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Date : 20050922

Dossier : IMM-1187-05

Référence : 2005 CF 1300

Toronto (Ontario), le 22 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL                                   

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION;

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeurs

et

ABDULCADIR ABDU FARAH

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le défendeur a été major dans l'armée somalienne entre 1974 et 1989. Il est arrivé au Canada et a revendiqué le statut de réfugié le 12 janvier 2004. En ce qui concerne cette demande du statut de réfugié, le solliciteur général du Canada a déposé, le 12 mai 2004, un avis d'intention d'intervenir dans lequel il allègue que le défendeur est exclu, étant d'avis que [traduction] « la demande soulève des questions visées par l'alinéa 1Fa) de la Convention » . L'avis renferme aussi le passage suivant :


[traduction]

M. Farah a indiqué, dans son formulaire de renseignements personnels et ses documents d'immigration, avoir été « major » dans l'armée somalienne entre 1974 et 1989. Le gouvernement de Siad Barre, qui a dirigé la Somalie de 1969 à 1991, a commis des violations graves et flagrantes des droits de la personne. En fait, ce gouvernement a été tenu responsable d'avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité par le ministre responsable de l'immigration au Canada de lpoque, Douglas Lewis, le 12 octobre 1993.                                           

Étant donné que M. Farah avait le grade de major dans l'armée somalienne, il y a des raisons sérieuses de penser que M. Farah a commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité ou a participé à leur perpétration. Le ministre s'intéresse donc à la possibilité d'exclure M. Farah en application de l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies.

Dossier de demande du demandeur, page 33 et 34.

[2]                 L'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés

(la Convention) se lit comme suit :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.

[3]                 La Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui a entendu l'affaire en l'espèce, a rejeté l'argument du demandeur quant à l'applicabilité de l'alinéa 1Fa), et accepté la demande de protection du défendeur. La question principale en litige dans la présente instance de contrôle judiciaire consiste à savoir si la conclusion de la SPR au sujet de l'alinéa 1Fa) révèle une omission d'examiner adéquatement les critères d'exclusion pour l'application de cet alinéa.

[4]                 Les critères permettant de conclure à l'application de l'alinéa 1Fa) sont bien établis. La Cour d'appel les a formulés comme suit dans son arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.F.) :

[...] la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu'un de l'application des dispositions relatives au statut de réfugié.   

...

[...] lorsqu'une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d'une police secrète, il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution.

...

[...] dans de tels cas, la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont.

[Non souligné dans l'original]

Paragraphes 16 à 18.

Une préoccupation particulièrement importante soulevée dans la présente demande concerne l'appartenance du défendeur à une organisation visant principalement des fins limitées et brutales (la « question de l'appartenance » ).   

[5]                 Le demandeur et le défendeur ont tous deux traité de la question de l'appartenance dans leurs prétentions écrites présentées après l'audience de la SPR. À cet égard, le demandeur a fait valoir ce qui suit :


[traduction] Je soutiens que son appartenance à l'armée somalienne, une organisation visant des fins limitées et brutales, suffit pour l'exclure en application de l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies. C'est là mon avis, étant donné les actes répandus et systématiques de destruction et de pillage commis par l'armée de Siad Barre de même que la pose par cette armée de millions de mines terrestres responsables de la mort ou de la mutilation de nombreuses personnes.

Prétentions présentées par le demandeur après l'audience, page 4.

Le défendeur a répondu à cet argument en ces termes :

[traduction] Si le demandeur avait été un membre des Services de sécurité nationale ou des Bérets rouges ou d'une autre organisation du régime Barre ayant pour mandat de réprimer l'opposition politique et visant donc une fin particulièrement brutale, il y aurait peut-être alors lieu de conclure à une certaine complicité de sa part. Tel que mentionné précédemment, ces organisations étaient dirigées par des membres de la famille Barre. Les personnes qui n'appartenaient pas au clan du président ntaient manifestement pas investies de pouvoirs ni n'avaient de l'influence au sein de son régime. La situation dans laquelle se trouvait le demandeur ne se rapproche même pas d'une quelconque complicité.                                                                                                                                     

Prétentions présentées par le défendeur après l'audience, page 2.

[6]                Pour ce qui est des critères établis dans l'arrêt Ramirez, la SPR est arrivé aux conclusions suivantes :

Le tribunal a entendu les arguments du conseil du solliciteur général du Canada en faveur de l'exclusion sur la seule base de son grade militaire. Aucune référence à d'autres recherches plus approfondies n'a été faite. Je constate que le ministre ne s'est pas acquitté de sa responsabilité à lgard de cette demande en particulier et qu'il avait bénéficié de tout le temps nécessaire pour étayer sa cause. J'ai lu attentivement les arguments écrits du conseil du demandeur et je suis d'accord avec ses arguments que dans cette demande particulière, la seule appartenance aux forces militaires, même au grade de major, ne suffit pas à justifier l'expulsion. Je constate que dans ce cas-ci, la preuve ne permet pas dtablir que le demandeur a commis des violations des droits de la personne ou était au courant de telles violations pendant son service militaire, et la demande d'exclusion est donc rejetée.

Dossier du tribunal, p. 5.


[7]                La décision de la SPR est manifestement laconique; cependant, le défendeur soutient que cette décision fait mention de son argument et, partant, que chacun des critères établis dans Ramirez a été traité. Le demandeur ne convient pas que les mots employés par la SPR appuient cette conclusion.

[8]                Je suis d'accord avec les arguments présentés par le demandeur. Il est évident que la SPR a pris connaissance de l'argument avancé par le défendeur, mais il est aussi évident que, même si la SPR a tenu compte des arguments à propos de la participation personnelle, de l'intention et de la connaissance du défendeur, elle n'a pas traité précisément de l'appartenance de celui-ci à         l'armée somalienne, une organisation vouée à des fins brutales.

[9]                À mon avis, compte tenu de l'importance des arguments présentés à la SPR, l'omission de celle-ci de traiter précisément de la question de l'appartenance soulevée par le demandeur en tant qulément de l'alinéa 1Fa) constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire qui rend la décision de la SPR manifestement déraisonnable.

ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de la SPR et renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.   

« Douglas R. Campbell »

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1187-05

INTITULÉ:                                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

c.

ABDULCADIR ABDU FARAH

LIEU DE L'AUDIENCE :                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 21 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE RENDUS PAR :                     LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :                                   LE 22 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Lorne McClenaghan                                            POUR LES DEMANDEURS

Jean Lash                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                    POUR LES DEMANDEURS

Services juridiques communautaires

du sud d'Ottawa

Ottawa (Ontario)                                                 POUR LE DÉFENDEUR

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