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     Date : 19990422

     Dossier : IMM-2410-98

Entre

     MARC ITAMBA KALUKUTA,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Par ce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 24 avril 1998 de la section du statut de réfugié, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, le demandeur conclut à l'annulation de cette décision et au renvoi de l'affaire devant une formation de jugement de composition différente.

LES FAITS DE LA CAUSE

[2]      Le demandeur, citoyen âgé de 28 ans de la République démocratique du Congo (le Congo), prétend qu'il craint avec raison d'être persécuté dans son pays par l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDLC) du fait de son appartenance à un certain groupe social, en ce qu'il passait pour un ami des Hutus.

[3]      Il fait savoir qu'en 1995, il s'est installé à Bukavu pour poursuivre ses études à l'Université de Bukavu. Durant son séjour dans la région, il habitait chez des Hutus et se liait d'amitié avec des étudiants hutus à l'université. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), il indique que fin octobre 1996, à un moment où les réfugié hutus du Rwanda sont devenus de plus en plus nombreux à Bukavu, les rebelles ont pris la ville. Les habitants les ont aidés en montrant les demeures de Hutus. Après que la situation se fut détériorée, le demandeur a pris la fuite avec des familles hutus vers la frontière zambienne. Il raconte comment il a aidé des Hutus à passer en Zambie, en vendant leurs biens pour soudoyer les gardes-frontière zambiens. Il est convaincu qu'il est connu des rebelles pour avoir aidé des réfugiés hutus et craint de revenir chez lui à Kolwezi, dont sont originaires ces rebelles.

La décision attaquée

[4]      À l'issue de l'audience tenue le 10 février 1998, la Commission a jugé que le demandeur n'était pas digne de foi, en raison des contradictions et invraisemblances dans son témoignage, et qu'il n'y avait pas de preuves établissant de façon concluante qu'il intéresserait encore les forces de Kabila ou les extrémistes tutsis, à titre d'ami de Hutus. Elle a également conclu qu'il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de se réimplanter dans quelque autre région du pays que la région de Bukavu qui semble être l'épicentre de la rivalité Hutus-Tutsis au Congo.

LES POINTS LITIGIEUX

[5]      Le demandeur soulève les points suivants, savoir :

     1) si la Commission a commis une erreur en jugeant que sa revendication était fondée sur son appartenance à un certain groupe social, alors qu'elle aurait dû examiner si les faits et gestes du demandeur étaient assimilables à des opinions politiques;
     2) si la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas digne de foi et ne risquait pas d'être persécuté au Congo;
     3) si la Commission a commis une erreur en jugeant qu'il avait une possibilité de refuge dans une autre région du Congo.

L'ARGUMENTATION DES PARTIES

Les arguments du demandeur

[6]      Le demandeur prétend que la Commission n'a pas examiné s'il craignait avec raison d'être persécuté en raison des opinions politiques qu'on lui prêtait, et que, malgré son témoignage qu'il était actif en politique sous le régime Mobutu, elle a conclu à tort qu'il ne l'était pas, et aussi qu'il " ne fait pas au tribunal l'effet d'une personne engagée dans la lutte politique contre le régime Kabila ".

[7]      La Commission a encore commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas " de preuves établissant de façon concluante " qu'il serait en danger. En se contentant de dire qu'il n'y avait pas de preuves concluantes, elle n'a pas pris des motifs clairs pour rejeter le témoignage du demandeur et pour justifier sa propre conclusion.

[8]      La Commission a mal interprété les preuves dont elle était saisie et a commis une erreur en concluant qu'il n'était pas digne de confiance. Elle a relevé la contradiction entre le lieu de résidence indiqué sur la carte d'identité nationale du demandeur, savoir Lumumbashi, et son témoignage qu'il vivait à Bukavu, et a commis une erreur en rejetant son explication relative à la date de délivrance de cette carte. L'adresse figurant sur cette dernière, dit-il, est celle où il habitait au moment où la carte lui fut délivrée, avant qu'il ne s'installât à Bukavu pour aller à l'université. La Commission a aussi conclu à tort que le fait que le demandeur a passé un mois et demi à la frontière et qu'il a razzié les cachettes de provisions de l'AFDLC met à néant sa crédibilité et la crainte qu'il professe. Elle a commis une erreur en rejetant son explication qu'il avait besoin de l'argent pour passer la frontière et que les forces régulières de l'AFDLC n'étaient plus dans la région puisqu'elles avaient pénétré dans l'intérieur du pays. De même, elle a commis une erreur en concluant que probablement le demandeur était " activement toléré " par l'AFDLC, puisqu'il n'y avait aucune preuve qui justifie pareille conclusion. Elle a également fait une erreur en voyant un manque de crédibilité dans le soi-disant défaut par le demandeur de mentionner dans son FRP le nom d'un certain colonel qui était censé le connaître. Le demandeur soutient qu'il n'y a pas eu omission dans son FRP puisque le nom de ce colonel, entre autres officiers, a été donné en réponse à une question spécifique à l'audience. Sur ce point encore, la Commission a commis une erreur en rejetant l'explication donnée par le demandeur des raisons pour lesquelles ces officiers le connaissaient.

[9]      La Commission a commis une erreur en concluant que les preuves documentaires produites n'établissaient pas que les sympathisants des Hutus risquaient les représailles à travers le Congo, alors qu'un rapport de décembre 1997 d'Amnesty International corroborait indiscutablement les dires du demandeur. Il reproche à la Commission d'avoir ignoré ce dernier élément de preuve.

[10]      La Commission a encore commis une erreur en concluant que rien ne prouvait que " ceux qui passaient pour sympathiser avec les Hutus " étaient systématiquement identifiés et persécutés, alors qu'elle aurait dû se demander si le demandeur serait persécuté au cas où les autorités s'apercevraient qu'il était un ami des Hutus. Le demandeur reproche aussi à la Commission de ne pas avoir instruit sa revendication au regard des opinions politiques qu'on lui prêtait, alors que telle en était la nature véritable.

[11]      La Commission a commis une erreur en jugeant qu'il avait une possibilité de refuge dans d'autres régions du pays, alors qu'il n'y a aucune preuve montrant que les Hutus ou leurs sympathisants ne soient pas en danger à Kinshasa ou ailleurs dans le pays, sauf dans l'Est. Les autres régions du pays sont aussi aux mains des forces de l'AFDLC, et il n'est pas raisonnable de penser qu'il pourrait chercher refuge dans des régions du pays qui sont sous le contrôle de ses tortionnaires; v. Sharbdeen c. M.E.I. (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 300 (C.A.F.); Soopramanien c. Canada (Solliciteur général) (A-1572-92, 5 octobre 1993).

Les arguments du défendeur

[12]      Le ministre défendeur soutient que la Commission n'a pas commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention par ces motifs : il manquait de crédibilité, sa crainte de persécution n'était pas fondée au regard de la situation au Congo; et il avait une possibilité de refuge à l'intérieur du pays.

[13]      La Commission n'a pas commis une erreur dans son appréciation du témoignage au sujet de la carte d'identité puisque le demandeur a reconnu lui-même que la carte produite comportait des défauts notables. La Commission ne saurait être prise en défaut pour avoir pris en compte cet élément de preuve. Cependant, le comportement qu'avait le demandeur pendant qu'il témoignait à ce sujet justifie la conclusion défavorable de la Commission sur sa crédibilité.

[14]      Il était loisible à la Commission de mettre en doute la crédibilité du demandeur qui est resté volontairement un mois et demi dans le pays, sans en subir aucune conséquence néfaste. La conclusion tirée par la Commission que le demandeur était activement toléré était une inférence logique, par suite de son témoignage que la région était ethniquement purifiée.

[15]      En ce qui concerne le défaut par le demandeur de mentionner un certain colonel dans son FRP, il était loisible à la Commission de mettre en doute sa crédibilité, vu l'administration tardive de cet élément de preuve de la plus haute importance pour la revendication, à la lumière de son témoignage et de ses manières hésitantes et évasives. La Commission a conclu que son témoignage était une pure invention pour faire mousser sa revendication.

[16]      La Commission n'a pas commis une erreur dans son appréciation du témoignage sur les incidents et les circonstances rapportés par le demandeur; il lui était loisible de conclure qu'ils ne conduiraient probablement pas à la persécution pour l'une des causes énumérées dans la Convention. Le passage cité par le demandeur n'était qu'une partie de l'ensemble des preuves que la section du statut était habilitée à évaluer quant à leur fiabilité et leur logique.

ANALYSE

[17]      La décision de la Commission découle de sa conclusion au manque de crédibilité chez le demandeur, de sa conclusion que celui-ci ne serait pas en danger au Congo et, subsidiairement, qu'il avait une possibilité de refuge dans une autre région du pays.

[18]      Je ne peux voir aucune erreur dans sa décision. Elle a pris en considération les faits invoqués dans la revendication du demandeur, fondée sur les opinions politiques. Celui-ci mentionnait dans son témoignage, ce qu'il n'avait pas fait dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), une crainte possible de persécution à cause de ses opinions politiques.

[19]      La Commission n'a pas ajouté foi à cette assertion par ce motif qu'il n'en était nullement question dans le FRP. Le demandeur a témoigné à l'audience de la Commission qu'il avait participé à des activités politiques sous le régime Mobutu et qu'un certain colonel le connaissait en raison de ces activités. La Commission n'a pas ajouté foi à cette assertion qui, comme noté supra, était absente du FRP et, de ce fait, manquait de crédibilité.

[20]      Il était raisonnable de la part de la Commission de tirer cette conclusion. Elle a également relevé la contradiction contre la crainte exprimée par le demandeur et le fait qu'il a aidé des Hutus à s'enfuir alors que lui-même est demeuré au Congo, à la frontière zambienne, un mois et demi, période pendant laquelle il a, en compagnie d'autres, " razzié " à 20 reprises au moins, les dépôts de provisions, pour revendre ensuite ces provisions avec bénéfices, je présume.

[21]      Il était raisonnable de la part de la Commission d'avoir tiré cette conclusion.

[22]      Elle doit exercer sa compétence pour juger la crédibilité du demandeur et évaluer les éléments de preuve dans leur ensemble, y compris les explications données par ce dernier.

[23]      Après examen de la transcription de l'audience de la Commission, je conclus que celle-ci a pris en considération toutes ces explications, et décidé que le demandeur n'en a pas clarifié les contradictions et les invraisemblances.

[24]      Par ces motifs, je conclus au rejet du recours en contrôle judiciaire.

[25]      Je ne juge pas utile de me prononcer sur la question de la possibilité de refuge à l'intérieur du pays, si ce n'est pour noter que, eussé-je conclu que la Commission a commis une erreur sur la question de la crédibilité, j'aurais conclu qu'elle s'est trompé en jugeant qu'il y avait en l'espèce une possibilité de refuge à l'intérieur du pays.

[26]      Aucune question n'a été soumise à la certification.

     Signé : Max M. Teitelbaum

     ________________________________

     Juge

Toronto (Ontario),

le 22 avril 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              IMM-2410-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Marc Itamba Kalukuta

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

DATE DE L'AUDIENCE :      Mercredi 21 avril 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM

LE :                      Jeudi 22 avril 1999

ONT COMPARU :

M. Michael Crane                  pour le demandeur

M. Stephen H. Gold                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael T. Crane                  pour le demandeur

Avocat

200-166 rue Pearl

Toronto (Ontario)

M5H 1L3

Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19990422

     Dossier : IMM-2410-98

Entre

     MARC ITAMBA KALUKUTA,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


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