Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19980602

Dossier : T-1369-97

Entre :

                                                        FRANCE GAGNÉ

                                                                                                                  Partie requérante,

                                                                   - ET -

                                     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                         Partie intimée

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON:

[1]         Le requérant attaque une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la "Commission") rendue le 29 mai 1997.

[2]         Par sa décision, la Commission rejetait la plainte de discrimination du requérant contre la Commission de la fonction publique du Canada (la "Commission de la fonction publique"). Le requérant alléguait que la Commission de la fonction publique l'avait écarté d'un emploi en raison d'une déficience visuelle. Selon le requérant, la Commission de la fonction publique avait fait preuve de discrimination lors du processus d'embauche.

[3]         La décision de la Commission est fondée sur le sous-alinéa 44(3)(b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6, (la "Loi") qui prévoit ce qui suit:


(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission_:

                               ...

b) rejette la plainte, si elle est convaincue:

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

                               ...

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or


[4]         Le 29 mai 1997, la Commission rejetait la plainte du requérant dans les termes suivants:

Je vous écris au sujet de la décision que la Commission canadienne des droits de la personne a rendue relativement à votre plainte contre la Commission de la fonction publique (Q34994).

Avant de prendre leur décision, les commissaires ont étudié le rapport qui vous a été divulgué au préalables ainsi que les observations écrites du mis en cause en date du 9 avril 1997 signées par Ruth Hubbard. Après avoir étudié les document ci-dessus, les commissaires ont décidé de rejeter la plainte. Les raisons à l'appui de la décision sont énoncées comme suit:

Conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a décidé de rejeter la plainte, pour les raisons suivantes:

la preuve n'appuie pas les allégations;

le mis en cause a choisi le nom du plaignant dans son répertoire et l'a ajouté à la liste de candidats soumise au ministère employeur;

le mis en cause a tenté de communiquer avec le plaignant afin de lui faire part du refus du ministère employeur de reporter le test de sélection;

le dossier du plaignant demeure actif dans le répertoire du mis en cause.

Nous savons que cette décision n'est pas celle à laquelle vous vous attendiez, mais puis-je vous assurer que la Commission a étudié votre plainte attentivement avant de prendre sa décision.


[5]         Le requérant cherche à faire annuler cette décision au motif que la Commission n'a pas respecté l'équité procédurale en rejetant sa plainte. Le requérant soumet que la Commission a basé sa décision sur un rapport d'enquête incomplet, soit le rapport d'enquête de l'enquêteur Abdou Saouab daté le 8 mars 1997. De plus, le requérant soumet que la Commission n'a pas tenu compte du fait qu'il avait fait une preuve prima facie démontrant qu'il avait été victime de discrimination.

[6]         À mon avis, le deuxième argument du requérant est sans mérite. Les autorités sur lesquelles s'appuie le requérant pour faire cet argument sont des décisions relatives au fardeau de preuve dans le contexte d'une audition devant un tribunal des droits de la personne constitué en application de l'article 49 de la Loi. La constitution du tribunal des droits de la personne résulte évidemment d'une décision de la Commission selon laquelle l'examen de la plainte du requérant est justifiée, et cela aux termes du sous-alinéa 44(3)(a)(i) de la Loi.

[7]         Je suis aussi d'avis que l'argument du requérant basé sur le non-respect de l'équité procédurale est sans fondement. Le requérant cherche à faire annuler la décision de la Commission essentiellement au motif que l'enquêteur a commis des erreurs de droit et qu'il a omis de tenir compte d'une partie importante de la preuve soumise par le requérant. Voici ce qu'affirme le procureur du requérant dans son mémoire à la page 83 du dossier du requérant:

La partie requérante soumet que la Commission n'a pas respecté l'équité procédurale en rejetant la plainte du requérant. En effet, elle s'est basée sur un rapport incomplet. Les faits démontrent que l'agent Saouab n'a pas tenu compte de tout [sic] les témoignages utiles, il n'a pas recherché l'identité du fameux individu qui a déclaré que le requérant partait en Floride, il n'a pas fait toutes les vérifications qui lui incombaient. Le rapport contient donc nombre d'omissions et de déclarations dont on ignore la provenance.


[8]         En concluant comme elle l'a fait, la Commission avait devant elle le rapport d'enquête de M. Saouab dont copie avait été acheminée au requérant le 12 mars 1997. Dans la lettre qu'elle adressait au requérant, la Commission l'informait que l'enquêteur recommandait à la Commission de rejeter sa plainte. La Commission informait aussi le requérant que s'il désirait soumettre des commentaires écrits, ces commentaires devaient parvenir à la Commission ou plus tard le 1er avril 1997. Le requérant n'a pas déposé de commentaires écrits suite à la réception du rapport de l'enquêteur.

[9]         La Commission avait à décider si, compte tenu des circonstances pertinentes, il y avait lieu soit d'enquêter plus à fond sur le bien-fondé de la plainte ou de la rejeter. Après étude du rapport d'enquête de M. Saouab, la Commission a conclu que la plainte devait être rejetée. Dans Slattery v. La Commission canadienne des droits de la personne (1996), A-116-94[1], la Cour d'appel fédérale rejetait la demande de contrôle judiciaire de la requérante déposée suite au rejet de sa plainte par la Commission, sous le sous-alinéa 44(3)(b)(i). Le juge Hugessen, qui a rendu la décision pour la Cour, s'exprimait comme suit:

Nous sommes tous d'avis que la Commission s'est pleinement acquittée de son obligation d'équité envers la plaignante en lui remettant le rapport de l'enquêteur, en lui donnant l'entière possibilité d'y répliquer, et en étudiant cette riposte avant de parvenir à sa décision. Le pouvoir discrétionnaire de la Commission de rejeter une plainte conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) est libellé dans des termes encore plus généraux que sur lesquels s'est penchée la Cour suprême du Canada dans l'affaire Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), dans laquelle la nature de l'obligation d'équité dans de telles affaires a été décrite comme suit par le juge Sopinka, au nom de la majorité:

Je partage l'avis du juge Marceau qu'il incombait à la Commission d'informer les parties de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission.    Celle-ci devait en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.

La Commission pouvait prendre en considération le rapport de l'enquêteur, les autres données de base qu'elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements, ce qu'elle a fait.

                                                                                                                                            [à la page 902]

Nous estimons que les lacunes qui, selon la plaignante, entacheraient la préparation du rapport d'enquête ne pourraient pas vicier la décision de la Commission pourvu que les exigences susmentionnées soient respectées.

L'appel sera rejeté avec dépens.


[10]       Il appert de la décision du juge Hugessen que, dans la mesure où la Commission informe le plaignant de la substance de la preuve obtenue par l'enquêteur et déposée devant la Commission et que la Commission donne l'opportunité au plaignant de faire des représentations sur réception de cette preuve, la Cour n'interviendra pas. En d'autres mots, la Cour n'interviendra pas relativement à l'exercice, par la Commission, du pouvoir discrétionnaire qui lui est confié sous le sous-alinéa 44(3)(b)(i), sauf si la Commission manque aux devoirs auxquels réfère le juge Sopinka dans l'affaire du Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie.

[11]       Au même sens que la décision Slattery, l'on retrouve la décision de la Cour d'appel fédérale dans Linton Roberts c. Canada Post Corporation, 24 octobre 1997, dossier A-351-96, où le juge Strayer, à la page 2 de ses motifs, s'exprime comme suit:

En prenant cette décision, la Commission était saisie des rapports de son enquêteur de même que du long mémoire de l'appelant dans lequel celui-ci formulait ses observations et ses objections aux différentes affirmations contenues dans ces rapports. La Commission avait l'obligation d'examiner tous ces documents pour décider s'il y avait lieu de nommer un tribunal pour mener une enquête. Nous n'avons aucune raison de penser que la Commission n'a pas examiné tous ces documents, y compris les observations de l'appelant. L'appelant a affirmé devant nous que les rapports de l'enquêteur renfermaient certaines erreurs qu'il a pour la plupart signalées à l'attention de la Commission. Nous n'estimons pas que ces erreurs sont fondamentales ou qu'elles peuvent justifier l'annulation de la décision de la Commission. En exerçant son pouvoir de décider si un tribunal doit être nommé « compte tenu des circonstances relatives à la plainte » , la Commission peut prendre en compte de nombreux facteurs, y compris la qualité des éléments de preuve potentiels, et elle dispose d'un large pouvoir discrétionnaire qui doit faire l'objet d'une grande retenue de la part de la Cour. Le juge de première instance a refusé à bon droit d'intervenir.


[12]       Je suis d'avis que les erreurs soulevées par le requérant, en l'instance, ne sont pas suffisantes pour justifier mon intervention. Comme le souligne le juge Strayer dans Linton Roberts, la Commission, en prenant sa décision, peut considérer plusieurs facteurs, dont la qualité de la preuve qui est devant elle. En d'autres mots, si la Commission est d'avis que la preuve offerte n'est pas suffisante pour justifier la constitution d'un tribunal des droits de la personne, elle peut rejeter la plainte. C'est précisément ce que la Commission a fait en l'instance.

[13]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                              "MARC NADON"        

                                                                                                     Juge              

Ottawa (Ontario)

Le 2 juin 1998.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DE LA COUR:                        T-1369-97

INTITULÉ :                                    France Gagné c.

Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE:             Québec, Québec

DATE DE L'AUDIENCE:           28 mai 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON EN DATE DU         2 juin 1998

COMPARUTIONS

Me François Drouin                                                                    POUR LE REQUÉRANT

Me Rosemarie Millar             POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Langlois, Boulay

Québec, Québec                                                                           POUR LE REQUÉRANT

George Thomson Sous-procureur général du Canada      POUR L'INTIMÉ



     [1] La cause est rapportée en anglais à (1996), 205 N.R. 383.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.