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Date : 20041203

Dossier : IMM-10349-03

Référence : 2004 CF 1697

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE W. ANDREW MACKAY

ENTRE :

                                                       BEVERLY NOELLA DIAZ

                                                        DANIELLE HELEN DIAZ

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, conformément à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications, d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 5 décembre 2003, dans laquelle la Commission a conclu que les demanderesses n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention, en application de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), ni des personnes à protéger, en application de l'article 97 de cette loi.

LES FAITS

[2]                La demanderesse principale, Beverly Noella Diaz, est âgée de 37 ans et est citoyenne de Trinité-et-Tobago, tandis que l'autre demanderesse est sa fille mineure dont la demande d'asile repose sur celle de sa mère. La demanderesse est arrivée pour la première fois au Canada en 1989, accompagnée de son mari et de l'aîné des enfants. La famille a demandé l'asile mais on leur a refusé et ils ont par la suite été expulsés vers Trinité-et-Tobago.

[3]                La demanderesse est revenue au Canada le 29 décembre 2000, accompagnée de sa plus jeune fille, avec un permis ministériel pour visiter sa mère. En juin 2001, elle a demandé l'asile pour elle-même et pour sa fille. La demanderesse a prétendu craindre avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social, à savoir les femmes victimes d'une relation de violence à Trinité-et-Tobago. La demande d'asile de la fille mineure de la demanderesse reposait sur celle de sa mère et sur son appartenance à un groupe social, à savoir la famille d'une femme victime de violence.


LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[4]                La Commission n'était pas convaincue qu'il existait une « possibilité raisonnable » ou une « possibilité sérieuse » que les demanderesses soient persécutées si elles devaient retourner à Trinité-et-Tobago.

[5]                La Commission a fait référence à une question relative à la crédibilité, à savoir les six mois que la demanderesse a pris pour demander l'asile. La Commission a conclu que, bien que le délai n'ait pas été long, il n'était pas crédible, si la demanderesse affirmait craindre son conjoint, qu'elle n'ait pas demandé l'asile plus tôt. La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait été victime de violence de la part de son mari, mais qu'elle avait pris des arrangements pour émigrer de Trinité-et-Tobago sans se plaindre aux autorités de son pays d'origine au sujet de ses actes de violence. La preuve de la violence commise par son mari comprenait plusieurs affidavits ainsi qu'un message téléphonique enregistré sur bande, qui provenait censément du conjoint de l'appelante, dans lequel une voix d'homme proférait des menaces. La Commission a accepté le fait que la voix ait été identifiée comme étant celle du conjoint de la demanderesse.


[6]                Ayant conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse était une femme victime de violence, la Commission a pris en compte le fait que celle-ci n'ait pas fourni d'explication raisonnable quant à savoir pourquoi elle n'avait pas signalé d'incident à la police. Au lieu de cela, le neveu du mari de la demanderesse a organisé son départ de Trinité-et-Tobago.

[7]                Lorsqu'elle a examiné la preuve objective, la Commission s'est appuyée sur la preuve documentaire au sujet de la violence familiale à Trinité-et-Tobago. Selon la Commission, la preuve mentionnait que, bien qu'il soit possible d'obtenir un redressement judiciaire, comme des ordonnances de protection et l'aide juridique, les résultats des affaires varieront selon les éléments qui leur sont propres. De même, la réaction de la police peut varier selon le poste de police ou l'agent auprès de qui une femme dépose sa plainte. La Commission a fait remarquer que le gouvernement de Trinité-et-Tobago exploite une ligne rouge permettant aux victimes d'obtenir de l'information sur la façon d'accéder aux refuges et qu'il existe un certain nombre de refuges pour les femmes partout au pays. Des rapports politiques récents mentionnaient que la réaction de la police aux plaintes de violence familiale était positive et que, en général, les agents étaient sensibilisés au problème par suite d'une formation continue. Après avoir examiné l'ensemble de la preuve documentaire, la Commission a conclu que le gouvernement de Trinité-et-Tobago prenait des mesures sérieuses pour contrer la violence conjugale et que, bien qu'elle puisse être imparfaite, la protection était néanmoins disponible. La Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas présenté d'élément de preuve clair et convaincant selon lequel l'État de Trinité-et-Tobago n'était pas en mesure de la protéger.

[8]                Ayant décidé que la prétention de la demanderesse selon laquelle elle avait raison de craindre d'être persécutée n'était pas fondée objectivement, la Commission a également conclu que la demanderesse n'était pas exposée au risque de traitement ou peines cruels ou inusités ou d'être soumise à la torture. La demande d'asile de la demanderesse a donc été rejetée.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]                Dans ses observations écrites, la demanderesse a soulevé un certain nombre de questions. Lors de l'audition de la présente affaire, certaines d'entre elles ont été expressément exclues de l'argumentation, y compris une allégation de partialité de la part de la Commission et une préoccupation au sujet de la référence faite par celle-ci à la crédibilité de l'explication de la demanderesse concernant le dépôt tardif de sa demande d'asile. Les questions traitées par l'avocat de la demanderesse portent sur la référence faite par la Commission au dépôt tardif de sa demande d'asile, sur son appréciation de la situation du pays en cause et, plus particulièrement, sur son appréciation de la protection de l'État pour les femmes victimes de violence à Trinité-et-Tobago.

ANALYSE


[10]            Je note que l'argument au sujet de l'allégation de partialité de la part de la Commission n'a pas été avancé ni appuyé d'aucune façon par l'avocat comparaissant pour la demanderesse, lequel a affirmé que ses services n'avaient été retenus dans la présente affaire qu'après que le dossier écrit a été déposé et que l'autorisation de procéder a été accordée. L'avocat du défendeur a fait remarquer que rien dans la transcription de l'audience de la Commission n'appuyait les allégations écrites de la demanderesse au sujet de la partialité et de l'iniquité du processus de la Commission. À mon avis, ces allégations de la demanderesse sont, à tout le moins, frivoles, sinon injurieuses.

[11]            En outre, je suis convaincu, comme l'a fait remarquer l'avocat du défendeur, que la référence qu'a faite la Commission au manque de crédibilité de l'explication de la demanderesse concernant le dépôt tardif de sa demande d'asile ne constituait pas un fondement à la décision de rejeter sa demande. La décision a expressément accepté le fait que Mme Diaz ait été une femme victime de violence de la part de son conjoint et a donc implicitement accepté le fait qu'elle ait appartenu à un groupe social, à savoir les femmes se trouvant dans une situation maritale empreinte de violence.


[12]            La décision de la Commission est fondée sur son appréciation de la preuve objective, c'est-à-dire des dossiers d'information sur le pays et d'autres sources traitant de la situation des femmes victimes de violence à Trinité-et-Tobago. La Commission a conclu que ces dossiers démontraient qu'il y avait eu un grave problème social relativement à l'appréciation inadéquate de la situation des femmes victimes de violence et de la nécessité de mesures de protection. Lors de l'argumentation, l'avocat de la demanderesse a insisté sur ces dossiers. Toutefois, il y avait d'autres dossiers relativement aux mesures prises sous l'égide du gouvernement pour s'attaquer à la situation en constituant des refuges et des lignes secours pour les victimes de violence et en formant la police pour qu'elle soit sensibilisée aux préoccupations des femmes victimes de violence. Comme l'a fait remarquer l'avocat du défendeur, les dossiers se rapportant aux mesures prises pour s'attaquer au problème étaient, pour la plupart, postérieurs à ceux portant sur la grave situation sociale relativement à la violence conjugale dans le pays de Mme Diaz.

[13]            Il est juste de dire que la décision de la Commission n'a pas fait précisément référence aux dossiers soulignant les graves incidents de violence, mais elle a fait référence à la situation générale et elle a reconnu que les efforts faits pour s'attaquer à cela n'assuraient pas la protection des femmes victimes de violence dans toutes les situations. Néanmoins, la Commission a conclu que des mesures correctrices avaient été adoptées. Un système a été mis en place pour aider les femmes victimes, un système auquel la demanderesse n'a pas cherché à accéder par le dépôt d'une plainte au sujet des actes de son mari. Elle a plutôt cherché de l'aide pour quitter Trinité-et-Tobago sans y avoir cherché une protection.


[14]            La norme de contrôle applicable à une décision de la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable lorsque, comme en l'espèce, on fait valoir qu'elle n'a pas tenu compte d'une preuve d'importance ou qu'elle s'est appuyée sur des renseignements inappropriés pour fonder sa décision. Je ne suis pas convaincu que, en l'espèce, on rentre dans la norme. La décision ici en cause fait référence à la situation sociale malheureuse relativement à de nombreux cas de violence conjugale rapportés jusqu'au début des années 1990, mais elle réfère également aux mesures adoptées plus tard dans les années 1990 pour s'attaquer à cette situation. Son appréciation de la preuve dont elle disposait était que des progrès avaient été réalisés dans l'établissement d'un système pour venir en aide aux femmes victimes de violence et que la demanderesse n'avait pas pris les mesures pour accéder à ce système en signalant les actes de violence. Bien que ce système puisse continuer à mener à des résultats différents dans les cas de violence rapportés, aucune preuve n'a établi que Mme Diaz n'avait pas accès à une protection raisonnable de l'État.

[15]            L'essence de la décision de la Commission s'énonce ainsi :

À la lumière de la preuve documentaire [...], le tribunal en arrive à la conclusion que le gouvernement trinidadien prend des mesures concrètes pour lutter contre la violence familiale. La protection est disponible, même si elle peut ne pas être parfaite.

Le tribunal conclut que la demandeure d'asile principale n'a pas fourni une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de Trinité-et-Tobago de la protéger.

[16]            La preuve de la demanderesse relativement à l'absence de protection de l'État était composée de la preuve documentaire d'incidents de violence familiale et de commentaires d'un policier avec lequel elle avait eu une brève discussion générale. Pourtant, comme l'a fait remarquer la décision de la Commission : « Elle n'a jamais signalé aucun acte de violence à la police. »

[17]            Les circonstances en l'espèce sont, d'une manière générale, comparable à celles que l'on trouve dans les arrêts Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.), et Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 143 D.L.R. 4th 532; 206 N.R. 272 (C.A.F.). Dans l'arrêt Villafranca, l'omission, de la part de la Commission, de tenir compte de la preuve relative à la réluctance ou à l'incapacité des demandeurs d'asile à se prévaloir de la protection offerte dans leur pays a conduit à l'annulation d'une décision favorable d'accorder l'asile. Dans l'arrêt Kadendo, la Cour d'appel a refusé d'accorder un redressement dans le cas d'une décision selon laquelle la preuve d'une seule plainte, restée sans réponse, aux autorités policières était insuffisante pour démontrer l'incapacité à revendiquer une protection dans son propre pays.

[18]            La question de savoir si la Cour serait parvenue au même résultat en se basant sur la preuve dont disposait la Commission n'est pas en cause en l'espèce. La Cour doit plutôt déterminer si la décision de la Commission était manifestement déraisonnable en fonction de la preuve dont elle disposait. Je ne suis pas convaincu que cela est démontré. Je rends donc une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                     « W. Andrew MacKay »

   Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-10349-04

INTITULÉ :                                           BEVERLY NOELLA DIAZ

DANIELLE HELEN DIAZ

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 3 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE W. ANDREW MACKAY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson                                     POUR LES DEMANDERESSES

Bari Crackower                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson & Associates                                      POUR LES DEMANDERESSES

610-480, avenue University

Toronto (Ontario)

M5G 1V2

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

M5X 1K6


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