Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                                           

                                                                                                                              Date : 20010703

                                                                                                                      Dossier : T-1656-99

                                                                                             Référence neutre : 2001 CFPI 735

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                                               YONGYING ZOU

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La défenderesse ne s'est pas présentée à l'audience portant sur cette affaire. Comme j'étais convaincu que la défenderesse avait été avisée de la date d'audience, j'ai tenu l'audience en présence de l'avocat du demandeur seulement.

[2]                Il s'agit d'un appel à l'encontre d'une décision du juge de la citoyenneté Roberti, datée du 20 juillet 1999, par laquelle il a approuvé la demande de citoyenneté présentée par la défenderesse selon le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.


Les faits

[3]                La défenderesse est née dans la République populaire de Chine le 11 mars 1956, elle est mariée et a un enfant unique. Elle est arrivée au Canada avec son mari et son enfant le 21 février 1995 et a obtenu le statut d'immigrant reçu le même jour. Le 28 août 1998, la défenderesse a présenté sa demande de citoyenneté.

[4]                Dans le questionnaire sur la résidence, la défenderesse a indiqué qu'à son arrivée au Canada, elle et sa famille ont habité chez des parents au 5 Forester Crescent, à Markham (Ontario). En juin 1995, la famille a acheté une maison au 36 Fawndale Crescent, à Scarborough (Ontario). La famille réside dans cette maison depuis. La date de conclusion du contrat d'achat est le 21 juin 1995[1].

[5]                Dans sa demande, la défenderesse a indiqué que, lorsqu'elle est venue au Canada, « ... nous avons lancé une entreprise, acheté une voiture ainsi qu'une maison et ma fille a commencé l'école. Je suis allée à l'école anglaise, j'ai ouvert un compte de banque et j'ai payé les impôts. » Elle a ensuite indiqué que sa première absence du Canada était pour des raisons personnelles, la deuxième pour rendre visite à sa mère malade et la troisième pour des raisons d'affaires.

[6]                Le juge de la citoyenneté a conclu que la défenderesse avait été présente au Canada pendant 684 jours, soit 411 jours de moins que les 1 095 jours nécessaires.


[7]                Le juge de la citoyenneté a relevé les indices suivants de résidence au Canada :

-           Régime d'assurance-maladie de l'Ontario [dossier du Tribunal, p. 58]

-           numéro d'assurance sociale [dossier du Tribunal, p. 59]

            -           carte des bibliothèques publiques de Toronto [dossier du Tribunal, p. 60]

-           carte Visa Banque Royale et compte à la Banque Royale [dossier du Tribunal, p. 61]

-           carte Visa Or Capital One [dossier du Tribunal, p. 62]

-           compte à la Banque de Montréal [dossier du Tribunal, p. 63]

-           carte de crédit Zellers et carte Club Z [dossier du Tribunal, p. 64]

-           carte de crédit Sears [dossier du Tribunal, p. 65]

-           carte Canadian Tire Options Mastercard [dossier du Tribunal, p. 66]

-           carte de membre de Price Costco [dossier du Tribunal, p. 67]

-           carte de membre du Chinese Information & Community Service of Toronto [dossier du Tribunal, p. 68]

-           cotisations au REER à la Banque Royale [dossier du Tribunal, p. 70]

-           assurance-vie [dossier du Tribunal, p. 72]

            -            location d'un compartiment de coffre-fort à la Banque Royale [dossier du Tribunal,        p. 75]

            -            assurance automobile [dossier du Tribunal, p. 81]

[8]                Le juge de la citoyenneté a fourni les motifs suivants, rédigés de sa main sur un formulaire imprimé de décision, reproduits au paragraphe 18 du mémoire de la demanderesse à la page 126 de son dossier :


[traduction] J'ai examiné avec soin les documents dans ce dossier [et] mon entrevue avec la demanderesse. La demanderesse est arrivée au Canada en février 1995 et est alors devenue une [immigrante reçue]. Elle est retournée en Chine pour [environ] 3 mois afin de régler ses affaires[,] après quoi elle est revenue au Canada et a lancé sa propre entreprise (un magasin de détail de literie). La demanderesse a fait un voyage en Chine, au Cambodge [et] en Thaïlande pour des raisons d'affaires à trois reprises pour acheter des tissus pour son magasin. Sa seule autre absence du Canada était due à la maladie de sa mère. Elle est allée lui rendre visite et prendre soin d'elle en 1996. Pendant qu'elle était absente, son mari [et] sa fille sont restés au Canada dans la maison qu'ils avaient achetée en 1995. La demanderesse est allée à l'école pour apprendre l'anglais comme langue seconde. Son anglais était excellent [et] sa connaissance du Canada était très bonne. La demanderesse a centralisé son mode de vie au Canada et s'est canadianisée [et] j'ai donc approuvé sa demande.

La norme de contrôle

[9]                Pour déterminer la norme de contrôle à appliquer au contrôle de la décision du juge de la citoyenneté, j'adopte l'analyse du juge Lutfy (tel était alors son titre) dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 410, T-1310-98 ( 26 mars 1999) (1re inst.), au paragraphe 33 :

                                La justice et l'équité, tant pour les demandeurs de citoyenneté que pour le ministre, appellent la continuité en ce qui concerne la norme de contrôle pendant que la Loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo. La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition.

[10]            Au cours de l'audience, l'avocat du demandeur a plaidé que c'est à tort que le juge de la citoyenneté a conclu que la défenderesse avait établi sa résidence au Canada au moins trois ans avant sa demande de citoyenneté comme le prévoit l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Le demandeur prétend qu'au cours de ses quatre premiers mois, la défenderesse a été au Canada cinq jours en février 1995 et quinze jours en juin 1995, soit une période qui n'est pas suffisamment longue pour que le juge de la citoyenneté puisse conclure qu'elle avait établi sa résidence ici.


[11]            Le demandeur soutient que le juge de la citoyenneté s'est mépris en croyant que la défenderesse avait rendu visite à sa mère malade en juin 1996, alors que cette visite avait eu lieu un an plus tôt en juin 1995. Selon son argumentation, cela a amené le juge à conclure à tort que la défenderesse avait établi sa résidence.

[12]            Le demandeur soutient, à titre subsidiaire, que la défenderesse n'est pas résidente au Canada, puisqu'elle n'a pas satisfait au critère défini par Madame le juge Reed dans la décision Re Koo, [1993], 1 C.F. 286, aux pages 293 et 294, autrement dit, qu'elle n'a pas démontré un attachement suffisant au Canada pour justifier l'octroi de la citoyenneté. Essentiellement, le demandeur relève les absences prolongées du Canada de la défenderesse à intervalles réguliers, fait valoir qu'elle ne [traduction] « semblait » (non souligné dans l'original) pas gagner sa vie au Canada ainsi qu'il ressort de ses déclarations de revenu et de sa société non rentable et souligne son manque d'attachement apparent au Canada.

[13]            Je ne ferai pas l'historique des tendances contradictoires de la jurisprudence de la Cour au sujet de la condition relative à la résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Il suffira de rappeler que certains juges ont suivi le critère établi dans la décision Re Pourghasemi [1978] 2 C.F. 208, selon lequel la présence physique au Canada pendant le nombre de jours prévu est jugée essentielle, les motifs expliquant les absences n'ayant guère d'importance. Une autre tendance a suivi le raisonnement du juge Thurlow dans la décision Papadogiorgakis , jugeant que, malgré des absences qui font que le nombre minimum de jours au Canada prévu par la Loi n'est pas respecté, c'est le fait que le demandeur a centralisé son mode de vie ordinaire au Canada qui compte.


[14]            La décision Re Koo, citée par le demandeur, constituait une tentative du juge Reed de réconcilier les deux tendances. Dans cette décision, le juge Reed a énuméré les facteurs qui, selon elle, indiquaient un attachement suffisant au Canada pour justifier l'octroi de la citoyenneté, même si les périodes d'absence excédaient le maximum prévu par la Loi.

[15]            Selon la jurisprudence, le juge de la citoyenneté peut adopter et appliquer celui des critères qu'il choisit pour autant qu'il l'applique correctement. Dans la décision Lam, au paragraphe 14, le juge Lutfy (tel était alors son titre) a indiqué :

                                À mon avis, le juge de la citoyenneté peut adhérer à l'une ou l'autre des écoles contradictoires de la Cour, et, s'il appliquait correctement aux faits de la cause les principes de l'approche qu'il privilégie, sa décision ne serait pas erronée.

[16]            Le juge MacKay, dans la décision Singh c. MCI, [1999] A.C.F. n ° 786 a exposé la fonction de la cour exerçant le contrôle judiciaire dans l'application de la norme de contrôle définie dans la décision Lam de la manière suivante :

L'approche que le juge Lutfy propose pour l'examen de la décision d'un juge de la citoyenneté consiste à vérifier si le juge a fait référence à l'un ou l'autre de ces groupes de décisions ressortant de la jurisprudence, et que s'il l'a fait, de vérifier s'il a correctement appliqué le critère approprié aux faits de l'affaire. Dans l'affirmative, la Cour n'est pas fondée à intervenir.

[17]            Je suis convaincu en l'espèce que le juge de la citoyenneté a adopté le critère exposé par le juge Thurlow dans la décision Re Papadogiorgakis. Il sera utile de reproduire l'extrait suivant de la décision du juge Thurlow aux pages 213 à 215 :


                                Il me semble que les termes « résidence » et « résident » employés dans l'alinéa 5(1)b) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante fréquente [sic] pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. [...]

                                Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu cela dépend [traduction] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question » .

[...]

                                Il a quitté sans renoncer à faire de ce lieu le centre de son mode habituel de vie. Il a pris ce qui était nécessaire à son séjour au Massachusetts, mais il a laissé le reste de ses effets personnels dans la maison où il avait habité.

[18]            Dans la présente procédure, après avoir examiné attentivement la preuve soumise au juge de la citoyenneté et après avoir entendu l'avocat du demandeur, je suis convaincu que le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur en appliquant aux faits de l'affaire le critère « Thurlow » . La défenderesse, son mari et son enfant vivaient dans leur propre maison au Canada, elle possédait et exploitait une entreprise au Canada, bien que non rentable. La défenderesse a effectivement fait de longs voyages pour des raisons d'affaires et pour rendre visite à sa mère malade, mais le fait que sa famille est restée au Canada pendant qu'elle-même était à l'étranger me permet de conclure que ses absences étaient temporaires et qu'elle avait la ferme intention de revenir à son foyer au Canada. Je suis convaincu que ce n'est pas à tort que le juge de la citoyenneté a conclu que la défenderesse avait centralisé son mode de vie au Canada.


[19]            Selon la norme de contrôle établie dans la décision Lam et après avoir examiné toutes les observations présentées par l'avocat du demandeur, je n'ai pas été persuadé que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit qui aurait consisté à ne pas appliquer les bons principes juridiques aux faits qui lui étaient soumis en l'espèce.

[20]            Pour les motifs qui précèdent, l'appel sera rejeté.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         L'appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en vue de faire annuler la décision du juge de la citoyenneté Roberti datée du 20 juillet 1999 est rejeté.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »                     

     Juge                     

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1656-99                                           

INTITULÉ :                                                    Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

c. Yongying Zou

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 5 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE :              le 3 juillet 2001          

COMPARUTIONS:

Kevin Lunney                                                    POUR LE DEMANDEUR

Aucune comparution                                          POUR LA DÉFENDERESSE              

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

POUR LA DÉFENDERESSE



[1]            Dossier du Tribunal, à la p. 111.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.