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     IMM-3132-96

ENTRE :

     OLGA ROUDATCHENKO

     VADIM ROUDATCHENKO

     KONSTANTIN ROUDATCHENKO

     IGOR ROUDATCHENKO

     Requérants

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Intimé

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

     Les requérants sont les parents et les deux enfants mineurs de la même famille. La Section du statut de réfugié (le tribunal) a conclu que le témoignage des parents n'était pas digne de foi et a statué qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

     Les requérants habitaient au Kazakhstan immédiatement avant de venir au Canada. La mère est d'origine russe et le père d'origine tchétchène. Dans leur formulaire de renseignements personnels (FRP), les parents ont relaté environ sept incidents d'agressions physiques et verbales graves commises par d'autres citoyens du Kazakhstan contre eux. Ils attribuent ces incidents au fait qu'ils ne sont pas Kazakhs et revendiquent le statut de réfugié du fait de leur nationalité et de leur appartenance à un groupe social.

     Les requérants contestent la conclusion défavorable du tribunal au niveau de la crédibilité, principalement au motif que le tribunal n'a pas tenu compte de certains documents qui, à leur avis, tendent à corroborer leur version de certains incidents. Ces documents incluent un rapport de police et un rapport d'hôpital attestant que l'un des enfants a été blessé au cours d'un incident qui s'est produit en 1991 et un deuxième rapport d'hôpital attestant que le père a été blessé en février 1995 quand un groupe de voyous kazakhs les a, selon les prétentions des membres de la famille, attaqués dans leur maison. Les requérants s'appuient également sur une résolution adoptée par le Parlement russe dénonçant les violations des droits de la personne perpétrées contre les Russes au Kazakhstan.

     L'intimé prétend que le tribunal était en droit de s'appuyer sur la preuve documentaire provenant d'autres pays et que ce dernier n'a pas commis d'erreur dans ses motifs qui puisse justifier l'intervention de la Cour. Je conviens que le tribunal n'a pas à mentionner dans ses motifs tous les documents pertinents et qu'il a le pouvoir discrétionnaire de choisir ceux sur lesquels il entend s'appuyer. Toutefois, je conclus que la décision du tribunal doit être annulée parce qu'il n'a pas énoncé les motifs qui l'ont amené à ne pas croire la déposition verbale des requérants concernant les incidents qui les ont forcés à fuir le Kazakhstan.

     Le tribunal a entendu cette affaire le 18 janvier 1996, en l'absence de l'avocat des requérants. L'audience a quand même eu lieu parce que les avis appropriés avaient été envoyés à toutes les parties intéressées.

     Un examen de la transcription révèle que les parents ont fait référence à au moins cinq des incidents relatés dans leurs formulaires de renseignements personnels. À la fin de l'audience, le tribunal a pris l'affaire en délibéré.

     À la demande de l'avocat des requérants, qui n'était pas présent le 18 janvier 1996, le tribunal a repris l'audience le 27 mars 1996. Cette nouvelle audience avait pour but de permettre le dépôt de certains documents, notamment les rapports de police et d'hôpitaux qui, d'après les prétentions des requérants, n'ont pas été examinés correctement par la formation.

     En raison de cette procédure, le tribunal a entendu le témoignage des requérants le 18 janvier 1996 concernant les incidents, sans avoir l'avantage de consulter les documents s'y rapportant. Leur déposition concernant ces incidents n'a pas été reprise quand les documents ont été produits le 27 mars 1996. Bien qu'elle ne soit pas nécessairement incompatible avec les principes de justice naturelle et d'équité procédurale, cette façon de faire aurait dû, à mon avis, incité doublement le tribunal à exposer sa conclusion défavorable au niveau de la crédibilité en " termes clairs et explicites " au sens de l'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).

     Les conclusions du tribunal sont brèves. Les extraits se rapportant à la crédibilité sont les suivants :

    

     Monsieur et Madame Roudatchenko disent avoir été battus par des groupes de Kazakhs, attaqués dans leur appartement, s'être fait refuser des services médicaux à l'hôpital et avoir été sommés finalement, par à peu près tout le monde, de quitter le Kazakhstan.         
     Les revendicateurs ont été confrontés, pendant l'audience, au fait que la preuve documentaire dont disposait le tribunal ne faisait aucunement état d'une campagne de violence systématiquement organisée contre les russophones dans le but de leur faire quitter le Kazakhstan. Ils ont également été confrontés au fait qu'une forte concentration de russophones constituent une majorité dans le nord du pays, y possédant de puissantes organisations et que, de plus, selon le même document, l'ouest du pays a récemment servi de sanctuaire à plus de 50,000 Russes et Ukrainiens qui sont allés s'y installer.         
     La preuve documentaire démontre également que le groupe AZAT, auquel les demandeurs ont vaguement fait allusion, ne se livre à aucune agression contre quiconque et que ses activités se limitent à des dénonciations et des remontrances adressées au pouvoir.         
     Les demandeurs n'ont nullement entamé l'intégrité et la véracité des informations contenues dans la preuve documentaire non plus que la prépondérance des probabilités qui s'en dégage ...         
     L'histoire des demandeurs est dénuée de toute plausibilité et les inférences qu'ils en tirent n'ont rien de crédible.         

     Après avoir examiné la transcription et les motifs du tribunal, je suis d'avis que celui-ci s'est appuyé sur la preuve documentaire fournie par le pays pour conclure que la revendication fondamentale des requérants concernant la persécution dont ils ont été victimes au Kazakhstan n'était pas fondée. Toutefois, la conclusion selon laquelle " [l]'histoire des demandeurs est dénuée de toute plausibilité [...] " n'est pas étayée de motifs. Au vu des énoncés dans l'arrêt Hilo , précité, le tribunal était tenu de motiver de façon claire et explicite la raison pour laquelle il n'a pas cru les requérants au sujet des incidents relatés dans leurs FRP et mentionnés au cours de leur témoignage, ce qu'il n'a pas fait.

     Il n'est pas nécessaire que je fasse une évaluation du bien-fondé de la conclusion défavorable du tribunal au niveau de la crédibilité ou de sa décision de fond statuant que les requérants n'ont pas de raison de craindre d'être persécutés au Kazakhstan. Ma décision d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire se fonde uniquement sur le fait que le tribunal n'a pas énoncé les motifs qui l'ont amené à ne pas croire la déposition des parents concernant les incidents en question. Il n'était pas suffisant de s'appuyer sur la preuve documentaire du pays concernant le bien-fondé de la revendication du statut de réfugié sans traiter de façon précise de la déposition des requérants.

     Pour ces motifs, la décision du tribunal est annulée et l'affaire est renvoyée à une nouvelle formation de la Section du statut de réfugié au sens de la Convention pour une nouvelle audition qui tienne compte des présents motifs.     

     Aucune des parties n'a demandé à faire certifier de question.

                        

                         Juge

Ottawa, Ontario

le 19 septembre 1997

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