description qu"elle a donnée au sujet de la façon dont elle avait été traitée est incompatible avec celle qui figure dans l"ensemble de la preuve documentaire en ce qui concerne le traitement des Tamouls âgés.                 
La Commission a ajouté ceci :                 
         [TRADUCTION]                 
         La preuve documentaire montre que ce sont les jeunes Tamouls de sexe masculin ou féminin qui viennent d"arriver à Colombo qui sont surtout en danger.                 

[8]      La Commission a également fait remarquer que si la police avait réellement cru que la demanderesse était en train d"organiser un refuge pour les terroristes à Colombo, elle ne l"aurait pas mise en liberté, même si un pot-de-vin était payé.

[9]      L"avocat de la demanderesse a mis l"accent sur le fait que la conclusion de crédibilité de la Commission était fondée sur une invraisemblance et que, si je croyais que cela était clairement erroné, j"avais donc une plus grande latitude pour intervenir que dans le cas où la conclusion serait fondée sur une incohérence ou sur le comportement du témoin. Toutefois, comme je l"ai déjà dit, étant donné que la conclusion de la Commission selon laquelle la preuve était invraisemblable était inévitablement fondée sur l"expérience qu"elle avait en ce qui concerne les revendications des réfugiés sri-lankais et la situation dans le pays, je puis uniquement infirmer la décision si je suis convaincu qu"il n"existait aucun fondement rationnel permettant à la Commission de tirer cette conclusion compte tenu de la preuve dont elle disposait.

[10]      L"avocat m"a ensuite référé à plusieurs passages de la preuve documentaire dont disposait la Commission montrant qu"indépendamment de leur âge ou de leur sexe, les Tamouls du nord risquent d"être détenus, torturés et même tués par la police et par les autorités militaires à Colombo. Par contre, la Commission s"est fondée d"une façon non exclusive sur la " mise à jour " du HCNUR du mois de septembre 1996, qui peignait généralement en rose la vie des Tamouls à Colombo. Toutefois, l"avocat a fait remarquer que certaines organisations s"intéressant aux droits de la personne et certains particuliers avaient remis en question cette " mise à jour " et que, de toute façon, elle était fondée sur des renseignements qui datent d"il y a près de trois ans.

[11]      À mon avis, la Commission a commis une erreur susceptible de révision lorsqu"elle a conclu que le témoignage que la demanderesse avait présenté au sujet des mauvais traitements qui lui avaient été infligés à Colombo n"était pas crédible. Premièrement, compte tenu de la preuve documentaire dont disposait la Commission, il était pour le moins exagéré de conclure que la [TRADUCTION] " description qu"elle [la demanderesse] a donnée au sujet de la façon dont elle avait été traitée est incompatible avec celle qui figure dans l"ensemble de la preuve documentaire en ce qui concerne le traitement des Tamouls âgés ". Si la Commission entendait par là qu"un individu d"origine tamoule venant du nord était protégé contre la persécution à Colombo à cause de son âge, rien ne lui permettait rationnellement de tirer cette conclusion. Toutefois, la preuve étayerait clairement une conclusion plus nuancée selon laquelle en général les Tamouls qui ont l"âge de la demanderesse ne sont pas ceux qui sont le plus en danger.

[12]      Deuxièmement, si comme il a été allégué, on avait expressément dénoncé la demanderesse en tant que partisane tamoule lorsque la police effectuait un contrôle auprès des résidents du centre où celle-ci restait, la demanderesse aurait certainement d"une façon immédiate risqué beaucoup plus que les autres personnes de son âge de se voir infliger le genre de mauvais traitements qu"elle allègue avoir subis. La Commission n"a pas examiné cet aspect du témoignage de la demanderesse. Les motifs que la Commission a donnés pour ne pas juger crédible la preuve relative aux mauvais traitements ne mine pas la crédibilité de cette partie du témoignage.

[13]      Troisièmement, je considère comme fort contestable la conclusion de la Commission selon laquelle le témoignage de la demanderesse était invraisemblable parce que, si la police estimait qu"elle était une partisane des Tigres de libération et qu"elle était en train d"établir un refuge pour les militants tamouls à Colombo, elle ne l"aurait pas mise en liberté. La Commission n"apprécie pas de la façon appropriée l"importance possible du paiement du pot-de-vin lorsqu"elle dit qu"il s"agit

         [TRADUCTION]                 
         d"une question de corruption de la part de la police plutôt que d"un acte de persécution au sens de la Convention.                 

[14]      L"avocat voulait dire qu"il n"était pas invraisemblable que des agents de police corrompus mettent la demanderesse en liberté moyennant le paiement d"un pot-de-vin, même s"ils soupçonnaient qu"elle constituait peut-être une menace pour la sécurité. En outre, la police pouvait toujours arrêter de nouveau la demanderesse et la mettre en liberté moyennant le paiement d"un autre pot-de-vin. De fait, la preuve documentaire montre que les Tamouls individuels ont fait l"objet d"arrestations en série de ce genre.

[15]      La conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité ne permettait pas nécessairement de déterminer selon la prépondérance des probabilités si la demanderesse risquait sérieusement d"être persécutée dans l"avenir à Colombo, mais à mon avis cette conclusion était certainement importante.

[16]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l"affaire est renvoyée à une formation différente de la Commission.

             " John M. Evans "     

                 _________________

             J.C.F.C.

TORONTO (ONTARIO)

Le 19 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-2481-98

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MAHALETCHUMY ELEDCHUMANASAMY
     et SANGEETHA ELEDCHUMANASAMY (une mineure),

     demanderesses,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :      LE JEUDI 18 MARS 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Evans en date du 19 mars 1999

COMPARUTIONS :

Michael Korman          pour les demanderesses

Brian Frimeth          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis et Korman      pour les demanderesses

Avocats

326 ouest, rue Richmond

Toronto (Ontario)

M5V 1X2

Morris Rosenberg      pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


                                                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                                                              Date : 19990319
                                                              Dossier : IMM-2481-98
                                                         Entre
                                                         MAHALETCHUMY ELEDCHUMANASAMY et SANGEETHA ELEDCHUMANASAMY (une mineure),
                                                              demanderesses,
                                                         et
                                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
                                                         ET DE L"IMMIGRATION,
                                                              défendeur.
                                                        
                                                         MOTIFS DE L"ORDONNANCE
                                                        

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