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                                                                                                                                 Date : 20040622

                                                                                                                             Dossier : T-561-04

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 885

Ottawa (Ontario), le mardi 22 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

ENTRE :

                                                             RICHARD CONDO

demandeur

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA PROTONOTAIRE TABIB

[1]                Dans le contexte d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du Service correctionnel du Canada (le SCC) de renvoyer le dossier du demandeur à la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) pour une audience en vue du maintien en incarcération, je suis saisie d'une requête du défendeur visant à obtenir la radiation de l'avis de demande au motif qu'il existe un autre recours approprié que le demandeur n'a pas épuisé et, subsidiairement, visant à obtenir une ordonnance retirant l'avocate inscrite au dossier pour le demandeur ou la rendant inhabile à le représenter.


[2]                Je suis également saisie de la requête du demandeur visant à obtenir l'autorisation d'interroger deux témoins et d'utiliser la transcription de ces interrogatoires en tant qu'élément de preuve lors de l'audition de la demande. Bien que, à l'origine, la requête du demandeur ait également demandé un ajournement de la requête en radiation du défendeur aux fins de l'interrogatoire de ces témoins et de l'utilisation de la transcription dans le cadre de son dossier de réponse, l'avocate du demandeur a renoncé à cette partie de la requête lors de l'audience.

La requête en radiation

[3]                Il est clair que la possibilité d'un autre redressement constitue un obstacle important à la capacité pour le demandeur à obtenir la réparation discrétionnaire qu'il réclame dans sa demande. L'article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales ne s'applique toutefois pas directement au présent dossier. Il n'y a donc aucun empêchement prévu par la loi à l'égard de la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Je pourrais néanmoins, en me fondant sur l'autorité de l'arrêt Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 368, exercer mon pouvoir discrétionnaire pour radier l'avis de demande au motif qu'il existe un autre recours adéquat. Je refuse toutefois de le faire puisque le défendeur n'a pas démontré qu'il existait des circonstances exceptionnelles qui justifieraient de déroger à la règle selon laquelle les motifs de contestation d'une instance de contrôle judiciaire devraient être présentés lors de l'audition de la demande elle-même (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1994] F.C.J. no 1629). De plus, je remarque que, en l'espèce, la requête du demandeur visant à obtenir une instruction accélérée a été accueillie et que la date d'audition de la demande est dans moins d'un mois. Il est donc clairement plus approprié de laisser au juge qui présidera l'instruction le soin de trancher la question.


La requête visant à retirer l'avocate du demandeur du dossier

[4]                La requête du défendeur visant à obtenir une ordonnance pour que l'avocate du demandeur soit retirée du dossier est fondée sur la prétention du défendeur selon laquelle Me Magas, qui est l'épouse et l'avocate de demandeur, est directement impliquée dans les faits ayant donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire, en ce que la décision faisant l'objet du contrôle est celle du SCC de faire un renvoi à la CNLC en vue d'un examen de maintien en détention, laquelle est fondée sur son appréciation, entre autres choses, du fait que le demandeur est susceptible de commettre, avant la fin de sa sentence, une infraction causant un dommage grave à une autre personne, à savoir Me Magas elle-même.

[5]                Malgré le fait que Me Magas n'ait pas déposé de preuve par affidavit dans cette affaire et qu'elle n'ait pas l'intention de le faire, on affirme que son implication personnelle dans les faits sous-jacents la rend incapable de préserver « l'indépendance professionnelle et le degré d'impartialité » exigés des avocats dans une audience (Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., [1996] 2 C.F. 223; conf. par (1996), 206 N.R. 289). On affirme que sa représentation dans la présente affaire ne pourrait pas être dissociée d'un témoignage, en particulier lorsqu'elle plaidera que le demandeur ne représente aucun risque de violence envers elle-même.


[6]                L'avocat du défendeur n'a pas été en mesure de me citer quelque cause que ce soit où un avocat a été déclaré inhabile à représenter son client en raison d'une implication ou d'intérêts personnels dans les faits sous-jacents, à moins qu'on s'attende à ce qu'il puisse être appelé à témoigner. En l'espèce, non seulement on ne conteste pas que Me Magas ne sera pas appelée à témoigner mais, comme il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, il ne pourrait pas y avoir d'audition de témoins relativement aux faits sous-jacents en la présente instance. Aussi, bien que la décision faisant l'objet du contrôle concerne Me Magas en ce qu'elle apprécie la menace que le demandeur pourrait représenter pour elle, la décision n'apprécie pas directement ni n'entend déterminer la conduite, la crédibilité ou les actions de Me Magas. Son opinion personnelle relativement à la question de savoir si le demandeur représente ou non une menace pour elle ne fait pas l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire et n'y est pas pertinente à première vue.

[7]                Le défendeur n'a ni allégué ni soutenu que la conduite de Me Magas dans la poursuite de la présente instance n'avait pas été professionnelle ou à l'intérieur du cadre de « l'impartialité » exigée d'un officier de justice.

[8]                Je n'ai trouvé aucune jurisprudence selon laquelle un avocat peut être déclaré inhabile à représenter une partie devant la Cour du fait qu'il est trop identifié aux intérêts de son client ou du fait de son implication personnelle dans les faits sous-jacents, alors qu'il n'y a pas de conflit d'intérêts préjudiciable pour l'autre partie et qu'il est clair que l'avocat ne témoignera pas. Par conséquent, selon le dossier dont je dispose, il n'y a aucune justification pour faire droit à la requête du défendeur.

[9]                Cela ne signifie pas que, en l'espèce, la représentation du demandeur par Me Magas ne soulève pas de questions éthiques et un certain degré d'inconfort. En fait, bien que Me Magas, en tant qu'avocate du demandeur, soit tenue de favoriser les intérêts de celui-ci (et, de l'avis du défendeur, qu'elle pourrait être trop impliquée dans la promotion de ces intérêts), un observateur indépendant pourrait, avec raison, être enclin à se demander si ses intérêts personnels ne sont pas, en fait, opposés à ceux de son client. Il s'agit, après tout, de sa propre sécurité personnelle que le SCC cherchait à protéger, même sans son intervention volontaire et malgré que sa représentation du demandeur donne à penser qu'elle est en désaccord avec l'appréciation du SCC. Dans les circonstances de l'espèce, je suis préoccupée par le fait que Me Magas soit dans une position pouvant occasionner un conflit d'intérêts avec son propre client.


[10]            Il n'appartient cependant pas à la partie adverse ni à la Cour de soulever cette question au nom du demandeur. La relation entre le demandeur et son avocate ainsi que la façon dont elle se décharge de ses responsabilités envers lui constituent des questions qui concernent le demandeur et son avocate (Cyrus c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), [1992] F.C.J. no 471 (C.A.)). L'avocat du défendeur a mentionné clairement lors de l'audience que la possibilité d'un conflit d'intérêts entre Me Magas et son client n'intéressait aucunement le défendeur.

[11]            À moins que la représentation de M. Condo dans cette affaire de la part de Me Magas ne soit de nature à causer un préjudice au défendeur ou à l'administration de la justice, ce qui ne semble pas être le cas, il appartient alors au demandeur de renoncer à invoquer le conflit et de choisir d'être représenté par elle. La requête du défendeur, de même que les faits et les circonstances dont le conflit découlerait, sont certainement bien connus du demandeur et celui-ci a réitéré son désir d'être représenté par Me Magas. En outre, et au-delà des préoccupations soulevées dans les présents motifs, la Cour ne peut pas aller plus loin et elle doit conclure que le demandeur, après avoir été correctement informé par son avocate, a renoncé à invoquer le conflit possible (R. c. Henry, [1990] R.J.Q. 2455; (1990) 61 C.C.C. (3d) 455 (C.A. Qué.)). Il n'appartient pas non plus à la Cour de faire observer ou d'appliquer le code de déontologie des différents barreaux (Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235, à la page 1245).

La requête du demandeur visant à obtenir l'autorisation d'interroger des témoins

[12]            Lors de l'audience, l'avocate du demandeur a précisé que sa requête était, pour l'essentiel, présentée en vertu de l'article 316 des Règles, lequel permet à la Cour, dans des circonstances particulières, d'autoriser un témoin à témoigner à l'audience concernant une demande. Par l'application des articles 3 ou 4 des Règles, l'article 316 serait étendu ou interprété de manière à permettre que ce témoignage ait lieu hors cour.


[13]            J'ai certains doutes quant à savoir si le recours à l'article 4 des Règles (la « règle des lacunes » ) est permis dans les circonstances, puisque l'article 316 semble prévoir précisément l'autorisation pour des témoins de témoigner à l'audience quant à une question de fait soulevée dans une demande. Je n'ai toutefois pas besoin d'aborder cette question ou celle de savoir si l'article 316 des Règles peut être interprété ou appliqué de manière à permettre les dépositions hors cour, puisque je ne suis pas convaincue que le demandeur a démontré l'existence de circonstances particulières permettant à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 316 des Règles.

[14]            M. John Wilson est un gestionnaire régional pour la CNLC. Selon le demandeur, son témoignage démontrerait que, malgré que la CNLC soit tenue, en droit, d'examiner le caractère raisonnable du renvoi du SCC avant de fixer une date d'audition, la CNLC n'effectuerait pas un tel examen, selon sa pratique de traiter la fixation des dates d'audition comme une formalité, acceptant le renvoi sans discussion. Ce témoignage, selon le demandeur, écarterait l'argument du défendeur selon lequel il existe un autre recours adéquat.

[15]            Je souscris aux observations du défendeur, aux paragraphes 36 à 43 de ses observations écrites en réponse, selon lesquelles ce témoignage n'est pas déterminant quant à la question du caractère adéquat de l'autre recours ou quant à toute question litigieuse importante dans la présente demande de contrôle judiciaire. L'objet de la présente demande est l'appréciation du SCC selon laquelle le dossier du demandeur satisfait aux critères du renvoi et non pas la décision putative de la CNLC d'accepter le renvoi. Le caractère adéquat d'un autre recours est une question de droit et il ne serait pas approprié pour la Cour de tenir une pré-enquête sur la question de savoir si la CNLC agira de façon légitime. En fin de compte, la conduite de la CNLC ne serait pas déterminante quant au caractère adéquat de l'autre recours, puisque la section d'appel de la CNLC aurait toujours le pouvoir de contrôler la décision de la CNLC.


[16]            En plus, je ne suis pas convaincue, selon la preuve présentée par le demandeur, que celui-ci n'est pas ou n'était pas en mesure de produire ce qui est présenté comme le témoignage de M. Wilson par d'autres moyens. L'affidavit soumis démontre que les déclarations que M. Wilson aurait faites l'ont été volontairement à l'avocate du demandeur alors qu'il était parfaitement au courant de l'existence de la présente demande et de la position qui y est prise par le demandeur. Aucun élément de preuve n'indique que M. Wilson n'aurait pas, si on le lui avait demandé, confirmé ses déclarations par écrit ou même sous la forme d'un affidavit. L'avocate ne lui a tout simplement pas demandé et elle demande maintenant à la Cour de présumer qu'une telle demande aurait été refusée. Je ne suis pas prête à faire cela.

[17]            En ce qui a trait au témoignage de Peter Slaughter, l'agent de libération conditionnelle du demandeur, son avis quant à savoir si la décision du SCC était raisonnable, et quelle conclusion il aurait tirée s'il avait été le décideur, n'est ni déterminant quant à toute question litigieuse ni même pertinent à l'égard du contrôle judiciaire de la décision du SCC.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.    La requête du défendeur visant à obtenir la radiation de l'avis de demande ou à obtenir le retrait de l'avocate du demandeur du dossier est rejetée.

2.    La requête du demandeur visant à interroger des témoins et à utiliser la transcription de leurs témoignages lors de l'audition de la présente demande est rejetée.

3.    Vu le consentement des parties, l'affidavit de Michel Frappier, signifié et déposé le 28 avril 2004 à l'appui de la requête du défendeur, doit être considéré comme l'affidavit du défendeur en vertu de l'article 307 des Règles et il n'est pas nécessaire qu'il soit signifié et déposé de nouveau par le défendeur.

4.    Le dossier du demandeur doit être signifié et déposé au plus tard le 25 juin 2004.

5.    Le dossier du défendeur doit être signifié et déposé au plus tard le 8 juillet 2004.

                                                                                                                                  « Mireille Tabib »                

                                                                                                                                         Protonotaire                     

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                  T-561-04

INTITULÉ :                                                                 RICHARD CONDO

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                           OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                         LE 17 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                 LA PROTONOTAIRE TABIB

DATE DES MOTIFS :                                                LE 22 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Diane Magas                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Éric Lafrenière                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Magas Law Office                                                          POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Otttawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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