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Date : 20000128


Dossier : T-547-99

ENTRE:

     YVON GIROUX

     Demandeur

     - et -



     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision interlocutoire du Comité d"appel, Direction générale des recours, Commission de la fonction publique du Canada ("Comité d"appel"), rendue le 9 mars 1999, refusant l"accès au demandeur à huit dossiers de candidats.

LES FAITS

[2]      Le 21 janvier 1998, Revenu Canada a publié un avis de concours interne dans le but de combler des postes de gestionnaires aux bureaux de services fiscaux de Montréal, Laval et Montérégie Rive-Sud (Longueuil). Les candidats devaient écrire des examens visant à évaluer leurs connaissances. Ceux qui ont passé l"examen, ont été convoqués à une entrevue dans le but d"évaluer leurs capacités et leurs qualités personnelles. Les seize candidats ayant obtenu les meilleures notes ont été classés par rang. Ensuite, trois listes ont été dressées, une pour chaque bureau. Une personne pouvait bien se trouver sur les trois listes en même temps, si elle avait postulé aux trois bureaux.

[3]      Le demandeur avait d"abord postulé pour un emploi à Longueuil et Montréal.

[4]      Par la suite, il a informé, par lettre, la Commission de son désir de ne postuler que pour un emploi à Longueuil.

[5]      Il a interjeté un appel à l"encontre des nominations en vertu de l"article 21 de la Loi sur l"emploi dans la fonction publique.

[6]      Le demandeur et trois autres candidats étaient représentés par l"Institut professionnel de la fonction publique ("l"Institut"). Le représentant avait demandé les seize dossiers des candidats qualifiés. Sa demande a été refusée le 2 février 1999.

[7]      Lors de l"audition du 2 mars 1999, le demandeur a demandé au Comité d"appel de reconsidérer sa décision du 2 février 1999. À cette étape, il n"était plus représenté par l"Institut, ayant avisé la Commission en ce sens, le 26 février 1999.

DÉCISION DU COMITÉ D"APPEL

[8]      Le président du Comité d"appel a écouté les représentations des deux parties et a finalement accepté la proposition de la représentante ministérielle d"offrir l"accès aux documents, dépendant du lieu où les gens avaient fait application. Les candidats ayant postulé pour des emplois aux trois endroits visés par l"avis ont eu droit d"obtenir copies des dossiers pour les candidats aux trois endroits. M. Giroux, ayant postulé pour un emploi à Longueuil, le président a décidé qu"il n"avait droit qu"aux dossiers relatifs à Longueuil. Vu que le demandeur avait déjà huit dossiers en sa possession, dont six étaient ceux de Longueuil, il a considéré qu"il n"avait plus droit de recevoir d"autres dossiers.


LES PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[9]      Le demandeur soumet que l"on est en présence d"un seul concours devant servir à combler des postes dans trois bureaux différents, soit Montréal, Laval et Longueuil.

[10]      Comme il n"y a eu qu"un seul concours, le demandeur soutient qu"en exerçant son droit d"appel, ce droit d"appel s"exerce à l"encontre des nominations tant à Montréal et Laval qu"à Longueuil.

[11]      Le demandeur soutient d"abord que les règles de justice naturelle et d"équité procédurale n"ont pas été respectées puisqu"à aucun moment avant le 2 mars 1999, on ne lui a mentionné que l"appel qu"il avait logé devant la Commission, ne s"appliquait qu"à l"encontre des nominations de Longueuil et non à celles de Montréal et de Laval.

[12]      Le demandeur soumet que le fait qu"on lui ait remis deux dossiers, soit les dossiers des deux personnes qui sont arrivées premières sur la liste de Montréal et de Laval, et particulièrement le fait que le seul argument soulevé pour ne pas lui remettre les huit dossiers de candidats manquants, était simplement que la remise de huit dossiers sur seize rencontrait les dispositions de l"article 24 des Règlements de l"emploi dans la fonction publique, démontre que dans l"esprit de la Commission, il ne s"agissait que d"un seul concours.

[13]      Le demandeur soutient qu"il se représente lui-même et qu"il a été pris par surprise lors de l"audition du 2 mars 1999, et il n"a pas eu d"opportunité raisonnable de se défendre et de faire valoir son point de vue.

[14]      Le demandeur soutient par ailleurs que le fait que trois listes aient été émises après le concours n"est pas pertinent quant à déterminer s"il s"agit d"un ou de trois concours.

[15]      Le demandeur soutient que tous les candidats ayant postulé pour un poste disponible dans l"un ou l"autre des trois bureaux ont eu à passer les mêmes épreuves et ont été comparés les uns aux autres, indépendamment du lieu de travail choisi.

[16]      Le demandeur soutient que chaque candidat était en compétition avec tous les autres pour démontrer qui était le plus qualifié pour occuper le poste, sans égard au lieu de travail choisi.

[17]      Le demandeur soutient qu"étant donné que le droit d"appel vise à valider un processus de sélection, il est normal que le demandeur ait un droit d"appel à l"encontre de toutes les nominations proposées à partir de ce processus de sélection et non seulement à l"encontre des nominations pour l"endroit qu"il avait choisi, en l"occurrence Longueuil.

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[18]      Le défendeur soumet qu"il apparaît clairement de la preuve au dossier qu"il s"agit ici de trois concours distincts visant à combler des postes de AU-04 pour les bureaux de Montréal, Laval et Longueuil et que le demandeur n"a finalement postulé qu"à un seul de ces trois concours, soit celui visant le bureau de Longueuil.

[19]      Le défendeur suggère que s"il s"était agi d"un seul concours, les résultats auraient été colligés sur une seule liste d"admissibilité reflétant, selon le principe du mérite, l"ordre de classification de chaque candidat, indépendamment de l"endroit où il souhaite travailler.

[20]      Le défendeur suggère qu"étant donné que le demandeur n"a pas fait acte de candidature aux concours 97-NAR-QC-LAV-CC-18(A,B), celui-ci ne peut pas être considéré comme un candidat non reçu aux fins de ces concours, au sens de l"article 21 de la Loi et qu"il ne peut en conséquence se prévaloir d"un droit d"appel et donc revendiquer un droit à la divulgation de renseignements touchant à ces concours.

QUESTION EN LITIGE

La décision interlocutoire du Comité d"appel refusant l"accès au demandeur des documents est-elle entachée d"erreur?

ANALYSE

[21]      Concernant l"allégation du demandeur à l"effet que les règles de justice naturelle et d"équité procédurale n"ont pas été respectées, le demandeur ne m"a pas convaincu. En effet, bien que dans plusieurs documents émanant de la Commission de la fonction publique, il n"était pas toujours clair qu"il s"agissait de trois concours différents, la copie de la liste d"admissibilité expédiée au demandeur était très claire dans son cas, à l"effet que la seule qui lui a été transmise était celle concernant Longueuil et que le numéro de concours mentionné sur la liste d"admissibilité était bien 97-NAR-QC-LAV-CC-18(C); de plus, seulement six noms apparaissaient sur la dite liste, soit ceux qui s"étaient qualifiés pour le dit concours. La dite liste d"admissibilité porte la date du 23 octobre 1998 et mentionne clairement que le délai d"appel s"étend du 29 octobre 1998 au 12 novembre 1998.

[22]      La Loi sur l"emploi dans la fonction publique précise à l"article 21(1):1


21.(1) Dans le cas d"une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l"appelant et l"administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l"occasion de se faire entendre.

21.1 Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

[23]      À aucun moment entre le mois d"octobre 1998 et le 2 mars 1999, la question à savoir si M. Giroux avait ou non le droit d"en appeler à l"encontre des nominations proposées pour les postes de Montréal et de Laval n"a été soulevée; ni la Commission, ni le Comité d"appel n"avait la responsabilité ou le devoir légal d"informer le demandeur M. Giroux qu"il n"avait pas droit d"appel à l"encontre des nominations proposées pour Laval et Montréal.

[24]      Le fait que la première décision interlocutoire du Comité d"appel rendue le 5 février 1999, se soit basée sur un autre motif à savoir qu"il était raisonnable dans les circonstances de remettre huit des dossiers au demandeur pour se conformer à l"esprit et à la lettre à l"article 24 du règlement n"implique en aucune façon que le demandeur ait été pris par surprise.

[25]      Il est même du devoir du Comité d"appel de soulever d"office ce genre de question tout comme un tribunal peut réaliser au moment de l"audition que l"appel a été logé en dehors des délais.

[26]      A contrario, il était plutôt surprenant pour le Comité d"appel, de constater que le demandeur M. Giroux souhaitait en appeler de toutes les nominations et non pas seulement pour celles proposées pour le bureau de Longueuil.

[27]      J"en conclus donc que ce premier motif quant à l"équité procédurale doit être rejeté.

[28]      Quant au deuxième motif, revoyons brièvement les faits.

[29]      Le 21 janvier 1998, Revenu Canada a publié un avis de concours interne (97-NAR-QC-LAV-CC-18). Ce numéro était complété par une lettre désignant les différents bureaux: Laval était identifié par un A, Montréal par un B et Longueuil par un C. Cet avis était dans le but de combler des postes AU-04, Gestionnaires de dossiers importants, pour les bureaux de services fiscaux de Laval, Montréal et Longueuil.

[30]      Lors de leur demande, les candidats devaient spécifier et indiquer le numéro de référence du concours auquel ils participaient.

[31]      Le demandeur avait inscrit 97-NAR-QC-LAV-CC-18 B et C. Il apparaît au dossier que le demandeur s"est par la suite désisté de sa demande relativement au concours B.

[32]      À la suite des examens, les listes d"admissibilité qui ont été expédiées aux candidats portaient toutes un numéro de référence différent dépendant du lieu de travail.

[33]      Compte tenu de la preuve présentée, le Comité d"appel a conclu qu"il y avait eu en fait trois concours.

[34]      Les parties semblent d"accord pour dire qu"il n"aurait pas été approprié de tenir deux ou trois entrevues pour le même individu si ce dernier postulait à des endroits différents, ce avec quoi il est difficile de ne pas être d"accord.

[35]      Dans l"arrêt Charest c. Le Procureur général du Canada2, le juge Pratte explique à la page 1221:

La tenue d"un concours est un des moyens que prévoit la loi pour atteindre cet objectif de la sélection au mérite. Or, il est important de voir que c"est également dans le but d"assurer le respect du principe de la sélection au mérite que l"article 21 accorde un droit d"appel aux candidats qui n"ont pas été reçus à un concours. Lorsqu"un candidat malheureux exerce ce droit, il n"attaque pas la décision qui l"a déclaré non qualifié, il appelle, comme le dit l"article 21, de la nomination qui a été faite ou qui est sur le point d"être faite en conséquence du concours. Si l"article 21 prévoit un droit d"appel, ce n"est donc pas pour protéger les droits de l"appelant, c"est pour empêcher qu"une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite. Tel étant le but que, à mon avis, le législateur avait en vue en édictant l"article 21, il m"apparaît clair qu"un comité nommé en vertu de cet article n"agit pas irrégulièrement si, constatant qu"un concours a été tenu dans des conditions telles qu"on puisse douter qu"il permette de juger du mérite des candidats, il décide qu"aucune nomination ne devra être faite suite à ce concours.

[36]      Dans l"arrêt Procureur général du Canada c. Landriault ,3 le juge Pratte écrit aux pages 641 et 642:

L"article 21 de la Loi sur l"emploi dans la Fonction publique prévoit un droit d"appel contre les nominations à des postes de la Fonction publique lorsque la sélection des candidats se fait au sein de la Fonction publique. Si, comme en l"espèce, la sélection se fait "par concours restreint", le droit d"appel est donné à "chaque candidat non reçu".
[...]
Dans ces circonstances, il me parait sage de donner au terme "candidat", tel qu"il apparaît à l"article 21, son sens ordinaire qui, à mon avis, s"applique à tous ceux qui ont fait acte de candidature. Cette conclusion me paraît conforme à l"arrêt de la Cour suprême du Canada Bullion c. Sa Majesté la Reine et autre [1980] 2 R.C.S. 578 qui, à mon sens signifie que le fonctionnaire qui pose sa candidature dans un concours restreint et dont la candidature est sommairement rejetée parce qu"il ne fait pas partie de la zone du concours, selon la définition qu"en donne la Commission conformément à l"alinéa 13b) de la Loi, peut en appeler sur le fondement de l"article 21, et contester la légalité de la décision de la Commission prise en vertu de cet alinéa 13b).

[37]      D"après l"arrêt Landriault ,4 j"en arrive à la conclusion que le demandeur n"était pas un candidat reçu au sens de la Loi, puisqu"il n"a pas déposé sa candidature pour les postes à Montréal et Laval.

[38]      À mon avis, le demandeur n"a pas réussi à démontrer que le Comité d"appel avait rendu une décision entachée d"erreurs de droit ni que sa décision était tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait pour rendre une décision équitable.

[39]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[40]      Le tout sans frais.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 28 janvier 2000

__________________

1      S.C.R. 1985,c. P-33 modifiée par la Loi sur la réforme de la fonction publique, S.C. 1992, c. 54, la Loi d"exécution du budget, S.C. 1996, c.17 et la Loi sur l"équité en matière d"emploi.

2      [1973] F.C. 1217.

3      [1983] 1 C.F. 636.

4      Supra.

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