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Date : 20050927

Dossier : IMM-1782-05

Référence : 2005 CF 1311

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

TAREK EL MASALATI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                La réitération d'un exposé circonstancié ne peut remplacer la version originale figurant dans les registres du juge des faits.

            La Cour ne peut qu'examiner le premier dossier et décider si les conclusions étaient raisonnables, ou non, et dans quelle mesure.

            Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, la Cour suprême du Canada a explicité la « norme de la décision raisonnable » . Elle a conclu que si les motifs donnés, pris dans leur ensemble, sont défendables comme assise de la décision, celle-ci est « raisonnable » [1].

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [2] (LIPR) de la décision rendue le 1er mars 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans laquelle la Commission a refusé au demandeur le statut de « réfugié » au sens de l'article 96 et aussi celui de « personne à protéger » au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

LE CONTEXTE

[3]                Le demandeur, qui est citoyen de la Libye, M. Tarek El Masalati, allègue craindre avec raison d'être persécuté du fait des opinions politiques qui lui sont imputées.

[4]                Les faits allégués et exposés dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de M. Masalati et dans les motifs de la Commission sont les suivants. Les problèmes de M. Masalati avec les autorités libyennes sont dus à ses liens avec Osama Mostafa Sallabi, son ami et beau-frère (selon son FRP) ou futur beau-frère (selon sa déposition orale). M. Sallabi est un dissident politique et, en raison de ses liens familiaux avec M. Masalati, les autorités libyennes pensent que le demandeur est aussi un dissident politique.

[5]                Des agents de la Police de sécurité intérieure (PSI) se sont rendus au domicile de M. Masalati afin de l'interroger, alors qu'il était absent. Plusieurs jours après, ils ont découvert son adresse professionnelle et ils sont allés le chercher à son lieu de travail afin de l'interroger. Ils voulaient savoir où se trouvait M. Sallabi et si lui-même était en rapport avec lui. Il leur a dit : [TRADUCTION] « Je ne sais rien à son sujet et je n'ai absolument aucun contact avec lui » .

[6]                Ultérieurement, M. Masalati a eu l'occasion de faire un voyage d'affaires au Canada pour son entreprise. Un visa pour le Canada lui a été octroyé en Tunisie le 11 décembre 2002 et il expirait le 11 mars 2003. Il a quitté la Libye le 21 février 2003 et il est arrivé au Canada le même jour. Il a fait une demande d'asile le 17 mars 2003.

LA DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE

[7]                La Commission a conclu que le récit de M. Masalati n'était pas crédible et elle a énuméré plusieurs discordances qui l'ont amenée à tirer cette conclusion. La Commission a aussi conclu que M. Masalati n'avait pas démontré une crainte subjective de persécution.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]                1. Était-il manifestement déraisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur n'était pas crédible et qu'il n'avait pas de crainte subjective?

2. Le demandeur a-t-il bénéficié d'une audience équitable devant la Commission?

ANALYSE

1. Était-il manifestement déraisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur n'était pas crédible et qu'il n'avait pas de crainte subjective?

[9]                Lorsque la crédibilité est en jeu, la Cour n'intervient que si l'erreur de la Commission est manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[3], Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5]). La même norme est applicable à la crainte subjective de persécution, car elle est appréciée en fonction de pures conclusions de fait (R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6]).

[10]            La Commission a conclu que M. Masalati avait omis plusieurs faits importants dans son FRP. Le droit est bien fixé : la Commission a le droit de tirer des inférences défavorables de l'omission de faits essentiels dans le FRP du demandeur d'asile (Robles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7]). Le FRP donne clairement au demandeur d'asile la directive d'exposer « tous les événements importants et les raisons » qui l'ont amené à demander l'asile au Canada. Dans le FRP en cause, il est indiqué que M. Malasati a eu l'assistance d'un interprète lorsqu'il a rempli ce document. L'interprète a signé une déclaration dans laquelle il disait qu'il comprenait très bien les langues anglaise et arabe, qu'il avait communiqué sans aucun problème avec M. Masalati et que M. Masalati avait parfaitement compris toute la teneur de son FRP.

[11]            La Commission a constaté que M. Masalati n'avait pas mentionné dans son FRP que, le 19 mai 2001, quatre agents de la PSI habillés en civil étaient allés le chercher à son travail ou qu'il avait subi des sévices physiques lors de son interrogatoire. La deuxième omission avait trait à un prétendu deuxième interrogatoire effectué par la PSI au cours duquel M. Masalati aurait dit que M. Sallabi se trouvait au Canada. La troisième omission avait trait à un autre prétendu interrogatoire effectué par la PSI au cours duquel on lui aurait demandé sa collaboration. La quatrième omission a trait à deux mandats d'arrestation produits à l'audience.

[12]            La Commission a conclu que les mandats d'arrestation étaient des copies identiques du même document, sauf qu'ils portaient des dates manuscrites différentes. En outre, les mandats n'indiquaient pas l'adresse où devait se présenter M. Masalati. Vu le manque d'intérêt manifesté par la PSI envers M. Masalati de 2001 à 2003, la Commission a raisonnablement conclu qu'il n'était pas plausible que la PSI ait convoqué, pour un interrogatoire, M. Masalati, ou son père, après son départ de Libye, ni que les mandats d'arrêt n'indiquent pas le lieu de la convocation de M. Masalati. Cela dit, la Cour convient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a tiré une inférence défavorable du fait que M. Masalati n'avait pas mentionné le mandat d'arrestation du 16 septembre 2004 dans son FRP, puisque le FRP a été rempli et déposé le 28 avril 2003. Il était matériellement impossible de mentionner un mandat d'arrestation qui n'existait même pas à l'époque. En ce qui concerne le mandat d'arrestation du 24 avril 2003, on pourrait dire que M. Masalati n'en était pas forcément au courant puisqu'il se trouvait au Canada à l'époque. Néanmoins, la Cour conclut qu'il s'agit d'une erreur mineure et que, vu les nombreuses autres conclusions défavorables concernant la crédibilité tirées par la Commission, M. Masalati n'en avait plus aucune de toute manière.

[13]            Les omissions de M. Masalati dans son FRP sont graves puisqu'elles constituent les éléments clefs de sa demande d'asile. Lorsqu'il lui a été demandé d'expliquer ces omissions, il a déclaré qu'il était fatigué à son arrivée au Canada, qu'il ne savait pas trop quoi dire et qu'il a eu des problèmes avec la traduction. La Commission n'a pas trouvé ces explications satisfaisantes. Elle a raisonnablement conclu que M. Masalati avait embelli les faits vu qu'il avait rempli son FRP deux mois après son arrivée au Canada. Son interprète a déclaré n'avoir eu aucun problème de compréhension et d'expression orale en anglais et qu'il était lui-même passé par la procédure de demande d'asile. La Commission a conclu que M. Masalati n'aurait pas omis ces graves allégations dans son FRP si elles avaient été vraies. La Cour conclut que la Commission pouvait à bon droit tirer une inférence défavorable concernant la crédibilité en raison de l'omission de faits essentiels pour la demande d'asile de M. Masalati.

[14]            En ce qui concerne les autres conclusions défavorables concernant la crédibilité tirées par la Commission, M. Masalati demande, en fin de compte, à la Cour d'évaluer à nouveau la preuve[8]. Ce n'est pas le rôle de la Cour. Aucune erreur susceptible de contrôle n'a été commise.

[15]            La Commission a aussi conclu que, puisque M. Masalati avait quitté la Libye et y était retourné à trois reprises avant de venir au Canada, mais après qu'il eut eu des problèmes avec les autorités le 19 mai 2001, et puisqu'il n'avait pas fait de demande d'asile dès qu'il était arrivé au Canada, il n'avait pas démontré avoir de crainte subjective de persécution. C'était une conclusion que pouvait raisonnablement tirer la Commission.

            2. Le demandeur a-t-il bénéficié d'une audience équitable devant la Commission?

[16]            M. Masalati soutient que le travail de l'interprète à l'audience n'a peut-être pas été adéquat. Il n'a pas fait valoir qu'il avait des difficultés à comprendre l'interprète lors de l'audience. Il lui a été demandé s'il comprenait l'interprète, ce qu'il a confirmé. Comme rien n'indique que M. Masalati ait soulevé des objections concernant la qualité de l'interprétation à la première occasion, c'est-à-dire au cours de l'audience même, il ne peut donc maintenant soulever cette question dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire (Nsengiyumva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[9]).

[17]            M. Masalati soutient aussi que la Commission a été partiale à son égard. Par exemple, il invoque le fait qu'il lui avait été impossible de mentionner le mandat d'arrestation du 16 septembre 2004 dans son FRP, mais que cela a été retenu contre lui. Là encore, il n'a pas allégué à la première occasion que le comportement de la Commission donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité; il ne peut donc plus soulever cet argument devant la Cour (Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[10]). Quoiqu'il en soit, ayant examiné la preuve au dossier, la Cour ne peut constater aucun indice de partialité possible dans l'attitude ou les motifs de la Commission. Il faut plus qu'une ou deux erreurs mineures de la part de la Commission pour satisfaire aux exigences très strictes permettant de prouver une crainte raisonnable de partialité.

[18]            M. Masalatu n'a pas démontré qu'il n'a pas bénéficié d'une audience équitable.

CONCLUSION

[19]            Pour ces motifs, la Cour répond aux questions en litige par la négative. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1782-05

INTITULÉ :                                                    TAREK EL MASALATI

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                                        L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 21 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 27 SEPTEMBRE 005

COMPARUTIONS:

D. Jean Munn                                                    POUR LE DEMANDEUR

Camille Audain                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Caron & Partners                                              POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-ministre de la Justice et

sous-procureur général du Canada



[1] Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] A.C.S. no 17 (QL), [2003] 1 R.C.S. 247.

[2] L.C. 2001, ch. 27.

[3] (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.), [1993] A.C.F no 732 (QL).

[4] (2001) 11 Imm. L.R. (3d) 233 (C.F. 1re inst.), [2000] A.C.F no 2001 (QL).

[5] (2000) 173 F.T.R. 280 (C.F. 1re inst.), [1999] A.C.F no 1283 (QL).

[6] (2003) 228 F.T.R. 43 (1re inst.), [2003] A.C.F no 162 (QL), au paragraphe 7.

[7] [2003] A.C.F no 520 (1re inst.) (QL), au paragraphe 43.

[8] Des renvois clairs et détaillés aux preuves portant sur les conditions régnant dans le pays faits par le juge des faits aux pages 11 et 12 de sa décision, montrent le mode d'évaluation des preuves par le tribunal spécialisé à cet égard.

[9] [2005] A.C.F. no 231 (C.F.) (QL), aux paragraphes 12 à 15.

[10] [1999] ] A.C.F no 607 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 6.

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