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Date : 19990809


Dossier : IMM-3879-98

Entre :

     VLADIMIR CHOULJENKO,

     Partie demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Partie défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section du statut), rendue le 18 août 1998, qui a conclu que le revendicateur n'était pas un réfugié au sens de la Convention et qu'il y avait absence de fondement à cette revendication en vertu de l'article 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c.I-2.

[2]      Il importe de rapporter certains des événements à la base de cette demande. Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au Canada, craignant la persécution en Azerbaïdjan en raison de sa nationalité arménienne. Le demandeur est né au Kazakhstan d'un père russe et d'une mère arménienne. Le 13 janvier 1990, averti d'un génocide du peuple arménien, le demandeur et sa famille auraient abandonné leur résidence familiale ainsi que leurs effets personnels afin d'éviter la mort. Par la suite, le demandeur et sa famille ont dû se cacher à plusieurs reprises à différents endroits parce que les Arméniens étaient recherchés par des membres du Front Populaire National. En mars 1995, le demandeur aurait été enlevé par des membres du Front Populaire National. Avec l'aide d'un ami, le demandeur aurait réussi à s'échapper du joug de ses ravisseurs. Retrouvant par la suite sa famille, le demandeur apprit qu'une de ses filles avait été kidnappée par un groupe de nationalistes et qu'une rançon était exigée pour sa libération; une fois la rançon payée, sa fille lui fut rendue. Le demandeur aurait subséquemment obtenu un passeport avec un visa américain et le 14 novembre 1997, il quittait sa famille et l'Azerbaïdjan et revendiquait quelques jours plus tard, le statut de réfugié au Canada.

[3]      Dans la mesure où le demandeur craignait d'être persécuté en Azerbaïdjan en raison de sa nationalité arménienne, la Section du statut a ainsi formulé la question à résoudre:

                 Voici la question qui se pose: Le revendicateur a-t-il pu démontrer qu'il était de nationalité arménienne? A-t-il démontré qu'il avait fait tous les efforts suffisants afin de se procurer les documents qui auraient prouvé qu'il serait de nationalité arménienne? À cette question, le tribunal répond par la négative.                 

Le tribunal a conclu que le demandeur n'avait pas démontré qu'il craignait avec raison d'être persécuté à cause de sa nationalité. Il en est arrivé à cette conclusion au motif que le demandeur n'avait pas démontré qu'il était de nationalité arménienne et qu'il n'avait pas fait tous les efforts suffisants afin de se procurer les documents qui auraient prouvé cet élément jugé d'une "importance capitale" (page 2 de la décision) à savoir sa nationalité arménienne. La Section du statut de réfugié a de plus mis en doute la crédibilité du demandeur et la véracité de son récit.

[4]      Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur plaide principalement que la Section du statut a erré en droit en concluant qu'il n'avait pas apporté une preuve suffisante de sa nationalité arménienne. Certains arguments subsidiaires visent à démontrer que le tribunal a eu tort de voir des contradictions dans la preuve et de conclure que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir une crainte raisonnable de persécution.

[5]      L'analyse du premier argument soulevé par le procureur du demandeur suffit, à mon avis, à disposer de cette affaire.

[6]      Le demandeur soumet d'abord que son propre témoignage quant à sa nationalité arménienne, corroboré par celui de sa mère, et les événements qu'il avait relatés dans son formulaire de renseignements personnels suffisaient à démontrer qu'il était identifié, par les agents persécuteurs, comme étant de nationalité arménienne. Quant à l'absence d'un certificat de naissance ou d'un passeport interne qui aurait établi sa nationalité arménienne, le demandeur soutient que dans les circonstances de sa fuite hors de son pays, il était déraisonnable pour la Section du statut de lui reprocher de s'en être muni à son départ d'autant plus, plaide t-il, qu'il aurait été dangereux d'avoir en sa possession des documents qui auraient pu l'identifier comme Arménien.

[7]      Le défendeur plaide que les raisons avancées par le demandeur pour justifier son incapacité à fournir des documents attestant de sa nationalité ont été jugées insatisfaisantes, et que, de toute façon, les explications fournies à la Section du statut n'ont pas été jugées crédibles.

[8]      J'estime qu'en l'espèce, il était déraisonnable pour la Section du statut, devant la preuve au dossier quant à la nationalité du demandeur, d'exiger qu'il fasse la preuve "d'efforts suffisants afin de se procurer les documents qui auraient prouvé qu'il serait de nationalité arménienne".

[9]      En l'occurrence, le demandeur a témoigné de sa nationalité arménienne, de la perception que l'agent persécuteur avait de ce fait, et ces faits ont été corroborés par le témoignage sans équivoque de sa mère à qui la Section du statut avait déjà accordé le statut de réfugiée. Quant au témoignage de celle-ci, il est vrai que chaque revendication étant un cas d'espèce, le fait qu'elle ait été reconnue réfugiée au Canada n'établit pas que son fils doive l'être aussi. Mais lorsque, après son fils qui se dit Arménien, elle vient témoigner de ce fait, son témoignage doit être cru et tenu pour avéré à moins que le tribunal n'explique clairement pourquoi il n'est pas crédible. En l'espèce, la Section du statut n'a pas mis en doute ce témoignage, se contentant d'énoncer que ". . . même si la mère du revendicateur aurait [sic ] pu établir qu'elle était Arménienne, cela n'établit pas pour autant que le revendicateur aurait choisi à l'âge de 16 ans la nationalité de sa mère." En somme, la Section du statut élude la question et semble reprocher au demandeur de ne pas avoir choisi, à l'âge de 16 ans, la nationalité de sa mère, une façon détournée et non pertinente de mettre de côté le témoignage clair et limpide de la mère à propos de la nationalité de son fils. Ce faisant, la Section du statut a non seulement ignoré une preuve corroborative sans la mettre en doute, mais elle a de plus exigé une preuve documentaire que le demandeur avait expliquée, de façon vraisemblable, qu'il ne l'avait pas apportée lors de son départ précipité d'Azerbaïdjan et qu'il ne lui avait pas été possible de l'obtenir par la suite. J'estime qu'il s'agit d'une erreur qui justifie l'intervention de cette Cour.

[10]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Il n'y a pas en l'espèce matière à certifier une question sérieuse de portée générale.

                             _________________________

                             Juge

Ottawa (Ontario)

le 9 août 1999

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