Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision




Date : 19990929


Dossier : T-213-99


TORONTO (Ontario), le mercredi 29 septembre 1999.

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE B. REED


ENTRE :



SHUN MEI CHANG,


demanderesse,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.



ORDONNANCE



     VU l"audition de la présente affaire à Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 9 septembre 1999;

     ET pour les motifs d"ordonnance exposés aujourd"hui;


LA COUR ORDONNE :

     Que l"appel interjeté par l"appelante soit rejeté.


" B. Reed "

                                                 juge




Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.




Date : 19990929


Dossier : T-213-99


ENTRE :



SHUN MEI CHANG,


demanderesse,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.



MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE REED


[1]      L"appelante interjette appel d"une décision d"un juge de la citoyenneté qui a conclu qu"elle n"avait pas satisfait aux exigences en matière de résidence prévues à l"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté et, par conséquent, qu"elle n"avait pas droit à la citoyenneté.

[2]      L"appelante fait valoir que le juge de la citoyenneté a mal compté le nombre de jours pendant lesquels elle était absente du Canada. L"appelante soutient qu"il lui manquait seulement 252 jours (approximativement) pour satisfaire à l"exigence de 1 095 jours de présence au Canada et non 426 jours, comme l"a dit le juge de la citoyenneté. Il est clair qu"une erreur de calcul a été commise, bien qu"il ne soit pas aussi clair que le nombre de jours qu"il lui manquait était 252 jours et non 350. De plus, je fais remarquer que l"erreur de calcul a découlé, dans une grande mesure, de la façon dont l"appelante a fait état de ses absences devant le juge de la citoyenneté. Néanmoins, une erreur a bel et bien été commise et l"appelante a le droit d"être appréciée sur la base d"un calcul exact.

[3]      L"avocat de l"appelante soutient également que le juge de la citoyenneté n"a pas apprécié, conformément à la jurisprudence pertinente, la question de savoir si l"appelante résidait au Canada pendant les jours en question, malgré le fait qu"elle n"était pas physiquement présente au pays.

[4]      J"ai déjà dit que le fait qu"il existe deux (et peut-être même trois) courants dans la jurisprudence de la Cour doit être extrêmement frustrant pour les juges de la citoyenneté - comment peuvent-ils savoir quel critère il convient d"appliquer? Comme je l"ai dit récemment dans Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Yi Cheng Jernnifer Chuang, (14 septembre 1999) T-6-99 (C.F. 1re inst.), " [l]e législateur a peut-être effectivement voulu que la présence physique constitue un élément absolument essentiel relativement à chacun des 1 095 jours que prévoit l"alinéa 5(1)c ); peut-être que non ". Par contre, ce n"est que récemment que le législateur a clarifié le sens du mot " résidence ", et notre Cour a, pendant longtemps, appliqué des courants jurisprudentiels qui différaient. Par suite de la décision Re: Papadogiorgakis , [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), dans laquelle le juge Thurlow avait statué qu"une personne pouvait avoir résidé au Canada pendant une certaine période bien qu"elle n"eût pas été toujours physiquement présente au pays, de nombreuses décisions ont accordé la citoyenneté à des demandeurs qui avaient été physiquement absents pendant plusieurs des 1 095 jours requis. Par exemple, dans Re: Hajjar , (5 février 1998) T-1115-96 (C.F. 1re inst.), la citoyenneté a été accordé au demandeur même si celui-ci avait passé seulement deux mois par année au Canada pendant la période pertinente; dans Re: Chow, [1998] J.C.F. no 487 (1re inst), la citoyenneté a été accordé au demandeur bien qu"il lui manquât 853 jours pour satisfaire à l"exigence de 1 095 jours; enfin, dans Re: Wong , [1998] J.C.F. no 519 (1re inst), le demandeur n"avait été présent au Canada que pendant 373 jours, de sorte qu"il lui manquait 722 jours pour satisfaire à cette exigence.

[5]      Par contre, on a récemment observé une tendance à ne pas appliquer le critère énoncé dans Re: Papadogiorgakis. Depuis la décision que le juge Muldoon a rendue dans l"affaire Re: Poughasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst), dans laquelle il a statué que l"objectif de l"alinéa 5(1)c ) visait à s"assurer du fait que le demandeur s"était " canadianisé " et que ce dernier ne pouvait accomplir cela en étant absent du Canada vu que la vie et la société canadiennes ne se trouvaient qu"au Canada, on applique un critère qui exige une présence physique pendant les 1 095 jours pertinents. Voici des exemples de l"application de l"approche stricte : Re: Chang , (5 février 1998) T-1183-97 (C.F. 1re inst.); Re: Chen, (27 octobre 1998) T-137-98 (C.F. 1re inst.), Re: Chow (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 308 (C.F. 1re inst.); M.C.I. c. Ho, (24 novembre 1998) T-19-98 (C.F. 1re inst.); Re: Hui (1994), 24 Imm. L.R. (2d) 8 (C.F. 1re inst.); M.C.I. c. Lok (29 mars 1999) T-1179-98; et M.C.I. c. Ching Pin Lin (6 janvier 1999) T-2803-97 (C.F. 1re inst.). (Un projet de loi (le projet de loi C-63) que la Chambre des communes étudie présentement clarifierait la situation en exigeant que le demandeur soit physiquement présent pendant 1 095 jours au cours d"une période de six ans (et non de quatre ans)).

[6]      Il existe donc dans la jurisprudence de la Cour des courants divergents que les juges de la citoyenneté peuvent appliquer. Monsieur le juge Lutfy a dit dans Re: Lam (1996), 36 Imm. L.R. (2d) 29, que la décision d"un juge de la citoyenneté ne doit pas être infirmée au motif qu"un critère et non un autre a été appliqué, pourvu que le juge énonce le critère qu"il applique et explique pourquoi il y est satisfait ou non dans l"affaire dont il est saisi. La difficulté en l"espèce, comme le souligne l"avocat de l"appelante, provient du fait que le juge n"a pas expliqué le critère qu"elle appliquait, se contentant de mentionner les dispositions législatives en cause et de conclure que l"appelante ne les avait pas respectées. Dans les circonstances, j"apprécierai la demande de l"appelante en appliquant les critères énoncés dans Re: Koo (1992), 19 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.).

[7]      Le fait qu"il n"existe aucune transcription de l"instance devant le juge de la citoyenneté rend un tel exercice plus difficile. Vu les circonstances, j"accepte que l"affidavit de l"appelante établit ce qu"on a dit au juge de la citoyenneté. (L"instance devant le juge de la citoyenneté aurait pu être enregistrée et je n"estime pas que l"appelante doit être désavantagée parce que cela n"a pas été fait.)

[8]      L"appelante dit avoir informé le juge de la citoyenneté du fait qu"elle est venue au Canada pour la première fois en 1980 en tant que visiteuse et qu"elle a obtenu le droit de s"y établir le 10 août 1992 dans le cadre de la catégorie des immigrants entrepreneurs. Selon une lettre d"un représentant de la province de la Colombie-Britannique, l"appelante est venue au Canada pour établir une assise manufacturière de l"entreprise pharmaceutique que sa famille possède depuis longtemps à Taïwan.

[9]      L"appelante dit également avoir informé le juge de la citoyenneté du fait qu"elle avait établi une usine de production de ginseng et que l"établissement de cette usine lui avait fait perdre plus d"un million de dollars. En outre, l"appelante mentionne qu"elle a avisé le juge de la citoyenneté qu"après plusieurs années de dur labeur, l"usine allait enfin fonctionner. Il ne fait aucun doute que l"appelante et son entreprise ont payé peu de taxes pendant les années en cause.

[10]      L"appelante a établi l"usine de production de ginseng à Kamloops en 1991 et constitué la société Sunmore Healthtech Ltd. le 2 janvier 1991 (un an et demi avant d"obtenir le droit de s"établir au Canada). L"appelante soutient qu"elle emploie 16 personnes à Kamloops. Elle dit avoir informé le juge de la citoyenneté que c"est par affaire qu"elle avait dû se rendre à l"étranger. Le marché auquel est destiné le ginseng que produit son entreprise se trouve principalement en Asie. Cependant, ses absences n"étaient pas entièrement liées à ses affaires. Il ressort clairement du dossier que plusieurs des absences étaient, en fait, des vacances, et qu"à ces occasions, elle se rendait à Taïwan. En fait, sauf de rares exceptions, elle se rendait toujours à Taïwan quand elle quittait le pays. Les rares exceptions paraissent être principalement des salons professionnels dans d"autres pays.

[11]      L"appelante n"a jamais été mariée et elle n"était pas accompagnée de membres de sa famille. Elle avait mis fin à l"emploi qu"elle occupait avant de quitter Taïwan. L"appelante possède deux résidences, une à Kamloops et l"autre à Vancouver, cette dernière ayant été acquise en 1990.

[12]      L"appelante dit également avoir été physiquement présente au Canada pendant plus de trois années au cours de la période débutant en août 1992, date de son arrivée, et se terminant à la fin de 1997. À première vue, le dossier ne fait pas état de cela. Je suis consciente du fait que l"adoption du projet de loi C-63, présenté le 7 décembre 1998, comme il a déjà été mentionné, clarifierait les exigences applicables en matière de résidence. Ce projet de loi prévoit que la personne doit être physiquement présente au Canada pendant 1 095 jours au cours des cinq années précédant immédiatement la date du dépôt de la demande de citoyenneté (le comité chargé d"étudier cette question a porté cette période à six années...). Cependant, jusqu"à ce que ce projet de loi soit adopté, il doit être satisfait aux exigences en matière de résidence que prévoient les dispositions actuelles de la Loi .

[13]      J"ai appliqué le critère énoncé dans l"arrêt Re: Koo , précité : 1) l"appelante n"a pas été physiquement présente au Canada pendant une période importante avant sa première absence - elle a été présente au pays pendant une période équivalente à la période qui a suivi la date à laquelle elle a obtenu le droit de s"établir; 2) sa famille élargie se trouve à Taïwan et non au Canada; 3) ses habitudes de présence physique et d"absence sont ambivalentes - il semble que c"est autant, sinon plus, à Taïwan qu"elle est chez elle qu"au Canada; 4) il ne lui manque pas que quelques jours pour satisfaire à l"exigence de 1 095 jours - en fait, il lui manque presqu"une année entière (c.-à-d. pendant la période de quatre années pertinente, elle a été absente la moitié du temps); 5) il n"y a aucune raison de croire que les absences sont de nature temporaire; et 6) la preuve est ambivalente pour ce qui est de la question de savoir avec quel pays elle a les liens les plus étroits, le Canada ou Taïwan.

[14]      Il incombe à la personne qui demande la citoyenneté d"établir qu"elle satisfait aux exigences applicables. Sur le fondement de l"analyse qui précède, je ne peux conclure que l"appelante s"est déchargée de son fardeau. Espérons que le législateur adoptera bientôt la loi modificative destinée à éliminer l"ambiguïté que contient la loi présentement en vigueur ou, à tout le moins, qu"il adoptera des dispositions qui permettent d"interjeter appel devant la Cour d"appel fédérale.

[15]      Pour ces motifs, l"appel est rejeté.


" B. Reed "

                                                 juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 29 septembre 1999.










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  T-213-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          SHUN MEI CHANG

                         c.

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L"IMMIGRATION


DATE DE L"AUDIENCE :              LE JEUDI 9 SEPTEMBRE 1999

LIEU DE L"AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :                  MERCREDI 29 SEPTEMBRE 1999


ONT COMPARU :                  Lawrence Wong

                             Pour la demanderesse

                         Victor Caux

                             Pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Lawrence Wong & Associates

                         Barristers & Solicitors

                         2695, rue Granville, pièce 600

                         Vancouver (C.-B.)

                         V6H 3H4

                             Pour la demanderesse

                         Morris Rosenberg

                         Sous-procureur général du Canada

                             Pour le défendeur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.