Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040225

Dossier : IMM-3348-02

Référence : 2004 CF 332

Toronto (Ontario), le 25 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                              KAMRAN ZARRIN

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                M. Kamran Zarrin demande le contrôle judiciaire de la décision du 21 juin 2002 de l'agente d'immigration, V.A. Malak (l'agente). Dans sa décision, l'agente a refusé la demande de résidence permanente au Canada de M. Zarrin au motif que ce dernier était une personne visée à la division 19(1)f)(iii)(B) de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi). Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision ainsi qu'une ordonnance renvoyant l'affaire à un autre agent pour que celui-ci prenne une décision en accord avec les présents motifs.

CONTEXTE

[2]                M. Zarrin est un citoyen de l'Iran, tout comme son épouse, Mme Masoumeh Salemi et leur jeune fils, Houman Zarrin. Ils sont arrivés au Canada en novembre 1998 et y ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Dans un avis daté du 12 janvier 2000, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié, a dit qu'ils étaient des réfugiés au sens de la Convention. Leur demande était fondée sur les liens qu'avaient M. Zarrin et sa famille avec le Parti démocratique kurde (PDK) d'Iran.

[3]                Ensuite, vers le mois de février 2000, le demandeur et sa famille ont demandé le statut de résident permanent, plus communément appelé le « droit d'établissement » au Canada. L'entrevue qui fait l'objet de la présente instance s'est déroulée le 11 juin 2002. Auparavant, le demandeur avait été interviewé par des représentants du Service canadien du renseignement de sécurité.


Décision de l'agente

[4]                Dans sa lettre du 21 juin 2002, l'agente a décidé que le demandeur était non admissible au Canada en vertu de la division 19(1)f)(iii)(B) de l'ancienne Loi. Elle a dit notamment :

[traduction] [...] En examinant votre dossier, nous avons conclu que votre demande de droit d'établissement pouvait être refusée puisque vous apparteniez peut-être à une catégorie non admissible conformément à la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration. À cet égard, vous deviez vous présenter à une entrevue le 11 juin 2002.

Les renseignements que nous avons recueillis au cours de votre entrevue ainsi que tous les renseignements au dossier ont été examinés attentivement. Nous en sommes arrivés à la conclusion que votre demande de droit d'établissement doit être refusée puisque vous êtes une personne visée à la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration [...]

[5]                Conformément à l'article 9 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, telles que modifiées, les notes dactylographiées de l'agente de l'entrevue du 11 juin 2002 ont été transmises à la Cour et au demandeur comme étant les motifs sur lesquels l'agente avait fondé sa décision. Ces notes comprennent huit questions et réponses se rapportant à la participation de M. Zarrin aux activités du PDK. M. Zarrin dit que l'entrevue a duré trois heures et que l'agente n'a inscrit que quelques-unes des questions et réponses.

[6]                Les questions 1, 2 et 5 ainsi que les réponses du demandeur, telles que consignées dans ces notes, sont rédigées comme suit :


[traduction]

1. OBJECTIF DU PDKI (Parti démocratique kurde d'Iran)

DEMANDEUR :

RECONNAÎTRE LA CULTURE DU PEUPLE KURDE EN IRAN ET LUI DONNER L'AUTONOMIE. COMBLER LES BESOINS ESSENTIELS DES KURDES, TELS QUE LA NOURRITURE, LES VÊTEMENTS, L'EMPLOI ET L'ABRI.

À SA CONNAISSANCE, LE PDKI N'A JAMAIS PARTICIPÉ À QUELQUE ACTE DE VIOLENCE QUE CE SOIT. LE « QUMALLEH » , UN AUTRE PARTI KURDE EXTRÉMISTE, ÉTAIT CONNU POUR SES ACTES DE VIOLENCE. LE « QUMALLEH » EST ÉTABLI EN IRAN ET EN TURQUIE.

2. QUAND VOUS ÊTES-VOUS JOINT À CETTE ORGANISATION ET PENDANT COMBIEN DE TEMPS?

DEMANDEUR :

IL A FAIT PARTIE DE L'ORGANISATION DE 1988 À 1997. IL EST ARRIVÉ AU CANADA LE 18 MAI 1998.

[...]

5. VOS ACTIVITÉS PRÉCISES AU SEIN DE L'ORGANISATION

IL N'ÉTAIT PAS UN MEMBRE. IL ÉTAIT UN SYMPATHISANT. EN IRAN, IL A PROMU LA CAUSE KURDE EN PHOTOCOPIANT ET EN IMPRIMANT DES BROCHURES À SA BOUTIQUE XEROX ET IL LES DISTRIBUAIT AUX IRANIENS. SON BUT ÉTAIT DE FAIRE CONNAÎTRE LES MAUVAISES CONDITIONS DE VIE DES KURDES AFIN QUE LES GENS LES AIDENT À S'EN SORTIR. EN 1993, LORSQU'IL ÉTAIT AU JAPON AVEC UN VISA DE TRAVAILLEUR, IL A DISTRIBUÉ DES BROCHURES AUX IRANIENS DANS LES IMMEUBLES ET DANS LES PARCS POUR PROMOUVOIR LA CAUSE KURDE. CES BROCHURES LUI AVAIENT ÉTÉ ENVOYÉES DE SUÈDE. IL RECUEILLAIT ÉGALEMENT DES FONDS, ENVIRON 400 $ PAR MOIS, QU'IL TRANSFÉRAIT À UN COMPTE À TÉHÉRAN PAR L'INTERMÉDIAIRE DE LA BANQUE DE TOKYO. IL ÉTAIT SATISFAIT DE SON RÔLE PUISQUE LES GENS COMMENÇAIENT À ÊTRE AU COURANT DES CONDITIONS DE VIE DES KURDES DE L'IRAN. IL A COMPARÉ LES CONDITIONS DE VIE DES KURDES À CELLES DES ENFANTS AFRICAINS QUI SONT DIFFUSÉES À LA TÉLÉVISION PAR VISION MONDIALE. LE BUT EST DE SENSIBILISER LES GENS ET DE LES METTRE AU COURANT DES CONDITIONS DE VIE DES KURDES.


ANALYSE

[7]                Même si, dans ses observations écrites au soutien de la présente demande, le demandeur a formulé plusieurs motifs, l'audition de cette affaire a principalement porté sur ce que je pense être une « erreur fatale » dans la décision de l'agente. Par conséquent, à la fin de l'audience, j'ai avisé l'avocat du demandeur que j'avais l'intention d'accueillir la demande en me fondant sur ce seul motif. Les présents motifs ne visent donc que cette question.

[8]                La demande de contrôle judiciaire en l'espèce porte sur une décision de non-admissibilité prise conformément à la division 19(1)f)(iii)(B) de l'ancienne Loi. La division est rédigée comme suit :


19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

...

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

...

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles :

...

(f) persons who there are reasonable grounds to believe

...

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée :

...

(iii) are or were members of an organization that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in

...

(B) soit à des actes de terrorisme,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

(B) terrorism,

except persons who have satisfied the Minister that their admission would not be detrimental to the national interest;



[9]                Dans ses motifs, l'agente a conclu que le PDK était une organisation qui se livre ou s'est déjà livrée à des actes de terrorisme. Conformément à l'article 17 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, le dossier certifié du tribunal déposé devant la Cour ne révèle aucune preuve, notamment documentaire, au sujet des activités présentes ou passées du PDK, ni au sujet de sa constitution ou de son histoire. Cependant dans le dossier, on mentionne qu'environ vingt pages n'ont pas été divulguées à la Cour car, en vertu des articles 38 et 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5, pour des raisons d'intérêt public déterminées, ces renseignements ne devraient pas être divulgués. Il est raisonnable de supposer qu'une preuve documentaire produite par une tierce partie et décrivant la nature du PDK ne devrait, en général, pas être assujettie à cette exemption.

[10]            Selon moi, pour en arriver à la décision qu'il y avait des « motifs raisonnables » de croire que le PDK était une organisation terroriste, élément essentiel de la décision fondée sur la division 19(1)f)(iii)(B), l'agente a très certainement tenu compte de cette preuve mais elle ne l'a jamais divulguée au demandeur. Le demandeur n'a eu l'occasion ni d'examiner cette preuve, ni d'y répondre, et par conséquent, le principe de l'équité procédurale n'a pas été respecté. Subsidiairement, je suis d'avis que si l'agente, en tirant sa conclusion de non-admissibilité, n'a pas apprécié une telle preuve, alors sa décision ne peut être présumée avoir été fondée sur des « motifs raisonnables » et doit par conséquent être annulée.


[11]            Les notes de l'agente qui constituent les motifs de la décision en l'espèce ne nous donnent aucune explication des motifs qui ont amené l'agente à juger que le PDK était une organisation terroriste et pourquoi elle a décidé que le demandeur participait à cette organisation[1]. Les notes de l'entrevue ne sont plutôt qu'une simple récapitulation de certaines questions et des réponses du demandeur inscrites à l'entrevue. Ces notes ne sont pas des motifs suffisants pour tirer une conclusion de non-admissibilité. On ne s'acquitte pas de l'obligation de donner des motifs suffisants en tirant simplement une conclusion : Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), au paragraphe 22.

[12]            Si l'on se fie aux notes, il n'y a aucune raison de conclure que le PDK est une organisation terroriste. Conformément à la division 19(1)f)(iii)(B), cette analyse était nécessaire afin de pouvoir tirer la conclusion de non-admissibilité. De plus, en l'absence d'un affidavit de l'agente qui a pris la décision et de toute indication dans le dossier du tribunal que cette question a été prise en compte, je suis d'avis que l'agente n'avait pas de « motifs raisonnables » de décider que le demandeur était non admissible, conformément à la norme de preuve décrite au paragraphe 27 de l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.), confirmé par [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), savoir « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » .


[13]            Le demandeur soutient également que ces notes sont incomplètes, étant donné que l'agente lui a posé plusieurs questions et qu'à un certain moment, elle a cessé de taper à l'ordinateur. Son témoignage n'est pas contredit puisque le défendeur n'a pas déposé un affidavit de l'agente dans la présente instance. De plus, le demandeur dit que l'entrevue a duré au moins trois heures, sans interruption. Si je tiens compte de l'importance de l'objet de l'entrevue et de la preuve non contredite du demandeur à cet égard, je suis convaincu que les notes dactylographiées de l'entrevue ne reflètent pas l'ensemble de l'entrevue. Cette erreur est une raison supplémentaire pour laquelle les motifs de l'agente ne sont pas suffisants et sont même inéquitables.

[14]            Aucune preuve dans le dossier présenté à la Cour ne vient appuyer la conclusion selon laquelle le PDK est une organisation terroriste. Il n'y a absolument aucune preuve, et encore moins d'analyse de cette question dans le dossier du tribunal. Je suis d'avis que, conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, ainsi qu'à la récente décision de la Cour dans Fuentes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 249 (1re inst.), le ministère peut maintenant se fonder sur la jurisprudence, y compris sur des critères particuliers, pour décider si une organisation se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme. Un tel raisonnement aurait dû faire partie de la décision de l'agente. J'ai également noté que l'arrêt Suresh a été rendu à l'unanimité et publié le 11 janvier 2002, quelques mois avant la décision du 21 juin 2002 de l'agente.

[15]            Ni l'une, ni l'autre des parties n'a demandé qu'une question soit certifiée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l'agente des visas datée du 21 juin 2002 soit annulée et que la demande de résidence permanente du demandeur soit renvoyée à un agent différent pour qu'il prenne à nouveau une décision en accord avec les présents motifs. Aucune question n'est certifiée.

                                                                         _ Richard G. Mosley _            

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3348-02

INTITULÉ :                                                    KAMRAN ZARRIN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 24 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Michael Crane                           POUR LE DEMANDEUR

Ian Hicks                                                           POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                           POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040225

                     Dossier: IMM-3348-02

ENTRE :

KAMRAN ZARRIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE



[1] Une note datée du 21 juin 2002 qui se trouvait dans le dossier du tribunal reprend l'analyse de l'agente en ce qui concerne la participation du demandeur au PDK; cependant, on n'y retrouve ni description, ni raisonnement concernant la raison pour laquelle l'agente a jugé que le PDK était une « organisation terroriste » .


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.