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Date : 20001128

Dossier : T-140-00

ENTRE :

FAY DIAS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]    Le présent appel est interjeté par la demanderesse en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi) d'une décision du juge de la citoyenneté Pinel, en date du 16 décembre 1999, qui rejetait sa demande de citoyenneté. Fay Dias (la demanderesse), sollicite une ordonnance portant qu'elle répond aux exigences pour obtenir la citoyenneté canadienne en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi.

[2]    La demanderesse est arrivée au Canada le 26 octobre 1994 et elle a reçu le statut de résidente permanente le 16 mars 1995. Elle a fait sa demande de citoyenneté canadienne le 19 février 1998.

[3]    Selon la demanderesse, elle s'est absentée du Canada pendant les périodes suivantes et pour les motifs indiqués :

Du

J/M/A

À

J/M/A

Destination

Pays

Motif

Jours d'absence

26/10/1994

Canada

Arrivée à Toronto

0

02/12/1994

10/03/1995

R.-U.

Préparation à l'immigration

97

03/04/1995

29/05/1995

R.-U.

Travailleur autonome

55

02/06/1995

04/06/1995

É.-U.

Promotion des services de logiciels

2

02/07/1995

04/10/1995

R.-U.

Travailleur autonome

93

06/11/1995

24/01/1996

R.-U.

Travailleur autonome

78

04/03/1996

22/05/1996

R.-U.

Travailleur autonome

78

22/05/1996

26/05/1996

É.-U.

Travailleur autonome

3

01/07/1996

10/10/1996

R.-U.

Travailleur autonome

100

11/11/1996

31/01/1997

R.-U./ Allemagne

Travailleur autonome

80

04/03/1997

29/05/1997

R.-U.

Travailleur autonome

85

30/06/1997

28/08/1997

R.-U.

Travailleur autonome

58

15/09/1997

17/10/1997

R.-U.

Travailleur autonome

31

12/11/1997

28/01/1998

R.-U./France

Travailleur autonome

77

     TOTAL

837

[4]    La juge de la citoyenneté a constaté que la demanderesse s'était absentée du Canada pendant 798 jours dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, alors qu'elle avait été présente au Canada pendant 347 jours. Elle a conclu que le critère de résidence de l'alinéa 5(1)c) de la Loi, qui exige au moins trois ans (1 095 jours) de résidence au Canada dans les quatre ans qui ont précédé la date de la demande de citoyenneté, n'était pas satisfait.

[5]    La demanderesse fait état des indications suivantes quant à sa résidence :

· Elle a établi sa première résidence à Kingston et, deux mois plus tard, elle a centralisé son mode de vie habituel au Canada en achetant une maison à Kingston.

· Lors de ses absences du Canada, la maison est toujours restée meublée et les factures de services publics, de câblovision, d'enlèvement de la neige, d'entretien de la pelouse et de taxes foncières ont été payées.

· La maison n'a pas été louée à qui que ce soit.


· Elle détient un permis de conduire, un numéro d'assurance sociale et une carte de santé provinciale, et elle a un compte en banque.

· Ses absences étaient temporaires et involontaires, étant donné qu'elle est un travailleur autonome dans la profession de programmeur informatique et consultant en logiciels pour l'industrie de l'aviation, qui exige qu'elle vienne travailler sur place.

· La tante de la demanderesse, ainsi que six de ses cousins et leurs enfants vivent au Canada.

· La demanderesse et son mari sont les propriétaires d'une entreprise canadienne (Zenner Aviation), qui paie des impôts sur le revenu des sociétés.

· Zenner Aviation a des relations d'affaires continues avec cinq compagnies canadiennes.

· Elle vit à l'hôtel lorsqu'elle est à l'extérieur du Canada.

LA QUESTION EN LITIGE

[6]      Le juge de la citoyenneté Pinel a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences de résidence de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?


LES ARGUMENTS DE LA DEMANDERESSE

[7]      On peut résumer les arguments présentés dans le mémoire des faits et du droit comme suit :

1.              La demanderesse satisfait-elle au critère prescrit par l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?

La demanderesse s'appuie sur In re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.) pour dire que des absences temporaires du Canada n'empêchent pas quelqu'un d'y être résident. Elle invoque Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Cheung, [1999] J.C.F. no 626 pour démontrer que « c'est la qualité de l'attachement au Canada qui doit être examinée...[l]a durée des absences en soi n'est pas déterminante » . La demanderesse fait état de l'approche adoptée dans la décision de Madame le juge Reed, Koo (Re), (1992), 59 F.T.R. 27 (C.F. 1re inst.). Dans Koo, précité, l'approche adoptée consiste à déterminer si le Canada est l'endroit où la demanderesse « vivait régulièrement, normalement ou ordinairement » . Le juge Reed a fait état de six questions qui pourraient être utilisées par la Cour afin d'arriver à une conclusion au sujet de la résidence.


La demanderesse s'appuie aussi sur l'affaireNg (Re) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 162, pour étayer son argument qu'on ne peut retenir contre elle ses absences temporaires et involontaires et que sa demande doit être accueillie.

2.              Le juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en décidant que la demanderesse ne répondait pas au critère de résidence en vertu de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?

La demanderesse s'appuie sur la décision de Monsieur le juge Lutfy (alors juge de première instance) dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177 (C.F. 1re inst.), pour étayer sa proposition de la norme de contrôle dans des affaires de citoyenneté qui se rapproche de celle de la décision correcte. Pour l'essentiel, la demanderesse soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en insistant sur le nombre de jours d'absence du Canada et en ne donnant pas un poids suffisant au fait qu'elle avait établi et conservé sa résidence au Canada. La demanderesse soutient aussi que le juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de révision en ne tenant pas compte de la preuve très importante qui porte qu'avec son mari elle est propriétaire et gère conjointement une compagnie canadienne (Zenner Aviation), qui paie des impôts sur le revenu des sociétés. Zenner Aviation a des relations d'affaires continues avec cinq compagnies canadiennes.


La demanderesse soutient que le juge de la citoyenneté n'a pas tenu compte du fait qu'elle était venue pendant de longues périodes au Canada, entre 1978 et 1995 avant d'immigrer au Canada, en voyage d'affaires ou de tourisme. La demanderesse soutient qu'au cours de ces visites faites à intervalles réguliers, elle a absorbé les valeurs canadiennes et appris à les apprécier.

LES ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[8]      Le défendeur soutient que la période pertinente aux fins de cet appel va du 19 février 1994 au 19 février 1998, savoir les quatre ans qui ont précédé la date de la demande de citoyenneté.

[9]      Le défendeur soutient que la jurisprudence porte clairement que la demanderesse doit indiquer dans les faits qu'elle a établi sa résidence au Canada au moins trois ans avant sa demande de citoyenneté et qu'elle a conservé cette résidence. Le défendeur soutient que si un demandeur n'a pas établi sa résidence au Canada avant de s'absenter au cours des quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, les exigences de la Loi ne sont pas satisfaites. Il ne s'agit pas ici d'une « affaire presque faite » comme dansPapadogiorgakis (In re), [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.), qui impliquait des faits inhabituels qu'on ne trouve pas en l'instance. La jurisprudence récente insiste sur l'exigence d'une présence physique importante au Canada.


[10]    Le grand nombre de jours de résidence au Canada manquants établit, selon le défendeur, un fait objectif qui vient indiquer que la demanderesse n'a pas satisfait au critère de résidence. La demanderesse n'a pas indiqué quelles étaient les circonstances exceptionnelles lui permettant de satisfaire à ces exigences.

LES DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI

[11]    L'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, porte que :



5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) en fait la demande;

b) est âgée d'au moins dix-huit ans;

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

d) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

f) n'est pas sous le coup d'une mesure d'expulsion et n'est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l'article 20.

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

(b) is eighteen years of age or over;

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

(f) is not under a deportation order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.


Le paragraphe 14(5) porte que :


14.(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d'appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

a) de l'approbation de la demande;

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

14.(5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.


[12]    La demanderesse a été présente au Canada pendant 37 jours avant sa première absence de 97 jours.


ANALYSE ET DÉCISION

[13]    L'alinéa 5(1)c) de la Loi exige qu'un demandeur de citoyenneté ait, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours).

[14]    La jurisprudence de notre Cour a établi que dans certaines circonstances les périodes passées loin du Canada (les absences) peuvent compter dans les jours requis pour accumuler le minimum de 1 095 jours de résidence. Toutefois, ces absences ne peuvent être comptées comme des périodes de résidence que si un demandeur a centralisé son mode de vie habituel au Canada avant le début des absences.

[15]    Selon ses propres statistiques, la demanderesse s'est absentée du Canada pendant 837 jours, alors que le juge de la citoyenneté fait état de 798 jours d'absence dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté.

[16]    Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté) c. Lo (22 janvier 1999), dossier T-1082-98, Monsieur le juge Dubé de notre Cour déclare, à la page 2 :

La présence physique au Canada tout au long de la période est moins essentielle lorsqu'une personne s'y est établie en pensée et en fait, ou y a conservé ou centralisé son mode de vie habituel. C'était le cas de l'étudiant dans l'affaire Papadogiorgakis (précitée), qui s'était établi en Nouvelle-Écosse avant d'aller étudier aux États-Unis.


Malheureusement, ce n'est pas le cas de l'intimée en l'espèce qui, de toute évidence, ne peut s'être établie au Canada en seulement sept jours.

Par conséquent, sa demande était prématurée. Maintenant qu'elle a complété ses études et qu'elle s'est établie à Vancouver, elle pourra, au moment opportun, présenter une nouvelle demande de citoyenneté canadienne qui sera sans doute accueillie.

L'appel du ministre est accueilli.

[17]    Je suis arrivé à la conclusion que la demanderesse n'a pas établi qu'elle avait centralisé son mode de vie habituel au Canada dans les 37 jours où elle y a résidé avant sa première absence du Canada. Par conséquent, je ne suis pas disposé à faire compter ses absences du Canada lorsqu'il s'agit de satisfaire au critère de résidence prévu à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Par conséquent, le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur en décidant que la demanderesse n'avait pas satisfait aux exigences de résidence de l'alinéa 5(1)c) de la Loi et en refusant de lui accorder la citoyenneté. Selon moi, le juge de la citoyenneté n'est pas dans l'erreur, que l'on utilise la norme de la « décision raisonnable simpliciter » ou la norme « qui se rapproche de la décision correcte » établie par Monsieur le juge Lutfy (alors juge de première instance) dans Lam, précité.


[18]    En arrivant à cette conclusion j'ai examiné les activités de la demanderesse au Canada. Toutefois, comme je l'ai indiqué, il est à peu près impossible de centraliser son mode de vie au Canada en 37 jours de résidence. J'ai constaté que la demanderesse n'a pas d'autre résidence que sa résidence canadienne, mais selon moi elle doit établir qu'elle a centralisé son mode de vie au Canada avant que les jours d'absence du Canada puissent être comptés dans les 1 095 jours de résidence requis.

[19]    En termes simples, la demande présentée par la demanderesse est prématurée. Je suis convaincu qu'elle deviendra citoyenne du Canada dès qu'elle sera en mesure de satisfaire aux exigences de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[20]    Par conséquent, l'appel de la demanderesse est rejeté.

ORDONNANCE

[21] LA COUR ORDONNE QUE l'appel de la demanderesse soit rejeté.

« John A. O'Keefe »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 28 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                          T-140-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :          FAY DIAS, demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, défendeur

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :             LE MERCREDI 22 NOVEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :           MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                    LE MARDI 28 NOVEMBRE 2000

ONT COMPARU

M. Marshall Drukarsh                      pour la demanderesse

M. Godwin Friday                           pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Green & Spiegel                              pour la demanderesse

Avocats

121 ouest, rue King

Pièce 2200

Toronto (Ontario)

No de tél. (416) 862-7880

Morris Rosenberg                            pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               

Date : 20001128

Dossier : T-140-00

Entre :

FAY DIAS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                                                    

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                                                   

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