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Date : 20000316


Dossier : IMM-4954-98



ENTRE :


MI XIA YANG



demanderesse


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE EN CHEF ADJOINT LUTFY


[1]      Mi Xia Yang, une citoyenne de la République populaire de Chine, cherche à obtenir le contrôle judiciaire du refus de la demande de résidence permanente qu'elle a présentée en tant qu'immigrante indépendante ayant l'intention d'exercer la profession d'ingénieur en mécanique (CNP 2132) et celle d'ingénieur chimiste (CNP 2134). Après avoir déterminé que Mme Yang n'était pas admissible en tant qu'ingénieure chimiste, l'agente des visas a apprécié cette dernière en tant que technicienne en génie chimique (CNP 2211) et lui a accordé 60 points.

[2]      Madame Yang a eu une entrevue à Hong Kong le 7 mai 1998 et la lettre de décision de l'agente des visas est datée du 8 mai 1998.

[3]      La présente demande a été entendue en même temps que deux autres instances similaires (nos du greffe IMM-4952-98 et IMM-4953-98). Les demandeurs, qui étaient tous représentés par la même avocate, ont soulevé la même question litigieuse dans leurs dossiers respectifs. Les faits de chaque affaire diffèrent cependant assez pour justifier que des motifs distincts soient exposés dans chacune d'entre elles.

[4]      Dans chaque cas, l'avocate a soutenu que l'agent des visas n'a pas accordé suffisamment de poids à l'évaluation informelle des compétences d'ingénieurs faite par le Conseil canadien des ingénieurs (le CCI).

[5]      Le CCI fait l'évaluation informelle moyennant la somme de 175 $. Les candidats doivent remplir un court formulaire dans lequel ils font état de leur formation en génie et leur reconnaissance professionnelle en tant qu'ingénieur dans leur pays de citoyenneté. Le CCI demande également aux candidats de fournir un court curriculum vitae.

[6]      L'évaluation informelle du CCI peut aboutir à l'un ou l'autre des résultats suivants : (1) « compétences insuffisantes » ou (2) « compétences paraissent acceptables pour des fins d'immigration » .

[7]      En l'espèce, le CCI a jugé que les compétences de la demanderesse étaient acceptables pour des fins d'immigration.

[8]      Les parties ne s'entendent pas sur le poids qu'il convient d'accorder à l'évaluation informelle du CCI.

[9]      La demanderesse se fonde sur le formulaire du CCI, qui explique l'objectif que vise l'évaluation informelle :

[TRADUCTION]
... L'objectif de la présente évaluation vise à apprécier la probabilité que le candidat soit accepté au programme d'examen par une association d'ingénieurs provinciale ou territoriale.
Un résultat favorable constitue un avis précieux pour les agents des visas. Ils en tiennent compte lorsqu'ils apprécient votre demande de résidence permanente au Canada. Il ne garantit pas que votre demande sera approuvée, mais il sera un facteur qui vous sera favorable.
Un résultat défavorable est un avis précieux pour vous. Cela vous dit qu'il n'est pas réaliste que vous présentiez une demande d'immigration au Canada si vous avez l'intention d'y travailler en tant qu'ingénieur.
Le résultat de l'évaluation sert exclusivement à la désignation de la profession ou du métier pour des fins d'immigration.

[10]      Le guide de sélection du défendeur, des directives ministérielles que doivent appliquer les agents des visas, traite de la sélection d'ingénieurs et de l'évaluation non officielle du CCI de la façon suivante (Chapitre 4 - Immigrants indépendants) :

4.40      SÉLECTION DES INGÉNIEURS, TECHNICIENS ET TECHNOLOGUES
     1)      Examen des demandes dans les bureaux à l'étranger
         a)      ... Dans la plupart des cas, les résultats de l'évaluation non officielle permettent aux bureaux à l'étranger de déterminer s'il y a lieu d'attribuer aux requérants le code correspondant à la profession d'ingénieur, de technologue certifié en génie ou de technicien certifié en génie aux fins de la sélection des immigrants.
     ...
     2)      Évaluation non officielle
         f)      Au reçu de l'évaluation du CCI ... le bureau à l'étranger procède comme suit :
             CCI
             Case 1 - le requérant ne sera pas admis à titre d'ingénieur;
             Case 2 - le requérant sera admis au Canada à titre d'ingénieur, à condition                  qu'il réponde aux autres critères de sélection.

Le Conseil canadien des techniciens et technologues a prévu une déclaration qui correspond à cette dernière pour ce qui est des évaluations.

[11]      L'avocate de la demanderesse soutient, sur la base du guide de sélection du défendeur, qu'une évaluation favorable du CCI sera considérée comme déterminante pour ce qui est des compétences en génie du candidat, ou, à tout le moins, forcera l'agent des visas à expliquer pourquoi il n'est pas d'accord avec l'évaluation du CCI selon laquelle les « compétences paraissent acceptables pour des fins d'immigration » .

[12]      Le défendeur fait valoir que la demanderesse ne peut se fonder sur l'évaluation informelle du CCI. Le contenu du formulaire du CCI et du guide de sélection du défendeur doit être interprété en fonction de l'exigence, prévue par la loi, selon laquelle les agents des visas doivent apprécier tous les aspects de la demande de résidence permanente conformément aux divers facteurs énumérés à l'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié.

[13]      Dans l'affidavit qu'elle a produit en l'espèce, l'agente des visas a expliqué qu'elle considérait que l'évaluation du CCI n'était pas déterminante en ce qui concerne les résultats d'entrevues :

[TRADUCTION]
12.      La demanderesse avait obtenu du Conseil canadien des ingénieurs (CCI) une évaluation favorable de ses compétences en génie, ce qui est souvent le cas de personnes qui présentent une demande de visa en tant qu'ingénieur. Cependant, je n'étais pas liée par cette évaluation, et l'entrevue servait principalement à apprécier la qualité des antécédents professionnels de la demanderesse à l'égard de la profession qu'elle entendait exercer, de même que sa personnalité. Contrairement à l'allégation que renferme l'affidavit de Terry Jackman, je sais que plusieurs demandes ont été refusées par des agents des visas, malgré une évaluation favorable du CCI. De façon subsidiaire, j'ai déjà approuvé, à l'instar d'autres agents des visas, de nombreuses demandes de visa soumises par des individus à titre d'ingénieur, alors qu'il avait été déterminé à l'entrevue que leur métier ou profession, malgré l'évaluation favorable du CCI, relevait plus convenablement de la catégorie des technologues en génie. En d'autres termes, l'évaluation du CCI ne détermine pas les résultats de l'entrevue, et les demandeurs en sont clairement avisés dans la correspondance qu'ils reçoivent du CCI. [Non souligné dans l'original.]

[14]      Les éléments de preuve qui m'ont été présentés ne sont pas suffisants pour étayer la prétention de la demanderesse que l'évaluation informelle du CCI est déterminante pour ce qui est de ses compétences à l'égard de la profession d'ingénieur chimiste décrite dans la Classification nationale des professions (la CNP). L'agente des visas n'a pas été contre-interrogée. La preuve concernant le processus d'évaluation du CCI se limite au formulaire de demande et à la feuille d'instruction qui l'accompagne et qui prévoit qu'une évaluation favorable « sera un facteur qui vous sera favorable » mais qu'elle ne garantira pas l'acceptation de la demande de résidence permanente. De la même façon, le libellé du guide de sélection est équivoque. Il laisse entendre qu'une évaluation favorable du CCI entraînera l'acceptation de la demande d'immigration du candidat en tant qu'ingénieur « à condition qu'il réponde aux autres critères de sélection » .

[15]      La question litigieuse, à laquelle je m'abstiendrai de répondre car, à mon avis, elle doit être traitée dans le cadre d'une affaire comprenant une preuve plus complète, est de savoir quelle est l'incidence des ententes que le défendeur et le CCI ont conclues sur la détermination de l'agent des visas concernant les compétences d'un demandeur en tant qu'ingénieur. L'évaluation du CCI constitue-t-elle une exigence imposée par le défendeur? Quelle est la portée de l'analyse du CCI sur les compétences professionnelles de la demanderesse? Quel est le lien entre l'évaluation favorable du CCI et les critères énumérés dans la Classification nationale des professions? Il s'agit de quelques-unes des questions de fait pertinentes à l'égard d'une détermination plus précise de la valeur probante de l'évaluation du CCI dans le cadre d'une demande de résidence permanente présentée par un ingénieur.

[16]      La demanderesse a cependant raison lorsqu'elle fait valoir que l'évaluation du CCI fait partie des renseignements, en plus du curriculum vitae du demandeur, d'une description de ses fonctions et d'une lettre de recommandation, dont l'agent des visas doit tenir compte lorsqu'il détermine si le candidat satisfait aux critères de la CNP applicables aux ingénieurs. En d'autres termes, la décision défavorable de l'agente des visas concernant la classification de la demanderesse en tant qu'ingénieure doit être fondée sur un examen attentif des renseignements que celle-ci a fournis, y compris l'évaluation du CCI.

[17]      En 1985, Mme Yang a obtenu un diplôme de baccalauréat en génie de l'Université du Nord-ouest, à Shaanxi (Chine). Depuis qu'elle a reçu son diplôme, elle travaille pour la société Luoyang Petro-Chemical Engineering Corp. à titre de [TRADUCTION] « concepteur d'équipement de génie chimique » , selon ce que son employeur a dit dans sa lettre de recommandation. Dans son curriculum vitae, la demanderesse a mentionné que le titre de son poste était « ingénieure chimiste » .

[18]      La lettre de recommandation de l'employeur de la demanderesse renvoie à sa participation à la conception de [TRADUCTION] « la tour de traitement au furfural destinée à l'unité de traitement intégrée de la raffinerie de l'extraction aromatique de CFC, à l'égard de laquelle elle m'a impressionné en réglant de façon indépendante le problème de corrosion » [Non souligné dans l'original]. L'employeur renvoie également à la capacité de la demanderesse de [TRADUCTION] « prendre la responsabilité de la conception et création de pièces d'équipement imposantes et complexes » . Enfin, la lettre mentionne que la demanderesse a obtenu deux prix pour sa participation au projet d'élaboration de la tour d'extraction aromatique.

[19]      Dans son curriculum vitae, la demanderesse renvoie également aux prix qu'elle a mérités pour sa participation à l'élaboration de la tour d'extraction aromatique. Il s'agit du même projet auquel la demanderesse a renvoyé dans son examen écrit lorsque l'agente des visas lui a demandé de décrire sa participation à la solution d'un problème de génie stimulant.

[20]      Il ne revient pas à notre Cour de déterminer si la demanderesse est une ingénieure compétente et, en particulier, si sa participation au projet d'élaboration d'une tour d'extraction aromatique établit qu'elle a les compétences requises pour exercer cette profession. Cependant, l'agente des visas devait tenir compte des documents produits pour étayer les compétences professionnelles de la demanderesse. Plus particulièrement, vu les circonstances de la présente affaire, elle aurait dû traiter principalement du projet particulier mentionné dans le curriculum vitae de la demanderesse, la lettre de recommandation de son employeur, et l'examen écrit de cette dernière. Son omission à cet égard exige l'intervention de notre Cour.

[21]      On comprend mieux l'erreur de l'agente des visas après avoir examiné sa preuve. Dans son affidavit, l'agente des visas a fait remarquer qu'elle ne considérait pas que la participation d'un interprète à l'entrevue était nécessaire, même si on a fait appel aux services d'un interprète prêt à intervenir, vu que la demanderesse connaissait suffisamment l'anglais pour communiquer [TRADUCTION] « à un niveau de base » . La demanderesse a obtenu deux points d'appréciation au titre du facteur relatif aux compétences linguistiques. L'agente des visas a ensuite considéré que les réponses de la demanderesse étaient vagues, qu'elles n'étaient pas claires, et qu'elles ne faisaient pas état de sa responsabilité individuelle à l'égard des projets. À mon avis, l'agente des visas ne pouvait parvenir à une telle conclusion qu'après avoir confronté la demanderesse relativement à sa participation au projet d'élaboration d'une tour d'extraction aromatique. Il me semble qu'il aurait été relativement simple de vérifier si cette participation faisait état de ses compétences en tant qu'ingénieure. Cette vérification était nécessaire, à mon avis, en particulier compte tenu de l'évaluation informelle favorable du CCI en ce qui concerne les compétences de la demanderesse en tant qu'ingénieure.

[22]      Enfin, il n'est pas clair en quoi les « réponses vagues » de la demanderesse étaient suffisantes pour convaincre l'agente des visas que cette dernière pouvait était admissible en tant que technicienne-spécialiste en chimie, mais non en tant qu'ingénieure chimiste ou ingénieure en mécanique.

[23]      Comme un autre agent des visas examinera à son tour les compétences de la demanderesse en tant qu'ingénieure, j'ai décidé de ne pas traiter des observations de son avocate concernant sa personnalité.

[24]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision qui fait l'objet du présent contrôle est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il statue à son tour sur celle-ci. Les parties pourront soumettre des observations écrites concernant la certification d'une question grave dans un délai de sept jours suivant la date des présents motifs.


« Allan Lutfy »

                                         juge en chef adjoint


Ottawa (Ontario)

Le 16 mars 2000










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-4954-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          MI XIA YANG c. LE MINISTRE DE LA                              CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 15 JUILLET 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LUTFY

EN DATE DU :                  16 MARS 2000


ONT COMPARU :     


Mme Barbara Jackman                      POUR LA DEMANDERESSE

M. Godwin Friday                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     


Mme Barbara Jackman                      POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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