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Date : 19991025


Dossier : T-1289-94


OTTAWA (ONTARIO), LE 25 OCTOBRE 1999.


EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX


ENTRE :



GLEN TWENION


demandeur


et


SA MAJESTÉ LA REINE


défenderesse



ORDONNANCE


     Pour les motifs qui ont été exposés, la Cour ordonne :

1.      Que le paragraphe 29a) de la déclaration du demandeur soit radié. La requête que la défenderesse avait déposée en vue d"obtenir la radiation des autres paragraphes de la déclaration est rejetée. Vu que la défenderesse n"a que partiellement eu gain de cause, des dépens ne sont pas adjugés.

2.      Que l"échéancier établi le 7 juin 1999 par le protonotaire Aronovitch soit modifié de la façon suivante :

     (1)      l"affidavit de documents doit être complété dans les trente jours suivant la présente décision.
     (2)      Les interrogatoires préalables doivent être complétés dans les 90 jours suivant la présente décision.
     (3)      La tenue d"une conférence préparatoire doit être demandée dans les 120 jours suivant la présente décision.

" François Lemieux "

                                         J U G E

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.




Date : 19991025


Dossier : T-1289-94


ENTRE :



GLEN TWENION


demandeur


et


SA MAJESTÉ LA REINE


défenderesse



MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX


INTRODUCTION


[1]      Le sous-procureur général du Canada cherche à obtenir, pour le compte de la défenderesse, Sa Majesté la Reine (la défenderesse), conformément à la Règle 369 et à la Règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998), une ordonnance en radiation de la déclaration du demandeur et en rejet de l"action. De façon subsidiaire, la défenderesse cherche à obtenir une ordonnance en modification de l"ordonnance, datée du 7 juin 1999, dans laquelle le protonotaire Aronovitch avait modifié l"échéancier qui avait été établi en ce qui concerne le dépôt de l"affidavit de documents, la tenue des interrogatoires préalables, et la demande que le demandeur devait présenter pour obtenir la tenue d"une conférence préparatoire.

[2]      La défenderesse a invoqué les motifs suivants pour étayer la requête en radiation :

     a)      la déclaration ne révèle aucune cause d"action valable;
     b)      le demandeur doit chercher à obtenir une réparation en application du mécanisme que prévoit la Loi sur la défense nationale. Dans le cas où le demandeur ne serait pas satisfait de la décision définitive prise dans le cadre cette procédure interne relative aux griefs, il devra chercher à obtenir une réparation en déposant une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale;
     c)      le demandeur ne peut pas intenter d"action contre la défenderesse pour rupture de contrat ou congédiement injustifié;
     d)      certaines des réparations que le demandeur cherche à obtenir ne peuvent être obtenues que dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire fondée sur l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale .

LA DÉCLARATION DU DEMANDEUR

[3]      Dans sa déclaration, datée du 1er juin 1994, le demandeur, Glenn Twenion, dit que pendant toute la période pertinente, soit plus de dix ans, il faisait partie des Forces canadiennes. Il dit avoir été réserviste pendant une certaine période et avoir fait partie de la Force régulière pendant cinq ans et dix mois. Il était matelot de 1re classe à la date de son renvoi (sa libération), le 5 janvier 1993.

[4]      Le demandeur dit qu"au cours de la période pendant laquelle il a fait partie des Forces canadiennes, ses rapports d"appréciation du personnel ont toujours été excellents. En outre, il a reçu deux récompenses et deux médailles pour avoir sauvé la vie d"une femme qui était en train de se noyer, en Chine, en juin 1988.

[5]      Le demandeur dit qu"en février 1992, alors qu"il travaillait à Washington D.C., une plainte d"inconduite sexuelle a été déposée contre lui par deux plaignants civils. Une enquête a été menée et un rapport militaire sommaire a été rédigé, rapport qui concluait à l"absence de preuve concluante établissant qu"il avait commis les actes qui lui étaient reprochés. Il dit qu"aucune accusation militaire ou civile n"a été portée contre lui et que, par suite de l"incident, il a été affecté au QGDN, à Ottawa.

[6]      Le demandeur dit que la promotion qu"il s"attendait à recevoir a été reportée. En septembre 1993, un Avis d"intention de recommander la libération lui a été signifié par suite de cet incident. Il s"y est objecté. Par la suite, un message d"approbation de libération lui a été signifié, à l"égard duquel il a déposé un grief le 2 décembre 1993. Il a reçu un accusé de réception du commandant du QGDN selon lequel il serait tenu au courant de l"évolution du dossier.

[7]      Le demandeur dit avoir été relevé de ses fonctions le 5 janvier 1993. Il soutient qu"il a été congédié sans qu"une audition ne soit tenue, au plus grand mépris des principes de justice naturelle et [TRADUCTION] " malgré de fortes recommandations selon lesquelles les Forces canadiennes devaient continuer de faire appel à ses services ".

[8]      Le demandeur renvoie à l"ordre administratif des Forces canadiennes applicable en matière d"inconduite sexuelle (l"ordre administratif no 19-36). Il soutient que cet ordre administratif permet le renvoi administratif d"un membre dans le cas où il a été conclu que celui-ci a commis un acte d"inconduite sexuelle. Le demandeur dit qu"aucune conclusion de cette nature n"a été tirée dans la présente affaire étant donné qu"aucune accusation n"a jamais été portée contre lui et qu"aucune audition n"a jamais été tenue à ce sujet.

[9]      Le demandeur invoque les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que d"autres articles de la Charte traitant de liberté de pensée et de liberté d"association.

[10]      Le demandeur cherche à obtenir la réparation suivante en application du paragraphe 24(1) de la Charte :

     a)      une ordonnance de certiorari annulant la décision de renvoyer le demandeur des Forces canadiennes et enjoignant à ces dernières de le réembaucher au rang auquel il devait être promu et dans l"échelle salariale à laquelle il aurait eu droit s"il n"avait pas été renvoyé des Forces canadiennes;
     b)      des dommages-intérêts généraux s"élevant à 500 000 $ pour déni de ses droits à l"égalité que garantit la Charte et de son droit à la liberté de pensée, de croyance et d"expression, et de son droit à la liberté d"association, de même qu"une réparation pour les effets préjudiciables qu"il a dû subir et qu"il continuera de subir par suite du déni de ses droits par la défenderesse;
     c)      des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires s"élevant à 100 000 $;
     d)      les intérêts courus;
     e)      une déclaration selon laquelle la défenderesse lui a dénié des droits que lui garantit la Charte, en particulier les articles 7 et 15 de celle-ci;
     f)      des dépens; et
     g)      toute autre réparation que la Cour jugera équitable.

LE CRITÈRE APPLICABLE EN MATIÈRE DE RADIATION

[11]      Comme il a déjà été mentionné, le demandeur cherche à obtenir, au paragraphe 29a) de sa déclaration, une ordonnance de certiorari annulant la décision de renvoyer le demandeur des Forces canadiennes et une ordonnance de mandamus (je présume) enjoignant à ces dernières de le réembaucher. La défenderesse fait valoir qu"une telle réparation concerne une décision d"un " office fédéral " et qu"on ne peut la demander qu"en présentant une demande de contrôle judiciaire, vu le paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale . On ne peut demander une telle réparation en intentant une action.

[13]      En réponse, l"avocate du demandeur a dit que [TRADUCTION] " le demandeur n"a pas intenté une action pour congédiement injustifié; il a plutôt présenté une demande de contrôle judiciaire en vue d"obtenir une mesure de redressement déclaratoire en ce qui concerne le fait que les autorités militaires ont omis, à tout le moins, de respecter les principes de justice naturelle lorsqu"elles ont déterminé s"il possédait les compétences nécessaires pour être embauché ".

[14]      Je souscris au point de vue de l"avocat de la défenderesse sur ce point. La Loi sur la Cour fédérale (la Loi) est claire : le paragraphe 18(3) de la Loi prévoit que les recours tels les brefs de certiorari et de mandamus doivent être exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l"article 18.1. Dans l"arrêt Bande indienne de Lake Babine et al. c. Williams et al. (1996), 194 N.R. 44, la Cour d"appel fédérale a confirmé la loi et conclu que la Cour n"avait pas la compétence pour entendre et trancher une action visant à obtenir une telle réparation. En outre, une action ne peut être changée en demande de contrôle judiciaire ni ne peut être traitée comme telle. À cet effet, voir Bande indienne de Lower Similkameen c. Allison , [1997] 1 C.F. 475 (1re inst.).

[15]      Pour ces motifs, le paragraphe 29a) de la déclaration du demandeur est radié.

DEUXIÈME QUESTION LITIGIEUSE -- L"EMPÊCHEMENT PRÉVU À L"ARTICLE 29 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE

[16]      La défenderesse se fonde sur l"article 29 de la Loi sur la défense nationale pour demander la radiation de la demande de dommages-intérêts que le demandeur a présentée.

[17]      Voici le libellé de l"article 29 de la Loi sur la défense nationale :

29. Except in respect of a matter that would properly be the subject of an appeal or petition under Part IX or an application or appeal under Part IX.1, an officer or non-commissioned member who considers that he has suffered any personal oppression, injustice or other ill-treatment or that he has any other cause for grievance may as a matter of right seek redress from such superior authorities in such manner and under such conditions as shall be prescribed in regulations made by the Governor in Council.

29. Sauf dans le cas d'une affaire pouvant régulièrement faire l'objet d'un appel ou d'une demande en révision aux termes de la partie IX, ou d'une demande ou d'un appel aux termes de la partie IX.1, l'officier ou le militaire du rang qui s'estime lésé d'une manière ou d'une autre peut, de droit, en demander réparation auprès des autorités supérieures désignées par règlement du gouverneur en conseil, selon les modalités qui y sont fixées.

[18]      La défenderesse cite un certain nombre de décisions de notre Cour, entre autres Gallant c. Canada (1978), 91 D.L.R. (3d) 695, Jones c. Canada et al. (1994), 87 F.T.R. 190, Pilon c. Canada (1978), 119 F.T.R. 269, et Townsend c. Canada (1994), 74 F.T.R. 21, pour étayer les propositions suivantes :

     a)      le travail au sein des Forces canadiennes ne crée pas de relation contractuelle et la cessation de l"emploi ne donne pas lieu à une cause d"action au civil pour congédiement injustifié;
     b)      un membre qui prétend avoir fait l"objet d"un congédiement injustifié n"a droit qu"aux appels et réparations internes que prévoient la loi et son règlement d"application et il ne peut faire valoir de cause d"action devant la Section de première instance de la Cour fédérale;
     c)      le processus de recours interne particulier que prévoit l"article 29 des Ordonnances et règlements royaux et le processus de grief que prévoit l"ordre administratif des Forces canadiennes no 19-32 posent de façon exhaustive les possibilités de redressement qui s"offrent au demandeur. La défenderesse dit que le demandeur doit d"abord intenter ces recours et, s"il n"est pas satisfait du résultat, il peut présenter une demande de contrôle judiciaire et non intenter une action.

[19]      En réponse, l"avocate du demandeur a dit que son client n"a pas intenté d"action pour congédiement injustifié et elle a précisé le contenu de la déclaration en ce qui concerne l"orientation sexuelle de ce dernier. L"avocat de la défenderesse s"est objecté, à bon droit selon moi, à cet ajout de faits. L"avocate du demandeur dit que le fondement de la prétention de son client est que l"on a mis fin à son emploi sans tenir compte des règles de justice naturelle et en violant ses droits à l"égalité. Dans sa déclaration, le demandeur dit que [TRADUCTION] " en raison des politiques que la défenderesse a adoptées en ce qui concerne des anomalies et " actes d"inconduite " de nature sexuelle perçus, on lui a nié de l"avancement professionnel ".

[20]      La défenderesse, dans la requête en radiation, n"a pas fourni d"analyse à la Cour expliquant pourquoi ni les dispositions de fond de la Charte (les articles 7 et 15), ni l"article de celle-ci en matière de recours (article 24) ne s"appliquent à la présente affaire. L"avocat de la défenderesse s"est contenté d"avancer que la déclaration du demandeur ne précise pas de façon convenable la nature de toute violation alléguée de la Charte.

[21]      Je ne suis pas convaincu, à ce stade-ci de l"instance, qu"il est manifeste que les autres paragraphes de la déclaration ne révèlent aucune cause d"action, et ce pour les raisons suivantes :

     a)      le demandeur cherche toujours à obtenir un jugement déclaratoire pour des motifs fondés sur la Charte;
     b)      le demandeur soutient qu"il a déposé un grief le 2 décembre 1993. Il a été avisé qu"il serait tenu au courant de l"évolution du dossier. Par la suite, il a été congédié [TRADUCTION] " sans qu"une audition ne soit tenue, au plus grand mépris des principes de justice naturelle ". Ces déclarations doivent être considérées comme étant vraies. Dans le cas où elles le seraient, l"allégation du demandeur serait que la défenderesse a violé la loi, le processus de grief a été corrompu et le demandeur a subi un préjudice. Comme on ignore ce qui s"est produit dans le processus de grief, la requête en radiation est prématurée;
     c)      la défenderesse n"a pas présenté d"arguments de fond basés sur la Charte; le demandeur n"a pas donné de réponse fondée sur le droit de la Charte. À mon avis, la défenderesse a hésité à présenter une argumentation de fond basée sur la Charte pour étayer sa requête en radiation vu l"absence de faits sur lesquels une telle argumentation pouvait être fondée et, dans la mesure où la déclaration du demandeur fait état des faits, ceux-ci lui étaient défavorables parce qu"ils devaient être considérés comme étant vrais. Compte tenu de cela, il n"est pas manifeste que le demandeur ne peut prétendre que ses droits garantis par la Charte ont été violés et qu"il ne peut chercher à obtenir une réparation fondée sur celle-ci. La défenderesse pourra présenter des arguments en vertu de l"alinéa 221a ) à un stade ultérieur de l"instance, après la tenue d"une enquête préalable. Il se peut que d"autres recours prévus par les Règles s"offrent à lui.

[22]      Pour ces motifs, le paragraphe 29a) de la déclaration du demandeur est radié. La requête que la défenderesse avait déposée en vue d"obtenir la radiation des autres paragraphes de la déclaration est rejetée. Vu que la défenderesse n"a que partiellement eu gain de cause, des dépens ne sont pas adjugés.

[23]      L"échéancier établi le 7 juin 1999 par le protonotaire Aronovitch est modifié de la façon suivante :

     (1)      l"affidavit de documents doit être complété dans les trente jours suivant la présente décision.
     (2)      Les interrogatoires préalables doivent être complétés dans les 90 jours suivant la présente décision.
     (3)      La tenue d"une conférence préparatoire doit être demandée dans les 120 jours suivant la présente décision.

" François Lemieux "

                                         J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

LE 25 OCTOBRE 1999.


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :                  T-1289-94

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Glenn Twenion c. Sa Majesté la Reine


REQUÊTE TRAITÉE SUR DOCUMENTS SANS COMPARUTION DES PARTIES


MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                  25 octobre 1999



OBSERVATIONS ÉCRITES :


Mme M. Martha Coady                      POUR LE DEMANDEUR


M. Ian McCowan                          POUR LA DÉFENDERESSE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


M. M. Martha Coady                          POUR LE DEMANDEUR

Arnprior (Ontario)


M. Morris Rosenberg                          POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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