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Date : 20050429

Dossier : IMM-7640-04

Référence : 2005 CF 587

Ottawa (Ontario), ce 29e jour d'avril, 2005

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                  AGATHA DOROTEIA NZINGA

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision en date du 19 août 2004 d'un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de la protection) (le « tribunal » et la « CISR » ), à l'effet que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention puisqu'elle était inadmissible en vertu de sa complicité avec une organisation qui a perpétré des crimes contre l'humanité. La demanderesse vise à ce que la décision soit annulée et que son dossier soit renvoyé devant un panel différemment constitué.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                De façon préliminaire, étant donné qu'il n'y a pas de transcription de la troisième journée d'audition, est-ce que la Cour est en position d'assumer ses obligations d'étude et d'analyse selon les questions soulevées?

[3]                Si nécessaire, est-ce que le tribunal a bien appliqué les notions de membre et de complicité associées à l'inadmissibilité découlant de l'application de l'alinéa 1F(a) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la « Convention » ) et aux termes de l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la « L.I.P.R. » )?

[4]                Si nécessaire, est-ce que le tribunal a erré en droit ou a conclu sur la base de faits erronés, ou a agi d'une façon contraire à la loi en rendant sa décision?

CONCLUSION

[5]                Pour les motifs exposés ci-dessous, la réponse à la question préliminaire est négative. Par conséquent, il n'y a pas lieu de répondre aux deux autres questions. Toutefois, dans le but de bien situer le lecteur, il m'apparaît nécessaire d'aborder les faits à la base de la présente procédure.


LES FAITS

[6]                La demanderesse, Agatha Doroteia Nzinga (Mme Nzinga ou la « demanderesse » ), est une citoyenne d'Angola d'origine ethnique. Elle dit craindre la persécution en Angola en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe ethnique particulier.

[7]                Son fiancé, ainsi que plusieurs membres de sa famille, furent membres du parti politique l'Union Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola ( « UNITA » ). En 1989, à l'âge de 17 ans, la demanderesse est devenue membre de l'UNITA. À titre de femme membre de l'UNITA, elle n'avait pas le droit d'occuper une position de pouvoir et était reléguée à l'éducation de masse. Selon son témoignage, elle distribuait des tracts, collait des affiches, recrutait des membres et informait les membres lorsqu'il y avait des réunions. Noter que l'UNITA ne pouvait pas tenir des rencontres et réunions publiques étant donné l'interdiction promulguée par le gouvernement Angolais.


[8]                La demanderesse fut membre de l'UNITA pendant presque dix ans, de 1989 à 1998. Cependant, en 1995, elle allègue avoir tenté de se retirer de l'UNITA suite à des rumeurs qui circulaient depuis 1992 à l'effet que le parti était impliqué dans des massacres du peuple angolais. En dépit du fait que son fiancé l'aurait informé que de tels massacres n'avaient pas eu lieu, la demanderesse aurait néanmoins voulu se retirer. Elle n'aurait toutefois pas mis un terme à sa participation à l'UNITA en raison d'une lettre anonyme d'un membre de l'UNITA la menaçant de ne pas quitter. Par défaut de ne pas abandonner totalement ses implications au sein de l'UNITA, elle aurait réduit la portée de son rôle et ses activités.

[9]                En mars 1998, à cause de la situation angolaise, son père l'envoie étudier en France. Elle dit n'avoir eu aucun contact avec l'UNITA ni son personnel (outre que son fiancé) pendant son absence. Pendant son séjour en France, elle fait une demande d'asile qui s'avère infructueuse. En octobre 2001, elle retourne en Angola puisque sa mère est malade.

[10]            Après son retour, son fiancé, maintenant devenu un capitaine de l'UNITA, est arrêté et mis en prison. Au début de janvier 2002, des militaires se présentent chez la demanderesse puisque son fiancé s'est enfuit de prison. N'étant pas chez elle, ceux-ci s'en prennent à sa famille. Elle a témoigné à l'effet que ceci eut lieu à deux reprises au début de janvier 2002.

[11]            Craignant pour sa vie, elle décide de quitter son pays. Une amie portugaise aurait réussi à lui obtenir un passeport avec lequel elle a voyagé au Canada pour arriver le 27 janvier 2002 où elle a revendiqué le statut de réfugié lors de son arrivée.

LA DÉCISION CONTESTÉE


[12]            L'audience du 9 mai 2003 fut ajournée lorsque la demanderesse a spontanément témoigné de son implication et ses activités avec l'UNITA, puisque cette information ne faisait pas partie de son formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ) ni de son formulaire rempli au point d'entrée ( « PDE » ). Au contraire, ses commentaires, à propos de l'UNITA, étaient limités à la participation d'autres membres de sa famille. Par la suite, une représentante du Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration est intervenue dans le dossier de la demanderesse. L'audience du 18 février 2004 a dû être ajournée après un certain temps puisque le bébé de la demanderesse pleurait, ce qui empêchait cette dernière de participer à l'audition. Finalement, le tout s'est terminé le 27 avril 2004, mais l'enregistrement de cette audience était défectueux ce qui empêcha la production d'une transcription.

[13]            Le tribunal a conclu que le défendeur s'est déchargé de son fardeau de prouver qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que la demanderesse ne soit pas admissible en raison de son appartenance à un groupe responsable de crimes contre l'humanité :

Le tribunal conclut que la demandeure doit être exclue parce qu'elle est une personne dont il y a des sérieuses raisons de penser qu'à titre de complice, elle a commis un crime contre l'humanité : elle a été active au sein de l'UNITA partageant leurs objectifs, elle est demeurée au sein de l'UNITA et, [sic] elle connaissait les exactions commises par le groupe. [Voir le page 11 de la décision.]

[14]            De plus, le tribunal a conclu que le témoignage de la demanderesse manquait de crédibilité sur des éléments importants de sa revendication en raison de ses omissions et ses contradictions. Par exemple, la demanderesse a donné plusieurs dates différentes pour décrire les mêmes événements (à titre d'exemple : la date de ses fiançailles). Le tribunal a aussi trouvé non crédible l'explication de la demanderesse à l'effet que quelqu'un en France lui a suggéré d'omettre l'information quant à son rôle et ses activités avec l'UNITA, puisque c'était « un élément au coeur de sa revendication » (voir la page 3 de la décision, dernier paragraphe).


PRÉTENTIONS DES PARTIES

La demanderesse

[15]            La demanderesse prétend que le tribunal a erré dans ses conclusions en statuant qu'elle était complice et qu'elle avait commis des crimes contre l'humanité à cause de son appartenance et de ses fonctions au sein de l'UNITA. À l'appui, elle cite l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.) (Ramirez) à la page 316, où le juge MacGuigan souligne que l'emploi du mot « commis » figurant dans la Convention comporte un élément moral ou une connaissance : « personne ne peut avoir "commis" des crimes internationaux sans qu'il n'y ait eu un certain degré de participation personnelle et consciente » . Suivant les principes énoncés dans les décisions Ramirez, précitée, et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] C.F. 433 (C.A.) (Sivakumar), le tribunal n'a pas bien analysé le rôle que la demanderesse a joué dans l'UNITA. Elle n'avait aucun pouvoir décisionnel, ne faisait partie d'aucun processus décisionnel pour commettre ces crimes, et en plus, elle n'avait aucune connaissance, à part des rumeurs, que l'UNITA commettait de tels crimes contre des citoyens d'Angola. Ceci dit, elle allègue que la conclusion à laquelle le tribunal est arrivée en la traitant de complice était déraisonnable.


[16]            La demanderesse soumet que le tribunal a commis une erreur en omettant d'aborder la question reposant sur la crainte de la demanderesse lors de l'audition si un retour dans son pays était imposé. Elle a souligné dans ses prétentions qu'elle avait peur d'être persécutée par le gouvernement actuel et qu'elle ne pouvait retourner dans son pays d'origine puisqu'elle craignait pour sa vie. D'après la demanderesse, le tribunal n'a procédé à aucune analyse de ces éléments de preuve ni tiré aucune conclusion quant à sa crainte de persécution, ce qui est, selon elle, une erreur révisable par cette Cour.

Le défendeur

[17]            Le défendeur prétend que, puisque la question devant cette Cour est l'appréciation de la crédibilité de la demanderesse, la Cour ne doit intervenir à moins qu'il y ait une conclusion de faits manifestement déraisonnable. Dans la mesure où la conclusion de faits est appuyée par la preuve, la Cour ne devrait pas s'ingérer dans la décision même si elle aurait tiré une conclusion différente. Dans la présente instance, le tribunal a donné l'opportunité à la demanderesse d'expliquer les contradictions et invraisemblances découlant de son témoignage ainsi que de la preuve documentaire.


[18]            De plus, le tribunal a bien appliqué l'article 98 de la L.I.P.R., lorsqu'il a déterminé que la demanderesse n'est pas admissible en raison de l'article 1F(a) de la Convention. Il existait des raisons sérieuses de penser que la demanderesse avait commis un crime contre l'humanité en vertu de son appartenance à l'UNITA. Cette détermination est une question de droit et de faits, et alors révisable selon la norme de la décision raisonnable. Compte tenu de l'ensemble de la preuve, la décision du tribunal est raisonnable et il n'y a pas lieu pour cette Cour d'intervenir.

ANALYSE

La décision du tribunal : Question préliminaire

[19]            Tel qu'indiqué ci-haut, l'audition s'est répartie sur trois jours. L'audition du 9 mai 2003 fut ajournée suite au témoignage spontané de la demanderesse concernant son implication et ses activités avec l'UNITA. L'audition du 18 février 2004 fut ajournée car son enfant, présent avec elle, l'empêchait d'accorder l'attention nécessaire. L'audition s'est terminée le 27 avril 2004. Il y a des transcriptions des deux premières journées, mais étant donné le non fonctionnement de l'enregistrement, il n'y existe pas de transcription pour la dernière journée.

[20]            Ayant soulevé cette problématique lors de l'audition et ayant bénéficié de la position des parties, cette situation me préoccupe et ce, même s'il n'y a pas d'obligation statutaire ou réglementaire à enregistrer les auditions du tribunal. En effet, il peut y avoir des circonstances dans lesquelles une telle absence de transcription pourrait soulever une question sérieuse de bris des principes de justice naturelle. À cet égard, j'ai à l'esprit les propos suivants de la juge L'Heureux-Dubé anciennement de la Cour Suprême dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793 :

[80]      À mon avis, les arrêts Kandiah et Hayes, précités [Kandiah c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1992), 141 N.R. 232 (F.C.A.), et R. c. Hayes, [1989] 1 R.C.S. 44] fournissent un excellent énoncé des principes de justice naturelle applicables à l'enregistrement des délibérations d'un tribunal administratif. Dans le cas où l'enregistrement est incomplet, le déni de justice découlerait de l'insuffisance de l'information sur laquelle la cour siégeant en révision peut fonder sa décision. Par conséquent, l'appelant peut se voir nier ses moyens d'appel ou de révision. Les règles énoncées dans ces arrêts empêchent que ce résultat malheureux ne se produise. Elles écartent aussi le fardeau inutile des délibérations administratives et de la répétition superflue d'un examen des faits qui serait entrepris longtemps après que les événements en question sont survenus.

[81]      En l'absence d'un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d'appel ou de révision. Si c'est le cas, l'absence d'une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. [Non souligné dans l'original.]

(Voir aussi les commentaires du juge Lemieux dans les arrêts Goodman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. No. 342 (1e inst.), aux pars. 67-90 et surtout pars. 81-82, et Voslaev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1299 (1e inst.).)


[21]            Sans une transcription, mais en tenant compte de la décision du tribunal ainsi que du dossier, comment la Cour peut-elle s'assurer qu'un revendicateur a eu l'opportunité de bien présenter sa preuve ou encore, que le tribunal a bien assumé ses obligations?

Je conclus qu'en l'absence d'une transcription de l'audience, il ne m'est pas possible d'examiner la conclusion portant sur la crédibilité en général. Je ne peux pas non plus savoir si la Commission a fourni la possibilité au demandeur de répondre à ses inquiétudes, ou si elle a respecté ses obligations en vertu du paragraphe 68(5) de la Loi sur l'immigration.

[Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. No. 739 (1e inst.), la juge Dawson, au par. 18.]

[22]            Le non disponibilité d'une transcription de l'audience du 27 avril 2004 soulève une question importante quant à la possibilité pour la Cour de savoir si la demanderesse s'est vu refuser un moyen de révision en raison de cette absence. Plus spécifiquement, sans la transcription de cette audience, je ne peux pas vérifier si la demanderesse a raison lorsqu'elle prétend que le tribunal n'a pas bien compris son rôle dans l'UNITA. Le coeur du présent dossier est le rôle de la demanderesse à titre de membre de l'UNITA ainsi que sa connaissance ou pas des crimes contre l'humanité commis par cette organisation politique et la crédibilité du témoignage à cet effet.

[23]            Je note qu'à la fin de l'audience de la deuxième journée, les participants constataient que la notion de « membre » et ce que la demanderesse connaissait à titre de membre, n'avait encore pas été abordé (voir page 784 et suivantes du dossier du tribunal). Ayant à l'esprit, entre autre, cette préoccupation, le tribunal fixa de façon péremptoire la date du 27 avril 2004 pour la continuation de l'audition. Tel que mentionné précédemment, il n'y a pas d'enregistrement de cette audition. Il est donc impossible pour la Cour d'étudier et d'évaluer la détermination du tribunal à l'effet que la demanderesse, à titre de complice, a commis un crime contre l'humanité ayant été active au sein de l'UNITA, partageant les objectifs et connaissant les exactions commises par le groupe.    La dernière journée de l'audition devait se consacrer, entre autre, à ces sujets ainsi qu'à celui de la crédibilité de la demanderesse.

[24]            Dans ces circonstances, ainsi que dans l'intérêt de la justice, il me semble prudent d'annuler la décision du tribunal et de renvoyer le dossier de la demanderesse devant un nouveau panel différemment constitué.

Commentaire quant à l'inadmissibilité de la demanderesse

[25]            Ayant conclu de cette façon, il ne m'est pas nécessaire d'étudier, selon la norme applicable, la détermination du tribunal concernant la complicité des crimes de la demanderesse contre l'humanité attribués à l'UNITA et en conséquence, de l'exclusion en vertu de l'alinéa 1F(a) de la Convention.

[26]            Les procureurs furent invités à soumettre une question certifiée mais ils ont décliné.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

­            La décision du tribunal en date du 19 août 2004 soit annulée et que le dossier soit confié à un autre tribunal différemment constitué. Aucune question ne sera certifiée.

                "Simon Noël"                 

          Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-7640-04

INTITULÉ :                                                  

AGATHA DOROTEIA NZINGA

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                            OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                           25 AVRIL 2005

MOTIFS :                                                      L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                                 29 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Me Kibondo Kilongozi                                     POUR DEMANDERESSE

Me Sonia Barette                                             POUR DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Kibondo Kilongozi                                                              POUR DEMANDERESSE

Ottawa (613) 236-1119

John H. Sims, Q.C,                                                                   POUR DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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