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Date : 20040317

Dossier : IMM-2965-03

Référence : 2004 CF 413

ENTRE :

                              DVORIANOVA, OLGA NIKOLAEVNA (NIKOLAEVA)

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                La demanderesse, Olga Nikolaevna Dvorianova (Dvorianova), dit que la négligence de son conseiller en immigration est à l'origine du constat de désistement de sa revendication du statut de réfugié.

Les faits


[2]                La demanderesse est une ressortissante russe qui affirme être victime de persécution politique en Russie. Elle sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 9 avril 2003, qui concluait au désistement de sa revendication du statut de réfugié.

[3]                L'audition initiale de sa revendication avait été reportée en mai 2002 parce qu'elle souffrait de douleurs dorsales. Une deuxième audience prévue en septembre 2002 fut reportée pour des raisons administratives. La troisième audience devait avoir lieu le 27 novembre 2002.

[4]                Selon l'affidavit de la demanderesse déposé dans la présente procédure, la demanderesse s'était adressée à un conseiller en immigration, M. Alan S. Franklin (Franklin), pour qu'il s'occupe de son cas.

[5]                Elle dit que, la veille de l'audience du 27 novembre, elle était prête à s'y présenter et n'avait aucune raison de ne pas s'y présenter, mais que Franklin l'avait informée qu'il demanderait une nouvelle remise. La raison pour laquelle Franklin voulait la remise d'audience était qu'il souhaitait apporter des modifications à l'exposé circonstancié de la demanderesse.

[6]                La demanderesse affirme aussi que Franklin lui avait conseillé de ne pas se présenter à l'audience et lui avait dit qu'il ferait tout ce qu'il faudrait pour obtenir la remise.

[7]                Lors de l'audience du 27 novembre 2002, Franklin a informé les commissaires que sa cliente se sentait mal ce jour-là, et il a produit une lettre indiquant qu'elle devait subir une scanographie deux mois plus tard. Franklin demandait pour ces raisons une remise de l'audience.

[8]                Les commissaires ont accordé la remise et fixé une nouvelle audience au 8 avril 2003, au cours de laquelle la demanderesse exposerait les raisons pour lesquelles il ne devrait pas y avoir désistement de sa demande d'asile. Franklin fut aussi informé que « des renseignements médicaux détaillés seraient requis attestant que la revendicatrice n'était pas en mesure de se présenter à l'audience du 27 novembre 2002 » .

[9]                La demanderesse dit que Franklin ne lui a pas dit la nature de la preuve médicale qu'elle allait devoir obtenir puis présenter à l'audience du 8 avril 2003. C'est là le point essentiel de son allégation de négligence et d'incompétence.

[10]            Lors de l'audience du 8 avril 2003, au cours de laquelle Franklin et la demanderesse étaient présents, la seule preuve médicale présentée était une lettre du Service antidouleurs du département d'anesthésie, Campus Sunnybrook, de l'Université de Toronto, qui mentionnait qu'elle avait un rendez-vous fixé au 25 mars (sans mention de l'année). Les commissaires ont pensé que la lettre devait se rapporter à l'année 2003.

[11]            La transcription de cette audience montre que les commissaires ainsi que Franklin ont tenté d'en savoir davantage sur l'état de santé de la demanderesse au 27 novembre 2002. La demanderesse a répondu que la lettre indiquant un rendez-vous le 25 mars était, croyait-elle, suffisante et qu'une autre attestation de sa maladie pouvait facilement être obtenue.

[12]            Dans ses arguments, Franklin avait tenté de régler le problème de l'absence d'une preuve médicale au 27 novembre 2002 en disant que ce jour-là sa cliente était indisposée et qu'aucun médecin n'avait pu confirmer ou réfuter son état d'indisposition. Devant la Cour, l'avocat de la demanderesse a dit que cet argument était un autre signe de l'incompétence de Franklin.

[13]            Les commissaires ont accordé peu de poids à la lettre indiquant le rendez-vous et ont pris note de l'absence, au 27 novembre 2002, de la preuve médicale détaillée qui était requise. Les commissaires ont estimé que la revendicatrice n'avait pas exposé les raisons pour lesquelles il ne devrait pas y avoir désistement de sa revendication du statut de réfugié et ont donc conclu au désistement, en application du paragraphe 168(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

[14]            Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a produit un affidavit affirmant notamment que :

a)          Franklin avait voulu la remise de l'audience du 27 novembre 2002 alors qu'elle était en mesure de se présenter à cette audience;


b)          suivant les conseils de Franklin, elle ne s'y était pas présentée;

c)          Franklin lui avait dit qu'il avait obtenu une remise au motif qu'elle était trop malade pour se présenter à l'audience; et

d)          Franklin ne lui avait pas dit qu'elle allait devoir produire une preuve médicale confirmant que le 27 novembre elle était malade au point de ne pouvoir se présenter à l'audience.

[15]            Des allégations à l'encontre de Franklin ont été faites dans l'affidavit, dans les mémoires (deux mémoires ont été produits) et dans la plaidoirie, mais aucun élément de preuve n'a été produit précisant quelles attestations médicales eussent pu être présentées si la demanderesse avait su ce qu'elle devait produire.

Point litigieux

[16]            Le point soulevé dans ce contrôle judiciaire est celui de savoir si la demanderesse a établi que son conseiller en immigration a été incompétent ou négligent au point qu'elle n'a pu exercer son droit à une audience équitable.


Analyse

[17]            Le fait que la demanderesse se soit adressée à un conseiller en immigration plutôt qu'à un avocat ne présente pas d'intérêt pour la Cour. La demanderesse avait le droit de s'y prendre ainsi, mais elle accepte également les conséquences de sa décision. Un revendicateur reste lié par la conduite de son conseiller, comme s'il s'était adressé à un avocat (voir l'affaire Cove c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. n ° 482, 2001 CFPI 266).

[18]            L'incompétence d'un avocat, ou autre représentant, peut parfois être flagrante au point de constituer un manquement aux principes de justice naturelle. Cependant, la norme de preuve à observer dans ces cas est élevée. Il est trop facile d'alléguer l'incompétence sans en apporter la preuve.

[19]            Dans le jugement Fatima c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 308 (C.F. 1re inst.), la Cour a confirmé que l'incompétence peut constituer un manquement aux principes de justice naturelle, mais je ne crois pas, contrairement à ce que peut laisser entendre ce précédent, qu'il soit nécessaire dans tous les cas que cette incompétence soit manifeste aux yeux du décideur. Il serait à la fois injuste et impraticable d'exiger d'un tribunal administratif tel que la CISR de s'enquérir, au cours de ses audiences, de la compétence des représentants qui comparaissent devant lui.

[20]            La Cour suprême du Canada a établi dans l'arrêt R. c. B. (G.D.) [2001] 184 D.L.R. (4th) 577, le critère à appliquer avant que l'on puisse dire que l'incompétence d'un avocat a entraîné un déni du droit à une audience équitable.

[21]            La Cour suprême a jugé que le revendicateur doit établir les actions ou omissions de son avocat qui d'après lui révèlent une incompétence professionnelle. Le revendicateur doit aussi établir qu'il y a eu déni de justice.

[22]            La Cour fédérale a jugé dans l'affaire Shirwa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 51, que la preuve de l'incompétence doit être claire et convaincante.

[23]            La seule preuve dont dispose la Cour pour la présente allégation d'incompétence est celle de la demanderesse, mais je crois que les contradictions internes qu'elle renferme font qu'il est difficile de la considérer comme une preuve « claire et convaincante » .

[24]            D'une part, la demanderesse dit qu'elle était en mesure de se présenter à l'audience du 27 novembre et, de l'autre, elle dit que Franklin a été incompétent ou négligent parce qu'il ne l'a pas informée qu'elle devait présenter le 8 avril 2003 une preuve médicale montrant qu'elle n'était pas en mesure de se présenter à l'audience du 27 novembre en raison de sa maladie. La demanderesse ne peut gagner sur les deux tableaux.


[25]            Si elle était en mesure de se présenter à l'audience du 27 novembre 2002, alors la preuve médicale nécessaire n'existait pas.

[26]            Si Franklin ne lui avait pas dit qu'une preuve médicale devait être produite à l'audience du 8 avril, alors la demanderesse n'aurait eu aucune raison d'apporter une quelconque preuve médicale, encore moins une lettre faisant état d'un rendez-vous médical le 23 mars.

[27]            Je ne puis voir aucune preuve claire et convaincante d'incompétence ou de négligence.

[28]            En rapport avec ce qui précède, il y a aussi l'absence d'une preuve de préjudice. Si la demanderesse était si indisposée le 27 novembre, elle n'aurait pas affirmé le contraire sous serment. Par ailleurs, dans cette procédure de contrôle judiciaire, on serait en droit d'imaginer que la demanderesse eût apporté la preuve de l'indisposition dont elle souffrait ce jour-là, pour montrer qu'elle avait bien subi un préjudice.

[29]            La demanderesse n'a pas pris certaines des mesures auxquelles on s'attendrait de la part d'une personne dans ces conditions. Elle n'a pas demandé un ajournement de l'audience du 8 avril, ni n'a précisé quelles attestations médicales existaient. Elle n'a pris, m'a informé son avocat, aucune mesure judiciaire contre Franklin pour cause d'incompétence.

[30]            La demanderesse dit dans son affidavit qu'elle était prête et apte à se présenter à l'audience du 27 novembre. Lorsqu'elle fut informée par Franklin qu'il avait obtenu une remise en raison de sa maladie ce jour-là, elle n'a rien fait pour désavouer les affirmations de son représentant. Elle s'est contentée de bénéficier des affirmations inexactes de celui-ci.

[31]            Je ne vois aucune preuve claire et convaincante d'incompétence ou de négligence, ni aucune preuve de préjudice.

[32]            L'article 12 de la Charte a été invoqué dans le deuxième mémoire de la demanderesse, mais aucun argument n'a été avancé sur ce point. Je ne vois pas en quoi cette disposition peut s'appliquer à la présente affaire.

[33]            L'avocat de la demanderesse prétend qu'il n'y a aucune question susceptible d'être certifiée. L'avocat du défendeur a fait savoir qu'il pourrait proposer une question à certifier si la réponse à cette question dépendait d'un point de droit. Puisque j'ai l'intention de rendre une ordonnance rejetant cette demande, le défendeur n'a sans doute plus vraiment d'intérêt à proposer qu'une question soit certifiée.

[34]            Cependant, comme j'ai dit aux deux avocats que je leur donnerais du temps pour réfléchir aux présents motifs, chacune des parties aura quatre (4) jours pour présenter des arguments sur une question à certifier, et trois (3) jours pour répondre aux arguments de l'autre.


[35]            Une ordonnance rejetant cette demande de contrôle judiciaire sera rendue à l'expiration de ces délais.

                                                                                                                           « Michael L. Phelan »          

                                                                                                                                                     Juge                        

Toronto (Ontario)

le 17 mars 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-2965-03

INTITULÉ :                                          DVORIANOVA, OLGA NIKOLAEVNA (NIKOLAEVA)

                                                                                                                                       demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 26 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                         LE 17 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Peter Woloshyn

POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gilbert & Yallen

Toronto (Ontario)                                   

POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg                                                                     

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR


                         COUR FÉDÉRALE

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                         

Date : 20040317

Dossier : IMM-2965-03

ENTRE :

DVORIANOVA, OLGA NIKOLAEVNA (NIKOLAEVA)            

                                                            demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                  

              MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                  


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