Toronto (Ontario), le 17 mars 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Valeriy Kravchenko (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision, en date du 9 février 2004, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué qu'il n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, modifiée (la Loi).
[2] Le demandeur est un citoyen de l'Ukraine et il a fondé sa revendication sur sa crainte d'être persécuté en raison de son orientation sexuelle. Il est homosexuel.
[3] La Commission a rejetésa prétention selon laquelle il est homosexuel, affirmant ce qui suit :
[...] On lui a demandé de confirmer qu'il avait choisi d'être gai, ce qu'il a fait. Je ne pense pas que ce soit raisonnable. Il s'agit d'un homme instruit qui savait quelles conséquences entraînerait l'homosexualité. Timide ou pas, il est déraisonnable qu'un tel homme choisisse un style de vie qui lui causerait inévitablement des problèmes. Il est également déraisonnable qu'un homme qui est réellement homosexuel associe son orientation sexuelle au fait qu'il est trop timide pour parler aux filles. Il a également déclaré que si un homme n'est pas marié à 25 ans, il est considéré comme un célibataire endurci ou on estime qu'il a des problèmes de santé. Bien que cela ne soit pas déterminant, selon la prépondérance de probabilités, la description que fait le demandeur d'asile de la façon dont il s'est rendu compte de son homosexualité ne correspond pas à celle de quelqu'un qui l'est vraiment.
[4] La norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable : voir Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (1re inst.) (QL).
[5] À mon avis, la décision en litige en l'espèce ne satisfait pas à ce critère.
[6] La Commission a tiré des conclusions de fait de façon abusive et arbitraire; sa décision est indéfendable. Ses conclusions font état, au mieux, d'ignorance sur la question de l'homosexualité masculine et, au pire, d'idées préconçues sur l'homosexualité. Je renvoie à cet égard à ce qui suit :
[...] Dans la situation telle que la présente le demandeur d'asile, on ne faisait pas preuve de prudence, car les rencontres étaient régulières et avaient lieu dans le dortoir des officiers. En outre, le demandeur n'a pas pu expliquer comment la situation a évolué d'une invitation à prendre le thé à une relation sexuelle. Lorsqu'on lui a demandé comment il avait pu rejoindre Vladimir aussi souvent sans se faire prendre, il a simplement répondu que ce qui était arrivé était arrivé. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le demandeur d'asile a du mal à décrire les éléments de sa prétendue relation avec Vladimir parce que cette relation n'a jamais existé.
[...]
[...] Il a répondu que malgré tous leurs efforts, elle est devenue apparente, par leur langage corporel et leurs expressions faciales. Cette explication ne me semble pas crédible. Le demandeur d'asile prétend être timide. C'était aussi un homme instruit de 43 ans, chef de service. Ce n'était pas un jeune homme impétueux. On ne peut raisonnablement accepter qu'il n'ait pas réussi à cacher une relation, même s'il a essayé. Il n'est pas crédible qu'un tel homme ait pu afficher publiquement un langage corporel et des expressions faciales qui auraient pu le faire remarquer et lui causer des problèmes dans une société homophobe. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le demandeur d'asile n'a pas eu de relation homosexuelle avec un homme prénommé Alexander ou avec tout autre homme en Ukraine.
[7] Dans la décision Trembliuk c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1590 (1re inst.) (QL), le juge Gibson a condamné les appréciations des revendications du statut de réfugié fondées sur l'homosexualité qui s'appuient sur des stéréotypes et a affirméce qui suit :
Vu les faits, je suis convaincu que les conclusions tirées par la SPR sont si déraisonnables qu'elles nécessitent l'intervention de la Cour. Ces conclusions sont fondées sur un profil stéréotypé qui ne peut tout simplement pas s'appliquer à toute personne ayant une orientation homosexuelle [...].
[8] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire. Il n'y a aucune question à certifier.
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire. Il n'y a aucune question à certifier.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra D. de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2487-04
INTITULÉ : VALERIY KRAVCHENKO
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 16 MARS 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS ET
DE L'ORDONNANCE : LE 17 MARS 2005
COMPARUTIONS :
Peter D. Woloshyn POUR LE DEMANDEUR
Stephen H. Gold POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Yallen Associates
Toronto (Ontario) POUR LE DEMANDEUR
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR