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Date : 20051214

Dossier : IMM-9959-04

Référence : 2005 CF 1695

Calgary (Alberta), le 14 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

ALEX GRINSHPON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                M. Alex Grinshpon (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 1er décembre 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle elle a déclaré le demandeur interdit de territoire aux termes de l'alinéa 36(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, modifiée (la Loi).

CONTEXTE

[2]                Le demandeur est citoyen de l'Ukraine et des États-Unis d'Amérique. Il est sans statut au Canada, mais il a fait une demande d'asile. Un rapport a été établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi en octobre 2003, et l'affaire a été déférée pour enquêteen avril 2004. Le demandeur serait interdit de territoire pour grande criminalité aux termes de l'alinéa 36(1)b) de la Loi.

[3]                Alors qu'il vivait aux États-Unis, le demandeur a été inculpé par un grand jury d'un certain nombre de chefs d'accusation ayant trait à des opérations boursières frauduleuses, à la fraude téléphonique et à la corruption commerciale inter-étatique. Le 7 mars 1999, le demandeur et le ministère public ont établi un exposé commun des faits. Le 29 juin 2001, un certificat d'exécution de jugement a été établi confirmant que le demandeur avait versé aux victimes une indemnisation de 15 000,00 $ et un montant spécial de 150,00 $.

[4]                Le rapport du 8 octobre 2003 a été préparé par l'agent d'immigration traitant le dossier du demandeur en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi. L'agent d'immigration a conclu que les infractions commises par le demandeur correspondaient au complot en vue de commettre une fraude et d'influencer sur le marché public, contrairement à l'alinéa 380(1)a) et au paragraphe 380(2) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (le Code criminel), et à l'infraction de complot visée par l'article 465, qui est passible d'un emprisonnement maximal de dix ans. L'affaire a été déférée à la Commission le 26 avril 2004, conformément au paragraphe 44(2).

[5]                La Commission a conclu que demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité. Elle a examiné l'exposé conjoint des faits qui avait été élaboré et utilisé au cours de l'instance pénale aux États-Unis. Elle a porté son attention sur la question de l'équivalence entre les infractions qui ont fait l'objet de l'instance pénale aux États-Unis et les infractions comparables prévues par le Code criminel. La Commission a rejeté l'argument du demandeur, selon lequel l'infraction canadienne équivalente est prévue par l'article 383 du Code criminel, qui est passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans.

[6]                La Commission a convenu que la formulation de l'article 371 du United States Code, Title 18 et celle de l'article 465 du Code criminel, qui vise le complot, ne sont pas identiques. Cependant, la preuve documentaire a démontré que les éléments du complot énoncés à l'alinéa 465(1)c) avaient été constitués. La Commission a aussi conclu que les éléments de l'alinéa 380(1)a) et du paragraphe 380(2) avaient été constitués.

[7]                Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité aux termes de l'alinéa 36(1)b) de la Loi. Une mesure d'expulsion a été prise conformément au paragraphe 229(1)a) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/ 2002-227, (le Règlement). Cette mesure ne sera pas exécutée avant qu'il ait été statué sur la demande d'asile du demandeur.

[8]                Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a soulevé deux arguments. Premièrement, il soutient que la Commission a fait erreur en examinant des documents supplémentaires, plus précisément l'acte d'accusation. Il dit que l'exposé conjoint des faits l'emporte sur l'acte d'accusation et que la Commission a agi contrairement aux principes d'équité procédurale lorsqu'elle s'est penchée sur des éléments autres que cet exposé.

[9]                Deuxièmement, le demandeur soutient que la Commission a fait erreur lorsqu'elle a conclu à l'équivalence entre l'infraction pour laquelle il a été déclaré coupable aux États-Unis et les infractions prévues par l'alinéa 380(1)a) et par le paragraphe 380(2) du Code criminel. Il soutient que la Commission aurait dû examiner l'infraction prévue par l'article 383 du Code criminel.

ANALYSE ET DÉCISION

[10]            Je suis d'avis que le demandeur n'a pas montré que la Commission a agi contrairement au principe d'équité procédurale ou qu'elle a par ailleurs commis une erreur susceptible de contrôle dans la manière dont elle a apprécié l'équivalence des infractions.

[11]            C'est à bon droit que la Commission a examiné, outre l'exposé conjoint des faits, l'acte d'accusation établi aux États-Unis, dont il constitue le contexte; le demandeur n'a pas inscrit son plaidoyer de culpabilité dans le vide. Le demandeur a été déclaré coupable aux États-Unis d'Amérique de l'infraction de complot et elle est exposée dans l'acte d'accusation.

[12]            Il faut ajouter que l'alinéa 173d) de la Loi donne une grande latitude à la Commission en ce qui a trait au genre de preuves dont elle peut tenir compte. Cette disposition se lit comme suit :

173. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de l'immigration :

...

d) peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision.

173. The Immigration Division, in any proceeding before it,

...

(d) may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings that it considers credible or trustworthy in the circumstances.

[13]            De même, je conclus que la Commission a suivi une démarche correcte pour se prononcer sur l'équivalence des infractions. Dans l'arrêt Hill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1987), 1 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a statué qu'il y avait trois manières d'établir l'équivalence entre les infractions commises à l'extérieur du Canada et les infractions réprimées par la loi fédérale canadienne; elle s'est exprimée en ces termes à la page 9 :

[...] Il me semble que, étant donné la présence des termes "qui constitue [...] une infraction [...] au Canada", l'équivalence peut être établie de trois manières: tout d'abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s'il s'en trouve de disponible, par le témoignage d'un expert ou d'experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l'examen de la preuve présentée devant l'arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d'établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l'infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d'instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d'une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

[14]            En l'espèce, la Commission a examiné la nature de l'infraction dont le demandeur a été déclaré coupable aux États-Unis, c'est-à-dire l'infraction de complot prévue par l'article 371, Title 18, United States Code. Cette disposition est reproduite dans la décision de la Commission; en voici le texte :

[TRADUCTION]

371 Complot en vue de commettre une infraction ou de frauder les États-Unis

Si deux ou plusieurs personnes complotent soit pour commettre une infraction contre les États-Unis, soit pour frauder les États-Unis, ou un organisme des États-Unis, d'une manière quelconque ou pour une fin quelconque, et si l'une ou plusieurs de ces personnes commettent un acte visant à accomplir l'objet du complot, chacune d'elles se verra imposer, en vertu du présent titre, une amende ou un emprisonnement maximal de cinq ans, ou à la fois l'amende et l'emprisonnement.

Si toutefois l'infraction dont la perpétration est l'objet du complot n'est qu'un délit, la peine dont ce complot sera punissable ne dépassera pas la peine maximale prévue pour tel délit.

[15]            La Commission s'est ensuite penchée sur la disposition du Code criminel qui réprime l'infraction de complot, à savoir l'article 465. L'alinéa 465(1)c) est pertinent et il se lit comme suit :

465. (1) Sauf disposition expressément contraire de la loi, les dispositions suivantes s'appliquent à l'égard des complots :

...

c) quiconque complote avec quelqu'un de commettre un acte criminel que ne vise pas l'alinéa a) ou b) est coupable d'un acte criminel et passible de la même peine que celle dont serait passible, sur déclaration de culpabilité, un prévenu coupable de cette infraction;

...

465. (1) Except where otherwise expressly provided by law, the following provisions apply in respect of conspiracy:

...

(c) every one who conspires with any one to commit an indictable offence not provided for in paragraph (a) or (b) is guilty of an indictable offence and liable to the same punishment as that to which an accused who is guilty of that offence would, on conviction, be liable; and

...



[16]            La Commission a ensuite étudié la teneur de l'infraction dont il a été déclaré coupable aux États-Unis et elle a conclu que l'alinéa 380(1)a) et le paragraphe 380(2) du Code criminel étaient pertinents aux fins de détermination de l'équivalence des infractions. Ces dispositions se lisent comme suit :

380. (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :

a) est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans, si l'objet de l'infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l'objet de l'infraction dépasse cinq mille dollars;

...

(2) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, avec l'intention de frauder, influe sur la cote publique des stocks, actions, marchandises ou toute chose offerte en vente au public.

380. (1) Every one who, by deceit, falsehood or other fraudulent means, whether or not it is a false pretence within the meaning of this Act, defrauds the public or any person, whether ascertained or not, of any property, money or valuable security or any service,

(a) is guilty of an indictable offence and liable to a term of imprisonment not exceeding ten years, where the subject-matter of the offence is a testamentary instrument or the value of the subject-matter of the offence exceeds five thousand dollars; or

...

(2) Every one who, by deceit, falsehood or other fraudulent means, whether or not it is a false pretence within the meaning of this Act, with intent to defraud, affects the public market price of stocks, shares, merchandise or anything that is offered for sale to the public is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding ten years.

[17]            En l'espèce, le demandeur a été déclaré coupable aux États-Unis de l'infraction de complot en vue de commettre une fraude. Il ne conteste pas le fait que la Commission se soit appuyée sur l'article 465 du Code criminel, qui définit la notion de « complot » , mais plutôt qu'elle se soit inspirée de l'alinéa 380(1)a) et du paragraphe 380(2). Ces dispositions ont trait aux infractions relativement auxquelles il y a eu complot. Cet argument est fondé sur le fait que, en vertu de ces dispositions, il peut être imposé un emprisonnement maximal de dix ans. La chose est importante vu l'alinéa 36(1)b) de la Loi, qui se lit comme suit :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

...

b) être déclaré coupable, à l'extérieur du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans; (je souligne)

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

...

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or (emphasis added)



[18]            L'emprisonnement maximal qui peut être imposé à l'auteur de l'infraction réprimée par l'article 383 du Code criminel est de cinq ans. Le paragraphe 383(1) se lit comme suit :

383. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, dans le dessein de réaliser un gain ou profit par la hausse ou la baisse des actions d'une compagnie ou entreprise constituée ou non en personne morale, soit au Canada, soit à l'étranger, ou d'effets, de denrées ou de marchandises, selon le cas :

a) conclut ou signe, ou donne l'autorisation de conclure ou de signer, un marché ou une convention, oral ou écrit, censé porter sur l'achat ou la vente d'actions ou d'effets, de denrées ou de marchandises, sans avoir de bonne foi l'intention d'acquérir ou de vendre, selon le cas, ces actions, effets, denrées ou marchandises;

b) conclut ou signe, ou donne l'autorisation de conclure ou de signer, un marché ou une convention, oral ou écrit, censé porter sur la vente ou l'achat d'actions ou d'effets, de denrées ou de marchandises, à l'égard desquels aucune livraison de la chose vendue ou achetée n'est opérée ou reçue, et sans avoir de bonne foi l'intention de les livrer ou d'en recevoir livraison, selon le cas.

Le présent article ne s'applique pas lorsqu'un courtier, au nom d'un acheteur, reçoit livraison, même si le courtier garde ou engage ce qui est livré, en garantie de l'avance du prix d'achat ou d'une partie de ce prix.

...

383. (1) Every one is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years who, with intent to make gain or profit by the rise or fall in price of the stock of an incorporated or unincorporated company or undertaking, whether in or outside Canada, or of any goods, wares or merchandise,

(a) makes or signs, or authorizes to be made or signed, any contract or agreement, oral or written, purporting to be for the purchase or sale of shares of stock or goods, wares or merchandise, without the bona fide intention of acquiring the shares, goods, wares or merchandise or of selling them, as the case may be, or

(b) makes or signs, or authorizes to be made or signed, any contract or agreement, oral or written, purporting to be for the sale or purchase of shares of stock or goods, wares or merchandise in respect of which no delivery of the thing sold or purchased is made or received, and without the bona fide intention of making or receiving delivery thereof, as the case may be, but this section does not apply where a broker, on behalf of a purchaser, receives delivery, notwithstanding that the broker retains or pledges what is delivered as security for the advance of the purchase money or any part thereof.

...

[19]            Cependant, la question de l'équivalence des infractions se résout en fonction de leur teneur, et non pas de la peine qui peut être imposée. En l'espèce, la Commission a examiné la preuve documentaire ayant trait à la commission de l'infraction aux États-Unis. La Commission pouvait suivre cette approche afin de décider s'il y avait équivalence entre les infractions réprimées par la loi américaine et le Code criminel canadien vu leurs éléments constitutifs. Dans l'arrêt Hill, précité, la Cour d'appel fédérale a expressément avalisé cette grille d'analyse. La Commission a conclu que l'infraction réprimée par la loi canadienne qui était équivalente à celle dont le demandeur a été déclaré coupable aux États-Unis est celle qui est prévue par l'alinéa 380(1)a) et par le paragraphe 380(2). Vu le dossier produit devant la Commission et la Cour, cette conclusion est raisonnable.

[20]            Je conclus donc que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y a aucune question à certifier.

ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9959-04

INTITULÉ :                                        ALEX GRINSHPON

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                               

                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 7 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                       LE 14 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Frederick S. Wang                                           POUR LE DEMANDEUR

Ian Hicks                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bay Street Immigration

Lawyers, P.C.

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                   POUR LE DÉFENDEUR

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